Maelys se remémora parfaitement le jour où elle avait vu ce feu follet pour la première fois : Celui de leur disparition. Pourtant l'adolescente ne pouvait croire à un hasard. La lumière s'était arrêtée au dessus de la fleur, dans un sol où la vie peinait à faire surface. Sa mère leur envoyait un message, et elle se devait de le suivre.
Lorsque son corps pénétra l'aura lumineuse, la petite boule bleutée s'agita en tout sens, comme heureuse d'avoir enfin été approchée. Sans plus attendre, elle s'envola à quelques pas de là avant de se stopper à nouveau. La gamine se demanda un instant si elle ne l'avait pas faire fuir.
Une main se posa sur son épaule. Bien qu'elle eût entendu les pas, elle ne put retenir un sursaut.
— Tu es sûre de toi ? demanda Ergo sans lâcher ses yeux de la lumière.
Un regard en biais lui apprit que ses camarades l'avaient finalement rejointe et leur présence la galvanisa lorsqu'elle prit sa décision.
— Impossible d'en être sûre... Mais c'est la seule piste qu'il me reste, alors j'irai.
— Je viens avec toi ! lança Sophie en s'approchant de son amie. A quoi bon rester ici de toute façon.
— Chef ! s'interposa Zéro en entrant dans la lumière. Je sais que c'est pas à moi de prendre des décisions, mais je pense qu'on devrait les suivre ! Il leur faut des garde du corps et...
— Calme-toi crétin, le coupa son chef. Bien sûr qu'on y va. Quelqu'un doit payer pour ce qu'il a fait à la Caverne.
Un silence entendu plana entre les quatre amis. Le chemin parcouru jusqu'ici avait noué un lien qu'aucun d'eux n'aurait cru capable.
La voix tranquille de Rory brisa le mutisme.
— Moi je...
Il n'eût le temps de finir sa phrase que Zéro l'attrapa par le col et le tira à lui.
— Toi mon grand t'as pas le choix, le menaça Ergo. On a besoin de ton amulette.
— J'allais dire que je vous accompagnait...
— J'espère bien !
Maelys et Sophie éclatèrent d'un rire presque indécent dans le noir de la nuit. L'espace d'un instant, tous semblèrent oublier le danger que représentait le confins.
Un cri rauque dans le lointain les ramena à la réalité : Les changés de la Caverne.
Rory agrippa son amulette, et tous se placèrent par instinct dans la lumière rassurante de la lueur.
— Pas de panique, chuchota le garçon. Cette amulette les repousse.
— Tu es sûr de toi, interrogea Sophie sur le même ton.
Ses yeux balayaient la pénombre sans y décerner quoique ce fut.
— Elle ne m'a jamais fait défaut jusque là...
Etrangement, cette affirmation ne parut pas convaincre la jeune fille...
Il marchèrent plusieurs minutes sans vraiment savoir où ils allaient, seulement guidées par l'aura qui paraissait choisir un chemin d'elle même. Ce fut alors que les vestiges apparurent peu à peu. Un morceau de tente par-ci, une moitié de caisse par là. Ces ersatz de vie passée pour seul témoignage. Lorsqu'une lourde trappe de bois à demi enterrée entra dans leur champ de vision, Ergo et Zéro se stoppèrent net. Leurs yeux balayaient les alentours à la recherche de quelque chose qui semblait avoir disparu. Il fallut quelques temps à Maelys avant de comprendre ce qui les alarmait.
Ergo se posa à genoux, les poings serrés. Il tenta en vain de soulever la trappe. Rien n'y faisait, elle restait désespérément ancrée au sol et sa respiration hachée prouvait une colère qu'il tentait de contenir avec difficulté. Zéro s'affala à côté de lui, et le silence régna quelques instants en l'honneur des membres des Taupes Enragées emportées par l'avide appétit du démon.
Soudain, la lueur gigota de toute part, comme excitée par quelque chose. Le groupe craignit tout d'abord une attaque de changé avant de se souvenir de l'amulette que portait Rory. La lumière s'éloigna en les laissant dans le noir avant de revenir rapidement.
— On dirait qu'elle veut qu'on la suive ! s'étonna Maelys.
Sans perdre plus de temps, les explorateurs du confins coururent après la lumière. Ils la suivaient sans relâche tandis qu'elle zigzaguait en tout sens en revenant parfois sur ses pas. Elle semblait chercher quelque chose, une direction, ou peut-être un lieu. Quelques tapis s'étalait au sol et on devinait dans les décombres un résidu de comptoir. Sans s'en rendre compte, le groupe traversait le grand bazar de la Caverne. Plus aucun mur ne séparait les différents espaces de la ville. Il ne restait plus qu'un plat infini, comme si tout ce qu'ils avaient vu en ces lieux n'avait été qu'une illusion.
Une bonne quinzaine de minute s'écoula quand leur guide se décida enfin à ralentir l'allure. Devant eux trônait une ruine que personne ne reconnut, mélange de pierre et de bois. Les quatre murs tenaient par miracle debout, mais la moitié du toit s'était écroulé sur l'étage.
— Où est-ce qu'on est ? demanda Ergo comme si la lueur était capable de lui répondre.
Quelque chose bougea à l'intérieur. Dans le noir du pas de la porte, une silhouette se dessina progressivement. Tous se mirent en position défensive, prêts à défendre leurs vies contre le malheureux changé qui s'attaquerait à eux. La démarche vacillante de l'ombre ne trompait pas. Un main vint se placer devant ses yeux, aveuglée par l'aura de lumière après une vie d'obscurité, puis elle s'écroula au sol, inerte.
Il n'y avait aucun changé dans cette maison. Face contre terre, la silhouette inanimée fut relevée avec douceur par quatre paire de bras.
Un visage abimé se leva vers eux et leur sourit chaudement.
Adélaïde la guerrière s'évanouit dans leurs bras, à bout de force.
Adélaïde respirait lourdement. Le dos collé à la demi paroi de pierre, Maëlys lui donnait un peu de leur eau restante qu'elle but avec difficultés.
Lorsqu'ils pénétrèrent dans la petite cabane, le groupe constata avec un mélange de joie et d'horreur la présence d'Ida et d'Eléna. Les deux femmes gisaient au sol, l'air qui pénétrait leurs poumons peinait à soulever leurs cages thoraciques et le sifflement rauque qui s'extirpait de la bouche d'Ida annonçait une blessure grave.
Maelys fouillait activement son sac à la recherche de ce qui pourrait leur venir en aide. Lorsque la lueur éclaira le corps de la guerrière blessée, elle décela une longue estafilade qui lui barrait le ventre. Par chance, elle seule paraissait avoir reçu un coup d'une telle ampleur. Ses deux camarades se paraient de nombreuses blessures plus bégnines mais non exempt de soin appropriés. Toutefois, leur état d'épuisement était tel qu'aucune des deux femmes n'avait eu la force de se réveiller. Si Adélaïde n'avait pas puisé dans ses dernières ressources afin de s'extirper de la cabane, les trois guerrières auraient sûrement trouvé la mort dans l'indifférence la plus totale.
Maelys pansa la balafre grâce au baume que Rory lui avait donné avant de quitte la Cave. Elle remercia silencieusement le jeune homme pour cette attention qui se révélait salvatrice à présent.
Plusieurs heures parurent passer lorsqu'Adélaïde émergea enfin de son coma. La guerrière toussa de longues minutes. Une bile acide s'éjectait de ses lèvres craquelées. Elle ne put conserver le liquide qu'Ergo tentait tant bien que mal de lui faire ingurgiter. Le solide n'obtint pas de meilleurs résultats, aussi attendissent-ils qu'elle se sentît suffisamment ragaillardie pour poursuivre.
— Que faites-vous ici ? cracha-t-elle difficilement.
Ses yeux peinaient à rester ouvert et la lumière bleutée que diffusait la lueur lui vrillait le crâne.
Ergo tenta de lui résumer les évènement, mais rien ne servait d'embrouiller l'esprit de leur camarade pour le moment.
— Nous sommes là pour vous aider, tenta-il de la rassurer. Ne vous inquiétez pas, il n'y a plus de changés dans les parages.
Nouvelle quinte de toux. Adélaïde parvint à boire un peu avant d'ouvrir complètement les yeux.
— Oui... Je sens... L'amulette. Est-ce une lueur ?
Ce détail acheva de la réveiller.
— Que fait-elle ici ? demanda-t-elle sous la surprise.
— Elle nous a amené jusqu'à vous, déclara Maëlys à ses côtés.
La guerrière tourna soudainement la tête vers la jeune fille, elle semblait seulement se rendre compte de sa présence.
— Vous ? questionna-t-elle avant de repérer Sophie et Zéro auprès de ses deux camarades. Je sens quelque chose... De différent. Quelque chose a été fragilisé. Que s'est-il passé ?
Maëlys et Ergo s'échangèrent un regard. Les évènements qui avaient suivis la disparition des trois guerrières dans les méandres leur paraissaient tellement improbables qu'ils ne surent par où commencer.
Plus leur récit avançait, plus le regard d'Adélaïde s'agrandissait.
— Un gardien ! déclara-t-elle stupéfaite. Vous avez éliminé un gardien !
— C'est grâce à ma mère, annonça Maelys en montrant l'épée qui leur avait offert la victoire. Elle s'est matérialisée devant moi. C'est aussi elle qui nous a envoyé la lueur, j'en suis sûre !
— Aucun rêveur n'est capable d'une telle chose !
La sidération sur son visage était telle qu'elle sembla en oublier la douleur. Toutefois, l'épuisement la gagna bien vite lorsqu'elle tenta de se lever.
— Je dois voir cette lueur, murmura-t-elle à bout de souffle. Un rêveur ne peut pas faire une chose pareille, mais alors qui ?
Elle ne put y réfléchir davantage. Son corps lâcha prise tandis qu'elle perdait à nouveau connaissance.
Les heures s'élargissaient sans fin dans cette petite maison perdue au milieu de la nuit. Ils leur étaient bien difficile de jauger du temps passé dans ce noir absolu. La pâle lumière de la grotte commençait à leur manquer et Maëlys crut devenir folle à baigner ainsi dans l'aura criarde de la lueur. Pire que tout, leurs maigres provisions ne leur permettraient pas de rester ainsi pendant longtemps et déjà son ventre criait à intervalle régulier. Ils devaient reprendre leur route au plus vite s'ils souhaitaient trouver un refuge hors du confins avant de mourir de faim ou de soif.
L'état des trois guerrière semblait s'être améliorée. Ida souffrait toujours de sa balafre mais semblait pouvoir tenir debout. Adélaïde et Eléna paraissaient plus requinquées mais manquaient encore de vigueur. La jeune fille ne sut que faire. Le plus sûr était de retournée à la Cave afin d'y déposer les trois femmes et de se préparer davantage à leur périple dans le confins. La lueur accepterait-elle de les reconduire à leur point de départ ? Depuis un moment sa lumière s'agitait de droite à gauche comme prise d'une envie pressante et l'adolescente sentait que la lueur devait les emmener à un endroit bien précis, si possible rapidement.
— Combien de temps nous reste-t-il à votre avis ?
La voix étrangement posée d'Ergo lui parvint aux oreilles. Adélaïde et lui échangeaient depuis plusieurs minutes sur les options qui se présentaient à eux.
— Je ne saurais le dire, avoua Adélaïde. Mais le fait que le démon ait choisi d'anéantir la Caverne n'augure rien de bon. Qui sait ce qu'il pourrait se passer à présent s'il a décidé que son heure était finalement venue ?
— Il faut poursuivre notre route, annonça Maëlys avec toute l'assurance dont elle était capable. De toutes façons nous ne pouvons pas rester plus longtemps ici.
Sophie s'inquiéta de l'état de santé de leurs amies et des complications que pouvaient engendrer un tel voyage, sans oublier la plaie d'Ergo, mais toutes semblaient partager le même point. Rester ici ne servait à rien et seule la lueur pourrait les guider dans le confins. Elles suivraient le groupe coûte que coûte.
Lors de leur départ, la lueur s'agita vivement sous le regard inquisiteur de la guerrière. Néanmoins, elle suivit le groupe en dehors de la cabane et se plaça aux côtés de Maëlys qu'elle prit à parti.
— Ecoute... commença-t-elle doucement. Après les évènements que vous avez vécus, je suis persuadé que quelqu'un t'aide quelque part.
— Ma mère, conclut Maelys. Vous m'avez dit qu'elle pourrait être une rêveuse.
— Oui... Les quelques fleurs pour te guider en atteste, mais cette épée qui est apparue...
Elle jeta un regard en biais sur le dos de Zéro devant eux. D'ici l'arme paraissait des plus banales, mais il s'en dégageait une force qu'elle seule pouvait sentir. A l'instar de l'amulette que portait ce Rory qu'elle n'avait jamais rencontré, elle en ressentait les élan de magie qui s'en dégageait. Et pour cause, ces objets étaient d'une manière ou d'une autre liés au démon, comme elle le fut jadis.
— Aucun rêveur n'est capable de créer ce genre d'arme. Pourquoi leur donner un pouvoir qui pourrait mettre le démon en péril ?
L'adolescente réfléchit un instant, cette évidence ne s'était pas encore imposée à elle, mais elle lui apparut avec clarté.
— Le démon a-t-il la main sur ce que créent les rêveurs ? finit-elle par demander.
— Evidemment ! Tout ceci est son œuvre. Une fleur qui pousse innocemment dans un coin peut passer inaperçu, mais l'épée... La lueur ! Impossible que le démon où que l'un des gardiens soit passé à côté de cette nouvelle force. Moi-même j'en ai ressenti les changement alors que je ne fais plus partie de ses acolytes. A moins que...
— A moins d'être soi-même un gardien...
Maelys avait soufflé ces dernières paroles. Un indicible sentiment d'angoisse l'envahit. Se pouvait-il que sa mère ait pris part à tout ceci ? Il n'avait fallut que quelques mois à Rory pour intégrer les rangs du démon. Que pouvait-on accomplir en sept années ? Maelys songea un instant à son père. Il lui parut improbable qu'il pût s'engager dans une telle ignominie, il avait disparu quelques temps avant Sophie et elle-même. Même en supposant qu'il put être au courant de ce qu'il se passait ici à l'égal du maire d'Izalia, jamais il n'aurait sciemment décidé d'abandonner sa fille.
Maëlys secoua la tête, incapable d'ordonner ses idées dans cet embrouillamini de mystère et d'incompréhension.
— Quoiqu'il se passe, qui que ce soit, cette personne tente de nous venir en aide, conclut-elle finalement.
Adélaïde acquiesça à ses propos.
— Je suis d'accord. Mais méfions-nous, les acolytes du démons savent ce qu'il se trament. Nous sommes sûrement traqués à l'instant même...
L'alerte de Zéro coupa court à leur conversation.
— Z'avez entendu ça ? interrogea-t-il en se stoppant soudainement.
— Quoi ? demanda Ergo aux aguets. Des changés ?
Tous se mirent en position pour former un cercle dos à dos au centre de la lueur avant de se souvenir de l'amulette que possédait Rory à son cou.
— On est tranquille, il ne peuvent pas s'accrocher, déclara le garçon sans grande conviction.
Mais Zéro s'était avachi au sol, l'oreille collé contre la terre plate et sèche.
— Ca gronde... déclara-t-il comme si c'était là l'évidence même.
Alors il l'entendirent. Un léger grondement sous leurs pieds, comme un troupeau d'animaux passant près d'eux, mais suffisamment loin pour ne pas s'en inquiéter tout de suite.
— Encore un séïsme...
La terre se fissura soudainement à leur pieds. Le fracas assourdissant qui s'en suivit perça leur tympans sans crier gare et couvrirent leur hurlements de terreur. Instinctivement, tous se rassemblèrent autour de la petite source de lumière. De sinistres craquements se répercutaient en écho sans que personne ne pût rien voir, caché dans l'obscurité opaque du confins. Seule la balafre entre leurs pieds attestait de ce qu'il se passait en dehors de l'aura. Puis, aussi soudainement qu'il était arrivé, le capharnaüm se stoppa. Un silence pesant à la hauteur du tumulte qui le précédait.
Chacun retenait sa respiration, comme effrayé qu'un simple souffle pût réveiller à nouveau la terre.
Quelque chose apparut au loin. Un point lumineux dans l'obscurité. Puis un autre, et encore un. Les huit compagnons se serrèrent de plus en plus, armes au poing et prêts à se battre pour leurs vies.
Au fur et à mesure de leur arrivée, le confins se parait d'éclats bleutés, rose ou orangée. Et alors il comprirent.
— Ce sont des lueurs ! perça la voix d'Adélaïde. Des dizaines et des dizaines de lueurs !
Peu à peu, le décor s'éclaira et le spectacle qui s'offrit à eux les fit trembler d'effroi.
En lieu et place de la morne plaine du confins s'élevait de hautes falaises escarpées. Leurs à-pics les surplombaient de plusieurs mètres, menaçant de les ensevelir à chaque instant. Ces escarpements de roches et de terre formaient autour d'eux une immense vallée au pieds de laquelle ils se trouvaient, comme une prison dont ils ne savaient comment s'échapper. De part et d'autres des rebords les différentes lueurs s'agitèrent simultanément. La petite bleu qui les accompagnait tremblota à son tour. On l'eût cru prise de spasme, comme si elle cherchait à parler – ou à crier ! – sans en avoir la possibilité.
Soudain, aussi ténu que la première fois, un nouveau grondement si fit entendre.
— Il faut partir, alerta Adélaïde un regard alarmé jeté de toutes parts.
Loin devant eux, le bourdonnement se fit plus dense, et l'impensable apparut. Un gigantesque raz-de-marée leur fonçait droit dessus. L'eau noircie de terre s'élançait dans leur direction à une vitesse fulgurante en emportant des morceaux de falaise sur son passage. Cette vue apocalyptique les laissa cloué sur place. Maëlys et Sophie osèrent à peine bouger face à ce déchainement de la nature. Ergo les tira en arrière, tiraillé entre l'espoir fou de trouver un échappatoire et l'angoisse de contempler sa mort en face.
Ils sortirent de leur stupeur lorsque la lueur prit place face à eux et s'agita en tout sens. Alors ils coururent, accrochés à leur faible chance de survie.
Nouveau craquement. La terre s'éleva devant eux en un instant et propulsa sur eux des mottes de terres et de roches dont ils se protégèrent le visage de leurs mains. Rapidement, la lueur bleutée longea le nouveau mur et Maëlys découvrit un petit renfoncement, seul chemin qu'ils pouvaient à présent emprunter et qui paraissait s'enfoncer dans le sol. Sans plus attendre, elle fit signe à ses compagnons de la suivre, et tous lui emboitèrent le pas. Avant de pénétrer dans le petit conduit de terre, l'adolescente jeta un regard hagard au spectacle qui s'offrait derrière elle. L'eau ne les avait pas rattrapés, la terre se soulevait à son passage, comme un bouclier protecteur qui tentait tant bien que mal de faire dériver ce torrent meurtrier. Tout autour d'eux n'existait plus que le chaos, et seul leur reflexe de survie leur permirent de ne pas rester prostrés sur place.
Le conduit descendait brutalement, ils durent faire preuve de prudence lorsqu'il escaladèrent la paroi afin d'y descendre. Quelques mètres plus bas, une cavité s'ouvrait sur un gouffre insondable. Maelys et Sophie tombèrent à genoux face à ce constat : Ils étaient coincés. Leur chemin s'arrêtait là, sur cet escarpement rocheux à attendre que la vague vînt se jeter dans cette abîme en les emportant sur leur passage. Un horrible craquement résonna au dessus d'eux. La terre se fendit et une avalanche de terre sombre face à eux. L'eau avait percé les défense de la roche, et une gigantesque cascade se jeta dans le gouffre en les éclaboussant sans retenue. Les deux adolescente hurlèrent sous la surprise.
Elle n'était pas encore au bout de leur peine. Loin d'en avoir finit avec eux, l'eau poursuivit son carnage. Le mur derrière eux éclata en morceau et elle s'étala à leur pieds en manquant de les envoyer valser vers le fond de l'abîme. Il fallait fuir à nouveau, trouver un autre endroit ou se cacher. Mais il fut trop tard. Le torrent les frappa de plein fouet et les deux amies sentirent leurs corps propulsés en avant. Puis le vide les happa.
Aucun hurlement ne sortit de leur bouche lors le néant les goba. Seul un sentiment de vide. Vide autour, vide à l'intérieur. Plus rien ne comptait si ce n'était cette certitude : Tout serait fini sous peu. Dans leur chute, les deux amies parvinrent à se tenir la main, unique réconfort qu'elles trouveraient avant leur mort.
Le choc fut rude, et bien plus rapide que prévu. Un promontoire rocheux les recueillis et forma un long sentier sur lequel l'eau les emporta. Maëlys ne contrôlait plus rien, elle sentait la terre se déformer sous son cors, comme si le chemin se créait au fur et à mesure de leur passage. Une image lui vint alors en tête, celle de deux géant se battant de toute leur force. La terre et l'eau se mesuraient l'une à l'autre dans une mêlée épique avec un seul et unique but : La survie ou la mort de Maëlys et ses amis.
Le toboggan de terre les propulsa au sol sans douceur. Maëlys en eut le souffle coupé avant de se précipiter vers sa meilleure amie dont les soubresauts rapides montraient sa détresse. La petite blonde recracha toute l'eau qu'elle avait avalée jusqu'ici, le corps avachi au sol et le visage à demi posé dans boue qui leur servait à présent de sol. Le tsunami semblait s'être calmé. Ou bien était-il occupé à ôter la vie de leurs amis quelques part.
Elle observa rapidement les alentours. Tout autour d'eux les lueurs s'affolaient, voletaient et tremblotaient en tous sens afin de maintenir l'éclairage dans ce lieu lugubre. Le doute n'était plus permis, elles étaient là pour leur venir en aide et quelque chose ou quelqu'un déchainait les éléments afin de mettre fin à leurs jours.
Laborieusement, les deux amis se déplacèrent le long de la paroi de pierre. Elle s'affalèrent au sol le temps de reprendre leur respiration.
Un coup d'œil aux alentours leur apprit que leur glissade les avait amenées de l'autre côté de la paroi. De leur point de vue, elles apercevaient le reste du groupe qui progressait tant bien que mal sur un escarpement étroit. Maëlys les appela de toutes ses forces, mais le tumulte de la chute d'eau et des geyser qui semblaient poursuivre ses amis camoufla le son de sa voix. Leurs camarades se dirigeaient tout droit vers un cul de sac ! Et le mur qu'ils longeaient semblait se désagréger au fur et à mesure que l'eau s'en extirpait. C'est alors qu'un évènement si fantasque qu'elle crut rêver se produisit. Peu à peu, la terre se détacha de la paroi. Elle s'agglutinait en un sol tangible qui offrit à leurs amis un support afin de progresser.
— Tu vois ce que je vois ? questionna Sophie éberluée.
Maelys remercie silencieusement l'aide providentielle qui s'offrait à eux. Le combat entre les éléments se poursuivaient inlassablement et l'eau gagnait du terrain. En quelques minutes, Ergo, Zéro, Adélaïde et ses deux camarades les rejoignirent exténués.
Pourtant rien ne s'était encore calmé. Le mur d'où s'écoulait à présent la cascade qui avait éjecté les deux adolescentes éclata en morceau, libérant ainsi un tsunami d'eau saumâtre et terreuse. Ils n'était pas encore en paix, et l'entité aquatique s'acharnait à leur ôter la vie.
Derrière eux, plusieurs lueurs s'agitaient, elles les invitaient à poursuivre leur chemin le plus rapidement possible. Sans plus attendre, le groupe s'élança dans une dangereuse descente. A plusieurs reprises Maëlys manqua de s'écrouler au sol. Le chemin parsemé de roche et de tas de terre se révélait difficilement praticable, et sa pente aigüe les emportait dans une vitesse folle qu'ils peinaient à maintenir.
Le tumulte de l'eau s'approchait. Le torrent gagnait du terrain, emportant tout sur son passage.
Maelys eût à peine le temps de se retourner pour le constater quand l'eau les frappèrent de plein fouet.
Son corps valdingua sous la puissance. L'eau glaciale la paralysa sur l'instant. Son corps endolori avait perdu la pleine possession de ses mouvement. Sa tête peinait à se maintenir hors de l'eau, et les maigres suffocations qu'elle parvenait à obtenir ne faisait qu'augmenter sa panique. Tout était flou autour d'elle, elle ne voyait ni la roche des parois qui l'entourait, ni le sol boueux, ni ses amis emportés avec elle. Le bas et le haut n'existait plus, ne restait que l'eau, et un sentiment de mort imminente.
Les secondes parurent des heures, pourtant le sol prit enfin forme sous son corps. Petit à petit, le torrent diminua de puissance et l'adolescente éprouvée sentit la boue sur son visage tandis qu'elle dévalait les dernier mètres de pente. Son premier reflexe fut de vomir. Un mélange d'eau limoneuse et de bile acide. Le monde tournait autour d'elle, aussi finit-elle avachie au sol, le visage vers les cieux afin d'aspirer cet air qui lui vrillait à présent les poumon et la gorge. Les reste d'eau ruisselait autour de son visage, et ses vêtements froids lui collaient à la peau. Quelque part près d'elle, elle entendit un raclement de gorge puissant. Quelqu'un était près d'elle, quelqu'un de vivant ! Avec peine, elle tourna la tête en direction du bruit et aperçut Rory en aussi piteux état qu'elle. Ses cheveux mi-long camouflaient son visage duquel elle voyait de l'eau sortir en abondance.
Elle parvint finalement à se redresser et se traîna jusqu'à son ami.
— L'amulette... parvint-il à articuler entre deux quinte. J'ai perdu l'amulette...
Maelys comprit avec horreur où il voulait en venir. Elle jeta des coups d'oeil alarmés aux alentours. Non loin, Ergo soutenait Sophie en se dirigeant vers eux. Adélaïde relevait une Ida de plus en plus mal en point tandis que Zéro et Elena s'approchait en courant. Le torrent les avait projeté à plusieurs mètres d'eux, mais tous semblait en un seul morceau si l'on omettait le choc. Seul Zéro semblait avoir reçu un coup au visage, mais il ne semblait pas s'en soucier.
Rory ne cessait sa litanie, comme si le constat de cette perte aurait pu y remédier d'une quelconque manière.
— Dans la forêt ! hurla Adélaïde à leur rencontre.
Non loin d'eux s'étendait la lisière d'un forêt immense. La cime des arbres se perdait dans la noirceur du ciel de la grotte que même les lueurs ne parvenaient à éclairer. Un peu plus loin, on pouvait deviner la lumière blafarde habituelle de la grotte, et Maelys n'eut jamais autant plaisir à la retrouver.
Sophie peinait à reprendre ses esprits lorsqu'on la forçât à courir à nouveau. Dans le prolongement du ravin crée par le combat de l'eau et de la terre, d'étrange formes descendaient la paroi pour les rejoindre. Maelys hurla de stupeur quand elle discerna avec précision les nombreux changés accourant dans leur direction.
L'ultime cavalcade pour le survie se fit dans la douleur et l'épuisement. Ils foulaient le sol boueux avec peine, et l'orée de la forêt lui paraissait toujours aussi lointaine. Quelque part au fond de son esprit une petite voix lui intimait qu'aucune protection ne se trouvait dans cette forêt. Les changés se moquaient bien du lieu où ils se trouvaient, il les poursuivraient encore et encore, mu par cette violence caractéristique des gens à qui on avait dévoré l'âme.
Et pourtant, alors que l'énergie lui manquait pour poursuivre sa route, les premiers changés ralentirent leur courses. On eût dit un prédateur qui abandonnait une proie bien trop rapide pour elle. Mais la rapidité n'était pas leur fort ! Quelque chose semblait les rebuter.
Peu à peu, le petit groupe constata cet abandon, et leur débandade perdit en intensité. Tous furent surpris par ce brusque changement et aucun n'osait se reposer de peur d'avoir à nouveau à courir pour leur vie.
Plusieurs changés poussèrent un râle enragé, et ils attendirent là, leur regard dément braqué sur les huit camarades.
— Ils ne passeront pas, annonça soudain Adélaïde avec conviction.
— Et pourquoi ça ? demanda Ergo sans quitter leurs agresseurs des lieux.
— Quelqu'un les en empêche.
La guerrière se garda bien d'explications supplémentaire. Elle scrutait l'amas de grands pins dans lequel ils s'étaient réfugiés, les yeux plissés comme si elle cherchait à discerner quelques chose dans l'aura onirique du lieu.
— J'ai un mauvais pressentiment... déclara Rory. J'ai l'impression de sentir quelque chose dans cette forêt...
Adélaïde poussa un petit rire nerveux.
— Ce n'est pas un mauvais pressentiment. Ce que tu ressens est la présence de tes compatriotes.
Elle jeta un regard lourd et sérieux à ses compagnons de malheurs.
— Je ressens la présence d'adeptes du Démon dans ces bois, commença-t-elle en chuchotant. Et ils sont nombreux...