— Ça sert à éloigner les mauvais esprits, expliqua Hannah.
— Ouh les mauvais esprits, plaisanta Kimberly.
— C’était pas là avant, si, demanda Alexander, je ne m'en souviens pas.
— Non, mon oncle l’a installée cet été.
— Pourquoi, demanda son amie, il s’est passé un truc ?
— Non. Rien. Les gens du coin lui ont offert en échange de la viande qu’il leur donne parfois.
— Ça reste sacrément glauque comme déco, insista Xander, bon, perso je rentre. Je me caille le cul.
Tandis que le groupe d’amis se réfugiait à l’intérieur, Jay demeurait captivé par le crâne de cerf. Il avait déjà vu des trophées de chasse, mais ceux-là avaient encore leur peau. Ses yeux plongèrent dans les orbites creuses du cervidé. Éloigner les mauvais esprits. Il n’aurait pas pensé à ça au premier coup d’œil. Ça lui foutait plutôt les jetons. Drôle de cadeau. Même s’il savait que David chassait, ce n’était pas vraiment le style de la famille Lewis d’exhiber des animaux morts aux murs. À Minneapolis, ils n’ont pas de crâne accroché au-dessus de leur porte d’entrée. Ni ailleurs.
Une branche grinça dans son dos. Jay se retourna, mais ne distingua rien dans la densité des arbres brouillée par les flocons qui tombaient maintenant sans relâche. Ils avaient prévu d’explorer les alentours demain à la lueur du jour, puis d’y dormir. Il ignorait ce qu’ils allaient découvrir. Certainement pas ce monstre à la con, dont il avait déjà oublié le nom d’ailleurs. Dans tous les cas, s’il existait réellement, qu’est-ce qu’ils pourraient bien faire contre lui ? De ce qu’il savait, cette créature dévorait ses proies pour combler une faim qu’elle ne pouvait justement pas combler. Il avait surtout l’impression que ce n’était qu’un délire de geeks, qu’au fond d’eux, ils n’y croyaient pas vraiment. Sauf Hannah. S’il ignorait la raison exacte de cette profonde croyance qu’elle avait pour cette légende des Ojibwés, une part de lui sentait qu’elle prenait cette histoire très au sérieux. Peut-être même un peu trop.
Il revint sur le cerf. Malgré l’absence d’yeux, l’impression d’être épié lui collait à la peau comme une marée noire visqueuse. Non, mais vraiment… Qui met ça chez soi ? Il tapa ses chaussures pour dégager la neige incrustée sous ses semelles, puis entra en se frictionnant les épaules sous son épaisse parka. L’air était aussi froid à l’intérieur qu’à l’extérieur. Sa main frappa un interrupteur, sans résultat. Seul un mince filet de lumière éclairait le grand salon, étendant l’ombre des arbres semblable à des mains aux longs doigts crochus, capables de vous décapiter en une gifle. Un frisson parcourut Jay, et il ricana. Hannah et ses amis avaient gagné, voilà qu’il continuait à imaginer des scènes tout droit sorties de films d'épouvante.
Au fond de la pièce, le doyen du groupe crut reconnaître la silhouette de sa petite amie dans la pénombre. Celle-ci fouillait frénétiquement dans un tiroir. Sur sa droite, Kimberly se tenait au bras de son petit ami, sautillant sur place comme si elle était prise d’une envie pressante. Il mit du temps à repérer Matthew. Nullement incommodé par l’obscurité, celui-ci était assis sur un fauteuil, jambes croisées et tête basculée en arrière. Son casque audio avait retrouvé sa place initiale.
Un halo blanc apparut soudain entre les doigts fins d’Hannah.
— Installez-vous, lança-t-elle, je descends à la cave pour réarmer le disjoncteur. Jay, tu veux bien chercher du bois et faire du feu, s’il te plait ? C’est sur le côté de la maison.
Elle balança une seconde maglite dans sa direction qu’il attrapa en plein vol.
— Attends, mec, l’interpella Alexander, je viens avec toi.
— Oh, Hannah. S’il te plait, supplia Kimberly en se précipitant vers elle. File-moi une lampe pour que je puisse aller aux chiottes. Je vais finir par me pisser dessus.
Dehors, Jay eut l’impression que la température avait drastiquement chuté en deux minutes. Ses pieds s’enfonçaient jusqu’aux mollets dans la neige tandis qu’il contournait le chalet à la recherche de la réserve de bois. Les flocons fondaient du ciel, formant une couche de plus en plus dure, et le vent soufflait crescendo créant des bourrasques blanches qui dévoraient les contours du monde. À ce rythme-là, ils n’auraient pas pu continuer longtemps en voiture.
— Ton pote ne quitte jamais son casque, s’enquit Jay, je crois bien que je n’ai toujours pas vu la couleur de ses oreilles.
— Matt supporte mal le bruit, expliqua Alexander, il sature vite.
— La musique, c’est du bruit.
— Qui a dit qu’il écoutait de la musique ?
— Attends. Tu vas me dire qu’il porte ce truc à longueur de temps sans rien écouter ? Il a pas les oreilles en chou-fleur à la fin de la journée ?
— Oublie-le. Aide-moi plutôt à enlever ça, demanda Xander, en attrapant une bâche.
Ils la plièrent de moitié, révélant un nombre impressionnant de chutes de bois. Au moins, ils ne risqueraient pas d’avoir froid cette nuit. Même si un incident les obligeait à rester plus longtemps que prévu, ils auraient de quoi se réchauffer jusqu’à la fin de l’hiver.
— Par contre mec, c’était pas cool ce que t’as dit sur ta meuf tout à l’heure, fit remarquer Xander, en entassant des bûches dans les bras du futur flic.
— Quoi ?
— Bah à propos de sa balafre… Pas cool.
— Primo, ce n’est pas ma meuf. Je déteste ce terme. Deuzio, tu ne vas pas t’y mettre, merde. Vous avez tous mal compris. Je m’adressais à Kimberly !
Alexander débarrassa sa longue tignasse blonde de son bonnet pour s’essuyer le front, puis il s’empara de quatre morceaux de bois supplémentaires qui trouvèrent eux-aussi leur place dans les bras déjà chargés de Jay.
— Peut-être. Mais tu devrais faire attention à ce que tu dis, si tu veux que votre relation survive au bug de l’an 2000. Les filles, elles aiment pas qu’on souligne leurs défauts.
— Et toi, tu devrais faire un peu plus attention à ta copine, au lieu de me donner des conseils matrimoniaux. L’accident d’Hannah devrait suffisamment vous ouvrir les yeux sur les conduites à risques. Et sa cicatrice n’est pas un défaut.
Alexander jeta plusieurs bûches dans la neige avant de remettre maladroitement la bâche.
— Ça va, pète un coup. C’est les vacances. Et tu m’as compris. Pour toi, sa balafre n’est peut-être pas un défaut. Mais t’es pas dans sa tête, vieux.
Il ramassa le bois tombé au sol.
— C’est bien connu que les accidents prennent des vacances.
— Tu deviens chiant, Cooper ! lança le blond en disparaissant dans l’angle du chalet.
Jay s’apprêtait à le rejoindre quand la torche glissa d’entre ses doigts.
— Et merde, grogna-t-il, Xander !… Fais chier.
Il s’accroupit, manquant de renverser plusieurs bûches et réussit à caler la maglite entre son index et son majeur. Quand il se redressa, une voix s’éleva derrière lui. Une voix familière qui semblait provenir des tréfonds de la forêt. Du moins, Jay en eut l’impression, car c’était tout bonnement impossible. Cette personne se trouvait à des milliers de kilomètres de là. Il observa néanmoins un instant l’horizon, les paupières mi-closes pour percer la nuit naissante. La visibilité devenait quasi nulle maintenant. Quelques mètres à peine. Des branches craquaient. Des corneilles croassaient. Rien qui ne sortait de l’ordinaire dans une forêt. Il secoua la tête, attribuant cet épisode à la fatigue et rejoignit à la hâte l’antre, enfin éclairée, du chalet.
Jay s’ébroua puis largua le bois au côté d’Alexander déjà affairé à attiser le feu, avant de retirer bottes et manteau. Matthew était toujours enfoui dans son blouson, les yeux fermés et la tête penchée en arrière, assis dans le fauteuil. Kimberly, elle, fouinait dans les placards, sans doute à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent. Lui aussi avait les crocs. Tellement faim qu’il pourrait manger une vache.
Il balaya le salon du regard. Sous la lumière artificielle, le chalet n’avait plus l’air aussi lugubre. Au contraire, la propriété des Lewis dégageait une ambiance plutôt chaleureuse. Des tapis colorés recouvraient le sol par endroit, et des plaids aux motifs semblables étaient pliés sur les divers fauteuils et canapés. D’imposantes poutres couraient le long du plafond, éclairées par une roue de chariot métamorphosée en lustre.
— Où est Hannah ? demanda Jay en ne la voyant pas.
— Dans sa chambre, répondit Kimberly.
— Et sa chambre, elle est où ?
Elle désigna l’escalier en bois.
— En haut, au bout du couloir à droite. Quand tu l’auras trouvé, demande-lui où son oncle a rangé la bouffe. Autre chose que ces boîtes dégueux, je veux dire.
— Ok, mais attends-nous. On mange tous ensemble, d’accord ?
— Oui, papa.
Jay gravit les marches sans lui répondre. Cinq ans le séparaient d’Hannah et de ses amis, mais parfois, il avait l’impression qu’une génération entière les maintenait à distance. Une semaine, se répéta-t-il pour se donner du courage, seulement une semaine à subir leur présence. Il aurait tant aimé pouvoir vivre leur premier nouvel an rien qu’en tête à tête. Il n’en n’avait pas beaucoup eu, si n’est jamais. Mais il devait se faire une raison. S’il finissait ses jours à ses côtés — ce qu’il comptait bien faire — il devait accepter son entourage. Aussi lourd soit-il.
— Hannah ?
Pas de réponse. Le plancher craqua quand il s’avança dans le couloir pour se camper devant une porte sous laquelle un mince filet de lumière s’échappait.
— Hannah, je peux entrer ?
Il frappa avant de l’ouvrir doucement. La chambre, avec sa tapisserie démodée et ses meubles en bois brut, semblait tout droit provenir de son enfance quand il passait ses vacances chez ses grands-parents. Pas un mur n’était nu. Tous étaient couverts de photographies anciennes et de tableaux poussiéreux. Si bien que, contrairement au salon, ici, il trouvait l’ambiance étouffante. Le manteau d’Hannah était négligemment posé sur le dossier d’une chaise, en face d’une vieille coiffeuse, mais elle, n’était pas là.
Du bruit lui parvint de derrière une seconde porte qu’il devina être une salle de bain privée. Jay cogna contre le bois et attendit une réponse qui ne vint pas.
— Hannah, je t’entends. Je sais que tu es là.
Désormais inquiet, Jay entra sans y être invité. Il découvrit sa petite amie, plantée devant le miroir, triturant la cicatrice boursoufflée qui marquait sa joue gauche.
— Arrête, je t’ai dit que j’étais désolé pour tout à l’heure. Tu es magnifique. C’est tes amis qui sont insupportables. Ils ne savent pas se comporter en voiture. Je déteste quand on gesticule comme ça à l’arrière quand je conduis. Ça me déconcentre. Et avec la neige, je…
La jeune femme fit volte face.
— Ce n’était pas une raison pour lui balancer ça ! Tu ne sais pas ce que je ressens. Tu ne sais pas que chaque matin, quand je me vois devant la glace, j’ai envie de pleurer !
Il lui prit les mains et en caressa le dos avec ses pouces.
— Non, c’est vrai, je ne sais pas. Parce que tu n’en parles jamais, Hannah, de cet accident. Jusqu’à aujourd’hui, je pensais que tu étais passé outre. Et c’est justement ce qui m’avait plus chez toi. Ta confiance, avoue-t-il dans un murmure.
— Dans ce cas-là, t’es tombé amoureux d’une illusion.
Elle le repoussa, mais Jay agrippa son poignet avec douceur et embrassa sa cicatrice.
— Ce n’est pas vrai.
Il déposa un second baiser dans le creux de son oreille, et ajouta :
— Je te demande pardon, pour t’avoir blessé. Allez, viens. Ils commencent à avoir faim en bas, et moi aussi pour ne pas te mentir. Kimberly a bien trouvé quelques conserves, mais je crois qu’ils aimeraient autre chose. Ton oncle a bien fait des provisions avant qu’on vienne, non ?
— Je n’ai pas très faim. Vous n’avez qu’à manger sans moi. Les réserves sont à la cave.
Il enveloppa son visage et plongea son regard dans le sien.
— Il faut que tu manges. Surtout si tu veux partir à la chasse aux monstres demain. D’ailleurs, j’ai oublié son nom. Qu’est-ce que c’est ?
— Le wendigo. On part à la chasse aux wendigowak.
J'aime beaucoup ta façon d'écrire, cest bien détaillé et c'est fluide. Ça se lit tout seul. Toutefois, tes dialogue le sont moins, il faut qu'ils soient utile à l'histoire et je pense que tu peux en supprimer quelques-uns, comme par exemple quand Jay demande où est sa copine, celle qui lui répond peut simplement lui dire, dans sa chambre en haut à gauche(c'est un exemple lol).
Ensuite je trouve que Jay passe vite à autre chose après ses excuses, ça fait un peu : pardon mais j'ai faim. Pourtant le début de dialogue est plutôt sympa quand il lui explique qu'il ne voulait pas la blesser, je pense que tu devrais revoir ça et peut-être aller plus en profondeur.
Sinon j'aime beaucoup et je trouve que tu arrives a retransmettre le côté glauque et un peu flippant de l'histoire.