“You take my self, you take my self control, You got me livin’ only for the night
Before the morning comes, the story’s told, You take my self, you take my self control”
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Comme l’exigeait la saison hivernale, la neige chutait en lourds flocons sur les tuiles d’ardoise de l’institut Charles Xavier, faisant peu à peu disparaître la prestigieuse institution du paysage. Dans cette blancheur éthérée, seules les lumières chatoyantes de Noël clignotant à travers les fenêtres apportaient une touche de couleur à la froideur du mois de décembre.
Pourtant malgré cette ambiance glacée, l’atmosphère qui régnait au sein de l’école dédiée à l’éducation des jeunes mutants était électrique - et pour une fois cela n’avait rien à voir avec un quelconque incident impliquant les élèves. Les couloirs de la bâtisse résonnaient de discussions fébriles, des plus jeunes rêvant au père Noël aux plus âgés qui se réjouissaient déjà de partager un repas copieux en compagnie de leurs familles conviées pour l’occasion.
Mais pour Charles Xavier, directeur de la maison, le temps n’était pas aux rires et aux chansons. Avachi dans son bureau à l’atmosphère solennelle, stylo à la main, il parcourait la liste des invités au dîner de fin d’année avec une attention propre au télépathe qu’il était.
Mais si en théorie rien ne pouvait déconcentrer le grand professeur X, son regard s’était figé sur le nom de l’un des nombreux convives du réveillon.
Erik Lehnsher.
Magneto. Le jeune enseignant aurait pu penser que ce nom maudit avait disparu des archives de l’institut, ou qu’au moins Hank, son assistant, avait eu le bon sens de l’effacer des bases de données de ses serveurs.
Apparemment, non.
— Hank ?!
Sa voix était rauque d’avoir trop ruminé le nom de son ancien ami. Ou peut-être était-ce l’émotion ? Dans tous les cas ce maudit nom devait disparaître de la liste de ses invités, histoire que la tentation ne soit pas trop grande...
— Oui professeur ?
La porte lambrissée de son bureau s’ouvrit sur Hank McCoy, son assistant et directeur adjoint de l’institut. Si l’on ne s’arrêtait pas sur sa figure de lion et l’épaisse fourrure bleue qui couvrait l’ensemble de son corps, cet homme aux allures de bête féroce était l’un des esprits les plus brillants que Charles n’avait jamais rencontré ; c’était pour cela qu’il l’avait choisi.
— Les invitations ont déjà été adressées ? Il demanda, passablement inquiet.
Sous ses épaisses lunettes, le fauve cligna plusieurs fois des yeux, avant de hocher doucement la tête.
— Oui j’ai tout fait parvenir il y a plus d’un mois. Les parents d’Adam Steele ont par ailleurs réitéré leur volonté de ne plus avoir de contact avec leur fils. Je crois que la dernière tentative de réconciliation a été un échec.
— C’est fâcheux. Répondit doucement Charles en reposant la liste.
Inspirant doucement, il se frotta vigoureusement les yeux, essuyant la fine pellicule de sueur qui venait de recouvrir son front, tentant de maîtriser ses émotions. Après quelques secondes de silence, le calme semblait à nouveau l’habiter.
En apparence seulement ; derrière ses iris clairs, la tempête faisait rage.
Même si cela était hautement improbable, Erik pouvait à tout moment débarquer au dîner, cape au dos et casque sur la tête... “Bonjour Charles, belle nuit pour reparler de celle que nous avons passée ensemble, n’est-ce pas ?”
— Tout va bien professeur ? Je peux vous donner le numéro du couple Steele si- poursuivit Hank, méprenant son expression lasse.
— Tout va très bien Hank, ne vous en faites pas pour ça. Merci de vous être chargé des envois. Je vais passer voir Adam pour lui parler de la décision de ses parents. Passez une bonne soirée.
Avec un hochement de tête, le fauve tourna les talons, laissant le professeur seul. Soupirant, ce dernier passa une main dans ses cheveux mi-longs, tentant d’effacer les maudites images qui tournoyaient à nouveau dans sa tête.
C’était ce fichu bureau aussi ! C’était précisément là que tout avait commencé !
Plus il tentait d’ignorer les souvenirs qui l’envahissaient, plus la sensation des mains d’Erik le long de ses hanches devenait tangible. Dans son esprit mutant, aucun des moments de sa vie ne s’effaçait jamais définitivement...
“— Charles... je t’en supplie, laisse moi voir ton regard, arrête de te cacher... rentre dans ma tête si tu veux, dis moi tout ce que tu veux de moi... tu n’es pas obligé de parler...
Contre sa cuisse, le désir de son ami se faisait de plus en plus pressant, et lui ne pouvait que cacher son visage dans le creux de son cou, si honteux d’avoir été percé à jour...”
— Ça suffit ! Il murmura pour lui même, tapant du poing sur le bureau. La grande pièce aux rideaux de velours, ordinairement si calme et sereine, résonnait à présent des échos troublants de cette nuit-là. A l’extérieur le vent murmurait, portant avec lui les notes de cette romance vouée à l’échec.
Secouant la tête, Charles actionna son fauteuil, faisant tourner les roues de caoutchouc en direction de la porte de son bureau. Effaçant les dernières images plus que suggestives qui flottait dans son esprit, il déboucha sur le grand hall de l’institut, duquel il pouvait accéder à l’ascenseur installé par Hank peu après son accident.
Alors qu’il atteignait le couloir désert, son regard buta sur le lieu précis où il avait lâché prise deux ans auparavant, cédant aux assauts vigoureux d’Erik à même le mur, agrippé à un guéridon d’une main et au chandelier de l’autre. Une lueur mélancolique traversa son regard, mais il la chassa rapidement. Un peu de concentration mon vieux. Ça n’est pas en remuant les squelettes dans les placards que ça ira mieux.
Après avoir à nouveau gommé toute trace de son trouble, il frappa doucement contre la porte qui lui faisait à présent face :
— Adam, est-ce que je peux entrer ?
Les gonds pivotèrent sans même qu’il ait eu besoin d’actionner la poignée, s’ouvrant sur un jeune garçon occupé à lire un livre à son bureau. En voyant la silhouette du directeur de l’institut, un sourire sincère vint illuminer son visage aux traits juvéniles.
— Je peux vous aider professeur ?
Le regard clair de Charles vint parcourir la silhouette de son étudiant arrivé à l’institut six mois auparavant. Si Adam avait la personnalité d’un jeune garçon de seize ans, son corps était celui d’un être céleste. Sa peau, noire d’encre, était si sombre qu’il semblait qu’elle absorbait la lumière environnante. Seules lueurs sur sa peau de velours, de fins diamants brillants illuminaient son expression, faisant office de tâches de rousseur plus que singulières.
— J’ai à te parler. À propos de tes parents.
Un frisson silencieux sembla traverser la pièce à ces mots. Adam ferma son livre avec soin, ses yeux étoilés se tournant vers le Professeur Xavier. Dans un réflexe inconscient, il referma ses dents pointues sur sa lèvre inférieure, la mâchonnant avec appréhension.
— Mes parents ? Qu’est-ce qui se passe ?
Le télépathe se rapprocha, son fauteuil glissant silencieusement sur le sol :
— Il semble y avoir eu des développements. Tu sais que lorsque tu es arrivé, ils m’ont annoncé la volonté de ne plus avoir de contacts directs avec toi. Ils ont contacté le professeur Mc Coy il y a peu et il semble que cette décision soit entérinée de leur côté-
— C’est à cause de mon apparence ?
— Je te mentirais si je te disais que ça n’était pas le cas. Mais il s’agit de l’une des causes oui. La différence fait souvent peur tu sais.
L’étudiant baissa la tête, contemplant ses mains avec une moue dégoûtée.
— Les autres me regardent bizarrement ici aussi. Je... est-ce que j’ai ma place quelque part professeur ?
— Je pense que nous avons tous notre place dans ce monde. Il ne faut pas avoir honte de ce que nous sommes. Jamais.
Charles posa une main compatissante sur l’épaule de son élève, sondant son esprit avec délicatesse. S’il était bien moins puissant que lui, Adam était lui aussi un télépathe aux pouvoirs encore instables. Avec précaution, il entrouvrit les portes de leur connexion mentale, offrant un soutien empreint d’ondes positives sans pour autant les imposer à l’esprit de son jeune protégé.
Croisant son regard, il ajouta à l’oral :
— J’ai connu une fille qui était comme toi. Elle n’était pas télépathe, mais avait elle aussi une apparence hors du commun. J’ai fait l’erreur de penser qu’elle serait plus heureuse en se coupant de sa réelle apparence physique. Le jour où elle a compris qu’elle n’avait pas besoin de se dissimuler et qu’elle était bien plus épanouie en révélant sa véritable nature au monde... jamais je ne l’ai vue si rayonnante et si puissante. Je ne vais rien t’imposer Adam, mais tu as un don exceptionnel. Tu peux choisir de ne pas te cacher. C’est ton droit.
Le garçon hocha doucement la tête, acceptant le réconfort du professeur avec un sourire timide.
— Vous pouvez m’appeler Steam. Havok a... Enfin le professeur Summers nous a dit que vous aviez chacun des surnoms alors je me suis dit que... Enfin je veux dire, si Adam Steele c’est le nom que mes parents ont choisi... je préfère avoir ma propre identité si vous voyez ce que je veux dire...
— Si c’est comme cela que tu veux que je t’appelles désormais, il n’y a pas de souci. Je suis heureux de l’avoir parmi nous Steam.
Le garçon sourit.
— Merci professeur. Je pense que j’ai besoin d’un peu de temps pour digérer la nouvelle.
— Prends le temps qu’il te faut. Passe une bonne soirée. Si tu as besoin de parler, mon bureau t’es ouvert.
Avec un signe de tête respectueux, Charles se retira de la chambre de son élève, éteignant au passage la lumière du couloir qui se retrouva plongé dans l’obscurité, troublée à intervalles régulière par les joyeuses lueur du sapin de Noël installé face à la fenêtre.
Dans le silence du temps calme imposé aux élèves, le professeur traversa à nouveau les dortoirs pour se diriger vers ses quartiers. Arrivé à sa porte, il fit machinalement glisser la clé dans la serrure, avant de pénétrer dans sa chambre baignée dans une noirceur apaisante. Derrière les lourds rideaux de velours, seuls quelques rayons de lune filtraient, ajoutant à l’atmosphère de quiétude seulement troublée par le doux murmure du vent hivernal contre les vitres.
Même si au centre de la pièce, son bureau encombré de papiers et de dossiers l’invitait à se pencher sur les résultats de ses nouveaux tests sur les gènes X, Charles fut bien davantage tenté par son fauteuil confortable près de la cheminée.
Bien qu’éteinte, l’âtre lui procurait une sensation de réconfort bienvenue après la discussion menée avec Steam. Il lui rappelait tant l’époque où il travaillait pour la CIA... Bon, assez tergiversé mon vieux, va falloir l’allumer ton feu.
En fredonnant pour lui-même, le jeune professeur s’approcha du foyer, esquissant un sourire pensif en songeant au repas et aux cadeaux qu’il avait préparés pour ses étudiants ; sweats, chaussettes et autres mugs aux couleur de l’institut les attendrait au pied du sapin.
Sans quitter son sourire, il saisit la petite boîte d’allumettes posée sur la cheminée et d’un geste assuré, fit naître une lueur vacillante dans l’âtre. La danse des flammes éclaira peu à peu la pièce, projetant des ombres fantasques sur les murs chargés de ses recherches.
— Ainsi donc ce que l’on dit est vrai. Tu as perdu l’usage de tes jambes.
Une voix calme, posée, venait de résonner dans l’atmosphère feutrée de ses appartements. Voix qui n’aurait pas dû ce trouver là, et dont il était incapable de percevoir mentalement l’émetteur.
Avec l’expression d’une personne à qui on aurait mis une gifle, Charles tourna lentement la tête dans la direction d’où était venue la remarque flegmatique.
Son cœur loupa un battement. S’il avait encore eu l’usage de ses jambes, il serait tombé au sol, pour sûr.
Comme une invocation venue d’un autre monde — et du genre, monde démoniaque, Erik se tenait dans l’ombre, silhouette sculptée dans la nuit. Son manteau sombre semblait absorber la faible lumière filtrant des rideaux, créant un contraste saisissant avec sa posture droite et imposante.
Illuminé par le feu crépitant de la cheminée, son casque de métal rouge luisait d’une lueur étrange, magnétique. Voilà pourquoi il n’avait pas ressenti sa présence dans la pénombre.
— Erik. Murmura Charles plus pour lui-même que pour son interlocuteur.
Avait-il consommé une quelconque substance psychotrope ? Ou était-ce encore son esprit qui lui jouait des tours ? Sans doute un cas aigu de paréidolie couplé à une bonne hallucination auditive...
Cependant, lorsque leurs regards se croisèrent dans la lueur dansante du feu, il devint indéniable que la présence d’Erik était bien réelle.
D’un pas souple, celui qui se faisait à présent appeler Magnéto fit quelques pas dans la pièce, silhouette capée se découpant dans la lueur du foyer :
— Charles, il murmura d’une voix calme, presque apaisante. J’ai bien reçu ton invitation.
A présent, c’était une lueur amusée qui luisait dans son regard gris acier.
— Je me doute que tu ne viens pas uniquement prendre des nouvelles et te moquer d’un handicapé. Qu’est-ce que tu veux ? Grogna le professeur en tentant de se redresser, masquant son trouble au mieux.
Erik laissa échapper un léger rire, teinté d’une ironie mordante. Les flammes dansaient toujours derrière lui, illuminant les deux petites fossettes qui venaient d’apparaître sur ses joues.
— Me moquer de toi ? Non, ce n’était pas mon intention, même si je dois admettre que l’idée a son charme.
Le silence s’installa entre eux, seulement troublé par le crépitement de la cheminée.
— Tu sais très bien ce que je veux, reprit Erik après quelques secondes, d’une voix plus sérieuse, sans quitter son petit sourire.
Par pitié qu’il quitte ce sourire. Pas ce fichu sourire, pas ce fichu regard... Couina intérieurement Charles.
— Ce que je veux c’est toi. De manière inconditionnelle. Je veux que tu m’appartiennes Charles. Je veux que chacun de tes regards, chacun de tes rires, chacun de tes soupirs soient à moi. Je veux que tu te laisses aller comme tu l’as fait il y a deux ans. Que tu t’abandonnes en moi Charles. Je veux entendre tes cris, me noyer dedans s’il le faut.