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1 - Prologue
2 - Une fête pour Saria
3 - Perd cette dent
4 - La ville s’agite
5 - Un repaire
6 - Fille de la Tempête
7 - Écailles argentées
8 - Briser les chaines
9 - Vent fort
10 - Ombres insaisissables
11 - Agmeath
12 - L’académie d’Archlan
13 - La cérémonie du liage
14 - La suite
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Ombres insaisissables

41e jour de la saison des soleils 2447

La forêt Rousse était vaste, dense et riche. Azéna commençait à se demander si elle allait en sortir un jour. Elle n’avait jamais atteint l’autre côté, car cela aurait pris trop de temps.

Le crépuscule tombait et la teinte du ciel devenait chaude, telle la couleur des feuilles des imposants arbres. Les brises faisaient légèrement tourbillonner celles qui étaient mortes et tombées. Les nuages noircissaient lentement. L’air était frais sur la peau.

La lourde odeur d'humidité dérangea la jeune Kindirah. Elle haussa le regard et plissa les yeux. Il allait pleuvoir. Elle ne connaissait pas d’abri dans ces bois. Elle observa la silhouette du sombre dragon, toujours haute dans le ciel, qui disparaissait de temps en temps dans les nuages. Elle revenait toujours, gardant la même allure que le groupe.

— Ostie, ça fait un long moment qu’il nous suit, se plaignit Azéna. On devrait envoyer Tyrath enquêter.

Leith réfléchit un moment.

— Il ne nous cause pas de tort et on ne pourrait peut-être pas le vaincre en combat.

— Nous ne pouvons tout de même pas l’ignorer. C’est louche et sans oublier, dangereux.

— Garde ton calme.

Le visage de Tyrath s’endurcit. Il tourna la tête en direction de sa dragonnière et attendit. La rebelle sentit son instinct lui dicter de se méfier. Elle frissonna sous son regard améthyste. Elle se ressaisit, se rappelant qu’il n’y avait rien à craindre. Les religieux à Nothar ne savaient pas tout, mais un dragon restait un prédateur dangereux. Si Tyrath décidait qu'il allait tuer tout le groupe, il le pouvait et ses proies ne pouvaient pas y faire grand-chose pour se défendre.

Il grogna doucement et poussa Azéna avec insistance avec son museau.

— Je ne comprends pas, dit la dragonnière.

— Je crois qu’il veut aller voir le dragon sombre, répliqua la guérisseuse. Il attend probablement ton approbation pour le faire.

— Pourquoi demande-t-il ma permission? Il est libre de faire ce qu’il veut.

— Tu es sa dragonnière, sa partenaire. Il te consulte, comme tu devrais. Vous êtes une équipe à présent.

— Approche avec diligence, requêta Azéna.

Secouant vigoureusement de la tête, Tyrath s’envola. Il approcha le dragon noir, mais celui-ci claqua les mâchoires en signe d’avertissement avant de souffler un nuage épais d’ombre. Il avait disparu. Dans un grognement sourd, Tyrath s’élança à sa recherche. Désorienté, il tourna en rond pendant un long moment. Enfin, il s’impatienta et souffla plusieurs brises afin de disperser l’ombre.

Rien. Il n’y avait personne.

Frustré, Tyrath descendit en piqué dans un rugissement, effrayant Fayne et Shirah. Au dernier moment, il ouvrit ses ailes pour ralentir sa descente et se mit à planer au-dessus de sa dragonnière.

— Doucement, ma belle, chuchota la rousse en caressant la troxxe.

— Quelque chose ne tourne pas rond, s’inquiéta Leith en plissant ses yeux. Ce dragon ne désire pas prendre contact direct avec nous.

— Peut-il créer des nuages d’ombre à sa guise? demanda Azéna en jetant un coup d’œil intéressé vers la voyageuse.

— Oui. Selon sa couleur, le dragon contrôle un certain élément. Par exemple…

— Tyrath est gris donc, il contrôle le vent! coupa Azéna avec enthousiasme.

— Oui. Tu as bien porté attention.

— Donc, ce dragon noir contrôle l’ombre? devina Fayne.

— Mhmm, répliqua Leith en acquiesçant. Le terme approprié pour désigner un élémentaliste de l’ombre est umbrancien. Chaque élément en possède un ; je vous les apprendrai en chemin à l’académie.

— J’ai entendu des rumeurs à propos de prêtres umbranciens et qu’ils sont de nature mauvaise. Apparemment, ils reçoivent ce don au travers de Noktow lorsqu’ils lui prouvent leur dévotion. Est-ce que cela s’applique aux dragons?

— Un dragon n’a aucun besoin de se prouver à quiconque. Ils sont nés avec une connexion intime à un élément spécifique. Ne les juge jamais à ce propos. Il est vrai que chaque membre d’un vol draconique possède un caractère généralisé, mais il y a toujours des altérations d’un individu à l’autre. À titre d’exemple, les dragons noirs sont spécialement incompris.

Fayne hocha la tête et continua silencieusement sa marche. Elle serrait toujours son pendentif. Azéna ne lui reprochait pas d'être anxieuse. Tout cela était si étrange et allait à l'encontre de ce qu'on leur avait appris.


Le crépuscule était passé et l’obscurité de la nuit dominait. Azéna était bien trop préoccupée par les évènements récents de sa vie pour s’en faire. Des centaines de questions lui traversaient l’esprit, mais elle se retenait de toutes les poser à Leith. À l’encontre des conseils de la guérisseuse, Tyrath avait chassé le dragon noir à trois reprises. Chaque fois qu’il s’approchait de lui, il s’échappait dans un nuage ténébreux.

— Il fait trop sombre pour continuer, annonça Leith qui guidait leur passage grâce à la petite sphère de lumière qu’elle maintenait sur la cime de son bâton. Nous allons nous installer ici.

Ils avaient atteint un petit étang. La surface de l’eau brillait comme si on avait jeté des milliards d’étoiles à sa surface. Elle était calme et relaxante. Le ciel s’était éclairci, mais quelques nuages demeuraient. Le vent apportait toujours une lourdeur qui annonçait de la pluie.

— Ne bois pas l’eau, ordonna la vieille dame d’un ton sévère.

— Pourquoi pas? se moqua Azéna, insouciante. Elle va me tuer?

Leith fit volte-face et pointa son bâton vers elle, faisant fuir les ombres qui dissimulaient les traits de son visage.

— Il y a des plantes exotiques dans cette forêt et certaines sont vénéneuses, même mortelles. L’une d’entre elles, dénommée la nageuse noire, pousse sous l’eau.

— Et alors? questionna la rebelle. Je ne vais pas en manger.

— Elle contamine l’eau, expliqua Fayne.

— Oh… Je vois. Merde. J’ai soif.

Leith lui tendit sa gourde d’eau.

— Ne la bois pas toute. C’est notre seule réserve d’eau douce.

Elle inspecta les environs avec prudence. Ils étaient assez loin du chemin pour ne pas se faire apercevoir.

— Je ne crois pas que Seigneur Kindirah ait envoyé des troupes après nous, ce qui est curieux, mais convenable pour nous.

— Je ne suis pas sûre de ce que je ressens, admit Fayne, apparemment en conflit. Je veux rentrer chez moi, mais...

— Crois-moi, tu ne veux pas que ce soient les soldats qui te trouvent. Nous devrons parler à Lord Kindirah avant que tu puisses rentrer.

Elle lui offrit un sourire réconfortant.

— Nous trouverons une solution à Atgoren. Grand Maître Terenas va nous aider, je te le promets.

Fayne hocha faiblement la tête. Azéna savait qu'elle s'inquiétait pour ses parents. Elle aussi, car parfois les subordonnés de Bayrne et les citoyens pouvaient se montrer cruels et critiques.

Tyrath, le ventre grognant, alla chasser pour la quatrième fois ce jour-là. Cette fois, il eut l’avantage de l’obscurité et revint rapidement.

Pendant ce temps, Fayne s’occupa de Shirah et lui offrit des baies qu’elle avait cueillies que la troxxe dévorât avec hâte. Leith planta fermement son bâton dans le sol afin qu’il serve de source de lumière et se mit à fouiller dans son sac de cuir. Elle offrit une pomme aux demoiselles avant d’en ressortir une curieuse amulette d’argent.

— Ramène des brindilles pour allumer un feu, ordonna-t-elle à Azéna. Utilise ceci pour t’aider.

Elle marmonna quelques mots incompréhensibles en serrant l’amulette de sa main droite. Le petit charme se mit à briller, créant de la luminosité autour de lui. Elle l’offrit à la rebelle qui l’accepta volontiers et l’attacha à son cou.

Irritée, cette dernière leva un sourcil. Elle n’était pas ravie de se faire donner des ordres, mais exécuta les vœux de son aînée sans broncher. Elle n’était plus dans le château de sa famille, après tout. Il n’y avait pas de serviteur qui allait lui dénicher tout ce qu’elle désirait sur commande.

En s’enfonçant dans les profondeurs de la forêt, elle sonda les environs à la recherche de branches assez petites pour être portées. Elle en trouva quelques-unes et prit le soin de choisir les plus sèches. Elle en dénicha une dont l’allure attira particulièrement son attention. La cime de la branche lui rappelait une tête de loup. Lorsqu’elle se pencha pour la ramasser, elle entendit le crépitement de feuilles. Alarmée, elle se retourna et aperçut une silhouette humanoïde qui l’observait au loin. Il était complètement à découvert.

— Hé! aboya-t-elle en le pointant du doigt. Qui es-tu? Pourquoi m’observes-tu, noklysse?

L’intrus était drapé d’une cape trop grande pour lui. Son visage était dissimulé par un capuchon. Il n’avait aucune arme et ne bougeait pas. Azéna tenta de s’approcher doucement de lui.

— Merde, tu vas me répondre ou tu es sourd?

Le mystérieux personnage se dissout en ombre. L’adolescente écarquilla les yeux. La peur avait déjà enfoui ses griffes en elle.

— Un prêtre noir, murmura-t-elle. Un loyaliste dément de Noktow.

Elle se figea et sentit son cœur s’arrêter momentanément. Elle se mit à paniquer. Encore pire qu’un prêtre noir, elle aurait pu se trouver en face de l’un de ces affreux nécrodins, des paladins corrompus qui sèment l’horreur partout où ils passent. Elle cligna et l’étranger fondu dans l’obscurité de la nuit.

Il a fallu un moment pour que son corps lui réponde.

D’une main tremblante, elle ramassa la branche à la cime en forme de tête de loup et se dépêcha au campement.

Une fois là-bas, elle se trimbala, les bras débordant de brindilles, jusqu’à Leith et Fayne qui étaient assises sur une souche en train de discuter. Shirah mangeait les restes du cadavre d'un cerf que Tyrath avait chassé. La puanteur était forte, même de loin.

— Bien, approuva la guérisseuse. On n’a jamais assez de bois pour allumer un feu.

Elle fronça soudainement les sourcils. Son expression satisfaite fut transformée par l’inquiétude.

— Tu es blanche comme un drap et épuisée. Quelque chose s’est passé?

— J’ai rencontré quelqu’un! couina Azéna.

Le corps de Leith se raidit.

— Raconte-nous.

— Il ne semblait pas désirer se cacher. Lorsque je me suis retourné, il était là et me fixait comme si de rien n’était.

— Et ensuite?

— Je lui ai demandé qui il était, mais il a tout simplement disparu. Il s’est littéralement transformé en ombre.

— C’est sûrement le dragonnier de ce dragon noir! s’exclama Fayne.

— C’est possible, soutenu Leith.

Terrifiée, Azéna sentit du sang lui monter aux joues. Ignorant ses sentiments, elle déposa les brindilles à côté du bâton de la guérisseuse et lui rendit son amulette dont la luminosité s’était considérablement affaiblie.

— Tyrath n’est toujours pas revenu? demanda-t-elle pour changer de sujet.

— A-t-il vraiment l’air d’être ici? répliqua Fayne sur un ton sarcastique.

— Ah… Je… Ouais…

Elle se contenta de grogner et enfonça la moitié de son visage dans ses bras entrecroisés. Fayne lui offrit une place sur la souche et la câlina.

— J’espère que tout va bien aller…

Sa proximité calma Azéna.

Leith tentait d’allumer le feu en vain. Elle avait réuni un nombre raisonnable de brindilles devant elle et frottait frénétiquement deux roches ensemble.

Rapidement, Azéna se lassa de l’observer et détourna son attention vers la lune. Elle l’avait toujours trouvé belle et mystérieuse, mais surtout fascinante, car elle changeait de couleur en fonction de la saison. À cet instant, elle arborait une teinte d’un humble doré et ressemblait aux soleils, mais en plus pâle. C’était elle qui écoutait l’adolescente lorsqu’elle se sentait seule.

Un grognement attira l’attention d’Azéna vers l’ouest. Une grande silhouette volante apparue sous la luminosité réconfortante de la lune. Plus il se rapprochait, plus Tyrath devint distinguable. Ses ailes, normalement d’un teint argenté presque blanc translucide, étaient traversées par le clair de lune jaunâtre. Il laissa tomber quelque chose d’une masse considérable et atterrit derrière le groupe. Lorsque Fayne y jeta un coup d’œil, elle étouffa un cri horrifié avec sa main.

— Quoi? demanda la dragonnière.

Elle se retourna à son tour et se retrouva face à face avec un cadavre frais d’un deuxième cerf. Pendant un moment, elle resta figée dans l’incertitude. Le dragon la regardait avec anticipation.

— Oh. C’est pour moi?

Elle se pointa, confuse. Tyrath renifla et hocha de la tête. Il poussa le cadavre de son museau en sa direction.

— Eh, merci? dit-elle.

Ne sachant pas trop quoi faire, elle fixa l’animal mort. Tyrath secoua la tête, visiblement déçu et se roula en boule sur le sol caillouteux. Il ne semblait pas se préoccuper de son propre confort. Il tomba rapidement dans un profond sommeil.

— Il veut qu’on fasse quoi exactement avec ce cerf? demanda la Kindirah.

— Quelle est ta meilleure estimation? Fayne dit d'une voix tremblante.

Sa peau était pâle, ses yeux écarquillés et on aurait dit qu'elle était sur le point de vomir. La vue d'un animal mort avait toujours été insupportable pour elle, car elle les adorait.

— Mange-le. C'est une offrande, poursuivit-elle, dégoûtée.

— J'ai compris ça, mentit son amie grognonne en se retournant vers le feu naissant.

Les flammes étaient bien vivantes, mais petites. Leith se frotta le menton, pensive.

— Tu pourrais demander à Tyrath de souffler un peu de vent sur les flammes.

— Pourquoi? osa demander Azéna.

— Tu ne connais pas les forces et des faiblesses des éléments primaires? demanda Fayne en fronçant les sourcils.

Azéna la fixa, les yeux écarquillés et déconcertés.

— Comment fais-tu pour savoir toutes ces choses !?

— Je lis. Regarde, c'est facile. Pour faire ça simple, le vent amplifie le feu. Le feu se nourrit d'air. Souviens-toi de ça. Tu pourrais en avoir besoin un jour, puisque Tyrath est un dragon gris.

Leith gloussa et tourna son regard bienveillant vers les deux adolescentes. Elle fit signe à Azéna d'interagir avec Tyrath.

La dame aux cheveux argentés hésita, ne voulant pas le déranger. Quand elle remarqua qu'il les observait d'un œil ouvert, elle gloussa.

— Pourrais-tu alimenter le feu de ton vent?

Le jeune dragon exhala une légère brise sur le feu qui grandit de manière exponentielle. Puis il retourna se coucher en boule à son emplacement initial.

— Bref, on fait cuire le cerf? demanda la Kindirah en se frottant les mains en préparation au festin.

Fayne grimaça, visiblement mal à l'aise avec cette idée.

— Quoi? continua Azéna. Il est mort. Il n'y a rien d'autre à faire que de rendre cette perte valable.

— Je... je suppose, balbutia l'herboriste en évitant son regard.

Avant d’aller se coucher, les trois Daigorniènnes dégustèrent la viande fraiche du cerf en discutant de tout et de rien. Fayne éprouva de la difficulté à s’y faire. Normalement, elle ne mangeait de la viande que lors d’occasions spéciales, lors des fêtes ou lorsqu’il n’y avait rien d’autre à manger.


Azéna était restée éveillée toute la nuit. Elle était habituée à un grand lit douillet, bercé par le luxe de la noblesse. Le sol bosselé l’empêchait de dormir. De plus, elle utilisait une branche comme oreiller et n’avait pas de couverture. Elle ne faisait que se tourner sans cesse et lorsqu’elle abandonna la chasse, elle s’installa sur le dos. Elle observa la lune en songeant à ce qui pourrait lui arriver le lendemain. Une journée de marche était déjà écoulée. Il n’en restait plus que quatre. C’était à ce moment qu’elle réalisa à quel point cette forêt était dense. Combien de temps allaient-ils marcher avant d’atteindre la fin? Finalement, ce n’était pas important. Ça allait prendre le temps nécessaire pour atteindre l’académie d’Archlan.

Elle se demandait comment allait tout le monde à Nothar. Ses petits frères Gendrel et Ravon avaient-ils continué la tradition de jouer des tours aux roturiers ? Elle devait admettre qu’ils allaient lui manquer, même l’irritable Tria qui agissait toujours en parfaite petite dame. Le pire allait être loin d’Argent, sa sœur aînée qui avait toujours été le type de guerrière aimable, mais forte. Elle l’avait toujours secrètement admirée.

Plus tard dans la nuit, elle remarqua que Leith contemplait aussi le ciel.

— Qu’est-ce que tu regardes?

— Seulement les étoiles, répondit-elle avec une touche de tristesse. Ils me réconfortent.

La dragonnière leva un sourcil confus.

— Ce n’est rien, continua la voyageuse. Retourne te coucher.

Azéna obtempéra, mais ne trouva malheureusement pas le sommeil. Elle se retrouva seule encore une fois, se tracassant à propos de l’étranger encapuchonné.

Malgré la saison chaude, la température avait anormalement chuté cette nuit-là. Une goutte d’eau tomba sur son front. Irritée, elle l’essuya avec sa manche et grogna. Elle soupira et se roula en boule.

Une douce pluie tomba des cieux. Le feu mourant chercha désespérément à trouver la force de survivre. Un courant d’air puissant le pilla du reste. La fumée qui émanait des branches brûlées suivait un chemin particulier qui aboutit à une étendue d'aspérules dans le sous-bois.

Là, elle aperçut une ombre. C’était la même silhouette qu’elle avait aperçue lors de sa cueillette de branches. Cette fois, elle était beaucoup plus près d’elle, mais l’obscurité l’empêchait de distinguer ses traits. Sa cape dansa doucement dans une brise.

Le torrent de pluie s’intensifia et malgré tout, la sérénité de la forêt dominait. On ne pouvait entendre que les gouttes qui tombaient au sol. Azéna était mystifiée que ses compagnons ne s’étaient pas éveillés.

Elle ne pouvait ni parler ni respirer. Elle était paralysée d'effroi devant cette présence maléfique.

L’étranger délaissa l’arbre sur lequel il était appuyé et d’un mouvement lent et discret, presque gracieux, il s’approcha d’elle. Cette dernière tressaillit, incertaine de si elle devait avertir les autres. Écoutant son instinct, elle resta immobile de peur qu’il lui arrache la vie avant qu’elle ne puisse faire quoi que ce soit pour se défendre.

Une goutte tomba près de son œil. Elle s’essuya, fermant les yeux. Lorsqu’elle les rouvrit, l’étranger n’était plus là.

Un instant passa.

Elle sentit un souffle chaud et lent lui caresser le cou.

— Gare à toi, Azéna Kindirah, murmura-t-il de façon douteuse, mais presque séduisante. Je sais qui tu es vraiment et ce que réserve ton destin embrouillé.

Il fit une pause.

D’après sa voix, Azéna devina qu’il était un jeune adulte ; sûrement au début de la vingtaine sinon vers la fin de son adolescence. Intriguée, elle osa détourner son regard vers le sien. Il battit en retraite puis fit volte-face. Sa lourde cape dansa dans ses mouvements.

— Tu attires le danger et l’imprévisible, continua-t-il dans un murmure sombre. Sang-mêlé, mais ta force réside. Ah, mais il t’appelle. Il te cherche.

Il disparut dans l’ombre de la nuit. Seule sa voix mystérieuse demeura :

— Le sang impur s’avérera pur.

— Laisse-moi tranquille! cria-t-elle, son cœur battant dans sa poitrine. S'il te plaît!

Elle a senti la chair de poule ramper sur sa peau. On aurait dit des insectes. Elle ne pouvait plus respirer. Sa vision devint noire.


Elle s’éveilla, son cœur battant la chamade, sa peau moite et sa respiration difficile. Sa vision était embrouillée. Après avoir cligné plusieurs fois des yeux, elle put distinguer Fayne qui se trouvait devant elle et la fixait.

— Ça va? demanda son amie d’une voix inquiète.

La dragonnière repoussa une mèche humide de son visage.

— Quoi? Que s’est-il passé?

— Tu parlais dans ton sommeil, expliqua la rousse. Tu hurlais à quelqu’un d’arrêter.

L’esprit d’Azéna s’éclaircit lentement. Elle se souvint de ce qui s’était passé durant la nuit, mais ses souvenirs lui paraissent si irréels. Sur le coup, elle réclama Tyrath, mais celui-ci était parti chasser.

Il ne pleuvait plus. Il faisait chaud et humide. Le temps était écrasant. Azéna n’avait envie que de rester là, coucher paresseusement et dormir. Son linge était lourd et lui collait à la peau, ce qu’elle détestait. Ses deux compagnes étaient dans le même bateau qu’elle.

En déjeunant, elle leur raconta toute l’histoire en omettant le fait que la voix de l’intrus était intrigante, ce qui la gênait considérablement.

— Devrais-je prendre ces avertissements au sérieux, d’après vous? Demanda-t-elle en avalant un morceau de cerf cuit.

— Je ne sais pas, avoua la guérisseuse. C’est difficile à dire. Je te conseille de ne pas faire de bêtises à l’académie.

— Oui, maman, murmura la jeune dragonnière sarcastiquement.

Elle se leva pour aller jeter un coup d’œil à l’étang.

— Il y a des nageuses noires dans ces eaux, lui rappela Fayne.

La Kindirah grommela et se contenta, encore une fois, de la gourde qui se vidait trop rapidement à son goût. Il ne restait plus qu’une ou deux gorgées.

Peu de temps plus tard, Tyrath revint de sa chasse matinale. À son arrivée, il la salua avec un grognement amical.

— Bon matin à toi aussi, répondit-elle.

Nous avons encore du chemin à faire, dit Leith. Ton père pourrait partir à notre recherche aujourd’hui. Il est sage de ne pas rester au même endroit trop longtemps.

Ils ramassèrent leurs affaires, se débarrassèrent des restes du feu de camp et se mirent en route. Azéna récita ce qui lui est arrivé pendant la nuit à Tyrath qui réagit en grognant et en fouettant l’air avec sa queue, colérique. Il voulait défier le dragon noir, mais Leith le gronda, l’empêchant d’y aller.


Près des frontières, la forêt Rousse n’était plus aussi dense. Les rayons des deux soleils parvenaient à traverser le feuillage avec plus d’aise. Enfin, la lisière leur apparut.

— Finalement! s’écria Azéna en filant dans le champ. Nous sommes libérés de cette forêt de merde.

Elle grimpa au sommet d’une colline herbeuse.

— Allez, on continue, ordonna Leith. Et Azéna… fait attention à ta langue.

Tyrath vola librement au-dessus des plaines et effectua des toupies et autres tours en plein vol. Sa dragonnière essaya de suivre son rythme, mais il était trop rapide pour elle. Il la provoqua et elle redoubla d’efforts. Malgré la compétition féroce, elle rit, heureuse de participer au jeu. Elle le poursuivit même si elle savait qu’elle n’avait aucune chance de gagner.

— Azéna! appela Leith. Reste près de nous.

— Pourquoi? demanda-t-elle.

— Parce que c’est dangereux dans ce coin.

— Ce que tu peux être pénible...

Leith lui accorda un regard noir, plus sévère que jamais.

— D’accord, d’accord, se lamenta l’adolescente.

Elle se résigna à suivre le chemin de terre derrière Leith qui ouvrait la marche.

Le dragon mystérieux n’était pas là.


En après-midi tardive, alors que le premier soleil commençait à peine à se coucher, le groupe croisa un voyageur pour la première fois. Celui-ci était vêtu d’un uniforme propre et possédait une peau claire subtilement teintée de bleu. Le plus remarquable dans tout ça, c’était sa monture : un énorme dragon blanc qui se mouvait dans un calme serein. Deux fois la taille de Tyrath, il le toisait. Immédiatement, il se mit à voler autour d’eux comme un rapace et claqua les mâchoires.

Pendant ce temps, Fayne devait empêcher Shirah de s'enfuir. Azéna, elle, resta bouche bée devant de tels individus. Ils resplendissaient d’une beauté qu’elle n’arrivait pas à décrire.

Le dragon blanc s'arrêta, ignorant l'agitation qu'il provoquait. Tyrath était sûrement trop petit pour l'intimider.

— Bonjour à vous, Leith, salua poliment le dragonnier en baissant la tête légèrement.

— Ah, dit Leith en souriant aux nouveaux venus. Ça fait longtemps, jeune Vigoth Jarthen. Belle Karia aussi.

Le dénommé Vigoth laissa échapper un petit rire.

— Jeune? Vous oubliez que j’ai plusieurs décennies de plus que vous derrière moi.

Il paraissait si jeune, à peine trente ans.

Comment est-ce possible? se demanda Azéna, prise de confusion.

— Vous semblez perturbé, jeune dame, dit l’étranger.

— J-je, balbutia-t-elle en le pointant du doigt. Euh… Comment est-ce que…?

— Ah! Vous n’avez jamais rencontré d’elfe de votre vie, je suppose. Fait intéressant : particulièrement chez les elfes lunaires, les jumeaux sont communs. Même les triplés ne sont pas si rares que ça.

— Un elfe!? s’écria la rebelle impulsivement. C’est pour ça que tu parais si jeune et que tu as la peau bleutée?

Son visage vira au cramoisi. Réalisant qu’elle avait parlé avec trop de liberté, elle baissa le doigt. Fayne et Leith rirent doucement, ce qui la gêna encore plus. Vigoth, lui, semblait être habitué à ce genre de réaction.

— Ce n’est pas tous les elfes qui ont une peau de cette teinte, mais c’est une caractéristique typique des elfes lunaires, expliqua-t-il.

Son regard s’arrêta sur les pattes de Tyrath. Il plissa les yeux, de toute évidence dérangé par les manilles, puis il concentra son attention sur Fayne et Azéna.

— Qui sont ces deux ravissantes jeunes femmes? demanda-t-il avec un sourire chaleureux.

La Kindirah se présenta la première, puis vint le tour de Fayne. Vigoth parut surpris lorsqu’elles expliquèrent leur relation amicale.

— Sans vouloir vous porter offense Mlle Litfow, il est rare que les nobles de Daigorn se permettent de devenir si proches d’un roturier, commenta-t-il. J’aime votre ouverture d’esprit, Azéna.

— Dites-moi Vigoth, comment se fait-il que vous soyez loin de l’académie alors que la cérémonie du liage débute très bientôt? demanda Leith.

— Oh, vous savez, la charge de travail est immense et…

— Et, continua la vieille dame en fixant sévèrement son interlocuteur de ses petits yeux perçants, vous vous êtes enfuis, comme à votre habitude.

— Enfui est un bien grand mot, répliqua-t-il en évitant ses yeux. De toute façon, le danger que représente le Sang du Dragon grandit. Il faut bien que quelqu’un patrouille dans les environs.

— Je me doutais bien que ces tueurs de dragons allaient revenir un jour. Il n’y a pas que cela. Un dragonnier et son dragon noir nous suivent depuis notre départ pour Atgoren.

— Ah, oui! Vous étiez censé prendre votre retraite à Nothar. Mon frère est très contrarié à ce sujet.

— Avez-vous envoyé quelqu'un dans cette région?

— Pas ces derniers jours. C'est toujours si calme et paisible là-bas.

Il songea pendant de longues secondes qui rongèrent l’humeur d’Azéna d’impatience. Elle voulait savoir ce qui se passait et qui était ce personnage. Sa longue cape, sa parure, son majestueux dragon et sa beauté lui donnaient une allure d’importance. Elle n’aimait pas ça. Elle ne lui faisait pas confiance.

— C’est peut-être Terenas, répliqua-t-il finalement.

— De l’académie d’Archlan? sollicita la rebelle avec intérêt.

— Oui. Vous y allez?

— En effet, confirma Leith. Cette jeune dame, ici présente, est une dragonnière depuis deux jours.

— Oh! Pourquoi ne pas lui proposer l’académie d’Isriss? suggéra Vigoth en affichant un grand sourire blagueur.

— Vigoth, grogna la vieille.

— C’était une blague, voyons. Un grand maître cherche toujours à recruter de nouveaux apprentis.

— Donc, vous êtes chargé d'une autre académie? demanda Azéna, confuse.

— En effet, confirma Leith.

Elle désigna l’emblème de l’académie d’Isriss qui reposait sur le tabard rouge cramoisi de Vigoth. Le logo était magnifique. Il s’agissait d’une patte de dragon gris qui reposait au sommet de la lettre I en son centre.

— Je me propose comme escorte jusqu’à l’académie d’Archlan, proposa le grand maître avec politesse.

— Ce serait très apprécié, répliqua Leith, ravie de cette nouvelle. On ne sait jamais. Ce dragon noir pourrait revenir, de même pour une bande du Sang de Dragon.

— Très juste. Comme mon frère Terenas l’a toujours si bien dit : préviens avant de réparer.

Le dragon blanc l’ignora et lança un regard offusqué à Vigoth. Au début, l’elfe lunaire ne semblait pas comprendre ce qu’il désirait de lui.

— Ah! s’écria-t-il soudainement. Je m’excuse. Je vous présente ma partenaire, Karialiatren ou Karia du clan Liatren.

Karia leva la tête et poussa un rugissement majestueux. En réponse, Tyrath jeta un regard noir en sa direction et bomba le torse. Azéna sourit, amusée par sa réaction.

— Lui, c’est Tyrathralent ou Tyrath du clan Ralent.

— Oh, nous savons, dit Karia.

Sa voix était un étrange mélange de rudesse et de féminité. Elle poussa un grognement qui ressemblait à un ricanement lorsque Tyrath détourna le regard.

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