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Chapitre 3

TW : incitations au suicide


— Tu connais le groupe de musique « Jayu » ? me demande Yesul en se redressant.
— De nom mais j’ai jamais écouté. Attends… Me dis pas que c’est vous ?!
— Euh… Si…
— Et pourquoi aucun de vous ne m’a prévenue ?
— On s’était mis d’accord pour que tout ne tourne pas autour de notre « popularité ». On n’a pas envie que les potes qu’on se fasse ne soient là que pour la thune.

Je n’en crois pas mes yeux. C’est du foutage de gueule. Je savais, au fond de moi, que je n’aurais pas dû lui faire confiance.

— Ah parce que tu penses que je suis comme ça ?! Je t’apprécie pour qui tu es. Pour tes qualités comme tes défauts. Pour ton sarcasme et ton ironie inconditionnelle. Mais aussi pour ton air sérieux quand on parle de quelque chose d’important… Tu crois vraiment que je veux uniquement ton argent ? Si c’était ça, j’aurais tout simplement continué mes études.
— Loan, c’est pas contre toi. On fait ça avec toutes nos nouvelles rencontres et tu n’as pas fait exception. Au départ, je pensais pas qu’on allait si bien s’entendre en plus.

Et moi, j’en ai assez entendu. Ils ne m’ont rien dit depuis le début. Ça me sidère de savoir qu’ils m’ont mis dans la merde à ce point. Je me retrouve à recevoir dix messages par secondes de je ne sais combien de personnes différentes qui me disent d’aller me pendre, de passer sous les roues d’un train ou tout moyen susceptible de me faire crever. Comment peut-on oublier qu’on a un humain en face de nous, même si on ne le voit pas ? Quelqu’un comme nous, qui veut tout simplement vivre, être tranquille et pouvoir se faire les amis qu’il veut. Je vais m’enfermer sur le petit balcon.

Yesul m’appelle. Une, deux, trois fois mais je ne réponds pas. Il laisse un message sur mon répondeur que je ne prends même pas le temps d’écouter. Je veux être seule. Je dois me remettre de toutes ces émotions, de cette trahison, qui m’ont d’ailleurs poussée à être plus sincère que ce que je n’avais prévu. J’éteins mon téléphone et m’enfonce dans le banc. Je souffle.

Putain mais pourquoi moi ? Suis-je vraiment destinée à être seule toute ma vie ? À enchaîner mensonges sur abandon.

Donc je viens d’apprendre que mes nouveaux potes sont connus dans tout le pays, que la probabilité qu’ils soient privilégiés est très haute et que le fait que Yesul puisse voyager comme ça entre les régions soit dû à son titre de chanteur. Je n’y crois pas. Comment ont-ils pu me cacher ça ? Quelque chose d’aussi important.

— Putain ! m’écrié-je.
— Quoi putain ?! Ouvre pour qu’on parle !
— Non.
— Bah rallume ton portable !

Il m’insupporte déjà. En revanche, si je veux qu’il me laisse tranquille le plus rapidement possible, je vais devoir faire semblant de coopérer. Je saisis mon téléphone qui était posé à mes côtés et le rallume.

Yesul | Je suis désolé Loan. Vraiment. Je pensais pas que tu allais le prendre comme ça et si tu veux que je sois totalement honnête, je croyais que tu n'allais jamais l'apprendre
Yesul | C‘est quelque chose à laquelle je n'attache pas vraiment d'importance, pas dans le sens où je le nierai en bloc, car ça reste ma plus grande passion, mais dans le sens où ce n'est pas ce qui me définit. Les gens oublient souvent qu'une personne se cache derrière leur star. Et je n'avais pas envie de ça entre nous
Yesul | Je sais pertinemment que tu n'es pas comme ça, mais javais quand même cette petite peur au fond de moi que notre amitié soit gâchée à cause de ça. Car on est facilement influencé
Yesul | Je suis sincèrement désolé, vraiment. Je veux pas te perdre maintenant et surtout pas à cause de ça, t'as l'air cool comme personne qui vient pas de Bora :)
Yesul | Et on est tous d'accord pour se dire ça

Je me demande bien ce qu’il se passe dans son esprit. Je ne le comprends pas et je n’ai plus envie de faire des efforts pour. Je pensais que je pouvais lui faire confiance depuis qu’on ait passé je ne sais combien de temps enfermés ensemble, à discuter de nos vies. Mais apparemment, je me suis trompée. Je me sens trahie.

Yesul | J'essaierai de ne plus te cacher quelque chose d'aussi important dans ma vie
Yesul | Et si ça ne te convient pas, tu pourras partir et ne plus jamais me reparler
Yesul | J'accepterai et respecterai ton choix, quel qu'il soit

Loan | Tu dis ça pour m'amadouer ?

Yesul | Non, c'est parce que je tiens à toi
Yesul | Putain, pourquoi tu me crois pas ?!

Loan | Ça fait genre une semaine à peine qu'on se connaît

Yesul | Et alors ? Ça n'empêche pas que je puisse penser que t’es une personne géniale

Loan | Pourquoi je croirais une personne qui n’a fait que me mentir depuis le début ? Une personne en qui j'avais placé une grande confiance, avec qui je me sentais en sécurité et non jugée... ?

J’ai l’impression qu’il minimise ce que je lui dis. Comme si ce n’était pas grave et que c’était une erreur comme une autre. Il toque à la baie vitrée, les yeux brillants à la lueur de la lune. J’entrouvre le mur transparent qui nous sépare.

— Si tu es d’accord, on essaie de redevenir pote jusqu’à ce que tu sois rentrée à Pyeonghwa, où tu seras en sécurité. Après, c’est à toi de décider si tu veux qu’on continue à parler ou non. Tu pourras même supprimer ton numéro de mon téléphone avant que je parte pour être sûre que je ne te reparlerai pas. Et promis, je n’ai pas écrit ton numéro sur un bout de papier pour feinter.

Je lève les yeux au ciel. Qu’est-ce qu’il peut être intelligent et mature quand il veut. Je devrais peut-être le faire à mon tour. Je ne peux pas le laisser faire l’entièreté des choses. Ce n’est pas comme ça qu’une relation marche. Et puis, de toute façon, il y a énormément de chance que je sois coincée avec lui jusqu’à la fin de ses vacances alors autant qu’on se réconcilie. Au moins pour ça. J’ai vraiment la flemme de devoir vivre avec une telle pression.

— « C’est une folie de haïr toutes les roses parce que une épine vous a piqué », murmuré-je en arrivant dans son dos.
— Et « d’abandonner tous les rêves parce que l’un d’entre eux ne s’est pas réalisé », répond-il.

Saint-Exupéry. Le Petit Prince. Une magnifique histoire, l’une des seules que j’ai lues et celle que j’ai eu le plus de mal à trouver. En même temps, il n’y a pas d’intérêt à proposer un roman philosophique qui remet tout en question à une population à laquelle on ment. Cette histoire m’a bouleversé et énormément ouvert les yeux sur le monde qui m’entoure, sur ma relation avec les autres mais aussi sur moi-même. Elle remet en question tellement de choses.

— Je peux te faire un câlin ? me demande-t-il.
— Pourquoi ?
— Parce que j’ai eu peur. Je tiens quand même à toi et j’ai bien cru que c’était fini. C’était flippant…

Je le prends dans mes bras et caresse son dos pour lui signaler que tout va bien, qu’on va essayer d’arranger tout ça ensemble. Je lui en veux toujours mais je pressens qu’il est sincère quand il me dit qu’il s’est vraiment inquiété et qu’il tient probablement à moi. Même si je n’arrive toujours pas à y croire entièrement.

— J’avais juste besoin d’être seule.
— Je comprends, c’est un besoin vital. Sinon, tu veux qu’on aille se balader dans Jaa ? Pour un peu te changer les idées et éviter de rentrer tout de suite ?

C’est un peu risqué mais j’accepte avec grand plaisir. Il sait comment me remonter le moral. C’est assez adorable. Je ne pensais pas qu’il faisait aussi attention à son entourage. Un petit tour ne me fera pas de mal.

— Au fait, vous n’aviez pas peur que j’apprenne que vous faisiez partie du groupe à cause des fans ?
— Pas tant que ça, finalement, très peu s’intéressent à nous. Y’a pas vraiment de risque car les régions censurent souvent les posts parlant de nous, ils ne veulent pas qu’on nous connaisse. Donc, oui des fois, ça fuite et les gens savent à quoi on ressemble, mais pour ceux qui ne sont pas à l’affût, ils ne le savent pas. Là, les fans ont partagé des photos de nous deux au stade. Tu te souviens quand tu parlais avec Saja depuis ton téléphone et que je te l’ai pris ? Ils ont créé des rumeurs là-dessus comme quoi on était réellement ensemble car je m’inquiétais et m’énervais de savoir que tu parlais avec quelqu’un d’autre que moi.
— Ils vont chercher loin quand même.
— Je ne sais pas si tu as remarqué mais la grande majorité des posts à ce sujet était juste offusquée que deux membres de Cercles différents passent du temps ensemble. Ils ne s’attardaient pas sur le grand Yesul, chanteur du groupe Jayu ! On ne craint pas trop à propos de ça !

On décide de se balader dans la ville, passant par des petites ruelles faiblement fréquentées mais assez éclairées par des lampadaires pour être chaleureuses. Quand on passe devant des fenêtres, on sent la bonne odeur des plats chaleureusement préparés ou réchauffés. J’aime ce moment.

— À chaque fois que je marche la nuit et que les réverbères sont allumés, j’ai l’impression de vivre une chanson que Yoona avait écrit il y a quelques années.
— Elle parle de quoi la chanson ?
— De la solitude. Du fait qu’on ne se sente jamais à sa place, qu’on n’ait pas l’impression d’avoir de la valeur pour quelqu’un et qu’on n’est pas légitime de ressentir des sentiments négatifs. Ça parle aussi un peu de la peur de se dévoiler aux autres, d’exprimer ses émotions, donc on s’enferme sur nous-même et on finit comme ces lampadaires : seuls à briller dans le noir sans que personne ne puisse voir notre lumière.1


1 Référence à la chanson « Streetlight » de Seo Changbin


— Eh beh, vous en dites des choses dans vos chansons.
— C’est le concept même de la musique : pouvoir s’exprimer par le biais de l’art. Et sinon avec la vague de haine que tu as reçu, ça s’est arrangé ou non ?
— Pas vraiment mais bon, je dois m’habituer sinon, je ne pourrai plus vous parler.
— Tu veux en parler à Seoyun ? Elle pourra peut-être faire quelque chose ?
— Non, l’embête pas avec ça. Je pense être assez mature pour prendre du recul et passer outre. J’ai paniqué tout à l’heure car je ne comprenais pas, mais maintenant que je sais pourquoi on m’envoie tous ces messages, ça me permet de m’éloigner. À vrai dire, j’ai l’habitude que les gens me détestent.

La nuit est calme, un peu trop calme à mon goût. J’ai peur quand le temps est apaisant, que les longs moments me paraissent durer quelques secondes et que tout a l’air d’aller bien. Dans beaucoup de cas, cela ne présage jamais rien de bon : une catastrophe risque d’arriver.

Mon portable continue de vibrer et de s’illuminer, signe que les fans en décousent encore avec le fait que je sois la nouvelle amie – enfin, petite-amie d’après les rumeurs – de leur star préférée. Je ne comprends toujours pas comment on peut jalouser à ce point, comment on peut haïr et vouloir la mort de quelqu’un qu’on ne connaît pas. Je n’arrive pas à comprendre comment on peut déverser toute son énergie pour inciter quelqu’un au suicide.

— T’as le même type de problème avec tes autres amis hors Jayu ?
— Pas vraiment car ce sont majoritairement des garçons. Ce n’est pas un réflexe de jalouser quelqu’un qui est du même sexe que moi car les mentalités sont encore conformées aux couples hétérosexuels. Mais j’avoue que ça me ferait rire si un jour je me ramène avec un mec alors que tous les fans ont voulu exclure quelconque figure féminine de mon entourage.
— Ouais c’est vrai que ça serait fun. Mais bon, tu fais ce que tu veux après tout, ça les regarde pas. Et ils devraient être plus heureux que quoi que ce soit que tu trouves le bonheur.
— Certes, mais bon, tu connais l’être humain ! finit-il en riant nerveusement.

On a tous nos problèmes, à des niveaux différents, qui affectent différemment notre vie. Mais qui font tout aussi mal.

• ❆ •

— Bon Loan, dis-moi ce qui ne va pas. On peut réfléchir ensemble si ça peut t’aider. Je vais tenter de trouver des hypothèses mais je te promets rien. On pourra même en parler aux autres ! me pourchasse Yesul dans notre petite chambre d’hôtel.
— C’est juste que je trouve ça vraiment pas normal que les dirigeants nous voilent tant que ça les détails de l’affaire de l’attaque. Comme si y’avait un truc super important qu’on devait pas savoir.
— Comme si c’était un coup d’État ?!
— Non mais tu vois le genre. Comme si c’étaient des rebelles qui avaient fait ça et qu’on devait pas le savoir pour pas qu’on ait l’idée de faire la même chose.
— Et tu penses que tes parents sont en lien avec ça ? Tu penses que ce sont des rebelles ?
— Pourquoi pas ? Ils ont disparu en même temps que les attaques. Et depuis, zéro contact, niet, que dalle ! Imagine ! Ils sont peut-être emprisonnés quelque part !
— Ou alors ils sont du parti des dirigeants et ils travaillent secrètement pour eux ! Leur identité a sans doute été révélée et ils ont dû s’éclipser !
— Tu vas chercher loin mec mais c’est plausible.
— Ou ils ont probablement été tués pendant l’attaque et on n’a pas encore réussi à analyser leur ADN.
— Tu vas beaucoup trop loin là.
— Je préfère le fait que ça soit des agents secrets, c’est vachement plus classe !
— Yesul, arrête s’il te plaît… bégayé-je avant que mes larmes n’entrent en collision avec l’air.

Il se tait instantanément et pose sa main sur mon épaule pour me réconforter.

— Pardon, je rigolais. Je ferai attention la prochaine fois. Tu veux qu’on parle d’autre chose ? Comme de ce qu’on peut faire demain ! Il y a un parc d’attraction à Geungji. J’ai entendu des gens qui en parlaient ce matin, au stade. C’est sur le retour, on peut y faire un tour avant de rentrer si ça te chante et peut te changer les idées. Je pense qu’on aura large le temps avant de se faire repérer. T’aimes les manèges à sensation ?
— Ça va et toi ?
— Ouais j’aime bien. Ça va être cool ! Tu veux que je propose à Min-Jun de nous rejoindre ? Ça va le dépenser un peu, il passe trop de temps enfermé chez lui avec ses chats. Il va péter un câble à force. On dirait une vraie grand-mère célibataire.
— Non ça va merci. J’ai assez vu sa gueule pour m’en passer pendant un mois ! réponds-je en m’esclaffant.
— Fais gaffe ou c’est toi qui vas finir la tête la première dans le pot de fleurs !

Il regarde sur Internet et me montre quelques images de l’endroit où nous irons demain. Ils proposent du tir à la carabine et je sens que je vais passer toute l’après-midi là-bas. De son côté, Yesul veut absolument aller au labyrinthe des miroirs.

— Je te voyais plutôt à la pêche aux canards, rié-je.
— Tu te crois drôle en plus ?!

Je lui donne un coup de coude avant de me lever et d’aller m’asseoir sur le balcon pour regarder les étoiles. Jaa est un meilleur endroit que Pyeonghwa pour les observer. La pollution lumineuse est beaucoup moins violente. Yesul me rejoint et on admire tous les deux le magnifique ciel bleu roi pendant de longues minutes. Je me demande ce que ce spectacle doit donner quand on est sur les collines de Bora. Ça doit être magique.

— Tu penses qu’on arrivera un jour à rétablir la paix à Yeongwo ? demandé-je.
— Je l’espère. On y travaille en tout cas.

Un silence s’installe. Léger et agréable. Apaisant et doux. Le vent fait flotter certaines de nos mèches et caresse notre nuque. Je respire enfin sereinement sans me soucier du monde qui nous entoure. Tout va bien.

Enfin, c’est ce que je croyais jusqu’à entendre mon ami souffler bruyamment.

— Loan, on va avoir un problème.
— Quoi ?
— Min-Jun a entendu une conversation en passant devant le poste de gardes et ils nous attendront à la gare de Gippeum normalement. Ils ont vu les photos. Donc le plan du parc d’attraction tombe à l’eau. On rentre directement chez toi. Une fois à Geomeun, ils pourront plus rien dire et plus rien faire. Tu seras éventuellement surveillée mais rien de plus. Là s’ils te chopent…
— Merci, n’en dis pas plus. Je sais.

Je me fais toujours bombarder de notifications de fans qui me gueulent dessus ou qui se moquent de nous car j’étais sur mon téléphone pendant dix minutes durant le match. Ces gens-là commencent vraiment à me taper sur le système, j’en ai ras le bol. On dirait que je ne pourrai jamais être tranquille. Je vais devoir indéfiniment supporter les critiques des autres car je ne corresponds pas à leurs attentes.

— Je suis fatigué, se plaint mon ami.
— Bonjour fatigué !
— Oh ta gueule, t’es pas drôle.
— C’est normal, je suis Loan !
— C’est bon, t’as fini ? Eh mais attends… ça veut dire que tu vas mieux ! Trop bien ! Tu vas pouvoir dormir sur tes deux oreilles !
— Mouais, en espérant que personne ne nous ait vu rentrer dans cet hôtel.

Il met un réveil pour six heures du matin et conclut un accord avec le personnel pour qu’ils nous préparent un petit déjeuner en dehors des horaires d’ouverture qu’on emportera dans le premier train qui passera à la gare. Ils sont apparemment fans de Jayu. Ça sert parfois d’avoir de l’influence. Une fois arrivés à destination, on foncera chez Saja et à partir de là, je serai « protégée ».

— D’après les rumeurs, on serait en couple toi et moi, m’annonce Yesul en se glissant dans son lit.
— Putain, elles sont gentilles tes rumeurs. Les miennes disent que je traîne avec toi pour ton argent. C’est sympa ça !
— Ouais bon, un classique quoi.

La journée de demain s’annonce difficile et on a grand besoin de repos. Pourtant, j’ai du mal à m’endormir. Je crois que j’ai subi trop de pression ces derniers temps et elle a du mal à retomber. Je veux qu’on me foute la paix.

• ❆ •

Yesul | Ça va ?

Loan | Mec, pourquoi tu m'envoies un message ? On est littéralement assis à côté avec dix centimètres qui nous séparent

Yesul | C’est dix centimètres de trop :(

Loan | Bon, tu veux quoi ?

Yesul | Parler sans qu'on puisse nous entendre
Yesul | Min-Jun vient de me signaler que la police attend à la gare de Gippeum, ça veut dire qu'ils risquent d'encercler ie train le temps de son arrêt
Yesul | Il faudra qu'on réagisse rapidement pour pas se faire choper

Loan | Comment tu veux faire ça Monsieur le malin ?

Yesul | Aucune foutue idée

Loan | Parfait !

Je le regarde et lève les yeux au ciel. Je pose mon téléphone sur la tablette du siège de devant et sors mon petit-déjeuner. On était pressés ce matin, on a failli louper notre train. Yesul jette un regard à mon téléphone dont l’écran ne fait que s’allumer et comprend que les fans ne m’ont toujours pas laissée tranquille. Je présume que ça n’arrivera pas tant qu’on restera en contact tous les deux.

— Tu penses qu’on pourra rester amis ? lui demandé-je.
— Bah ouais pourquoi ?
— Parce que je t’avoue que ça me fait de plus en plus chier et ça commence fortement à me blesser. Je pensais pouvoir passer au-dessus… Je ne connais aucune de ces personnes et pourtant elles me vouent une haine pas possible. La jalousie peut tuer mais elles s’en rendent pas compte. Et je présume que tu veux garder ton taff.
— C’est pas un taff, c’est un loisir que je fais à côté de ma carrière de photographe en fait. Je suis vraiment désolé pour toi, tu mérites pas ça, vraiment pas. Mais bon, écoute. C’est toi qui vois. On peut continuer à se voir ou non. Tout dépend de toi. Moi, je sais que ça me dérange pas qu’on reste pote, au contraire. Mais si ça te fait souffrir et que tu n’as plus envie de supporter ça, je comprends. Je préfère te voir partir heureuse.

Je lui souris avant de lui confirmer qu’on restera ami quoi qu’il arrive. On parviendra à trouver un équilibre, j’en suis sûre. Ça sera sûrement long mais on y arrivera. Je n’ai pas envie de rompre le lien qu’on a réussi à créer entre nous. Je tiens à lui et aux autres membres du groupe. Je me sens à ma place parmi eux.

• ❆ •

Le train ralentit à l’arrivée en gare de Gippeum. Le paysage est tout aussi beau, bien qu’une partie soit cachée par les collines et la forêt. Certains passagers se lèvent et se dirigent vers les portes tandis que d’autres dorment ou discutent. Je guette les quais, à la recherche de la police mais n’en vois pas une seule trace. Je vois des gens courir pour ne pas louper leur transport mais je n’en vois aucun courir vers nous, pressés de nous retrouver.

— Si tu les aperçois quelque part, tu me le dis. Je pense qu’il faudra que t’ailles te cacher dans les toilettes ou un truc comme ça. Histoire de gagner du temps.
— Pour l’instant, y’a personne.

Mon ami paraît étonné. Min-Jun ne l’a pas contacté à propos d’un quelconque changement de plan donc j’imagine qu’ils seront là d’une minute à l’autre. Mon rythme cardiaque s’accélère à l’idée que je puisse me faire arrêter dans une ville inconnue et où les répercussions seront bien plus graves qu’à Pyeonghwa. En temps normal, les « voyageurs » sont uniquement renvoyés dans leur région et punis par une surveillance constante pour s’assurer qu’ils ne le fassent pas une nouvelle fois. Mais dans certains cas particuliers dont personne ne connaît les réelles raisons ou causes, il est possible que ces voyageurs soient détenus dans la région où ils ont été retrouvés et je n’ai absolument pas envie que ça m’arrive. J’ai envie de rentrer chez moi, dans un endroit familier et confortable.

— Bon, pour l’instant, on est bien barrés.
— Attention, le train va bientôt partir.

Alors que la sonnerie se fait retentir et que les verrous s’enclenchent, on voit au loin un groupe de policiers débarquer en courant et en criant, suivis par Min-Jun. Ils doivent certainement demander aux employés de la gare de faire arrêter ce train mais c’est contre la loi du pays. Noran a établi une règle très stricte à propos de ce genre d’arrestations.

— « Ne sont prioritaires que les arrestations concernant un criminel ou une personne hautement recherchée mettant en péril l’avenir du Cercle Jaune. » Dans vos gueules ! s’exclame Yesul.

Notre ami du Cercle Jaune nous informe qu’il a réussi à les retenir assez longtemps pour laisser le temps au train de repartir. Nous sommes donc protégés jusqu’à notre destination. C’est si drôle de les voir râler. On sort tous les deux nos casques pour écouter de la musique. Yesul me fait découvrir quelques musiques des fameux Jayu.

— C’est fou comment vous avez des styles de musique différents !
— Ouais on essaie de varier pour que ça plaise à tout le monde. Et ça nous permet aussi d’explorer de nouveaux horizons.

Je regarde le paysage passer, les arbres défiler à toute vitesse et le vide constant qu’il y a entre les villes. Les endroits qui ne sont pas habités sont tellement tristes, comme oubliés. Depuis la guerre, chaque ville s’est repliée sur elle-même, au tel point qu’il est assez rare de voir la population se déplacer au sein de sa propre région. La peur du nouveau, du différent. Tout cela réuni forme un regroupement des semblables et une exclusion des autres.

On descend du train et on se balade un peu dans les quartiers qui entourent l’université avant de partir. Mon ami cherche une boulangerie pour pouvoir y acheter des viennoiseries pour ce soir. Quand on passe à côté d’eux, les gens nous regardent d’un air suspect, interrogateur. Ça ne change pas vraiment de d’habitude mais aujourd’hui, ils donnent l’impression d’être plus menaçants.

— Putain mais vous foutiez quoi à Jaa bordel ? s’exclame une voix dans notre dos.

On se retourne et on fait face à un camarade de classe de Saja que j’ai rencontré il y a quelques jours.

— Vous êtes au courant que vous avez failli y passer ? Ils ont fait circuler des avis de recherche dans tout Geomeun !
— Hein mais pourquoi ? râlé-je. J’étais même pas dans la région !
— Justement, t’étais à Noran et ils ont peur que t’aies ramené des infiltrés de là-bas. C’est la panique depuis les attaques. Vous allez très vite être mis sous surveillance. Toi aussi Yesul car tu n’as pas dénoncé Loan. Si ça continue, tes privilèges vont être annulés. Ça serait vraiment bête.

Les gardes sont bien à nos trousses, prêtant attention au moindre geste, parés à entamer une course poursuite. Je sens que certains hésitent même à nous sauter dessus pour nous arrêter : comme si c’étaient des héros.

L’un d’entre eux nous approche, les sourcils froncés et une baguette de pain à la main. Il veut se montrer intimidant. Il nous aborde, essayant de nous coincer dans l’angle d’une ruelle. Il tente de nous interroger, de récolter tous les détails possibles sur notre sortie au sein de la région du Cercle Jaune. Sa collègue rapplique, buvant un thé glacé. Ils ne veulent pas nous laisser filer. Probablement pas jusqu’à ce qu’on leur avoue que j’étais bien à Jaa pour le match de baseball.

Après une tentative qui aura duré une bonne dizaine de minutes, ils baissent les bras et s’en vont.

— Je comprends mieux pourquoi tes parents t’ont abandonnée ! lance la garde pour finir avec une belle note d’amertume.

Yesul me prend par l’épaule. Il sait que c’est mon point faible.

• ❆ •

— Ok alors. On a apporté du bibimbap et des bouteilles de soda, annoncé-je en ouvrant son sac.
— Nous on a pris du dessert et des chips, ajoute Yesul, impatient de manger.
— Bon appétit ! s’exclame Seoyun en tapant des mains.

Une odeur alléchante embaume l’air du petit bunker de l’hôpital abandonné pendant qu’on discute de notre péripétie à Noran, de la police – encore incompétente – de Gippeum. On finit par aborder le sujet des attaques de Pyeonghwa.

— C’est vrai que c’est suspect que tes parents aient disparu en même temps que les attaques. Et t’as toujours pas de nouvelles ?
— Non et les quartiers sont toujours pas ouverts au public. J’ai même pas l’impression qu’ils cherchent des coupables.

Ce soir, on est tous les cinq : Yesul, Seoyun, Yoona et Myeongseong, deux de leurs amis que je n’ai jamais vus. Ils sont assez intimidants du simple fait que je ne les connais pas. Yoona a l’air assez détachée, comme si elle avait une sorte de masque sur son visage, qui ne laisse transparaître aucune émotion. De son côté, Myeongseong recoiffe ses cheveux crépus grâce au reflet de son téléphone. Saja a décidé de rester à Pyeonghwa car il commence tôt demain matin. Il veut dormir.

Chacun récapitule ce qu’il a entendu chez lui, à la télévision, en même temps que Yesul note tout dans son carnet. Nous en sommes vraisemblablement presque tous au même point : on ne sait pas ce qu’il se passe mais on devine que c’est grave.

— Saja vient de m’écrire que les attaques ont été faites par des infiltrés du Cercle Rouge. Ça expliquerait pourquoi ils t’en veulent autant d’avoir quitté la région, nous informe le membre du Cercle Violet. Tout devient logique !
— La question, c’est plutôt pourquoi est-ce qu’ils auraient voulu attaquer Pyeonghwa ? Y’a rien là-bas, réfléchis-je.
— On l’apprendra sûrement plus tard.
— En attendant, où est-ce que vous allez vivre maintenant que vous êtes en cavale ? nous interroge le fameux Myeongseong, le meilleur pote de Yesul, en soufflant sur une de ses mèches marron pour la remettre en place.
— Aucune foutue idée mec.
— Vous pouvez venir chez moi si vous voulez, je suis sûr que mes parents ne diront rien au Gouvernement. On a une grande maison avec assez de chambres pour tous vous héberger. Aussi, la ville est tellement grande que vous passerez inaperçus ! Il suffit juste que vous changiez d’habits et que vous cachiez vos signes distinctifs…

Yoona lui lance un regard noir. Elle empoigne ses cheveux et les approche de Myeongseong.

— Ah parce que tu crois que ça va passer ça ?! T’as pas plus cramé tant qu’on y est ?!

Des cheveux rouges. Seuls les habitants de Ppalgan ont le droit d’en avoir.

— Tu mettras un bonnet, ça va aller. C’est la ville de la mode je te rappelle, tout le monde en porte. On ira t’acheter une décoloration si tu veux.

Elle croise les bras et souffle bruyamment. Ce plan me paraît très bancal mais est peut-être la seule solution à notre problème.

— Tu ne rentres pas tout simplement chez toi ? m’étonné-je.
— Maintenant qu’on sait que c’est ma région qui a attaqué la tienne, je ne suis pas sûre que je puisse foutre un pied sur le territoire. Ils aiment bien la sécurité chez moi… finit-elle en attachant ses longs cheveux rouges en queue de cheval.

Yoona, fidèle au Cercle Rouge, ne ménage pas les autres. Elle s’énerve extrêmement facilement et peut rapidement devenir violente, autant dans les mots que dans les actes. Elle me fait un peu penser à Min-Jun sur certains aspects. De l’autre côté, Myeongseong est plutôt détaché de la situation actuelle. J’ai l’impression qu’il ne saisit pas les vrais enjeux et qu’il ne voit pas ce qu’il se passe réellement.

Seoyun, la plus sage d’entre nous nous confie qu’elle en a marre de sa petite ville. Elle préfère l’aventure et décide donc de nous accompagner. Je ne comprends pas tout à fait leur choix, mais ils doivent avoir leurs raisons.

On décide de laisser toutes les couvertures et les oreillers ici, dans un cas d’extrême urgence où il faudrait venir se réfugier quelque part. En partant, on passe devant cette bâtisse qui m’aura tenue compagnie une grande partie de ma vie. Je me retourne, contemplant la façade de la maisonnette. C’est un souvenir qui restera dans ma mémoire : mon premier groupe d’amis. Je n’ai pas peur d’être moi-même face à eux et n’hésite plus à engager les conversations.

— Comment se passe la vie au Cercle Rouge ? demandé-je, curieuse de savoir si je suis vraiment née dans la pire région possible.
— Bul, ma ville natale, c’est plutôt cool mais beaucoup trop aride, répond Yoona. Il fait méga chaud et y’a pas grandes activités à faire. Le seul truc attractif c’est le volcan, qui heureusement est éteint depuis des siècles sinon ça serait la catastrophe. On peut aller y chercher des pierres de rubis, y’en a une quantité phénoménale, c’est incroyable.
— C’est libre d’accès ?! m’étonné-je.
— Oui, chez nous, le rubis c’est assez habituel. Chaque habitant a au moins une pierre chez lui donc on n’a pas grand intérêt à en faire un commerce. Mais les artisans les utilisent pour en faire des armes.

C’est passionnant d’en apprendre plus sur les modes de vie qu’on nous cache lors des enseignements en classe. On nous a toujours décrit la région du Cercle Rouge comme un désert, dépourvu de vie. Un pays où il ne fait pas bon vivre, où on s’ennuie. Un pays où le seul hobby serait la violence et la bagarre.

• ❆ •

— Courrez ! hurle Seoyun derrière nous.

Yesul me tire par le poignet pour m’aider à avancer plus vite. La pluie s’est calmée mais l’air est très froid, il me brûle la gorge et les poumons. J’ai besoin de m’arrêter pour souffler mais on n’a pas le temps. On doit se dépêcher de se barrer. Loin, très loin. Comme à notre habitude.

Les gardes se rapprochent de plus en plus, on est trop lents. Yoona et Myeongseong accélèrent pour entrer dans Haengbok et aller se réfugier chez les parents de notre ami.

L’été approche mais un vent glacial se lève, nous ralentissant à l’approche de la ville. Je peux apercevoir le haut des bâtiments. Puis je remarque de la fumée, c’est mauvais signe. L’odeur du bois calciné parvient à mes narines et me donne envie de vomir. Très mauvais signe. Mais on n’a pas le temps d’y réfléchir, il faut qu’on se réfugie quelque part. Yesul me tire de plus en plus, me criant d’accélérer. On voit au loin, les portes de la ville se fermer, je me demande d’ailleurs pourquoi elles étaient grandes ouvertes.

On parvient in extremis à entrer et à se faufiler dans de petites rues.

— On les a enfin semés putain, ça aura été long ! souffle Yesul.
— Oui c’est sûr, on l’a échappé belle.

Malgré le fait que Myeongseong nous ait envoyé son adresse et expliqué comme aller chez lui depuis la porte Est, on a du mal à se repérer parmi les cris et les odeurs de brûlé. Par chance, on arrive en plein centre, où tous les magasins ont été détruits et où des tonnes de gens défilent et fracassent des vitrines. On profite du mouvement de foule pour courir vers le Nord.

— C’est à droite à cette intersection et on sera arrivé ! s’exclame Seoyun.

On ralentit un peu, content de pouvoir enfin se reposer, s’allonger dans un canapé confortable et prendre une douche à l’eau chaude. On tourne, le sourire aux lèvres, voyant enfin la maison de Myeongseong apparaître devant nos yeux. Elle est grande et belle, probablement à l’image de la Famille Moon. Le toit rose pâle offre un joli et chaleureux accueil. On peut apercevoir la silhouette de nos deux amis nous faire de grands signes à travers la fenêtre. On leur répond par d’immenses mouvements de bras. Mais ils ont l’air de s’agiter, ils bougent de plus en plus rapidement et brusquement. Puis, l’un des deux disparaît pendant que l’autre continue. On presse le pas, heureux et soulagés de les voir en vie. La porte d’entrée s’ouvre soudainement et on entend un énorme bruit. Yoona court vers nous tandis qu’on se retourne pour faire face à des gardes de Bunhong. On a à peine le temps de se croiser du regard qu’on déguerpit le plus vite possible. Yoona nous rejoint, s’étant elle aussi fait repérer en sortant. On slalome de rues en rues, essayant de semer les forces de l’ordre. On passe à côté d’un bâtiment en feu, probablement celui qui a créé la fumée qui a commencé à engloutir le ciel. Des gens attendent debout, à l’extérieur, apeurés. Ils nous voient passer mais ne bougent pas d’une semelle. Cependant, ils interpellent nos poursuivants qui décident de s’arrêter. « Devoir oblige » apparemment. Mais je présume surtout qu’ils étaient fatigués de nous courir après et que ce n’est qu’une excuse.

On fait une pause entre une maison calcinée et une autre dont les vitres sont pétées.

— Il se passe quoi ici encore ?! maugrée Yesul. On peut jamais être tranquille.
— Quand on est arrivés, c’était déjà la catastrophe. Une fois arrivés chez Myeongseong, ses parents nous ont cachés dans leur chambre et nous ont raconté qu’il y avait eu des attaques du Cercle Jaune hier et ce matin, d’où les maisons en feu.

L’enfer a commencé et n’est pas près de se terminer. Il faut qu’on se prépare à d’éventuelles autres attaques. Myeongseong envoie un message à Seoyun pour la prévenir qu’on peut rentrer chez lui.

— « Personne va venir vous chercher, ils sont trop occupés avec les incendies. Et il se passe trop de trucs pour qu’ils prennent le temps de venir vérifier la maison. », nous chuchote-elle, accroupie derrière des poubelles.

Seoyun nous conduit sur le chemin du retour, arpentant des ruelles parallèles à celles qu’on avait emprunté au départ. En passant à côté de la maison – encore – en feu, on remarque que les gardes sont encore en train de discuter avec les propriétaires de celle-ci comme si de rien n’était. On accélère pour arriver au niveau de la maison des Moon. Myeongseong vient nous chercher et nous faire rentrer par la porte de derrière. On se pose dans la chambre de ses parents. Ces derniers nous apportent des matelas, des oreillers et des couvertures.

— Vous dormirez ici, veillez à ne pas laisser la lumière allumée trop tard, nous précisent-ils.

La seule fenêtre de la chambre est positionnée sur le toit et est inclinée vers le ciel, on n’aura donc pas de problème pour se déplacer. Je suis rassurée, mais en même temps, j’ai peur. J’ai peur que la merde dans laquelle le pays est en train de basculer ne fasse que s’empirer. J’ai peur qu’on finisse tous par vivre emprisonnés dans nos petits Villages sans pouvoir voir l’horizon, dissimulé derrière des murs de pierre.

On peut apercevoir de nouveaux nuages de fumée s’envoler dans le ciel, on entend des gens crier dans les rues.

— Il faut que je bouge, je peux pas rester là sans rien faire, sautille Yoona.
— Tu veux aller voir ce qu’il se passe dehors ?
— Bah ouais ! Attends, y’a de la fumée partout ! Y’a un problème !

Elle dégringole l’escalier et court dehors pour aller arpenter les rues de Haengbok. Le silence s’installe dans la chambre. Aucun de nous ne sait quoi dire, on est tous trop assommés par la réalité qui s’écroule devant nos yeux : on ne sera probablement jamais libres.

— J’espérais pouvoir amener Hayun à l’aquarium plus souvent… confie Seoyun en brisant l’atmosphère pesante.
— Les gars, c’est peut-être pas le moment, on est pas au bord de la mo… commence Yesul.
— Tais-toi, laisse-les s’ils en ont besoin, le coupe Myeongseong. Moi j’aurais beaucoup aimé qu’on puisse passer une après-midi entière à faire les magasins tous les neuf !
— J’aurais juste voulu voyager avec vous et découvrir vos régions, ajouté-je.

Nos regards se tournent vers Yesul. Apparemment, le moment est propice à faire des confessions et on veut que tout le monde participe.

— Pareil que Loan.
— T’es pas original ! rigole notre ami Bunhong.

Il lève les yeux au ciel malgré un petit sourire se formant sur ses lèvres. Je me lève pour aller prendre une bonne douche chaude. J’en ai bien besoin. Je suis exténuée, autant physiquement que psychologiquement. Je n’ai toujours pas de nouvelles de mes parents, ni de toit à proprement parler. Heureusement que mes amis sont là.

À mon retour de la douche, Myeongseong m’annonce que la ville a été attaquée par l’armée Noran. Encore. C’est le chaos. Les assaillants ont été arrêtés mais la population n’est pas contente. Ils ne se sentent plus en sécurité et leurs maisons ont été incendiées. Cependant, le Gouvernement ne fait rien pour arranger cela.

On sort à notre tour pour aller retrouver Yoona et s’assurer qu’elle va bien. Beaucoup de maisons ont été détruites, on dirait le Village Chu. Les cris qui émanaient des rues commerçantes se sont à présent transformés en un calme fracassant nos âmes. Tout a changé. Les magnifiques maisons ont toutes été détruites, les magasins ont tous été pillés, ne laissant que des morceaux de verre au sol. Je me demande si on n’est pas en train de revivre la Guerre Yeoleo une trentaine d’années après : la destruction, les manifestations, la peur. Des bruits de verre qui tombent au sol résonnent dans la ville, les habitants s’égosillent à hurler « Révolution ! », oui, mais révolution de quoi ? Que revendiquent-ils ? La paix ? En défonçant tout ce qui se trouve sur leur passage ? La liberté ? En s’enfermant dans leurs petites routines confortables ? L’amour ? En haïssant tous ceux qui sont différents et en les éloignant ? Les paradoxes de l’être humain me fascineront toujours, d’autant plus que ces actes contradictoires ne sont pas vains.

On ne croise pas le chemin de la police et ça commence à m’inquiéter. Ce n’est pas normal, sachant qu’ils se ramènent toujours quand il y a le moindre problème. J’inspecte autour de moi, beaucoup d’habitants regardent la scène depuis leurs fenêtres ou leurs balcons.

On marche, la tête en l’air, étonnés par les nuances grises et noires qui s’élèvent dans le ciel. Un peu trop en l’air. Une pluie de rochers atterrit sur le toit d’une maison voisine, le faisant s’effondrer sous les cris des habitants. Un mouvement de foule se crée, une dizaine de policiers se rassemblent pour essayer de calmer la situation mais rien ne s’arrange. Au contraire. Les gens paniquent, essaient de se réfugier dans les ruelles, dans les maisons. Yesul attrape ma main et me tire pour qu’on s’abrite au plus vite.

D’autres maisons sont en feu, des murs en bois s’écroulent en cendres et les habitants deviennent de plus en plus violents. Ils commencent à attaquer les autres. Ils n’ont même plus besoin d’une armée ennemie, ils les trouvent parmi eux.

— C’est de votre faute tout ça ! lance une vieille dame à un policier. Si vous aviez réagi correctement face au Cercle Jaune, rien de tout cela se serait arrivé !

Personne ne se serait révolté, effectivement. Tout le monde aurait continué à vivre dans une société matrixée par la perfection, qui ne les aurait jamais acceptés tels qu’ils étaient. Une société qui les aurait bouffés de l’intérieur, qui les aurait maltraités jusqu’à ce qu’ils rentrent dans les normes. Un cadre de vie où ils n’auraient probablement jamais pu connaître ce que c’est de vivre pleinement sa vie.

— On ferait mieux de rentrer chez moi, j’envoie un message à Yoona !

Je soupire et regarde le ciel enfumé. Il a raison, on devrait rester ici le temps que les choses se calment.

— En parlant de ça, vous savez où sont ceux qui ont attaqué la ville tout à l’heure ?
— Je crois qu’ils ont été arrêtés mais ça reste flou. Dans tous les cas, on peut pas dormir sur nos deux oreilles à partir de maintenant sinon on risque notre peau, répond Seoyun.
— Bonsoir et bienvenue dans le Journal de 20 heures. Dans l’actualité de ce soir, nous allons suivre les avancées de l’enquête qui a été ouverte à propos des attaques que le Village Haengbok a subi en début de journée. Notre envoyé spécial est allé à la rencontre de Rocio Jo, le fondateur de Bunhong, le Cercle Rose.
— Bonsoir, en effet, je me retrouve aux côtés de M Jo. Avez-vous des prédictions vis-à-vis de la situation actuelle ?
— Peut-être bien. L’attaque de ce matin a été commise par des membres du Cercle Jaune. Il me semblait pourtant avoir établi un contrat de paix avec Electre il y a bien des années. Je ne comprends pas tout à fait. Mais cela va de soi. La situation se corse de plus en plus et je n’hésiterai pas à riposter si le besoin se fait sentir. À tous les habitants, vous qui m’écoutez mais également aux autres régions, préparez-vous, car cela risque de ne pas être agréable ! Protégez-vous et prévenez les forces de l’ordre à la moindre suspicion.

Les parents de Myeongseong viennent éteindre la télévision.

— C’est pas le moment de se plomber le moral avec ces informations. Il est l’heure de manger !

C’est gentil de leur part mais on doit faire face à la vérité : c’est la merde et il faut qu’on fasse basculer les choses de l’autre côté avant qu’il ne soit trop tard.

— Demain, Rocio et sa femme vont tenir une conférence pour nous informer des démarches à suivre afin d’éviter les dégâts collatéraux, nous précise la mère Moon. On sera probablement transférés à Taiyang, la ville voisine. En attendant, nous souhaiterions que vous restiez ici, en « sécurité ».

• ❆ •

— Dépêchez-vous ! crie M Moon depuis l’entrée d’un renfoncement dans la terre.

Un bunker. Je ne savais pas que les dirigeants du Cercle Rose étaient aussi… Prévenants. Je les imaginais plutôt comme des artistes, la tête dans les étoiles. Personne n’aurait jamais deviné qu’on en aurait besoin un jour.

La conférence de ce matin a incité, voire obligé, tous les habitants de Haengbok, la capitale et ville la plus habitée du pays, à prendre le train et à venir se réfugier dans les bunkers de Taiyang : pire idée qu’ils n’aient jamais eue ou plutôt « comment faciliter l’installation d’un siège par les ennemis ». Il suffit qu’Electre trouve son emplacement et décide de nous coincer là-dedans en attendant qu’on se rende ou qu’on meure de faim.

— Vous avez tout ?
— De quoi dormir confortablement, de quoi manger, boire et s’occuper, enfin, si on peut appeler ça comme ça, souffle Yesul.

Le départ a été précipité et on n’a pas pu prendre autant de choses qu’on voulait. Myeongseong voulait embarquer plus d’affaires qui lui étaient chères, comme une peinture que lui avait offert Saja ou ses peluches. Par chance, on a réussi à prendre son poisson rouge et son bocal, sinon, je sens qu’il aurait fait une crise pendant pas mal de jours.

— C’est fou comment y’a pas de place ici ! ronchonne Yoona.

La pièce fait un bon cinq mètres carrés, c’est vrai que pour sept personnes, c’est peu. On a du mal à agencer nos couettes et la nourriture qu’on empile dans un coin.

— Putain, tu m’écrases, dégage ! grogne Yesul alors que Seoyun vient de s’asseoir à côté de lui.
— C’est quoi ton problème morveux ?! poursuit-elle sur le même ton.
— C’est toi espèce de vieux débris ! Même ma grand-mère est plus habile que toi alors qu’elle est morte !

Je soupire et leur balance un oreiller à la figure pour les faire taire. Tout résonne dans ce minuscule espace. Ils se calment et laissent un long silence plombant s’installer. L’ambiance est pesante et oppressante. On ne se sent pas bien ici. Personne ne sait ce qu’on va pouvoir faire dans ce mini bunker – qui ressemble plus à une prison qu’autre chose – en attendant que la guerre se finisse et que les ennemis aient fini leurs bêtises.

— Il fait nuit là, on est d’accord ? demandent mes amis.
— Qu’est-ce que vous avez derrière la tête encore ? interroge le père Moon.
— On veut sortir de ce trou. C’est pas une vie ça !

Ils se lèvent un à un, prennent leurs sacs à dos et fourrent tout un tas de nourriture dedans ainsi que des bouteilles d’eau.

— Désolé, mais je n’ai pas envie de crever et finir mes mauvais jours ici, ajoute Yoona. Moi, j’me barre, quitte à devoir vivre comme une putain de fugitive. Au moins, ça m’occupera.

Malgré le fait que je lève les yeux au ciel, je décide de les suivre sous les yeux ébahis des deux adultes nous surveillant. On se bat depuis toujours pour obtenir une once de liberté, ce n’est pas pour se plier aux ordres d’enfermement pour la « protection » de tous. C’est encore le même discours mais appliqué à une autre situation. C’est encore ces mêmes putain de phrases qu’on répète en boucle, dénuées de sens.

On prend le soin d’ouvrir la porte en faisant le moins de bruit possible, suspectant la présence de gardes autour du Village. Notre plan : ne pas avoir de plan. On ne sait pas quoi faire ni où aller. On s’arrête donc au beau milieu des prairies de Bunhong le temps de réfléchir.

— Bon, le plus proche serait de se réfugier dans les montagnes de Gal, affirme Seoyun. Cependant, il y a aussi l’idée de retourner à Chu quelques jours est tentante aussi…
— On se tire ! gueule Yoona en nous poussant vers l’avant.

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