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1 - Prologue
2 - Une fête pour Saria
3 - Perd cette dent
4 - La ville s’agite
5 - Un repaire
6 - Fille de la Tempête
7 - Écailles argentées
8 - Briser les chaines
9 - Vent fort
10 - Ombres insaisissables
11 - Agmeath
12 - L’académie d’Archlan
13 - La cérémonie du liage
14 - La suite
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Prologue

L’enfant s’était enroulé dans son unique couverture qu’il chérissait depuis ses premiers souvenirs. Son lit était trop court pour lui. Il avait grandi si vite, si soudainement. Ce n’était pas normal, ça, il le savait. Il n’osait pas s’en plaindre, mais il dormait mal et depuis ce matin-là, il souffrait d’une douleur aux yeux et au crâne.

En premier temps, tout était calme. Il n’entendait que les hiboux hululer à l’extérieur. Pour une fois, il avait passé une bonne journée, sans se faire gronder. Il en demandait toujours trop, d’après ses parents. De son point de vue, il n’en avait pas assez. Il n’avait pas d’ami et il n’interagissait qu’avec quelques individus précis. C’était difficile. Il ne comprenait pas pourquoi ils étaient si craintifs, si stricts. Et il n’y avait jamais d’explications.

Il ferma les yeux, satisfait de son confort.

— Il ne sera jamais temps! tonna son père de substitution.

De l’autre côté de la porte en bois rongée par le temps, les voix se faisaient soudainement agressives. Le petit enfouit son visage dans son oreiller sale en espérant étouffer leurs voix.

— Il va bien falloir qu’il vive, rétorqua la mère. Un jour, nous ne serons plus là!

Le silence régna pendant un long moment.

— Il arrive ce soir, répondit l’homme, la mine morose.

— Je n’aime pas ça, avoua son amoureuse.

— Nous n’avons pas le luxe du temps. Ne m’arrête pas. Tu sais que c’est plus grand que nous. C’est important.

La maisonnette était si mal isolée que le garçon entendit le son agressif d’une main qui giflait un visage. Un grognement retentit et des bruits de bottes lourdes se firent de plus en plus distincts.

On s’était arrêté devant la porte de sa chambre. C’était son père ; il le savait. Il connaissait sa façon de marcher, la cadence de ses pas. Il ne s’était jamais montré violent. En fait, il encaissait bien le caractère fougueux de sa mère.

Il soupira, semblant désespéré. Il ouvrit une porte, pas celle que le petit avait anticipée, mais celle qui menait à l’extérieur.

Il avait ignoré les soucis de son amoureuse, encore. Il croyait sûrement encore qu’il prenait la meilleure décision pour la famille.

— N’y va pas, supplia-t-elle.

Ce n’était vraiment pas son genre de s’abaisser. Elle réclamait d’ailleurs que ce fût cette flamme qui avait aguiché Krûnan.

— Je ne le connais pas. Tu ne le…

Elle s’était interrompue dans un grognement aussi piteux que rageux. Il lui avait sûrement fait signe qu’il ne désirait plus rien entendre. Sa décision était prise. Il continua son chemin et ferma la porte doucement derrière lui.

— Krûnan! jappa-t-elle.

Il ne répondit pas.

Argoshin détestait quand sa mère était contrariée qu’importe la raison. Elle avait toujours été là pour lui, contrairement à Krûnan qui s’était pointé quatre hivers passés. Certes, c’était plus que la moitié de l’existence du garçon et il s’était généralement bien comporté avec eux, mais le jeunot ne pouvait s’empêcher de favoriser sa mère. Elle était coincée dans la méfiance et lui aussi.

Krûnan faisait quelque chose qui ne lui plaisait pas du tout. Il allait parler à… un étranger?

Argoshin se détendit aisément et ferma les yeux. Peu à peu, un nouveau monde autour de lui prit forme. Il pouvait ressentir le flux de la vie de toutes les créatures à proximité. Sa mère, pleine d’énergie, était en bonne santé, mais comme tous les autres, il pouvait sentir sa vie s’éteindre à petit feu. C’était comme un sablier, des centaines de sabliers, qui ne s’arrêtaient jamais et ça le rendait anxieux de savoir tout ça.

Il ne comprenait pas pourquoi il pouvait lire ça et lorsqu’il s’était confié à ses parents, deux hivers passés, parce que ça devenait trop écrasant, ils avaient réagi avec tristesse et inquiétude. Depuis, c’était le sujet le plus déprimant et il revenait souvent. Ça les tourmentait tous, eux qui ne comprenaient pas.

Ainsi, contre le gré de son épouse, Krûnan avait cherché du soutien discrètement et quelqu'un l’avait entendu et avait répondu à son appel à l’aide.

Il était enfin arrivé et Argoshin détectait sa présence en face de leur humble demeure. Il n’avait jamais rencontré quelqu’un de si vieux et pourtant, encore si jeune. Qui était-il?

La porte de sa chambre s’ouvrit et là, se tenait sa mère, les yeux humides, mais le regard plein de détermination.

— Va.

Le garçon grimaça alors qu’il ferma la connexion à son pouvoir étrange. Il put se concentrer sur les paroles de sa mère.

— Ma?

— Va les écouter. Discrètement.

C’était la première fois qu’il avait la permission d’en apprendre plus à propos de son pouvoir, de lui-même. Il se leva d'un bond, et faillit crier. Il serra sa mère dans ses bras et ouvrit la fenêtre. Il laissa l'odeur fraîche des pins, de l'herbe et de l'humidité envahir ses sens et lui donner de l'énergie. Il adorait la liberté, le côté sauvage de tout cela. Il était si heureux.

— Il fait froid dehors, dit-elle en plaçant la couverture sur les épaules de son fils comme une cape.

— Merci, souffla timidement l’enfant.

Il enjamba la fenêtre, se laissa tomber sur un tonneau et sauta en bas. Au sol, il se faufila à pas de loup jusqu’à l’angle de la maisonnette et y distingua une paire de silhouettes imposantes dont l’une étant son père de substitution.

— Pourquoi le garçon vous intéresse-t-il autant?

L’étranger encapuchonné mit un moment à répondre.

— Chacun a ses secrets, dit-il, sa voix relaxante comme une berceuse.

— Par Elysia, excusez-moi, mais vous êtes ici pour nous soutenir.

— En effet. Mais pas de la façon dont vous le supposiez.

— Si vous ne donnez pas, nous non plus, rogna Krûnan.

— Noktow cherche aussi pour le garçon, mais pas uniquement lui.

— Il y en a d’autres comme lui…

— Si on parle uniquement de son pouvoir, oui. En ce qui concerne le reste, difficile à dire.

Pendant longtemps, aucun d’eux ne prononça un mot.

Durant ce silence lourd, le gamin sentit sa curiosité le pousser à en désirer plus. Il n’était pas le seul? Vraiment? Il se retint pour ne pas se découvrir et poser plus de questions.

— Que se passe-t-il ici? enquit son père adoptif. Où tout cela nous mène-t-il? Et s'il vous plaît, soyez direct.

— Noktow cache une grande vulnérabilité. Je ne sais pas ce que c’est, mais quelque chose l’agite. Je mettrai le doigt dessus. De toute façon… nous sommes ici pour…

— Le garçon, termina le père de substitution avec la mine sombre. Je me doutais que votre soutien n’allait pas venir de si bonne grâce, mais nous sommes si désespérés que j’ai pris le risque.

— Je vous observais. J’attendais une opportunité.

— Et je vous l’ai donnée. Pourquoi ne pas tout simplement venir chercher le garçon?

— Nous ne sommes ni des barbares ni des filous. Nous désirons lui venir en aide, mais pour cela, il va devoir s’entraîner longtemps sous notre aile.

À ces mots, Argoshin sentit son souffle se couper. Il s’efforça de se calmer pour ne pas se faire remarquer. Il n’avait jamais été sans sa mère et il refusait de se séparer d’elle.

— Puis-je le voir? souffla l’étranger.

Il se vira, l’arc long suspendu à son dos frémit et une longue mèche aussi blanche que la neige au sol s’échappa de la capuche. Il rectifia la situation promptement.

— Non, dit Krûnan.

— Je comprends que vous êtes méfiants et que notre requête est choquante. Alors, nous sommes prêts à vous accommoder pour les inconvénients causés.

Il lui offrit une pochette en cuir bien garnie. Argoshin croyait que son père allait le refuser, mais il estima le poids de l’objet avec intérêt.

— Mmmm…

— Comment se porte-t-il?

— Le gamin?

Son interlocuteur hocha la tête.

— Il est… turbulent. Il est conscient qu’il est différent. C’est… très difficile.

— Décris-moi comment il se sent.

— Comme s'il était important. Comme s'il était près du monde entier. Parfois, c'est trop pour lui.

Argoshin croisa les bras et grogna doucement. Personne ne pouvait savoir comment il se sentait sauf lui. Personne ne pouvait témoigner son vécu et personne ne pouvait décider de son avenir. Ils se prenaient pour qui, ces deux-là? Cette conversation l’irritait de plus en plus.

— C’est compréhensible, agréa l’inconnu. Particulièrement sans mentor, c’est une technique complexe et rude émotionnellement.

— Ça va devenir pire?

— Probablement.

Il empoigna la main libre de son interlocuteur avec la sienne, très doucement, avec politesse. C’était étrange aux yeux d’Argoshin qui n’avait jamais vu quelqu’un interagir ainsi avec quiconque. L’étranger devait provenir de loin. Ses manières étaient complètement différentes de ce qu’il connaissait. 

— Il pourrait aisément devenir important pour Aerinda en entière, lui assura celui-ci de sa voix charmante.

Krûnan tourna le regard. C’était comme s’il ne voulait pas faire face à cette réalité.

— Il pourrait aussi aisément emprunter une voie bien sombre sans guidance, expliqua avec tristesse l’étranger. L’animancie est moins rigide, plus émotionnelle, contrairement à ses pairs. Elle peut s’avérer la plus puissante comme la plus traitre.

— Dites-moi en plus.

— J’ai bien peur que j’en aie déjà trop révélé. Il faudrait qu’il se fasse montrer la voie.

— N-nous n’avons pas de mentor p-pour lui, souffla Krûnan, sa voix cassante. Pourriez-vous l’entraîner ici?

— Ceux dont il a besoin ne se dévoilent pas si aisément. Je ne peux pas l’aider d’ici.

Il répétait « aisément » si fréquemment qu’Argoshin en devenait rouge de colère chaque fois qu’il l’entendait. Il le répugnait. Il désirait le déchiqueter en morceaux pour manipuler son père de substitution afin qu’il l’échange contre un vulgaire sac de pièces.

— S’il ne vient pas avec nous…

Argoshin trouva un peu de sérénité à la possibilité que tout allait revenir comme avant. Tout de même, il ne put s’empêcher de serrer sa couverture qu’il imaginait en tant que bouclier enchanté par les divinités elles-mêmes. Cela allait le protéger ; il en était certain.

— … il deviendra un être violent, dominé par la rage et l’amertume. J’en suis témoin.

Il étendit son bras et repoussa la manche de son manteau, révélant une série de creuses cicatrices en forme de crocs et de griffes.

— Elle était… plus qu’une bonne amie, termina-t-il avec misère, son ton se noyant dans ses émotions refoulées.

— J’irai le lui annoncer, marmonna Krûnan, le regard bien bas comme s’il avait honte de sa décision.

Une chaleur intense s’éprit du frêle corps d’Argoshin. C'était comme si son sang bouillait. C'était insupportable. C'était déjà arrivé dans le passé, mais pas comme ça. Il obéit à son réflexe de rugir son agonie.  Il ne comprenait pas pourquoi il avait été vendu comme une bête domestique. Il détestait ce pouvoir à la noix qui ruinait sa vie. Il méritait mieux. Il était plus grand que cela!

Les deux hommes se tournèrent vers lui, juste à temps pour le voir ensevelit d’une aura violette, les yeux luisants dans le noir, retroussant ses lèvres comme un prédateur pour révéler des crocs. Leur vision vira à la même teinte. Ils étaient aussi entourés de cette aura étrange.

L’étranger savait ce qui se passait. Sans hésitation, il saisit son arc, mais lorsqu’il encocha une flèche qui rayonnait comme si elle avait été enchantée, il tomba mollement au sol.

— Je ne vais pas me séparer de Mère! hurla Argoshin.

Il figea, incertain de ce qui venait de se produire.

Son père en profita pour se mettre à genoux dans une tentative de paraitre docile.

— Argoshin, non! Arrête-moi ça, tout de suite!

Mais cela n’eut que l’effet contraire.

Contrarié, le petit exécuta un mouvement brusque du bras et, comme l’étranger, Krûnan s’affala.

Aussitôt, il réalisa qu’il avait commis une grosse erreur et pourtant, il avait de la difficulté à se sentir coupable. Il était à la fois en extase et horrifié.

Peu de temps plus tard, sa mère sortit en trombe de la maisonnette et à la vue du spectacle, devint blême.

— Nous partons!

— M-ma?

— Sur le champ!

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