-(Tr) Vous voilà enfin, j'étais à deux doigts d'envoyer une équipe pour vous ramener.
-(Ir) Weiss, il est...
-(Tr) Parti à l'autre bout de la tribu, ne t'inquiète pas, il reviendra.
-(Ir) Je m'inquiète pas, pourquoi je m'inquiéterais ?
-(Tr) Le temps que vous étiez plus haut, on a parlé avec les anciens, ils vont envoyer des éclaireurs pour trouver un endroit plus haut où s'installer.
-(Ir) Oh, c'est vrai, j'ai hâte, je peux en faire partie ?
-(Tr) Ha ha ! Alors là, vu ton tempérament, il y a peu de chances.
Je ne sais pas si c'est l'expression de mon visage qui m'a trahi ou son intuition, mais je l'ai entendu rire en s'éloignant.
J'espère qu'au moins on ira là où la lumière passe. Utiliser notre sonar pour nous voir est épuisant. Vu qu'il n'y a pas grand-chose à faire, je vais aller me poser près d'une cavité rocheuse.
Il n'y a vraiment rien à faire ici, seulement attendre que le temps passe en rêvassant, se plonger dans les souvenirs pour oublier cette vie pathétique.
Regardant ces galets noirs, je laisse mes mains les caresser. Ils sont chauds, certains sont doux, limés par les vagues, d'autres rugueux et poreux, sans doute des restes de roche volcanique. Dans quelques années, cette plage sera remplie de sable noir. En sera-t-elle plus belle ? Je ne pense pas, elle est parfaite comme elle est. Je prends un galet, il n'est pas comme les autres, il est lisse mais a des reflets rouges. Je le garde près de moi, je veux le ramener.
-(Li) Coucou, tu l'as ramené ?
-(Ir) Oh, Lilie, c'est toi. Oui, tu veux le voir ? Enfin, le voir, le toucher.
-(Li) Oh ouuuuuuiiii, maman.
-(Ir) Ne m'appelle pas comme ça, s'il te plaît, on en a déjà parlé. Je t'ai mise au monde, mais je veux que tu me considères comme les autres.
J'ouvre ma main et lui tends. Elle le prend délicatement. Je me doute qu'elle va le faire tomber et que je vais mettre des heures à le retrouver, mais elle est jeune. Elle est née de ma première et dernière reproduction, elle n'a pas encore atteint sa taille adulte, mais je n'ai plus vraiment besoin de m'en occuper. C'est une vraie petite fofolle, elle me fait de la peine quand j'y pense, grandir ici.
-(Li) C'est beau là où tu étais, tu crois qu'un jour je pourrais le voir ?
-(Id) Oui, ma jolie, ta maman a trouvé un...
-(Ir) Idriss, ne m'appelle pas comme ça !
-(Id) Tu n'as pas de cœur, Irina.
-(Id) Elle a trouvé un super endroit et ce n'est pas très loin.
-(Li) Oh, on y va quand ? Maintenant ? J'ai entendu les anciens dire qu'on va tous remonter.
-(Id) Tu vas devoir patienter un peu, il faut déjà trouver un endroit à l'abri des humains. Et tiens, regarde ce que ta mam... heu, Irina et Weiss ont chassé pour toi.
-(Li) Oh merci, il est gros ce morceau de poisson ! Ce matin, Rose n'a réussi à attraper qu'un petit poisson. Hum, il est cro bon, j'en ai jamais mangé.
Crouch, crouch, crouch.
Je la regarde croquer à pleines dents dans la chair du thon, c'est vrai que ça change des poissons abyssaux.
-(Li) Tu étais avec Weiss, je comprends maintenant, hi hi ?
-(Ir) Tu comprends mieux quoi ?
-(Li) Je savais que tu étais rentrée, car Weiss est passé à travers le clan et n'arrêtait pas de râler, il a même envoyé péter un groupe de filles qui voulait lui parler. T'as encore fait des bêtises ?
-(Id) Heu, allez, allez, zou, mademoiselle, il est temps d'aller dormir.
Pour une fois, je suis ravie qu’Idriss soit là. Elle est mignonne, je l'aime beaucoup, mais je ne peux pas la considérer comme ma fille. Elle est née d'un instinct primaire qui m'a valu ma plus grande peur.
Elle me ramène toujours à ce moment où je vais partir du clan pour pouvoir m'accoupler sur la terre ferme.
Je m'endors doucement, bercée par la voix de Lilie qui résonne dans ma tête.
-(Ro) Irina, calme-toi, t'affoler comme ça n'améliorera pas la situation !
-(Ir) J'ai peur, je comprends pas, ça fait mal, ça fait tellement mal ! Aaaaaaaaaahhhhhhhh !
-(Ro) Détends-toi, ne lutte pas, ton corps est fait pour ça. Tu veux que je fasse appeler quelqu'un près de toi ? À Weiss ?
-(Ir) Oui, s'il te plaît.
-(Id) Au lieu de tourner en rond, nage donc chercher ton frère, et qu'il se dépêche de rappliquer.
-(Ro) Prends appui sur moi, laisse-toi aller, je vais te maintenir.
-(Ro) C'est bientôt le moment, qu'est-ce qu'ils font ? Enfin, les voilà.
-(We) Que veux-tu, Rose ?
-(Ro) Viens soutenir ton amie, elle a besoin de vous.
-(We) Idriss est là, il a qu'à s'en charger !
-(Ir) Weiss !
-(Ro) Elle s'est sortie, c'est une fille. Tiens, ma chérie, prends ta fille, je m'en vais dire deux mots à ce triton !
-(Id) Je suis désolée, Irina, Weiss est odieux en ce moment.
-(Ir) Mais qu'est-ce que j'ai fait ? Pourquoi il m'en veut ?
-(Id) Je ne sais pas... Comment tu vas l'appeler ?
-(Ir) Heu, de qui ?
-(Id) Ha ha ha, ta fille, pardi, tu veux que je parle de qui ?
Oui ouin ouin.
SLURP-SLURP-SLURP.
-(Id) Oh, au moins elle ne mourra pas de faim, vu la taille, tu as de quoi la nourrir pour un siècle, ha ha ha.
-(Ir) S'il te plaît, Idriss ?
-(Id) Hum.
-(Ir) Tu pourras m'aider avec Weiss ?
-(Id) On verra, en attendant, trouve-lui un nom.
-(Ir) - Lilie, elle s'appellera Lilie.
-(Gl) Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ?
-(Ir) Heu, désolée, j'étais en train de rêver, j'espère que je ne t'ai pas réveillée.
-(Gl) Avec le branle-bas de combat qu'il y a dans la colonie depuis un moment, je me demande comment tu faisais pour continuer à dormir !
C'est vrai qu'il y a du mouvement, je sens des remous dans tous les sens.
-(Ir) Que se passe-t-il ? Pourquoi tant d'agitation ?
-(Gl) Pendant que tu dormais, il y a eu une secousse, ça nous a réveillés, puis il y en a eu une deuxième. Des gaz sont remontés, tu sais ce que ça veut dire...
-(Ir) On déménage, oh super.
-(Gl) Te réjouis pas trop vite, les éclaireurs ne sont toujours pas revenus.
-(Ir) Mais ça, c'est pas grave, rien ne nous empêche de commencer à remonter. De toute façon, on ne restera pas dans cette faille. Je vais voir les anciens à toutes.
Pour une fois qu'il se passe quelque chose, je ne laisserai pas passer ma chance. Ils seraient capables d'attendre et de nous laisser moisir ici pendant encore des mois. Calme-toi, il faut déjà les trouver. Dans cette cohue, ce n'est pas évident. Concentre-toi, scanne les environs.
Ils ne sont pas en dessous, pas à ma droite, ça y est, ils sont là, au-dessus.
-(Ir) Bonjour Igor, Weiss. Gloria m'a dit pour les secousses et les gaz, on attend quoi pour remonter ?
-(Ig) On attend le retour des éclaireurs, on ne peut pas remonter sans savoir où aller.
-(Ir) Et pourquoi pas ?
Je ne peux cacher l'excitation dans ma voix.
-(We) Parce que l'on n'est pas tous aussi suicidaires que toi !
-(Ir) Très drôle, Weiss. Oui, cette nouvelle me ravit. Mais qu'est-ce qui est le plus dangereux ? Commencer à remonter doucement, palier par palier, en attendant tout le monde, ou attendre que la faille s'ouvre, libérant son gaz et créant une panique générale ?
-(Ig) Ton point de vue se défend, mais rien ne dit qu'il y aura une nouvelle secousse bientôt.
-(Ir) Faites comme bon vous semble, moi je remonte avec Lili et ceux qui voudront me suivre, tu viens, Weiss ?
-(We) Personne ne te suivra, tu n'es pas notre chef, tu dois te plier aux ordres !
Son regard de défi à désobéir me donna ma réponse : il reste auprès du chef, soit. J'aime relever les défis et je n'aime pas obéir.
Je tournais les talons, en appelant de toutes mes forces Lili, Idriss et Tristan, c'étaient les seuls qui valaient le coup d'être sauvés, même si pour Tristan, j'ai des doutes.
-(We) Irina, reste dans la colonie, ne fais pas de bêtises.
Je l'entends bien râler, mais après tout, lui non plus n'est pas le chef, et je n'ai pas entendu celui-ci m'interdire de remonter. Je n'ai pas le temps de me poser d'autres questions, j'ai trouvé Lilie collée à la paroi rocheuse, elle est terrifiée.
-(Ir) Lilie, que t'arrive-t-il ?
-(Li) Maman, sniff sniff, j'ai peur, qu'est-ce qui se passe ? On va mourir ?
-(Ir) Non, t'inquiète pas, ma chérie, on va remonter où ça sera plus calme. Où est Rose ?
-(Li) Je ne sais pas, on nous a bousculées, je l'ai lâchée.
-(Ir) OK, on va demander à Idriss de la chercher, aide-moi à l'appeler.
-(Ir-Li) IDRISS... IDRISS !
-(Ir) C'est bon, il nous a trouvées, il arrive.
J'avais oublié comme elle était légère, je la serre dans mes bras contre la paroi. C'est vrai qu'ici, les sirènes sont déchaînées.
-(Id) Qu'est-ce qu'il y a les filles ? Lili, tu as l'air terrifiée.
-(Ir) Elles ont été prises dans la cohue, Rose s'est fait bousculer, ça les a séparées. Tu peux la trouver ?
-(Id) Oui, elle est en dessous, je reviens.
En dessous ? Qu'est-ce qu'elle fait en dessous ?
Il met du temps, elle est descendue jusqu'où ? Ah, je le sens à portée !
-(Ir) Ah, c'est pas trop tôt, vous êtes descendus dans le noyau, sans déconner ?
-(Id) Elle a perdu connaissance, on doit remonter un peu. J'appelle Tristan et Weiss.
-(Ir) Attends, ça sert à rien de remonter par là, il faut d'abord se frayer un chemin hors de cette fourmilière.
Serrant de toutes mes forces Lili, je suis de très près Idriss. Il a dû jouer des coudes plus d'une fois pour passer à travers le clan qui s'agglomérait sous le chef.
-(Ir) À Tristan, tu peux nous aider, on remonte de quelques paliers.
-(Tr) Pardon, tu vas faire quoi ?
-(Id) Quoi, tu m'as juste demandé de t'aider à trouver Rose.
-(Ir) Vous inquiétez pas, Igor et Weiss sont au courant. Pour une fois, je les ai prévenus. Weiss ne viendra pas, ils attendront jusqu'au dernier moment, et vous deux ? Vous allez attendre que la situation devienne incontrôlable ou vous venez ?
-(Tr) Je dois avouer que tu n'as pas tort, la tension devient électrique en dessous. Commencez à remonter tous les trois, je vais voir Igor et lui dire que tu as raison. Soyez prudents, pas la peine de vous précipiter, surtout avec Rose dans les vapes.
Après une courte hésitation, nous avons commencé à remonter tranquillement, faisant régulièrement des pauses. Remonter avec Rose évanouie et Lili était compliqué ; la pauvre peine à remonter avec ses si petites nageoires, ça va être long. Ça risque même de prendre la journée. On porte Rose à tour de rôle, échangeant à chaque palier.
-(Li) J'en peux plus, je veux dormir, je n'arrive plus à avancer.
-(Id) Très bien, et si je te porte un palier sur deux, est-ce que tu penses que ça ira ?
-(Ir) Non, on alternera avec Rose et Lilie, elle reste malgré tout beaucoup plus légère, elle pourra dormir comme ça. Et malgré tout, on avancera plus vite.
-(Id) Très bien, viens-là, ma petite Lilie, repose-toi.
Nous avons continué ainsi, échangeant nos sirènes palier par palier pendant un long moment.
-(Ir) Idriss, je commence à fatiguer.
On doit faire une pause. Nous avons déjà bien avancé, si on continue, on n'aura même plus la force d'attraper le repas.
-(Id) Tu as raison, je suis moi aussi exténué, reposons-nous un peu, on ira voir si on trouve du poisson après.
-(Ir) Je m'inquiète pour Rose, elle n'a toujours pas repris connaissance.
-(Id) Il y avait vraiment beaucoup de gaz là où elle était, elle a dû aussi prendre un coup. Mais ne t'inquiète pas, je sens que son corps se réchauffe petit à petit.
...
-(Id) Irina, Irina !
-(Ir) Hun, qu'est-ce qu'il y a ? Désolée, je crois que je me suis endormie.
-(Id) J'ai reçu un message, il y a eu une nouvelle poche de gaz, la colonie commence la remontée. On les attend là ?
-(Ir) Hum oui, pourquoi pas, vu la luminosité, je pense qu'on verra le gaz arriver et au moins, on aura de l'aide pour porter Rose si elle n'a pas repris connaissance.
-(Id) Je vais voir s'il y a de quoi manger.
Idriss pose Rose à côté de moi sur le bord du ravin. Je la cale avec mon corps. Lilie, endormie sur ma queue, je passe mes doigts dans ses cheveux soyeux auburn, laissant mon esprit divaguer. Idriss ne met pas si longtemps à revenir avec du poisson, il est plutôt doué pour ça.
-(Id) Tiens, prends ceux-là, Lili, ma petite Lilie.
-(Ir) Merci, je crois qu'elle dort bien, hi hi.
-(Id) Elle tient ça de toi, haha. Lilie, allez petite Lilie, on se réveille, le petit déjeuner est arrivé, sens-moi ça, comme ça sent bon.
Je vis amusée, Lilie écarquille les yeux et croque à pleines dents dans le poisson qu’Idriss tenait toujours.
-(Ir) Haha, on dirait que tu avais faim !
-(Id) Pas tant que ça, mais il sent tellement bon.
-(Ir) Hum, c'est vrai qu'il sent fort, on devrait peut-être essayer avec Rose.
-(Ro) Hun, aïe, essayer quoi ? J'suis où là ? Où est Lili ?
-(Id) Ah ben ça y est, te revoilà ! Tu as dû prendre un sacré coup sur la tête, dis donc.
On prit le temps de raconter à Rose tout ce qui s'était passé depuis que j'avais trouvé Lilie. De toute façon, on n'avait que ça à faire.
-(Ro) Oh, je suis désolée, Lilie, tu as dû avoir si peur, merci Irina de t'être occupée d'elle.
-(Ir) Pas la peine de me remercier, tu sais très bien que je m'occuperai d'elle tant qu'elle a besoin de moi. J'apprécie qu'elle soit plus proche de toi, c'est vrai, mais j'ai toujours un œil sur elle.
-(Id) Tu devrais la garder près de toi, Irina, ça t'éviterait de faire n'importe quoi, hahaha.
-(Ir) Très drôle.
-(Id) Désolé, mais c'est vrai que tu es plus responsable quand elle est avec toi, me dit-il en m'envoyant un clin d'œil.
Approuvant ses dires, un léger sourire se forma sur mon visage.
Il doit faire beau à la surface, on distingue le paysage malgré la profondeur.
À cet endroit de la fosse, les parois ne sont pas très larges ; trois sirènes, bras tendus, arrivent à toucher des deux côtés. La pierre est rugueuse, ne reflétant pas la lumière, elle doit être de couleur sombre. Ici, aucune végétation ne pousse, il n'y a pas assez de lumière.
Mon regard se pose sur un étrange scintillement, oh !
-(Ir) Lilie, regarde en face. Est-ce que tu vois ce que je vois ?
-(Li) Où ?
-(Ir) Regarde là, oh, tes joues sont fraîches. Est-ce que tu vois maintenant ?
-(Li) Ouuuuuiiii, qu'est-ce que c'est ?
-(Ir) Je ne sais pas, vas voir.
Il ne lui fallut pas deux secondes pour se propulser jusqu'au scintillement et tourner autour. En la rejoignant, je la vois hésiter à toucher du bout des doigts l'objet.
-(Ir) Vas-y, tu peux, n'aie crainte, c'est inoffensif.
-(Li) Oh, non.
-(Ir) Tiens, je les rattrape.
-(Li) Dis-moi, qu'est-ce que c'est ?
-(Ir) C'est un coquillage, un poisson a dû le faire tomber.
-(Li) Ha haaaa, ha haaaa, pose-le là, près de moiii.
Parmi les tourments, je ne pensais pas voir une beauté pareille, un enchantement.
Nous l'écoutâmes chanter de sa voix mélodieuse, ses paroles sans queue ni tête qui, malgré tout, reflétaient son bonheur.
Sans nous en rendre vraiment compte, les premières sirènes commencèrent à arriver.
Vu la grandeur de la cavité, nous avons commencé à remonter jusqu'à trouver un endroit plus large pour que tout le monde puisse tenir. Tout en remontant, Lilie ne lâchait pas du regard le coquillage dans ses mains. Arrivées à destination, elle se lova dans les bras de Rose et s’endormit, recroquevillée sur son coquillage.
L'ambiance est devenue de plus en plus tendue au fur et à mesure que les sirènes remontaient.
Pour beaucoup d'entre nous, ce voyage est une grande première. Autant moi, je trouve ça excitant, autant pour les autres, on sent leur peur.
-(Ig) Irina, te voici, nous allons aller vers l'îlot que vous avez trouvé l'autre jour. Les éclaireurs n'ont rien vu de suspect, je doute que nous pourrons y rester des années, mais qui sait, peut-être trouverons-nous une brèche pas très loin.
-(Ir) Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, nous devrions même nous éloigner le plus possible de cet îlot.
-(Ig) Pardon ? Toi, tu voudrais qu'on s'éloigne de la terre ferme ?
-(Ir) De la terre ferme, non. De cet îlot, oui. Cette île est nouvelle, les galets de la plage ressemblent beaucoup aux galets qu'on trouve près du cracheur de feu sous l'eau. Il y a beaucoup de gaz qui sont remontés de notre faille. Et si le cracheur de feu sur la terre et dans l'eau se réveille ? Aurons-nous le temps de nous mettre à l'abri ?
-(Ig) Montre-moi ce que tu as vu, montre-moi les galets, et l'île entière, s'il te plaît.
Je me concentre pour envoyer les images à Igor et pas à tous ceux qui sont proches. L'image des galets noirs et poreux, l'image de l'île entière quand je nageais à reculons, cette dernière image où on voit formant une pointe vers le ciel.
-(Ig) Merci, Irina, nous sommes remontés car de plus en plus de gaz remontent. Donc tu as sans doute raison, nous devrions nous éloigner par précaution. Idriss, tu peux rappeler les éclaireurs ? Moi, je vais essayer de rassurer les autres.
-(Ir) Igor, attends, je n'ai pas vu Weiss remonter, il est où ?
-(Ig) Tu sais, Irina, je guide la colonie, mais je ne peux pas forcer tout le monde à m'obéir.
-(Ir) Où est Weiss ?
Ma voix sifflante fit retourner plus d'un sur nous.
-(Ig) Il ne veut pas remonter.
-(Ir) Quoi ? Mais n'importe quoi.
-(Id) Irina, tu vas où ?
-(Ir) Le chercher, il m'a soi-disant sauvé la vie, et je devrais accepter de ne pas lui rendre l'appareil.
-(Id) Les gaz vont te tuer avant que tu ne l'atteignes.
-(Ir) Dis-lui que j'arrive, s'il ne remonte pas, il sera directement responsable de ma mort.
Je n'ai pas réfléchi un seul instant à ce que je faisais, je devais y aller, je n'arrivais pas à comprendre pourquoi c'était si important. Après tout, c'est sa décision. Mais quand même, il fait partie de notre tribu, et c'est le plus fort, la colonie a besoin de lui. J'ai besoin de lui.
Est-ce vraiment parce que je lui suis redevable que je fais ça ? Ou est-ce que je le fais pour moi ?
Je sens mon cœur s'accélérer, mes idées deviennent confuses. Combien de paliers ai-je descendus sans faire de pause ?
-(Id) Irina, pense à faire des pauses, tu descends trop vite.
-(Ir) Parce que tu penses que Weiss va en faire lui ?
-(Id) Haha, si tu savais, il a fait une pause quand je lui ai dit que je te contacterais, affolé en disant qu'il avait fait un malaise. Mais je ne pensais pas devoir aussi te surveiller. D'ailleurs, tu devrais remonter.
-(Ir) Bien sûr, comme ça tu pourras lui dire que je suis remontée. Non, je continue, ma pause est finie.
-(Id) Irina ?
-(Id) Promets-moi de faire tout ce qui est possible pour le ramener, mais aussi de faire attention à toi.
-(Ir) Compte sur moi, il remontera même si je dois l'assommer pour y arriver.
-(Id) Ha ha.
J'ai senti son inquiétude à travers son rire. Je continue à descendre plusieurs paliers à la fois, m'arrêtant à chaque sermon d’Idriss. D'ailleurs, je crois qu'inconsciemment, j'attendais la connexion d’Idriss pour déjà me rassurer et pour prendre des nouvelles de ce qui me fonçait dessus. Weiss remontera plus de la moitié, il n'a physiquement pas besoin d'autant de pauses que moi.
Descendre est de plus en plus dur, la lumière ne passe plus depuis un moment, je fatigue, exténuée, j'ai mal à la tête et je dois me concentrer pour éviter les bulles de gaz qui remontent. Les petites, comme mon poing, ça passe encore, c'est étourdissant, on reprend ses esprits après quelques secondes. Mais plus elles sont grosses et moins on reprend connaissance.
Je vais faire une pause, juste 15 minutes.
Plop.
-(We) Ne te débats pas comme ça.
Mes yeux s'ouvrirent, Weiss était là, à quelques centimètres de moi. Je le distinguais grâce à la faible luminosité, j'étais dans ses bras, il me portait.
Plaf.
-Aïe.
Je me gifle de toutes mes forces pour me réveiller de ce rêve.
-(Ir) Ce n'est pas un rêve, tu es là. Je ne comprends pas comment tu as fait ?
-(We) Quand je suis arrivé jusqu'à toi, tu étais allongée sur une corniche.
-(Ir) Tu as essayé de me remonter en espérant que je ne me réveille pas pour pouvoir t'enfuir après ? Mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ?
Il s'arrêta, me posant sur la paroi rocheuse. Il ne dit rien. Après quelques minutes, le regard perdu dans ses pensées, il me regarda fixement.
-(We) Tu peux remonter, Idriss te guidera à distance vers la colonie.
-(Ir) Parce que tu penses que je vais partir sans toi ?
-(We) C'est mon choix, tu ne peux pas me forcer à venir si je n'en ai pas envie ! Maintenant dégage.
-(Ir) C'est ton choix ?! D'accord, très bien. Je reste aussi alors.
-(We) Pardon ?
-(Ir) Tu l'as dit toi-même, je ne peux pas te forcer à faire ce que je veux, c'est pareil pour moi, tu ne peux pas me forcer à remonter.
-(We) Tu crois vraiment que je ne peux pas te remonter de force ? Tu veux parier ?
On se toisa du regard, se défiant l'un l'autre en silence, une bulle de gaz mettant fin à l'affrontement. Je me mis à rire, ce qui surprit Weiss.
-(Ir) Ha ha ha.
-(We) Qu'est-ce qu'il te fait rire comme ça ?
-(Ir) Ha ha, cette situation est grotesque. On est là bêtement tous les deux, comme des gosses, pour savoir qui va gagner la partie. Tu sais très bien depuis le temps que je suis plus têtue que toi. Alors gagne du temps et viens !
-(We) Pourquoi faire, continuer à vivre cette vie qui n'a aucun sens ?
-(Ir) Aucun sens ? Tu rigoles. On déménage pour trouver un endroit plus accueillant, on va pouvoir profiter de l'océan, tu me dis que ça n'a aucun sens ?!
-(We) Oui, sans personne à mes côtés, l'océan ne m'intéresse pas.
Son regard est vide, ses paroles dénuées de sentiments. Je ne comprends pas son désespoir.
-(Ir) Quasiment toutes les sirènes veulent passer leur vie à tes côtés. Tu trouveras celle qui te convient, ne t'inquiète pas, on est encore jeunes.
-(We) J'ai déjà trouvé celle que je recherchais, mais elle est hors de portée, elle m'abandonnera à la première occasion.
-(Ir) Je ne sais pas de qui tu parles, mais ça serait la reine des idiots. Tu es aussi beau que le ciel lors d'un coucher de soleil, le plus fort et courageux de la colonie. Quand tu le veux, tu peux être le plus attentionné, et je sais de quoi je parle ! Alors ne dis pas de bêtises, si elle savait ce que tu ressentais, elle ne te comblerait que de bonheur.
-(We) Hahahahahahahahahaha.
Son regard avait changé, il était devenu aussi pétillant qu'un ciel rempli d'étoiles. Il sourit bêtement, ses joues légèrement rougissantes, il posa ce ciel étoilé sur moi, me faisant frissonner, ma nageoire dorsale se raidit, mon cœur s'accéléra, mes joues prirent une teinte rose soutenue.
-(We) Irina, tu es généreuse en compliments, haha. Tu n'es pas en reste, on doit te le dire souvent, mais tu es toujours la plus belle de cette colonie.
Passant ses mains dans mes cheveux flottants.
-(We) La seule à toujours t'occuper des autres, même si tu n'aimes pas leur compagnie. La seule à prendre des risques pour le bien-être d'autrui.
Irina, je heu... je heu...
Il changea du tout au tout, comme si un interrupteur avait tout éteint en lui.
-(We) Laisse tomber, remonte s'il te plaît, laisse-moi gagner cette bataille, s'il te plaît.
Je ne l'avais jamais vu me supplier du regard, j'ai failli plier à sa demande, mais son désespoir se lisait dans ses yeux.
-(Ir) Weiss, je...
Je ne peux pas te laisser comme ça, dis-moi ce qu'il y a !
-(We) Oh, si tu le peux, d'ailleurs tu ne vas pas tarder à m’abandonner. Alors gagne du temps et pars maintenant.
Ses changements d'humeur me font tourner en bourrique. Du désespoir, il est passé à la colère, son regard devenant dur et noir.
-(Ir) Ne dis pas n'importe quoi ! Je n'abandonnerai personne, je...
-(We) Tu ne t'en rends même pas compte ?
-(Ir) Rendre compte de quoi ?
Arrête de tourner autour, bordel !
-(We) Tu changes, ne t'es-tu pas aperçu que tes écailles, si belles, deviennent ternes ?
-(Ir) On vit dans les abysses, c'est normal qu'elles se ternissent, on est tous pareils.
-(We) Oui et tu vas me trouver quelle excuse pour les écailles que tu perds ?
-(Ir) Je ne perds pas mes écailles !
-(We) Tu vis au-dessus de nous, on les voit tomber, à part ça, t'en perds pas !
-(Ir) Ça doit venir de ma blessure, tu l'as dit toi-même, elle était énorme, les écailles abîmées sont remplacées.
Je ne vois pas où tu veux en venir.
-(We) Ton odeur change, je l'ai sentie en te portant jusque-là, c'est encore léger.
Inconsciemment, je renifle mes bras, ne décelant que l'odeur du gaz venant d'en bas.
-(We) Bientôt, tu auras envie de remonter à la surface, tu auras envie d'aller sur terre, tu auras envie de trouver un triton, tu auras envie...
Sa voix s’étrangla, il ne termina pas sa phrase, me tournant le dos.
A-t-il raison, ma mue commence-t-elle ? Non ! Non, pas maintenant, pas encore. Je restais figée, assommée par cette vérité qui montait en moi et me terrifiait.
Weiss, la fin de sa phrase, sa voix, pourquoi ? Il pleure ?
-(Ir) Weiss, tu...
Plop.
-(Ir) Weiiiss !
Ma tête tourne, mon corps s'alourdit, cette odeur, j'ai oublié les poches de gaz. Je lutte pour ne pas m'évanouir, je veux lui demander ce qui le met dans cet état. Je sens ses bras me rattraper, me serrer contre lui, je sens des petits cristaux atterrir sur mon ventre, cette fois-ci, je suis sûre, Weiss pleure.
-(We) Haaaaafff ! Ce n'est pas possible, comment fais-tu pour être toujours en vie ? Il t'arrive toujours un truc chaque fois que j'ai le dos tourné.
Je l'entends pester contre moi, j'essaie de lui répondre, je lutte de toutes mes forces pour reprendre mes esprits.
Je le sens, il me serre dans ses bras, il pleure, mais pourquoi ?
-(We) Si tu pouvais comprendre à quel point être près de toi me fait mal. Si tu savais à quel point je...
Sa voix devient de plus en plus lointaine, il a mal à cause de moi, ses paroles me font perdre ma concentration, je n'arrive plus à lutter, tout devient noir.