Le casque sur les oreilles, les cheveux qui s'arrêtent au milieu du creux de ses reins.
Sûrement qu'on la prend encore pour une bête de foire.
Qu'on l'épie dans cet énième train.
Ou plutôt qu'on la mate en rêvant de la prendre dans un sous-sol humide.
Les hommes ont vraiment un deuxième cerveau.
Que ce soit ici ou là-haut, il y a toujours leurs instincts qui pourrissent les corps, même invisibles.
La jeune femme remet bien son manteau de cuir sur ses larges épaules; elle aime cette matière pour sa puissance, son originalité.
Ça revient en force dans les défilés, encore plus en hiver; la meilleure saison selon l'astrologie de la mode.
Ça lui rappelle encore son pays, ses grosses bottes qui protégeaient ses cuisses du froid.
Mais pas de la chaleur des mains, sous les pulls-overs.
Pour être plus précis, plutôt, des chemises blanches, à col ouverts.
Il est presque 8 heures du mat', elle rêve déjà du monde d'après.
De celui de la nuit où elle ferait la tournée des bars.
En se déhanchant sur un morceau de jazz.
Même si elle n'y connait rien.
C'est pour la "fame" du milieu.
Avant de faire l'amour dans le motel le plus proche.
Parce que le désir ne peut attendre.
Encore plus dans les plaines de l'Est.
La demoiselle descend, ses talons frappent le sol avec insistance.
Pas qu'elle ait envie de draguer tous ces clochards, tous ces déchets ou de leur montrer son bonheur d'avoir une vie confortable, car elle a de beaux vêtements et un toit sur la tête.
Non, elle a confiance, elle veut tout défoncer.
Bon, il ne lui manque plus qu'une Lamborghini rose qui se reflète dans les vitrines des restaurants.
Ouais, elle a toujours envie d'aller à Monaco.
Mais, quand on est étudiante, on n'a pas ce luxe.
Pas encore.
Même si on s'en rapproche.
En ayant vendu de nombreuses fois son âme au pasteur le plus corrompu...
Elle augmente le volume une fois au milieu de la foule; le rock étant capable de désinhiber ses sens.
Elle ne supporte plus trop le saxophone.
Elle privilégie la guitare électrique et les Watt.
Elle aimerait bien oser le gothique dans ses fringues, surtout que c'est diablement érotique.
Ce mot semble lui aussi rentré dans les dictionnaires.
Victime de la mode.
Depuis combien de temps elle n'a pas fait de shopping?
Seule, ça n'a pas d'importance.
C'est vrai que ce serait mieux si elle était accompagnée.
Comme si elle avait envie d'un mec qu'elle appellerait "Daddy".
Ne fais pas l'innocente chérie, on sait que c'est ça qui fait tourner le monde.
Le tien.
Elle se perd dans les allées marchandes du centre commercial, comme si ça allait la réveiller.
Elle aurait préféré faire la grasse matinée.
Pour enfin se pavaner nu sur son balcon.
En fumant peut-être un peu de tabac froid.
Pour se rappeler de son odeur.
Encore incrustée dans les murs de pierre.
Sans déconner, détache toi de la douleur.
Ouvre tes yeux derrière tes grosses lunettes de secrétaire.
Tiens, ça serait pas mal un tailleur, bien que trop élégant pour elle.
Elle est une star, mais qu'on ne connaît pas encore.
Comme Lady Gaga.
Qu'on jugeait avant Poker Face.
"Judas" résonne en elle, comme si cette chanson était conçue pour son enterrement.
Parce qu'elle ne mérite pas de mariage.
Tout ça parce qu'elle veut une bague à chacun de ses doigts.
Dix bijoux comme dix anneaux du Christ.
Depuis quand elle est croyante ?
Ah oui, depuis qu'elle ne cesse de se mettre à genoux.
Tout en caressant doucement son cou.
Du bout de ses souvenirs ripoux.
Pourris, ça ferait trop joli.
Ce n'est pas le moment, elle ne tiendra pas la journée sans une seule caresse.
Elle a d'autres choses à faire, comme s'enfermer dans ce laboratoire.
Plus elle y pense, plus elle se dit que ça ressemble à une cure.
Qui aurait cru que la blondasse de service étudiait des formules chimiques ?
Parce qu'elle est une bombe atomique.
Non, parce qu'elle aime la science, c'est son refuge, semblable à sa libido de fortune.
Elle arrive quand même à rendre sa blouse un peu plus sexy.
Du genre à ne pas trop respecter le règlement intérieur.
S'il fallait une cravate; elle aurait ouvert quelques boutons du chemisier.
Putain, en été, il faut respirer.
À charmer les professeurs comme les camarades, qui ne sont que de passage.
Elle arrive même à se taper des femmes, quand bien même, des épouses !
Elle exagère à peine, elle possède un charme qui défie les sexualités, tout ce qui a été établi depuis des siècles.
Ouais au pire, elle aime ça.
Au mieux, elle déteste ça.
Encore quelques mètres avant d'arriver.
Elle n'aime pas trop ce quartier paumé; il y a toujours des types qui la prennent de haut.
Elle aime se montrer, mais pas être un bout de viande.
Elle veut être la maîtresse du jeu, et non, la soumise.
Elle replonge dans ses travers, elle fume une cigarette en laissant du gloss, qui colle sur le bout cartonné.
On dira qu'elle est provocante, même à cette heure-ci, elle s'en fout.
Elle est si bien, elle sait ce qu'elle vaut.
À poil ou non.
Et ça, ça n'a pas de prix.
La jeune femme s'arrête au coin fumeur devant l'institut, elle s'appuie contre le mur, près du cendrier.
Quelques collègues masculins viennent la saluer, comme si elles avaient flairé son parfum, à la teinte de scandale.
Pour la plupart, ils sont techniciens, stagiaires ou même flics, attendant des résultats, souvent depuis des heures.
Elle ne se sent pas menacée avec eux, il faut dire qu'elle a encore sa longue veste.
Quand bien même, on imagine déjà les merveilles en dessous.
"-Le cuir te va bien, Ivy. Je suis toujours aussi impressionné...
-Qui te permet de m'appeler comme ça ? Ton père ? répond la dénommée "Ivy".
-Ça va, détends toi. C'est juste plus affectueux, pas vrai ?
-Je te vois venir. C'est mort. La liste est déjà longue, je ne peux gérer plusieurs hommes à la fois.
-Ça, on en doute."
"Ivy" finit sa clope et leur fait à tous, un joli fuck, verni de rose à paillettes.
Puis, elle se retourne et rentre dans le premier bâtiment sur ce campus, dédié principalement à la recherche et aux analyses.
Comme d'habitude, elle passe aux vestiaires.
C'est toujours la même manœuvre.
Abandonner un peu ses airs de poupée tout en restant désirable au possible.
Ça l'a toujours amusé les interdits, que dire, ça l'excite même.
Au milieu des fioles.
Pourquoi faire ?
Pour récolter ses larmes de papier et en faire, de nouveaux médicaments.
Un douloureux venin.
Dont l'industrie pharmaceutique en raffole déjà.
"-Fais chier Ivanova. Tu vas te calmer. Et si c'était parce qu'on allait rencontrer un canon aujourd'hui ? Je parie sur un chirurgien de renom ! "
Ça lui arrive de se faire la conversation, comme si elle était une grande actrice qui répétait son prochain rôle.
Elle s'avance devant le miroir et remet bien ses lunettes, rendant ses yeux bien plus gros que son appétit, il est bien vrai.
Encore une fois, elle arrive même à se remaquiller, comme si elle allait tomber sur l'homme de sa vie; on ne sait jamais.
Bien qu'elle n'y croit plus, c'est davantage des coups d'un soir.
Juste pour baiser.
Elle n'y croit pas au romantisme.
De toute façon, on ne lui a jamais fait découvrir toutes ces facettes.
On l'attache bien souvent au lit, ou elle le fait d'elle-même.
Mais, ça s'arrête là.
Elle n'a pas le droit au grand standing.
Alors qu'elle aimerait tant être une escort de luxe.
C'est sympa d'avoir la montre au poignet.
Comme une menotte de plus dans l'inventaire.
Elle peaufine encore quelques détails, elle ajuste le décolleté de son chemisier, elle remet bien ses bijoux, prête à se laisser distraire.
Pourtant, ici, on ne lui fait aucune remarque.
Au début, ça pouvait choquer.
Tout est une question de point de vue, d'éducation, de façon de voir les choses.
Et ça, ça évolue, ça se métamorphose, ça prend forme doucement entre les hanches.
Car elle, aussi, a été une enfant, plaintive.
Il y a de ça si longtemps.
Elle se ment encore à elle-même.
Cruella.
La jeune femme sort des vestiaires enfin et prend son poste, studieuse malgré tout, elle est alors dans les premiers au garde à vous.
Ici, il n'y a que des microscopes, des outils en tous genres, des scellés que la police envoie fraîchement pour faire avancer les enquêtes avec une possibilité infime; ici, c'est un peu comme une usine, où de petites mains engendrent de grands miracles.
"-Bonjour Ivanova. Il y a déjà des analyses. Tout est noté. Je te laisse gérer !
-Bien Monsieur ! "
Une conversation sans arrière-pensée.
En même temps, elle s'impose des limites.
Pas au-delà de 60 ans.
Même s' il y a un héritage à la clé.
Elle commence à retenir la leçon.
De toute façon, elle doute de leurs performances à ce stade.
Non, quand même, elle mérite des orgasmes à son jeune âge.
Elle en a peut-être eu si peu sous ses grands airs.
Oh, my little girl...
La laborantine prend son courage à deux mains, elle checke sa liste de tâches à effectuer, des prélèvements toxicologiques notamment, la routine comme on dit.
Alors, Ivanova se pare de ses lunettes de laboratoire pour se protéger au maximum, ainsi que des gants, encore une facette d'elle assez sérieuse, la sécurité est de mise !
Car malgré tout, elle reste diablement sensuelle dans cet accoutrement sans artifice, qui ne donne guère envie.
Elle a toujours, la blondeur de ses cheveux qui la sauve des tourments.
Des hommes sanglants.
Dans les Experts, la meuf arrive toujours super bien habillée, de partout, sous des lampes aveuglantes ou près d'un immense lac.
Le fantasme des chaînes de télé.
Elle veut juste que ça se termine.
C'est pour bientôt.
De temps en temps, elle soupire.
C'est vrai, pourquoi elle s'inflige ça ?
Pourvu qu'il fasse bientôt nuit; que la Lune arrive avec ses pulsions sanguinaires.
Elle ne fait pas référence à l'appel du sang, mais sans doute, à celui de la forêt.
Des profondeurs cachés comme dans les contes, les légendes par-delà les frontières.
Ouais, ça lui manque les récits de ses aïeuls, autour d'une table, aux environs de Noël et de ses aléas.
Elle adore cet Univers, les mythes, avec ou sans Dieux, après tout, elle n'a pas l'allure d'une religieuse.
Mais, l'habit ne fait pas le moine...
Plus de midi, déjà plus de 3 heures à enchaîner les bilans, les observations méticuleuses, les rapports, expédiés tout droit aux flics en général, notamment à la Criminelle et à des services prestigieux divers.
Parfois, elle en croise mais ils préfèrent rester tranquillement en haut de leur bureau, à lisser leurs cravates en attendant les mauvaises nouvelles.
Certes, ils bossent mais sans trop se mouiller, sans trop plonger les mains dans l'horreur.
Elle, gantée ou non, elle doit y aller, sans avoir froid aux yeux.
Non, les policiers sont réputés pour être de fins dépressifs, avec la gueule enfarinée et des fardeaux qui les empêchent même de jouir, alors non merci.
Ça ne ressemble pas trop au prince charmant.
Mais est ce mieux un gars refait, bien musclé au botox ?
En fait, c'est juste que Barbie finit par se marier à Ken.
Dans l'épisode encore en préparation, le numéro 732.
Une simple intuition.
La demoiselle reste pourtant cloîtrée à l'intérieur, même à la pause, elle n'est pas sûre d'être appréciée par le comité, ou juste pour ses formes.
D'ailleurs, son chef vient l'aborder, ayant dans la bonne soixantaine, les cheveux grisonnants, et presque chauve, ce n'est donc clairement pas son type, mais au moins, il est sympa.
Car lui seul reconnaît ses qualités, derrière ses airs de poupée angélique.
Baby doll.
"-Alors Ivanova, ça avance? Tu ne perds pas de temps ! Tu penses être payée plus si tu enchaines les analyses ? Tu n'es qu'étudiante après tout...
-Pas forcément. Je fais ça à mon rythme, disons que je suis efficace ! Je mets toutes les chances de mon côté."
En effet, la jeune femme ne perd pas une seule seconde, pas le temps d'aller sur son téléphone ou de batifoler, ici, elle se concentre avant tout sur les béchers et leurs pouvoirs magiques.
Qui a dit qu'en fac de médecine, on était là pour chômer ?
Des médecins déjà diplômés.
Sûrement des vieux cardiologues dépassés.
Ils manquent de cœur.
Foutez-moi la paix.
"-En tout cas, c'est un beau bordel dans Paris avec la série d'attentats, tu veux que je te raccompagne ce soir ?
-Pourquoi faire ? Je sais me débrouiller.
-On ne sait jamais, avec la sécurité, le train, ce n'est pas top tu sais.
-Oui, mais j'aime bien. J'aime mes habitudes. C'est mon petit confort. Le seul luxe que je possède vraiment est celui de décider. De tout."
Peut-être que c'est juste de la pure gentillesse ?
Après tout, cet homme est marié et avec des enfants.
Mais quand même, elle ne le sent pas.
Avec les années, elle a appris à faire confiance à son instinct, en acier, aussi dur que ses prises de décision.
Le chef soupire face à son refus, surfant en même temps sur son portable.
"-Tu es sûre ? On va quand même passer en état d'urgence, ça ne te fait pas peur ?
-C'est ça le truc, terroriser la population, sombrer dans la paranoïa, c'est bien la France. Je prendrais bien le train pour repartir, c'est comme ça.
-Très bien, comme tu voudras, je n'insiste pas."
Pour le coup, ça marche car l'homme ne revient pas sur ses propos, il continue de faire défiler son écran.
Tandis que la jeune femme continue ses prélèvements avec délicatesse et parcimonie.
"-Sinon, tu ne manges jamais? Tu es pâle... fait remarquer son supérieur, inquiet.
-C'est mon teint habituel, c'est ainsi chez moi. Et non, je n'ai jamais faim le midi. Je préfère avancer.
-Quand bien même, tu peux t'arrêter, même 5 minutes.
-Je suis dans ma lancée."
Comme le train qui file à pleine vitesse, sans voir l'obstacle au milieu des rails.
Face à tant de négativité, le chef finit par se retirer, quittant la salle pour rejoindre sans doute son bureau qui n'est pas loin.
Quant à Ivanova, elle est encore là, parmi les bouteilles immobiles et les savons d'opium.
Comme si elle n'attendait que ça que ça explose, qu'il se passe quelque chose dans cette maussade journée...