Je fais les cent pas devant mon bureau, une main sur le menton, les pensées tourbillonnant dans ma tête. Pourquoi est-ce que rien n'avance ? Cela fait un an que j'enquête sur ce tueur en série, et chaque jour qui passe me laisse un peu plus épuisée, un peu plus frustrée. Une année entière à chercher, à courir après des indices invisibles, à assembler les morceaux d'un puzzle qui n'a jamais de fin. À part ces roses rouges... des roses fraîches retrouvées à chaque scène de crime. Comme si cet assassin se jouait de moi, une malice dissimulée derrière chaque pétale.
Je m'arrête un instant et contemple le tableau de liège accroché au mur. Des photos de scènes de meurtres, toutes différentes, toutes horribles. De simples photographies, mais elles sont mes seuls repères. Des fils rouges relient des points, des suspects, des dates. Mais rien n'éclaire la route. Pas de lumière au bout du tunnel.
Je passe une main sur mon visage, frustrée. Pourquoi est-ce que je ne trouve rien ? Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à faire un pas de plus ?
Un coup frappé à la porte me fait sursauter. Je me retourne brusquement. Mary. Elle entre, vêtue d'une robe de soirée rose, ses cheveux blonds courts et bouclés encadrant son visage d'une manière douce et énergique, fidèle à elle-même.
— Toujours plongée dans ton travail ? dit-elle en soupirant, un sourire en coin.
— Il faut que j'avance, Mary. Je n'ai rien, encore. Pas de piste. Seulement des roses... des roses rouges. Rien de plus.
Elle lève un sourcil, visiblement agacée, mais aussi compréhensive.
— Tu n'aurais pas oublié quelque chose, Kate ?
Je la fixe, surprise. De quoi parle-t-elle ?
Elle roule des yeux, exaspérée.
— Mon anniversaire, Kate ! Tu t'en souviens ?
Je me frotte la nuque, gênée, un petit sourire aux lèvres.
— Oui... bien sûr, ton anniversaire. Mais tu sais, j'ai beaucoup de travail. Beaucoup de responsabilités...
Elle lève les mains en l'air, comme pour dire qu'elle n'acceptera aucune excuse.
— Hors de question que tu restes enfermée dans cette pièce à ressasser tes meurtres et à analyser des photos ! Ce soir, je fête mes vingt-cinq ans, et tu vas venir !
Elle se dirige vers mon placard sans attendre. Je soupire, puis croise les bras, un petit sourire se dessinant malgré moi.
— D'accord, d'accord. Je viens. Mais... je vais être honnête, je ne suis pas vraiment d'humeur à faire la fête.
— Oh, mais ce n'est pas une question d'humeur, Kate. C'est une question de "tu viens, point final".
Elle fouille dans mon placard et en sort une robe verte à paillettes. Elle me la tend avec un grand sourire.
— Voilà, celle-ci ! Elle t'ira à merveille. En plus, elle mettra tes yeux en valeur.
Je la contemple quelques secondes, un peu déstabilisée, puis me dirige vers le paravent. Je commence à me changer, sachant qu'il est inutile de protester.
— Tu sais, Josh Wister sera là ce soir, dit-elle en chantonnant, toute excitée. Et je compte bien lui plaire.
Un sourire amusé se dessine sur mes lèvres.
— Josh Wister ? Il a juste une belle tête. Je parie qu'il ne pourrait même pas aligner trois phrases sans faire une faute d'orthographe.
Mary rit.
— Oh, tu es dure, Kate ! Mais je suis sûre que tu te fais une fausse idée. Il a une personnalité en or.
Je lève les yeux au ciel, un sourire moqueur flottant sur mes lèvres.
— Peut-être. Mais je parie qu'il ne sait même pas comment épeler "intellectuel".
Elle éclate de rire, mais je vois bien qu'elle n'a pas l'intention de me laisser m'échapper ce soir.
Elle me fixe alors que je termine de m'habiller.
— Waouh. Kate... Tu es superbe ! Mais il te faut un peu plus que ça. Du maquillage, des accessoires, tes cheveux... Et là, tu seras carrément irrésistible !
Mary se leva d'un bond et m'attrapa par le bras, toute excitée.
— Allez, viens, je vais rendre ton visage terne et tout fatigué éblouissant !
Je soupirai, amusée malgré moi, et me laissai entraîner jusqu'à ma coiffeuse. Je m'assois devant le miroir, posant les yeux sur mon reflet. Mon visage avait l'air aussi épuisé que je me sentais. Des poches sombres soulignaient mes yeux verts, mes traits étaient tirés par les nuits blanches passées à chercher un tueur invisible.
— Honnêtement, tu fais presque peur, plaisanta-t-elle en ouvrant les tiroirs de la coiffeuse.
— Merci, ça fait toujours plaisir, grognai-je en haussant un sourcil.
Elle farfouilla quelques instants avant de sortir sa "panoplie magique" : une palette de fards, un rouge à lèvres rouge cerise, du mascara, et même des petites paillettes. Elle se mit aussitôt au travail.
— Pour commencer, un peu de pourpre sur les yeux, ça va faire ressortir ton regard.
Je la laissai faire, docile, sentant ses gestes précis mais doux.
— Tu sais, si tu passais moins de temps à traquer des tueurs et un peu plus à t'occuper de toi... tu ferais des ravages.
Je roulai des yeux, un coin de mes lèvres se levant malgré moi.
— Je ne cherche à séduire personne, Mary. J'aime mon boulot, même s'il est épuisant.
— Oui, tu adores ton boulot, je sais, soupira-t-elle. Mais tu es tellement coincée, Kate.
— Je ne te permets pas !
— Et pourtant...
Elle tapota doucement mon nez du bout de son pinceau.
Je la laissai finir de m'appliquer le mascara en silence. Puis elle attrapa le rouge à lèvres et commença à dessiner doucement mes lèvres, concentrée comme une artiste.
— Voilà... magnifique. Elle sourit, satisfaite. Tu veux faire quelque chose à tes cheveux ?
Je me regardai dans le miroir. Mes cheveux étaient encore attachés en queue de cheval.
— Je pense que je vais juste les détacher.
Je retirai l'élastique, et mes mèches brunes tombèrent sur mes épaules, encadrant mon visage. Mary, toujours derrière moi, attrapa un collier de perles fines dans la petite boîte à bijoux.
Elle le noua délicatement autour de mon cou.
— Parfait. Tu es splendide, Kate Watson.
Je souris doucement.
— Je te retourne le compliment, Mary.
Elle sourit en retour, puis recula d'un pas pour m'admirer.
— Bon, je file, les invités ne vont pas se recevoir tout seuls. Ne tarde pas trop, hein !
— Je ne vais pas tarder... mentis-je en murmurant.
La porte se referma derrière elle. Je restai un instant devant le miroir, m'observant maintenant toute maquillée. Un soupir m'échappa. Puis je me levai, attrapai un dernier souffle de courage, et me dirigeai vers la fête.
Après avoir quitté ma chambre, la musique me parvint aussitôt, portée par les éclats de voix et les rires qui résonnaient depuis la salle de fête. Je m'avançai vers la grande porte blanche, le parquet grinçant doucement sous mes pas, comme s'il protestait contre ma venue.
Autour de moi, les murs de marbre blanc renvoyaient les reflets des lustres, et quelques portraits austères de la famille de Mary me suivaient du regard, témoins silencieux de la richesse et du pouvoir. Une fois arrivée devant la porte, je l'ouvris avec précaution, veillant à ne pas attirer l'attention.
La pièce s'offrit à moi dans toute sa splendeur. Le hall était bondé, animé, rempli d'invités aussi élégants qu'un tableau de la haute société : robes longues, perles brillantes, smokings noirs, verres de cristal en main. Je m'approchai de la rambarde et laissai mon regard glisser sur la foule.
Mon attention fut immédiatement captée par Mary. Fidèle à elle-même, elle se penchait avec charme vers Josh Wister, visiblement en pleine opération séduction. Un léger rire m'échappa.
Plus loin, je repérai le maire, le père de Mary, absorbé dans une conversation avec un groupe d'hommes en costume. Le ton était sérieux, les regards tendus : probablement des discussions politiques... ou financières.
Puis, une voix moqueuse me coupa net dans mes pensées :
— Ma chère sœur essaie de trouver le meurtrier dans toute cette foule ?
Je me retourne avec un sourire en coin. Mon regard tombe sur Aaron, mon petit frère.
— Tiens donc, peut-être que c'est toi, le tueur que je cherche.
Il ricane.
— Vraiment ? Tu crois que je serais capable de tuer quelqu'un ? Allons, Kate... tu sais que je suis incapable d'écraser une simple fourmi.
Je ris à mon tour.
— Je plaisante, Aaron. Mais qui sait ? Les psychopathes sont souvent ceux qu'on soupçonne le moins...
Il lève les yeux au ciel et s'approche un peu. Ses cheveux bruns sont soigneusement coiffés en arrière, et il porte un costume noir impeccable. Ses yeux, aussi verts que les miens, pétillent d'amusement.
— T'es bien habillé, pour une fois, le taquinai-je.
Il me donne un léger coup d'épaule.
— Toujours bien habillé, tu refuses juste de l'admettre. T'as trop l'habitude de me voir en pyjama.
Il m'offre son bras, et je l'enlace avec le mien. Ensemble, nous descendons les escaliers.
— Alors ? Tu comptes enfin trouver un partenaire ce soir ? demanda-t-il d'un ton faussement sérieux.
Je lève les yeux au ciel.
— J'ai encore le temps, tu sais.
— Mouais... Tu as vingt-cinq ans, Kate. L'horloge tourne.
— Et toi, dix-huit ans, toujours sans emploi ? Je devrais m'inquiéter pour toi.
Il éclate de rire.
— Touché. C'est pas si simple, tu sais.
— Je le sais. Mais regarde-moi, je suis une femme, j'ai galéré, j'ai travaillé dur... et pourtant j'ai trouvé un boulot. Même si c'est pas le plus sécurisant, au moins il me passionne.
Il me lance un regard attendri.
— Je suis fier de toi, tu sais. Mais quand même... tu trouves pas que c'est un peu dangereux pour une jeune femme ?
Je soupire, un brin agacée.
— Peut-être. Mais j'ai un travail. Toi, à part polir ta chaise longue et lire les journaux, tu brilles pas vraiment.
Il rit encore, cette fois plus fort.
— Aïe, ça pique. J'espère que tu traites pas tes suspects comme ça.
— Seulement ceux qui le méritent.
Il sourit, puis me relâche doucement.
— Bon, c'est pas que je m'ennuie, mais j'ai des gens à voir. On se retrouve plus tard, grande sœur.
— Va séduire les vieilles dames riches, petit frère.
— Toujours, tu me connais, lança-t-il en s'éloignant dans la foule.
Je le regardai disparaître entre les invités, un léger sourire effleurant mes lèvres. Malgré son côté parfois un peu perdu, Aaron avait ce don rare de me détendre, même au milieu d'une soirée qui semblait se nourrir de faux-semblants et de masques. Je soufflai profondément, m'efforçant de repousser les pensées sombres liées à l'enquête, à ces visages sans noms, aux indices égarés.
Avec un soupir discret, je me frayai un chemin parmi les invités, évitant de heurter les gens, leur offrant de petites excuses lorsqu'une épaule se heurtait à la mienne. Puis, je me dirigeai vers un petit bar, un refuge silencieux au milieu du tumulte.
— Un verre de vin rouge, s'il vous plaît, dis-je au barman d'un ton presque absent, tout en cherchant une place au comptoir.
Il me servit sans un mot, et je pris une gorgée du liquide rouge, appréciant la sensation de chaleur qui se répandait lentement en moi. Je laissai mon regard glisser sur la foule, m'efforçant de me détacher des pensées qui me rongeaient. Les conversations m'entouraient comme un murmure distant, un flot incessant de mots sans véritable substance. Les sourires étaient si mécaniques, les toasts levés avec une gravité presque théâtrale, mais je ne pouvais m'empêcher de me demander ce qui se cachait derrière ces rires trop polis. Quelles intentions se dissimulaient derrière ces poignées de main, ces échanges mondains ?
Je fermai un instant les yeux, essayant d'oublier les photos épinglées sur les murs de mon bureau, les fils rouges qui reliaient des points sans fin, les nuits blanches passées à chercher un semblant de logique dans ce puzzle absurde. Tout cela semblait si lointain ici, dans cette salle de fête où l'air était saturé de parfum et de feintes cordialités.
Mais même dans cet océan de beauté et de luxe, une sensation de malaise persistait, comme une ombre qui ne voulait pas se dissiper. Mon regard s'éparpilla un peu partout dans la foule.
Puis je le remarque. Ou plutôt... il s'impose à mon regard.
Entouré d'hommes en costume, un peu en retrait, il est là. Il rit, il parle. Sa voix — cette voix — grave et soyeuse, c'est celle que j'ai déjà entendue mille fois sur les ondes. L'animateur de radio. L'homme aux mots doux, au ton sûr, à la diction presque poétique. Une célébrité locale. Un homme que tout le monde adore.
Il porte un costume bordeaux parfaitement taillé. Une rose rouge, parfaitement fraîche, est délicatement glissée à sa boutonnière. Un détail raffiné. Il ne regarde personne... sauf moi.
Nos regards se croisent.
Et tout devient plus lent.
Ses yeux, bruns mais traversés d'un éclat rougeâtre, me scrutent avec une douceur glaciale. Il sourit, naturellement, chaleureusement. Mais ce sourire, pourtant parfait, a quelque chose de... désaccordé. Comme une note fausse dans une mélodie familière.
Un frisson me parcourt sans que je sache pourquoi. Ce n'est ni la chaleur du vin, ni le bruit de la fête. C'est lui.
Il lève sa coupe de champagne avec lenteur, sans jamais rompre le contact visuel.
Je détourne aussitôt les yeux. Mon cœur bat trop fort. Je saisis mon verre et en bois une gorgée. Derrière moi, les rires continuent, insouciants.
Je me force à respirer normalement, mais son regard brûle encore derrière mon dos.
Comme s'il savait.