19e jour de la saison des soleils 2447
Seize ans était considéré comme âgé pour une fille célibataire. Fayne était reconnaissante envers ses parents qui ignoraient cette tradition. Ils s’étaient mariés pour l’amour durant leur jeunesse et comprenaient son importance pour maintenir un mariage harmonieux. Une rareté au royaume de Daigorn.
Fayne jouissait d’une vie familiale paisible dans un monde ardu.
La journée précédente, les landes célébraient avec le Festival de la Passion. C’était un temps de l’année étrange pendant lequel les gens semblaient plus portés à l’affection sensuelle. C’était la saison des soleils.
Le parfum du vent matinal rafraîchissait la modeste chambre de la demoiselle, sa longue chevelure acajou tourbillonnant doucement. Ses taches de rousseur commençaient à réapparaitre comme ils le faisaient toujours en été. Elle avait le nez fourré dans un livre, assise sur un banc en bois et adossée contre le rebord de la fenêtre ouverte.
C’était ça sa routine matinale avant que ses parents se réveillent. Elle était heureuse de pouvoir relaxer en regardant le premier soleil se lever, apportant la lumière naissante de la journée.
Un garde passa par-là. Le son familier des bottes lourdes ainsi que de l’armure de maille fut comme une alarme. Elle cacha le livre sous une vieille couverture qui couvrait ses jambes.
— Bon matin! souhaita-t-elle alors que l’homme apparut dans son champ de vision.
— Pas de livre, mademoiselle Litfow? questionna-t-il.
Son gros nez rond, sa bouche aux lèvres sèches et ses yeux clairs étaient visibles, contrairement au reste de son visage qui était dissimulé par son heaume. Il n’était pas méchant, mais ce n’était pas rare qu’il fasse un tour pour s’assurer que Fayne n’était pas en possession d’un livre issu de la bibliothèque privée de la famille suzeraine.
— Oh… eh…, souffla la belle demoiselle, rougissant de honte.
Elle lui tendit le livre qu’il prit avec délicatesse et le plaça sous son aisselle en grommelant.
— Azéna ne devrait pas. Ses punitions vont seulement devenir pires, grogna Kardun.
Il s'inquiétait pour elle. Il aimait jouer les durs pour son devoir, mais il avait un cœur d'or. Peu importe le nombre de fois où cela s'était produit, il n'avait jamais rien fait de plus que de récupérer le livre et parfois, la Dame Azéna elle-même.
La dénommée Azéna était la fille de Bayrne, le seigneur à la tête du royaume. Elle n'avait aucune sympathie pour les lois, ou pour tout ce qui était géré par une structure, d'ailleurs. C’était grâce à elle si Fayne pouvait lire et écrire, un talent rare chez les roturiers.
Un jour, elle aurait accès à cette bibliothèque sans gêne. Lorsqu’elle sera mariée à son frère, le beau Sérus.
— Combien de livres ont-ils? J’imagine que tu as vu la réserve.
— Oh, des étagères remplies, ricana le garde.
Ses traits faciaux s’endurcirent.
— N’accepte plus les offrandes de Dame Azéna. Ces livres sont réservés pour la famille Kindirah et ceux à qui ils ont donné une permission spéciale.
— Je sais, dit Fayne en baissant le regard.
— Tu es chanceuse que c’est moi qui vienne. Je suis patient, car j’ai beaucoup de respect pour ton père, mais j’ai mes limites.
Il la salua et se mit en route, son tabard mauve aux bordures blanches, couleurs de Daigorn, ondulant doucement dans les brises.
Une forme massive et ailée passa au-dessus d’eux, filtrant la lumière. Dans son sillage, le vent se déchaîna, endommageant la fenêtre, brisant le mécanisme de rotation.
Le vent faisait ce qu'il voulait, emporté par ses propres émotions. Il caressait tendrement, mais il frappait aussi vite et fort. Mais il était en quelque sorte influencé par ces dragons. Et dernièrement, ils aimaient tourmenter les fermiers.
— Es-tu indemne? demanda Kardun, son regard guettant la moindre menace.
Fayne était secouée, mais elle allait bien. Les dragons l'inquiétaient, mais que pouvait-elle y faire ?
Elle fixa son attention sur le garde et grimaça. Elle savait qu’elle ne devrait pas accepter les livres qu’Azéna lui emportait, mais elle adorait la lecture et l’apprentissage. C’était injuste qu’elle n’eût pas accès à ces privilèges parce qu’elle n’était pas d’une famille puissante ou riche.
Un gémissement vint la distraire. Quelqu’un avait, semblait-il, trébuché dans le corridor qui menait aux chambres à coucher. Pourtant, il était encore trop tôt pour que ses parents soient réveillés, mais le vent était troublant.
Elle se leva et, à pas furtifs, elle vint se coller l’oreille à sa porte fermée. Elle entendit des grommellements familiers puis elle réalisa que c’était son père. Souriant, elle l’imaginait lutter pour se faire discret. Il était costaud et heurtait souvent les coins des meubles au passage.
Il se dirigeait vers la sortie.
Fayne n’avait rien de mieux à faire donc, elle le suivit, se faufilant en silence dans la maison désordonnée. Ce n’était que lorsqu’ils furent dehors qu’elle tapota son large dos.
— Oh, par l’Aspérule Blanche! s’exclama-t-il, sursautant. Ma belle fille! Tu as failli me faire faire prendre une crise de cœur.
— Qu’est-ce que tu mijotes?
Il passa son bras musclé autour de ses épaules et marcha côte à côte avec elle, un grand sourire aux lèvres.
— Rien ne t’échappe, comme ta mère. Je veux tout simplement lui préparer une fête mémorable à la Corne Blanche pour son anniversaire. Et ça doit se faire avant…
— Avant la messe.
— Exact, grimaça-t-il.
Il n’avait jamais aimé la religion qui dominait Daigorn. Il la respectait, mais il ne voyait pas l’intérêt de passer des heures à une messe à chaque demi-saison. Il disait toujours qu’il avait des trucs plus importants à faire et que Noktow et Elysia lui pardonneraient. Fayne en était pas aussi certaine, mais que pouvait-elle faire? Il était aussi têtu qu’une montagne.
— Zézé ne s’est toujours pas montrée, ein? demanda-t-il.
Il appelait Azéna ainsi depuis des années, comme s'il la proclamait sa fille spirituelle. Personne ne recevait de surnom de sa part, sauf la famille.
— Non. Devine pourquoi.
— Elle est probablement dans cette maudite cage de château parce qu'elle a emprunté un livre sans permission pour sa meilleure amie.
Fayne ne put s’empêcher de glousser malgré son embarras. Elle adorait ces gestes, mais elle les remettait en question. Est-ce qu'ils en valent la peine? Azéna semblait certainement le penser, encaissant toutes les punitions pour cette cause avec défiance.
— Ça fait deux jours qu’elle ne s’est pas pointée et on sait tous comment elle déteste être chez elle.
— La pauvre petite, soupira Lyran en libérant sa fille. Ce n’est pas aisé de faire partie d’une telle famille.
Il la zieutait avec préoccupation. Il était au courant pour la romance entre elle et Sérus. Il n’était pas contre, car ils s’aimaient et il reconnaissait l’amour véritable. Mais la plupart des gens de la haute société n’avaient aucun respect pour les roturiers.
Enfin, ils tournèrent un coin et aboutirent sur la rue principale de la grande cité de Nothar. Il y avait que peu d’activité à ce temps de la journée. C’était le moment idéal pour apprécier l’architecture des établissements qui étaient principalement bâtis à partir de pierres blanches. La cité de l’Aspérule Blanche, l’emblème du royaume. Ces fleurs à l’allure frêle poussaient dans les sous-bois, mais on les voyait partout en ville dans des pots.
La Corne Blanche, la fameuse taverne appartenant à Lyran, toisait père et fille. Le contour des fenêtres était sombre, un beau contraste à la pâleur du bâtiment. Le panneau en fer forgé avait été façonné en forme de corne de bélier blanche. Celle-ci débordait de bière, soulignant le produit favorisé par la clientèle.
— Ma princesse, dit Lyran avec une lueur de fierté dans ses yeux.
Sa bouche s’arrondit et il sembla soudainement paniqué.
— Oh, mais tu es ma vraie princesse, se rattrapa-t-il en guise de sa fille.
Il joua avec sa barbe épaisse qui était stylé à la balbo, soit sans pattes et avec une moustache. Il avait l’air d’un nounours : puissant, poilu et adorable. Le brun noisette chaleureux de son regard tendre était le même que celui de Fayne. Ils avaient tendance à être aimés de la plupart des gens.
— Je le sais, dit Fayne d’une voix taquine. Ne t’en fais pas, mon gros papa adoré. Tu es aimé.
Les joues prononcées de Lyran virèrent au rouge. Il s’éclata de rire en tentant de déverrouiller la porte.
— Aussi espiègle que ta mère. Que vais-je faire de vous?
Il n’arrivait pas à insérer la clé dans la serrure. Il était maladroit quand quelque chose le rendait anxieux. Ses mains de géants n’aidaient pas la cause.
— Maman va adorer ta fête, lui rassura l’adolescente. Elle aime toujours tout ce que tu fais pour elle. Tu t’en fais trop.
— Rien ne t’échappe, répéta le grand homme. Ma vie est dominée par des diablesses rousses.
Toujours en train de rigoler de bon cœur, il réussit enfin à ouvrir les deux lourdes portes en bois.
Fayne savait que sa mère allait bientôt se réveiller. Le deuxième soleil se pointait ce qui annonçait la fin du matin. La messe était bientôt. Elle allait voir Sérus et ça la remplissait d’ardeurs. Elle était si heureuse d’avoir cette opportunité. En cause de leurs différences dans l’échelle sociale, ils ne pouvaient pas toujours se voir et parfois, ça devait être en cachette. Cela faisait maintenant deux ans qu’ils se fréquentaient et mis à part la malheureuse discrétion et la patience jusqu’au mariage, tout allait bien.
L’image langoureuse de Sérus dans son imagination fut effacée par le bruit sourd de la porte de l’entrée qui s’ouvrait. Quelqu’un s’était permis d’entrer malgré la pancarte qui disait clairement « Fermé ». Elle cessa de passer le balai dans la grande salle à manger qui pouvait accueillir près de cent-cinquante clients. Les chaises étaient entassées l’une sur l’autre sur les tables carrées sur lesquelles était gravé le logo de la taverne. Il y avait même un coin un peu plus caché par des rideaux noirs.
— Cet endroit, c’est déshonorant envers le Père et la Mère, critiqua un vieil homme en robe blanche et noire.
L’assistant de l’Archiprêtre de Nothar. Plus il regardait le plafond de la salle à manger, plus son visage se tordit de dégoût. Là-haut était suspendue une caricature en bois d’une demoiselle nue allongée sur des bois de cerfs, une pinte de bière à la main.
Fayne savait pourquoi il était venu. Elle croisa le regard de son père qui paraissait coupable. Elle soupçonnait qu’il vendait de la boisson sous la table à ce prêtre. Après tout, ces religieux n’étaient qu’humains malgré leur devoir à demeurer purs. Et celui-ci faisait semblant d’être choqué par la pièce d’art lascive, mais dans le fond, il y avait une raison pourquoi il ne la lâchait pas du regard.
— Puis-je vous aider? demanda Lyran en essuyant son tablier poussiéreux.
— Je suis tout simplement venu vous rappeler que la messe de cet après-midi est obligatoire par peine de prison pour une saison ainsi qu’une amende payée à l’église du Triomphe des Créateurs d’un poing d’argent.
Lyran s’approcha de lui à grands pas, le toisant de son physique d’ursidé.
— Pardonnez-moi, mais vous êtes déments. Personne dans la basse société ne possède un poing d’argent. C’est une saison de travail perdu!
— Ce n’est pas difficile, susurra le religieux, une malice dans son ton de voix et un charme dans ses manières d’agir. Vous n’avez qu’à vous présenter. Ça serait le choix raisonnable à prendre si tu désires marcher avec Noktow et Elysia. Tu ne voudrais pas les décevoir, n’est-ce pas?
Lyran grogna et cracha aux pieds de son interlocuteur. Il n’avait aucune tolérance pour les menaces entre les lignes.
— Dégage de ma vue, vieux shnock!
— N’oubliez pas votre dîme.
Il les salua de la main, prenant le temps de leur sourire largement avant de sortir.
— La dîme, siffla Lyran, rouge de colère.
Il serrait le comptoir du bar si férocement que ses mains étaient aussi devenues autant blêmes que de la pierre blanche.
— C’est quoi une dîme? osa demander Fayne.
Elle ne désirait pas irriter son père davantage, mais elle devait savoir.
— Dix pour cent de notre salaire et par l’Aspérule, c’est absurde.
La Corne Blanche faisait du bel argent. C’était l’un des endroits les plus sécuritaires et propres dans la basse-ville, deux qualités rares dans cet endroit. Tout de même, ce n’était pas assez pour se permettre une telle dîme. C’était comme une double taxe.
Fayne était choquée. Était-ce vraiment nécessaire? Comme si les roturiers ne se tuaient pas déjà à payer leurs taxes aux Kindirah.
— Maman laisse ça se produire?
— Malheureusement, soupira Lyran, les bras pendus avec désespoir.
— Je suis confuse. Maman est si protectrice de son argent.
— Elle n’ose pas risquer la colère du Panthéon, révéla-t-il en terminant de préparer la plateforme pour accueillir un groupe d’amuseurs.
Fayne se doutait de quel genre d’amuseurs il allait s’agir. Elle jeta un coup d’œil à la demoiselle au plafond et roula les yeux, devinant la réponse. Elle entendait ses parents lorsqu’ils s’enfermaient dans leur chambre pour du temps personnel. Et ça arrivait souvent dernièrement.
— Dis, est-ce que toi et maman vous aimeriez avoir un deuxième enfant?
— Eh… eh… p-possiblement, bégaya son père qui perdait ses moyens. Bon… Fais semblant de ne pas savoir, mais si… Nous aimerions avoir un autre enfant. Tu vas partir bientôt pour voler de tes propres ailes. Nous ne sommes pas prêts à nous retirer.
Fayne rigola, monta sur la plateforme et s’imagina devant un public. Un frisson désagréable rampa le long de sa colonne vertébrale.
— Alors, tu me dis pourquoi je ne peux pas venir à la fête de maman?
— Parce que ce n’est pas pour un enfant!
Il réalisa ce qu’il venait de dire. Embarrassé, il appuya sa paume sur son visage. Il soupira et refusa de la regarder lorsqu’il dit ses prochaines paroles :
— Moi et maman, on aime bien un peu d’excitation à l’anticipation de… tu sais…
L’adolescente retint un ricanement. Momentanément affligée par sa peur des hauteurs, elle sauta en bas de la plateforme, décidant que la vie devant un auditoire ne serait pas pour elle.
Le Triomphe des Créateurs était plus qu’une église, c’était un temple bâti au sommet d’une grande colline au centre de Nothar. Il surplombait la majorité des autres bâtiments. C’était aussi le seul qui se trouvait simultanément dans la haute-ville et la basse-ville. Sa grande toiture ronde et rappelait un chapeau noir. Il y avait trois étages et une tour blanche en son centre, là où on sonnait une cloche pour annoncer le début et la fin des évènements.
Pour y accéder, Fayne passa sous une arche sur laquelle était gravée de l’écriture dans l’ancienne langue qui n’était qu’un mystère pour tous sauf quelques rares privilégiés. La statue d’un dragon hargneux avait été placée à son sommet. Il effrayait les enfants, particulièrement la nuit quand on dirait que ses yeux luisaient. Ça avait aussi été le cas pour Fayne.
À l’intérieur, des valets prenaient les manteaux des gens et les plaçaient en sureté dans une salle protégée par des gardes. C’était bien le seul endroit qui traitait Fayne et sa famille avec un tel respect.
— C’est parce qu’ils veulent notre argent, chuchota Lyran à son oreille.
Saria, la matriarche de la famille, lui donna un coup de coude en avertissement. Elle plongea son regard bleu-gris dans le sien et fronça les sourcils. Lorsqu’elle le voulait, elle était encore plus apeurante que le dragon.
— Lyran! Attention à tes paroles, particulièrement ici.
Elle s’avançait avec fierté avec sa jolie robe verte avec des rebords blancs. Sa chevelure épaisse et ondulée avait été attachée d’un chignon. Un parfait mélange de gracieuseté et de férocité comme elle l’était.
Dans le sanctuaire, des rangées de bancs en bois ainsi qu’une foule d’une centaine de gens les attendaient. Il ne restait presque plus de places. Ceux qui n’allaient pas pouvoir entrer allaient devoir donner leur dîme et repartir.
Lorsque la famille prit place, c’était à l’arrière. Fayne chercha pour les Kindirah du regard. Elle repéra la grande Argent, aînée des filles, qui s’installa à côté d’un adolescent au physique athlétique et à la crinière ébène. Sérus. Il regardait devant lui, là où l’Archiprêtre allait prêcher. Il ne voyait pas Fayne qui désirait tant croiser son regard.
Tous les Kindirah étaient installés au premier rang qui était réservé pour la famille suzeraine. Ils étaient tous là, habillés dans leurs plus belles tenues, sauf Azéna.
— Ah, la chance dans le malheur, glissa Lyran, une expression joueuse au visage.
Il traitait Azéna comme sa propre fille en gardant conscience qu’elle n’était pas la sienne. Il ne l’avouait pas, mais Fayne pouvait sentir son amour paternel envers elle. C’était la même chose pour sa mère d’ailleurs. Ils adoraient avoir Azéna dans la dynamique de la famille.
— Elle va se mettre dans le pétrin, cette racaille, dit Saria en pinçant les lèvres.
— Je crois que c’est déjà accompli, ricana son époux en étouffant sa voix puissante de sa main.
Le patriarche des Kindirah, Bayrne, était toujours dur sur Azéna, mais il n’avait jamais fait quelque chose de drastique. Fayne ne pouvait rien faire pour son amie à part s’inquiéter. Pour l’instant, le beau Sérus saurait la distraire rien qu’avec sa présence.
La cloche résonna au travers de l’église comme un marteau qui frappait contre le crâne des gens. Le service était sur le point de commencer.
Enfin, Sérus vira la tête vers l’arrière et aperçu Fayne. La rousse le salua timidement en sentant ses joues surchauffées. Elle pouvait voir ses yeux d’un bleu perçant de là. Il sourit en coin et elle se sentit fondre comme un morceau de fromage abandonné sous la colère ardente des soleils jumeaux.
L’Archiprêtre monta sur le maître-autel et ouvrit les bras comme s’il donnait un câlin spirituel à ses spectateurs.
— Enfants du Père et de la Mère! appela-t-il comme un roi. Parlons des dragons. Quelques jours plus tôt, les fermes autour de notre fière cité ont été détruites, emportées par le souffle d’un dragon du vent!
La plupart des gens hochèrent de la tête, accablés par la pénurie de nourriture qui commençait déjà à se faire sentir.
— Vous allez me demander : « Mais qu’est-ce que ce dragon a affaire avec le Panthéon? ». Je vais vous le dire!
Il leva encore une fois les mains dans les airs comme s’il était sur le point d’invoquer un esprit. Il ferma les yeux en ajustant les amples manches de sa robe noire brodée d’une aspérule violette sur son dos. Il portait aussi une étrange couronne religieuse qui représentait son rang dans l’église.
— La source de vie de ce monde, son âme, n’est pas destinée à être maîtrisée par les mortels, que ce soit un homme, un elfe ou un dragon. Ces créatures égoïstes et cruelles utilisent le précieux pouvoir des Créateurs à leur avantage et sèment la terreur! C’est une insulte en le Père et la Mère.
La plupart des gens répliquèrent avec : lyirüm. Ce mot était originaire de la langue ancienne et il n’y avait pas de traduction en aerindien. Personne ici sauf l’Archiprêtre ne comprenait sa signification. Les gens le répétaient sans réfléchir durant les messes lorsqu’ils approuvaient de ce qu’il prêchait.
— Qu’en est-il des dragonniers? demanda un homme dans l’audience. J’ai voyagé loin et certaines cultures réclament le contraire.
Il était bien habillé, propre et était plus vers l’avant. Son chapeau à plume suggérait qu’il était un marchand ou un barde qui s’était bien placé dans la vie.
— Ils ne connaissent pas la vraie voie du Panthéon, tonna l’Archiprêtre avec passion. Attention, car les charlatans rôdent partout. Ne les écoutez pas. Les dragonniers sont arrogants, des âmes corrompues qui contournent les désirs du Père et de la Mère pour forniquer avec des bêtes dangereuses. Ils n’ont aucun respect pour le Panthéon!
Lyran croisa ses puissants bras poilus et rogna.
— La vie n’est pas si blanche ou noire.
— Ne commence pas. Pas ici, supplia Saria dans un murmure.
Elle lui prit la main et lui offrit son plus beau sourire. Il soupira, sous le charme et acquiesça.
— Cohennar n'a-t-il pas dit quelque chose à ce sujet? mentionna Fayne en chuchotant.
— Ne répète pas ce que le grand-oncle d’Azéna réclame, trancha Saria qui commençait à s’agiter. Ces dires sont mal vus ici. Tu le sais ça, Fayne. Maintenant, écoute.
Lyran haussa les épaules, incapable d’aider sa fille. Il désirait tout simplement la paix. Enfin, jusqu’à leur débauche plus tard en soirée.
L’Archiprêtre continuait son sermon, son énergie des plus féroces. Ses paroles étaient comme le tonnerre.
— Notre esprit n'a pas la capacité de comprendre le miracle de ces divinités! Ce n’est pas à nous de la maîtriser ou de la questionner! N’oubliez jamais, mes enfants, que la pitié nous est accordée. Nous recevons tout ce qui est bon dans notre vie au travers de la pitié des divinités. La plupart de nous ne méritent même pas ces bénédictions. Ces dragonniers ne sont pas assez humbles! Ils ne prennent même pas le temps de remercier notre Père et notre Mère pour leur bonté infinie. Au lieu, ils prennent leur pouvoir égoïstement.
Il fit une pause pour prendre une gorgée d’eau de sa coupe en or. Pendant ce temps, encore une fois : lyirüm.
— Les divinités nous comprennent uniquement, car ils marchent les landes de ce monde comme vous. Non seulement cela, mais ils élèvent leurs disciples les plus dévoués en partageant une portion de leur pouvoir avec eux, les transformant pour l’éternité. Ces champions sont graciés pour devenir des demi-dieux. Inclinez-vous devant eux!
Tous ensembles, lyirüm.