Le bureau du directeur est à l'image du reste du campus : ancien, silencieux, surchargé de bois sombre et de livres reliés cuir.
Derrière son bureau, un homme d'une soixantaine d'années se lève à mon approche, raide dans son hanbok académique d'un noir sans ornements.
Le directeur Lee.
Il m'accueille d'une poignée de main sèche et rapide, comme si mon contact risquait de le contaminer.
— Inspecteur Jeon.
— Directeur-nim.
La politesse qu'il me témoigne est toute formelle. Pas de chaleur inutile.
Nous savons tous les deux pourquoi je suis ici, après tout. Et je devine que ce cher directeur ne tient pas du tout à m'avoir dans ses pattes plus que nécessaire.
Il m'invite à m'asseoir sans un mot de plus.
Le silence qui s'installe est lourd, tissé de sa réticence à me recevoir et de sa méfiance envers moi. Se doute-t-il que je ressens la même chose à son sujet ? Oui, il doit s'en douter. Lee est beaucoup de choses mais ce n'est pas un imbécile.
— Nous sommes profondément attristés par ce qu'il est arrivé à l'un de nos meilleurs étudiants, commence-t-il, la voix aussi lisse qu'une plaque de verre. Mais je tiens à vous assurer, Inspecteur Jeon, que l'université de Gwanak-guk reste un lieu sûr. Il s'agit... d'une tragédie isolée.
Je hoche légèrement la tête, l'air neutre.
À l'intérieur, je bous.
L'espace d'une seconde l'image de Yeona danse devant mes yeux, papillon de mes souvenirs amers.
Je me reconcentre sur ce cher directeur.
Tout, dans son ton, dans son regard, crie au mensonge soigneusement empaqueté. Isolée, la tragédie ? Peut-être. Mais quelque chose, au creux de mon ventre, murmure que ce n'est pas la première fois que le silence recouvre ce genre d'incident. Un pressentiment. Un doute qui s'insinue, sans preuves encore.
Je croise les doigts sur mes genoux, calmement.
Je ne suis pas là pour sourire.
— Je souhaiterais voir le corps, dis-je sans détour.
Le visage de Lee se fige, imperceptiblement.
— Le corps est en attente de transfert, dit-il d'une voix mesurée, comme s'il pesait chaque mot pour ne pas laisser échapper ce qu'il ne veut pas avouer.
Un transfert vers où ? Et à cette heure, alors qu'il était prévenu de la visite ? Je suis tenté de lui rire au nez mais je n'en fais rien.
Je le fixe sans ciller et je réplique :
— Il doit encore se trouver à la morgue du campus, en attente du transfert officiel. Selon la procédure, je suis en droit d'examiner la dépouille avant tout déplacement.
Ma voix est polie. Implacable.
Un tic nerveux le trahit.
Il sait qu'il ne peut pas refuser sans se trahir.
Mais il sait aussi que certaines vérités, une fois exposées, ont la mauvaise habitude de laisser des traces que même les pierres de Gwanak-guk ne pourraient effacer.
Après un silence pesant, il incline la tête avec raideur.
— Très bien.
Il se lève, arrange machinalement une pile de dossiers déjà parfaitement alignée.
— Je vais demander à Seo-ssi de vous conduire.
Il aurait voulu me faire disparaître dans un rapport administratif.
Mais je ne suis pas venu pour les papiers.
Je suis venu pour les vérités qu'ils tentent de recouvrir.
Je me lève à mon tour, sans rompre le contact visuel.
Et dans un coin de mon esprit, très vaguement, la cloche résonne à nouveau.
Comme un avertissement que je choisis d'ignorer.
🖤
Je ne crois pas aux fantômes.
Je crois en leur absence.
Ce qui n'est pas pareil.
Yeona, tu es partie mais tu continues à me déchirer le coeur.
❤️
La morgue est enterrée sous le vieux pavillon administratif, au bout d'un escalier de pierre sans lumière.
Seo-ssi marche devant moi, ses pas à peine audibles.
Le vent semble s'être figé ici, comme si l'air lui-même hésitait à descendre plus bas.
Les murs suintent une humidité ancienne. L'odeur d'antiseptique est masquée à peine par celle du bois moisi et des pierres froides.
Chaque marche grince sous mes semelles, comme un murmure dans la gorge d'un mort.
Quand Seo-ssi ouvre la lourde porte de fer, un souffle glacé m'enveloppe.
La pièce est petite, aux murs blanchis à la chaux, avec une unique table d'autopsie sous une lampe nue qui pend du plafond.
Pas de fenêtre. Pas d'issue, sinon celle par laquelle nous venons d'entrer.
Le corps de Min Haneul est là, recouvert jusqu'à la poitrine d'un drap gris.
Seo-ssi s'incline brièvement et se retire, laissant la porte entrouverte derrière elle.
Je reste seul.
•
Je m'approche, lentement.
Le visage du garçon est serein.
Trop serein.
Aucune trace de lutte.
Pas d'ecchymoses. Pas de marques d'étranglement. Pas même l'ombre d'une griffure sous ses ongles.
Pas de blessure apparente.
Pas de signe d'arrêt cardiaque non plus — du moins, pas ceux que j'ai appris à reconnaître.
— Vous ne trouverez rien de concluant, Inspecteur Jeon.
Je me retourne brusquement.
Un homme en blouse blanche vient d'entrer, tenant un dossier mince contre lui. Il incline légèrement la tête.
— Han-seonsaengnim, dit-il. Médecin rattaché au campus.
Je l'observe brièvement.
Pas légiste. Pas habitué aux morts.
— Vous avez procédé à l'examen du corps ? demandé-je, mon ton restant neutre.
— Dans la limite de mes compétences, répond-il, la voix basse. Il n'y a eu ni traces de violence externe, ni signe manifeste de défaillance cardiaque. Pas d'œdème pulmonaire. Pas d'ecchymoses suspectes. Aucune fracture non plus...
Il s'interrompt, le regard fuyant.
— Officiellement, le décès est classé comme inexpliqué. Pour l'instant. Pardonnez-moi, je dois me retirer...
Je hoche la tête, crispé.
Inexpliqué.
Un mot élégant pour cacher ce qu'on ne comprend pas — ou ce qu'on ne veut pas voir.
Je me penche de nouveau sur le corps, décidé à ne pas en rester là.
Je retire le drap jusqu'à sa taille.
Pas de blessure apparente.
Pas de signe d'arrêt cardiaque non plus — du moins, pas ceux que j'ai appris à reconnaître.
Je ressens un picotement désagréable à la base de mon crâne.
Un réflexe ancien, que je n'écoute pas encore.
Je contourne la table, examine son flanc, ses bras, son torse.
Rien.
Comme si son cœur s'était arrêté sans cause.
Comme si son corps avait... abandonné.
Je serre les dents, refoule l'angoisse qui monte en moi sans prévenir.
Ce n'est pas rationnel.
Ce n'est jamais rationnel, ce genre d'affaire.
Je m'oblige à poursuivre l'examen.
Je passe derrière la table.
D'un geste méthodique, je soulève prudemment la tête du garçon pour examiner la nuque, le dos.
C'est là que je le vois.
Derrière son oreille gauche, à demi dissimulé par une mèche de cheveux noirs, quelque chose est tatoué.
Un mot.
Non, un nom.
En coréen ancien, tracé dans une encre presque effacée.
내감.
Naegam.
Je me fige.
Le sang pulse dans mes tempes.
L'air semble se comprimer dans la petite pièce, comme si les murs eux-mêmes retenaient leur souffle.
Pourquoi ce nom est-il gravé sur la peau d'un étudiant promis à un avenir politique éclatant ?
Pourquoi personne ne m'en a parlé ?
Je relâche la tête du garçon avec une précaution presque inconsciente.
Je note, mécaniquement.
Mais au fond de moi, je sais que je viens de poser un pied sur un chemin dont je ne reviendrai pas indemne.
Et, quelque part, la cloche résonne à nouveau.
Plus proche.
Comme un écho.
Comme un avertissement.
✍️ note d'auteur
Pas de blessures.
Pas d'explication.
Juste un nom tatoué là où personne ne voulait regarder.
Si tu es encore là, c'est que toi aussi, tu veux savoir.
Alors laisse un 🖤, un 💬 ou une ⭐️ pour me dire que tu es prêt à descendre encore plus profond.
À Gwanak-guk, tout commence dans le silence.
Mais rien n'y reste caché bien longtemps.
À bientôt !
- softlyunstable 🖤