— Maelys !
Le cri fusa à travers la petite cabane de bois suivit de près par Ergo ouvrant la porte de la chambre à la volée, peu soucieux d'y entrer sans prévenir. Son regard balaya la pièce à la recherche d'un quelconque danger, mais il n'y avait rien ni personne. La fenêtre était ouverte, laissant passer un courant d'air glacé à travers la chambre. Sophie se tenait prostrée sur le lit, le visage blanchi par le froid et les yeux hagard devant le vide qui occupait l'autre côté du couchage.
Maelys n'était plus là.
Il fallut un moment à Ergo pour saisir ce qu'il se tramait devant lui, le vent mugissait à travers la fenêtre et les lattes de plancher grinçaient tandis qu'il s'approchait du lit vide.
— Zéro, ordonna-t-il sans même le regarder. Va chercher les femmes d'hier.
— Ce sont elles qui ont fait ça ? questionna Sophie encore toute retournée par la disparition de son amie.
Sa voix et son corps tremblaient, elle eut un sursaut et son corps s'effondra sur le lit, à bout de souffle. Ergo la souleva avec douceur, son corps était gelé, affaibli par l'air froid ayant envahi l'habitacle. A en croire la température, Maelys avait dû être kidnappé il y avait de cela plusieurs heures. Elle n'eut aucune réaction lorsqu'il la transfèra dans leur propre chambre ou une chaleur accueillante régnait encore. Lorsqu'il referma la porte, le lourd battant de l'entrée s'ouvrit face à Adélaïde son arc à la main et Zéro derrière maintenu en joue par d'autres guerrière.
— Dites-moi ce qu'il s'est passé ? somma-t-elle en se rendant dans la chambre vide. Ou est l'autre jeune fille ?
Son regard se fit menaçant et le chef des Taupes Enragées comprit immédiatement que si son explication ne lui plaisait pas, elle les rendrait personnellement responsables de ce qu'il venait de se produire.
— Quelqu'un est entré cette nuit et à enlever Maëlys, annonça-t-il avec calme. Sophie est dans l'autre chambre, elle est gelée.
Il insista bien sur les prénoms des deux jeunes filles, il ne prenait pas les évènements à la légère. Ces guerrières pouvaient penser ce qu'elles voulaient, il connaissait les deux jeunes filles depuis plusieurs semaines maintenant et leur sort ne leur était pas égal.
Adélaïde fit signe à l'une des femmes de retrouver Sophie afin de lui porter tout le soin dont elle aurait besoin, puis observa la chambre froide avec plus d'insistance. Lentement, elle pénétra les lieux et s'approcha de la fenêtre. Elle avait été forcée, le loquet était brisé mais le cadre de bois n'avait subi aucun dommage, l'intru savait ce qu'il faisait. Les quelques pas séparant la fenêtre du lit se firent dans le silence le plus totale, la guerrière cherchait le moindre indice sur leur agresseur, une trace de pas, un objet perdu. Hélas la neige ne salissait que peu les chaussures et la moindre trace avait à présent fondu.
— Ida, appela-t-elle soudain, prends d'autres personnes et allez voir si vous ne trouvez pas des empreintes de pas dans la neige.
Les chances étaient minces, la neige tombait depuis un moment déjà et la moindre marque risquait d'être recouverte. C'est alors qu'une odeur étrange la frappa. Très légère, presque subtile, un parfum qu'elle connaissait mais dont elle n'arrivait pas à retrouver la sources. Quelque chose de légèrement terreux, une odeur assez forte pour imprégner les tissu pendant toute une nuit. Un doute l'envahit et elle traversa la maisonnée en quelques pas afin d'atteindre la chambre ou se reposait la jeune Sophie. Elle dormait toujours, plongée dans un sommeil lourd que nul rêve ne semblait ébranler.
A la stupeur d'Ergo et de Zéro restés en retrait, Adélaïde s'approcha du visage de la jeune fille, si proche qu'on eut cru qu'elle allait l'embrasser. Puis, délicatement, elle entreprit de sentir son visage, ses joues, ses cheveux, tout ce qui aurait pu conserver une empreinte de cette odeur étrange.
Lorsqu'elle se releva, elle comprit que les deux hommes présent n'y était pour rien.
— Des champignons, déclara-t-elle sans plus d'explication.
Ergo comprit à son tour. Des champignons soporifiques, ils poussaient en masse près de la Cave. Ce champignon puissant pouvait endormir n'importe qui une fois écrasé en baume, il suffisait alors de l'étaler près des voix respiratoire de la victime ou d'en imbiber un tissu pour le voir filer tout droit au pays des rêves. Voilà pourquoi Sophie s'était évanouie, ébranlée par le froid et par la dose de somnifère dont elle avait été victime. Les ravisseurs avaient-ils pris la peine de l'endormir avant de s'occuper de Maelys ? L'une des deux auraient pu sonner l'alerte, il fallait être d'une discrétion étonnante pour pénétrer ainsi dans un lieu sans n'éveiller personne, pas même Ergo et Zéro n'avaient entendu quoi que ce fut.
Le grand brun se remémora soudain la silhouette sombre qu'il avait cru apercevoir la veille près de l'entrée de la cavité où se trouvait le village. Il en fit immédiatement part à la guerrière.
— Pourquoi kidnapper une petite ? finit par demandé un Zéro incrédule à la fin de son récit. Pour la vendre en esclave ?
— Si c'était le cas Sophie ne serait plus là non plus, réfléchit Ergo à voix haute. Il y a autre chose, quelque chose de plus important qui ne concerne que Maëlys. N'est-pas ?
Son regard se posa sur Adélaïde à ces mots. Il sentait que cette femme possédait plus d'informations qu'elle ne le laissait paraître et il comptait bien y avoir accès qu'elle le voulût ou non !
Elle allait pour répondre quand l'une de ses camarades fit irruption dans la pièce.
— Adélaïde, annonça-t-elle précipitamment. Nous avons une piste, mais elle est faible.
— Prenez vos affaires, ordonna-t-elle au petit groupe de femme qui l'accompagnait. Nous partons à sa recherche.
Puis un regard vers les deux hommes.
— Et vous nous accompagnez.
— J'y compte bien, murmura Ergo avant de récupérer ses affaires.
***
Odeur d'humus, de terre mouillée. Des senteurs qu'il lui rappelèrent un cauchemar. Une grotte gigantesque, son visage enfoui dans la terre alors que son amie n'était plus à ses côtés. La lueur... Son père !
Maelys ouvrit les yeux en sursaut en se redressant violemment sous la surprise. Sans crier gare, la tête lui tourna, sa vue se brouillait et les idées se superposaient dans sa tête. Elle retomba lourdement au sol, sonnée par ce réveil brutal.
Il lui fallut plusieurs minutes supplémentaires pour que son esprit se reconnectât à la réalité. Elle était allongée au sol, de la terre sur la visage, sa chemise de nuit froissée et sale. Elle enserra la robe de chambre marrons rapiécée qu'elle portait pour se protéger du froid en dormant, voilà tout ce qu'il lui restait. Le cœur battant, elle s'appuya difficilement sur ses bras pour retrouver un peu d'équilibre et entreprit d'observer l'environnement dans lequel elle se trouvait.
Une cellule. De sa position les barreaux de métal froid lui laissaient entrevoir un couloir peu éclairé. Elle se trouvait sous terre, tant était que cela eût encore un sens en ces lieux. Seul un mur se dressait face à elle, et elle devinait ce couloir plus qu'elle ne le voyait. A quatre pattes, le corps encore endolori du long moment allongée sur le sol, elle se dirigea vers la grille qui la maintenait captive. Quelques bribes de conversation lui parvenait et elle espéra stupidement voir Sophie, Ergo et même Zéro pointer le bout de leur nez. Mais personne ne vint. Elle devrait faire face malgré l'angoisse qui lui tiraillait le ventre.
Alors elle tendit l'oreille, attentive au moindre son. Une goutte au loin, quelques crissements de roche auxquels elle s'était maintenant habituée et le grognement silencieux et inquiétant d'un animal. Mais surtout, une conversation. Lointaine mais perceptible si elle se concentrait.
— ... un gardien ? annonça une voix stupéfaite. Pourquoi faire ?
— Qu'est-ce que j'en sais moi, on me l'a demandé c'est tout.
Maelys tiqua, cette seconde voix se révélait familière sans qu'elle ne parvînt à lui associer un visage.
— Mais quand ? Demanda la première voix dont l'intonation trahissait une sorte d'inquiétude.
— Dès que possible j'imagine, quelqu'un va venir la chercher.
— Pour une gamine ?
— Ecoute, s'énerva la voix familière. Contente-toi de faire ce qu'on te demande d'accord ? On la garde ici en attendant.
Les voix se turent petit à petit, les deux hommes s'en allaient vers la direction opposée. Maelys se retrouva seul, acculée dans sa petite cage comme un oiseau de mauvais augure. Elle ne comprenait pas ce qu'elle faisait là, mais quelque chose lui disait que leur incident dans le couloir des brumes n'était pas si anodin que cela.
***
Les traces s'appauvrissaient à mesure que les heures défilaient et il devenait difficile pour les pisteuses de poursuivre leur route avec certitude. Ils ne s'étaient lancé à la poursuite du ravisseurs qu'à six. Ergo et Zéro accompagnaient Adélaïde ainsi que deux de ses camarades : Ida, grande brune dont le visage autrefois radieux avait été assombri par les années passé sous terre, et Elena, petite femme énergique dont la besace emplit de baume leur serait sûrement utile. Sophie avait insisté pour venir et, à son plus grand bonheur, les femmes du village avaient troqué sa longue robe par un pantalon pratique et simple et un pull en laine beige qui la maintenait au chaud.
Le groupe s'aventura une demie heure de plus avant de se poser dans un renfoncement que la neige épargnait. La piste était perdue, il était inutile de poursuivre sans but. Ergo entreprit d'allumer un feu avec les quelques brindilles trouvées sur le chemin tandis qu'Ida et Elena se mirent en quête de nourriture dans les parages, accompagnée par Sophie, soucieuse d'apporter son aide d'une manière ou d'une autre. Le chef des Taupes remarqua les longs gourdins amenés par le groupe de femme, visiblement destinés à des torches.
— C'est quoi la suite du plan ? finit-il par demander à Adélaïde après avoir obtenu sa première flamme.
La guerrière ne prit pas de suite la peine de répondre, occupée à affuter une pointe de flèche. Depuis leur rencontre, elle ne cessait de jauger les deux individus. Rien ne lui indiquait encore qu'elle pouvait leur faire confiance, et sûrement n'en serait-elle jamais assez convaincue. La vie lui avait déjà joué trop de tours pour qu'elle accordât aisément sa foi.
— A supposer que Maelys ait été enlevée au milieu de la nuit, annonça-t-elle finalement, les ravisseurs doivent avoir quatre ou cinq heures d'avance sur nous. La suite du chemin ne comporte que peu de bifurcations, et elles mènent généralement à un impasse. On ne devrait pas avoir trop de mal à avancer même en l'absence de piste...
— Mais ?
Ergo darda son regard sur la femme au visage camouflé. Quelque chose la tracassait mais elle ne voulait visiblement pas en dévoiler davantage.
— Nous ne connaissons pas la suite du chemin, soupira-t-elle. Personne n'a exploré ce sentier plus en amont.
— Il y a une raison ? demanda Ergo. Autre que la distance j'entends.
— Vous le verrez bien assez tôt.
La guerrière termina sa pointe et en attrapa une nouvelles. Ses yeux clairs et perçants se posèrent alors sur Zéro. Il somnolait dans un coin, loin de toute conversation, comme à son habitude. Un long soupir siffla entre ces lèvres et Ergo ne sut définir s'il s'agissait d'agacement ou d'un autre sentiment, de la pitié ?
Ses pensées furent interrompues par la nourriture arrivant de sa gauche. Les trois chasseuses du jour apportèrent un lièvre encore chaud pendant à la ceinture d'Ida. Sophie paraissait à la fois attristée et déterminée. Quelque chose avait changé dans son regard. Avait-elle déjà chassé par le passé ? Sûrement que non, la situation commençait à prendre le pas sur sa personnalité joyeuse. Voilà ce que faisait la grotte, elle changeait les gens, modifiait leur personnalité en deux possibilités : La chute, ou la survie. Et la jeune fille commençait à faire pencher la balance vers la deuxième option. Si jeune... Si on lui avait posé la question, Ergo n'aurait rien misé sur le sort des deux gamines. Il était heureux d'avoir eu tort, mais néanmoins peiné de voir cette innocence éradiquée par ce lieu infernal.
— Qu'est-ce que c'est qu'un rêveur exactement ? demanda soudainement Ergo.
Adélaïde tiqua, mais ne répondit pas de suite. Aucun soucis, le chef des Taupes n'était pas dupe, il avait mis le doigt sur quelque chose.
— C'est sa mère, c'est ça ?
— Elle vous en a parlé, trancha la guerrière sans en être étonné.
Ergo s'adossa nonchalamment sur la pierre froide, la mains placés derrière son crâne.
— Croyez-le ou non, mais on était bel et bien entrain de les escorter vers la Cave, on est un groupe tout ce qu'il y a de plus correct !
— Je n'en doute pas, railla Adélaïde sans joie.
L'attente devint longue, tout portait à croire qu'Adélaïde se serait murée dans l'un de ses silences habituels. Contre toute attente, les mots se débloquèrent, et la guerrière balafrée lui raconta tout ce qu'elle avait expliqué aux deux adolescentes. Après tout, il y avait fort à parier que la petite Maelys leur eût déjà tout raconté. Si ce n'était une réelle confiance, il existait toutefois un lien entre les deux jeunes filles et les deux énergumènes qui les accompagnaient.
— Quant à affirmer qu'il s'agisse réellement de sa mère, conclut Adélaïde, nous ne pouvons pas le savoir. Ce qui sûr néanmoins est que quelqu'un tente de prendre contact avec Maelys. Et s'il continue, nous pourrons peut-être avoir accès au repères des rêveurs et reprendre la main sur cet endroit.
Ergo restait silencieux devant ces révélations. Entendre cette histoire de démon de la bouche de la gamine était une chose, la confirmation dans la bouche de cette ancienne adepte en était une autre ! Plus rien ne l'étonnait vraiment, comment expliquer autrement ce qu'ils vivaient ici ? Les éléments concordaient de manière plutôt inquiétante, et il en vint naturellement à cette réflexion :
— Donc, Maelys devient importante si elle peut communiquer avec les rêveurs... Elle devient une menace, et on sait tous ce qu'il vaut mieux faire de ce genre de menace...
— Les éliminer, acheva Adélaïde.
Elle chuchota ces derniers mots tandis que Sophie et leurs deux camarades se rapprochaient d'eux. Ida et Elena avait fini de dépecer l'animal et le groupe revenait , prêt à le mettre au feu. Il était inutile d'affoler davantage la jeune fille. Il était évident que Maëlys courait un risque, de là à lui faire comprendre que sa vie était probablement en jeu... Sophie subissait assez de pression pour le moment et, d'un accord tacite du regard, Adélaïde et Ergo s'entendirent pour stopper la conversation, non sans laisser penser qu'elle reprendrait bientôt. Adélaïde allait devoir composer avec ce voleur. Qu'elle le voulût ou non, son camarade et lui-même faisait désormais partie de leur petite équipe de sauvetage.
***
Un bruit résonna le long du couloir. Quelqu'un venait ! Maelys se pressa d'avantages contre la paroi, ses pieds nus grattant le sol de terre. Sans préavis, un homme ventripotent de deux fois sa taille ouvrit la lourde porte métallique et vint à sa rencontre. Il ne dut pas forcer pour la soulever de terre et la remettre debout, peu sensible à ses protestations. Maelys sentit que la situation lui échappait totalement, le poigne de fer du rustre s'imprégnait sur son poignet à lui faire mal et elle sentit les larmes lui piquer les yeux. La peur prenait le dessus.
Sans aucun ménagement, il l'emmena hors de la cellule et elle pu enfin voir le couloir où dans lequel on la retenait prisonnière. Sur le côté gauche s'allongeait trois geôles dont l'une était occupée par un être en haillons, accroupi au sol et le souffle rauque. Lorsqu'il se retourna pour observer la provenance de ce boucan, Maelys ne put contenir un cri de terreur. Sa peau luisante tombait en loque par endroit, la bouche pendue en un rictus abominable. L'ignominie se jeta sans vergogne contre les barres qui le retenaient : Un changé ! Voilà d'où venait l'affreux grognement qu'elle entendait ! Allaient-ils la donner en pâture à la créature ? La jeune fille gesticula et hurla à plein poumons, prête à se défendre pour sa vie ! Elle se souvenait encore de la force barbare dont avait fait preuve celui qu'ils avaient croisés avant d'atteindre la Caverne, même Ergo avait failli finir jeté dans le vide, elle n'aurait aucune chance...
Au bout du compte, la créature s'éloigna. Ou du moins Maelys et son bourreau s'éloignèrent. Une vive douleur se faisait également sentir dans sa jambe et dans son pied à présent. Dans sa tentative de s'extirper de l'emprise de son geôlier, Maelys avec sûrement dû s'écorcher contre un rocher. Marcher devint douloureux, se débattre encore plus, aussi offrit-elle moins de résistance et ses pas suivirent le rythme que lui imposait le géant.
Après quelques mètres, il pénétrèrent dans une cavité plus grande dans laquelle une table ronde trônait au centre. Elle repéra également plusieurs étagères et meubles bas en pagaille, quelques armes ici et là pouvant lui être utile mais toutes hors de portée.
Son regard s'arrêta enfin sur les personnes attablée tandis qu'elle se fit jeter sur une chaise. Elle reconnut l'homme à sa gauche sans peine.
— C'est une plaisanterie ? annonça-t-il d'une voix éteinte.
— Vous ! hurla Maelys.
Une longue barbe blanche ornait le visage du vieillard qui la regardait incrédule : L'ancêtre de la Caverne !
— Vous m'avez fait déplacer pour une enfant ?
L'ancêtre ne daigna pas la saluer. Son air si serein et amical de leur première entrevue avait fait place à un tout autre visage.
— Un gardien va venir la récupérer, annonça le bourreau de sa voix grave. Tu dois être là le vieux.
Le vieil homme s'offusqua de ce quolibet et afficha une grimace de dégout.
— Prend garde à ton langage, tu ne t'adresses pas à n'importe qui espèce de macaque ignare !
Maëlys sursauta soudainement lorsque l'Ancêtre frappa la table de son poing.
— Et toi, petite sotte ! Ne t'avais-je pas dit de rester bien tranquillement dans ton coin ? Il a fallut que tu partes de la Caverne et voilà où nous en sommes ! Sais-tu ce qu'il en coûte de faire appel à un gardien ?
Ses yeux lançaient des éclairs, une vive colère rougissait ses joues creusées par l'âge.
— Vous étiez au courant de tout ça ? réalisa soudain la jeune fille. C'est vous qui nous avez piégés dans le couloir des brumes ?
— J'aurais dû faire ce travail moi-même, tu serais déjà six pieds sous terre à l'heure qu'il est, et tout le monde aurait repris le cours tranquille de son existence. J'espérais que ce crétin d'Ergo finisse par te laisser moisir dans un coin.
La tension monta d'un cran dans l'esprit de la jeune fille. La peur était toujours présente, mais un autre sentiment montait insidieusement en elle. Une sensation qu'elle n'avait pas éprouvée depuis longtemps : de la colère. Un colère bouillonnante qui ne demandait qu'à sortir. Puisqu'elle était condamnée, pourquoi retenir sa rage ?
— Vous n'êtes qu'un monstre ! Séparer des familles pour vous repaître de leur âmes !
L'ancêtre la regarda stupéfait avant de partir d'un rire gras et sonore.
— Elle est encore plus stupide que je ne le pensais !
Son bourreau en rajouta une couche en accordant son rire avec celui du vieillard. Des larmes de rage coulèrent le long des joues de la petite, de honte également. Ce sentiment de n'être qu'une moins que rien la rendait malade et lui tordait le ventre.
— Allez, partons d'ici, nous avons encore un long chemin à parcourir pour retrouver le gardien.
Le macaque lui entrava à nouveau les bras pour la soulever de terre, mais la jeune fille ne se laissa pas faire. Dans son agitation, un violent coup de pieds décala la table ronde et vint couper le souffle au vieillard rabougri, lui enlevant de facto son rictus ridicule. Maigre victoire, mais victoire tout de même ! Elle devrait s'en contenter, son tortionnaire la gardait maintenue sans plus d'effort. Quelques pas les emmenèrent vers un couloir montant légèrement vers la sortie.
Ce qu'elle vit lui glaça le sang.
Le noir, opaque et insondable. Une nuit sans fin s'étalait devant ses yeux. Nulle lumière n'éclairait le paysage, nulle forme n'apparaissait à sa vue, seule la nuit et le silence pour accueillir ses derniers cris de rage qui moururent au fond de sa gorge.
— Incapable, annonça la voix qu'elle avait entendu dans sa cellule, laisse là, je vais la faire taire.
Un visage apparu dans la faible clarté du couloir qu'ils venaient de quitter. Un visage au traits fins, encadré par une queue de cheval châtain qu'elle reconnut.
— Rory ? demanda-t-elle abasourdie.
Une main plaqua un tissu sale sur sa bouche et sur son nez, et le visage ne fut plus qu'une nuance de couleur se mêlant au noir de la grotte.
Merci pour ta lecture ❤️