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Chapitre 5

Elias 


La sonnerie du standard résonne à l'accueil lorsque je passe les portes automatiques d'Eagle games. Le hall est déjà en effervescence malgré l'heure matinale et les employés pullulent à vitesse grand V pour rejoindre leur poste. En m'extirpant de l'ascenseur qui me mène à mon bureau, ma secrétaire bondit de son siège pour me rejoindre tablette et café en main. Son chignon serré ne bouge pas d'un poil malgré la cadence de notre marche rapide et elle n'attend pas pour commencer son débriefing habituel :

   — Ah, monsieur Gyllenstierna vous voilà. Avez-vous fait bon voyage ?

Je hausse un sourcil et m'arrête brusquement. Dans mon arrêt abrupt celle-ci manque de me percuter et redresse maladroitement ses lunettes sur son nez.

   — Il n'y à qu'une heure de trajet, Judith, fais-je remarquer d'un ton rieur.

   — Vous savez ce que je veux dire. Comment s'est passé votre séjour ? avez-vous pu venir à bout des problèmes administratifs ?

   — Je suppose. Grahming est un incompétent, grommelé-je en buvant une gorgée du café qu'elle me tend. J'ai bien l'impression qu'il ne nous rajoute plus de travail qu'il n'en effectue, je vais devoir en toucher deux mots à Alrik, c'est un problème. Un séjour de quelques jours tout au plus aurait largement suffit à palier au problème s'il n'avait pas deux mains gauches et un poil dans la main.

Elle ricane doucement sans me contredire.

   — En effet... c'est peu dire. Sa secrétaire ne semble pas très efficace elle non plus.

   — Tout le monde n'a pas une Judith Everglone dans sa poche, soyons réalistes.

   — Vous avez tout à fait raison, monsieur.

Je me retiens de lui dire que l'humilité ne semble pas faire partie de son vocabulaire. Judith est une secrétaire multi-tâches, si bien que je n'ai jamais eu besoin de recruter le moindre assistant depuis qu'elle travaille à mes côtés. Voilà bientôt quatre ans et je suis toujours subjugué par sa capacité à anticiper le moindre imprévu. Note pour moi même : tout le monde devrait avoir une Judith dans sa vie.

   Je pousse la porte de mon bureau et me laisse tomber dans ma chaise. Ces deux semaines passées à Stockholm m'ont épuisé, j'ignore qu'est-ce qui nous à prit de laisser la main de notre seconde filiale à cet incompétent. A présent je le regrette amèrement. Il multiplie mes déplacements et passe son temps à appeler ma secrétaire pour obtenir des renseignements afin qu'elle le guide dans ses tâches. Ce type m'horripile. C'est infernal. Poussant un long soupire je redresse la tête vers ma secrétaire qui n'a pas bouge d'un iota et qui attend devant mon bureau, les yeux rivés sur sa tablette.

   — La réunion débutera dans une dizaine de minutes, m'annonce t-elle.

Je fronce les sourcils.

   — La réunion ? quelle réunion ?

Judith lève les yeux et me lance un regard mi désespéré mi déconfit comme si j'étais le dernier des idiots.

   — Vous savez, la réunion d'information que vous m'avez demandé d'organiser. Monsieur, vous m'avez spécialement appelé la semaine dernière à ce sujet.

   — Oh, oui je suis désolé, cela m'étais sortit de la tête.

En toute réponse elle me sourit poliment et balaye l'air d'un geste de la main. Elle fait défiler les points qu'elle souhaitait aborder sur sa tablette qui commencer à me les lister.

   — En ce qui concerne les recrutements, Lewis s'est chargé de recruter le nouveau game designer pendant votre absence.

   — Parfait. S'est t-il bien intégré à l'équipe ?

En réponse, elle hésite puis semble retenir un rire qui attise immédiatement mon attention.

   — D'une certaine façon.

   — Vous piquez ma curiosité, Judith. Y a t-il un problème ?

   — Oh, non non ! aucun, ne vous en faites pas monsieur. Il est simplement... un peu... comment dirais-je ? solitaire ? Il à demandé à être installé dans le local.

   — Le local ?

Ce petite placard de sept mètre carré ?

   — Oui, répond t-elle amusée. Monsieur Wilson très attaché à sa tranquillité néanmoins il n'y a aucun problème lorsqu'il s'agit de guider les équipes ou d'épauler  Lewis. Je crois seulement qu'il apprécie cette forme d'accalmie. Lewis semble satisfait pour le moment du travail qu'il fournit, pour ma part je le trouve très amusant et le pôle artistique semble du même avis. Personne ne s'en plaint.

   — Le local, tout de même... j'imagine que c'est assez original.

   — Et encore vous ne l'avez pas vu danser dans les couloirs, sourit t-elle.

  Eh bien, il me tarde d'en être témoin.

Buvant une gorgée de mon café, j'invite ma secrétaire à s'installer en face de moi. Je ne suis arrivé que depuis quelques minutes et mon bureau est déja dans un tel foutoir. Je fouille à travers une pile de papier pour trouver celui que je cherchais tentant de remettre de l'ordre dans cette masse informe de papiers.

   — Ah ! le voilà. J'aurais dû en informer Lewis avant mon départ, cela m'étais sortit de la tête mais il nous faudra également recruter un nouveau graphiste pour remplacer Izam, s'il souhaite s'en occuper je n'y vois pas d'inconvénient.

   — C'est fait, elle commence la semaine prochaine.

   — Et la demande de mutation d'Elena Hedlund ?

   — Acceptée.

Je souris, à la fois satisfait et un tantinet agacé qu'elle ai toujours réponse à tout.

   — Tout est sous contrôle, monsieur.

   — C'est ce que je vois, très bien dans ce cas à tout à l'heure pour la réunion. Promis je n'oublierai pas.

Si elle ne me connaissait pas si bien, Judith pourrait penser que je le fais exprès. C'est pourtant assez récurrent pour lui prouver le contraire.

***

Mon dos craque tandis que je m'étire brièvement sans pour autant quitter l'écran de mon ordinateur des yeux. Les derniers arrivants s'installent sans bruit dans la salle de réunion. Fouillant activement à travers la marée de spam qui saturent ma boite mail, je souris lorsque celui dont je suis à la recherche s'affiche enfin sous mes yeux. Les responsables marketing qui me font face sont tous hors d'haleine dans l'attente du verdict final alors je ne laisse pas le suspense durer plus longtemps et lâche fièrement :

— La campagne va pouvoir officiellement débuter, nous venons d'obtenir les certifications et validations nécessaires !

Un soulagement général se fait entendre et les visages se dérident. Nous travaillons d'arrache pied depuis des mois alors c'est un véritable soulagement d'obtenir cette validation, sans cela nous pouvions faire une croix sur le lancement du jeu. Ce projet est déterminant quant à l'avenir de l'entreprise, il est notre premier projet original mais par dessus tout le plus risqué depuis la création d'Eagle Games. Si c'est un fiasco nous pouvons dire adieu à notre côte de popularité et notre crédibilité. Nombreux studios concurrents attendent la moindre erreur de notre part pour nous détrôner, hors de question de laisser une telle chose se produire et Eagle games perdurera coûte que coûte.

Une promesse est une promesse.

   — Selma, quel est le compte rendu des testeurs ?

   — Très bons malgré quelques bugs, m'informe t-elle. Des patchs ont déjà été appliqués pour corriger cela et la presse à reçu quelques exemplaires data avant tout le monde, comme prévu nous attendons leurs retours ainsi que ceux des streamers.

   — Parfait, Niklas ?

   — Le trailer à fait sensation, les visites du site internet et de la page stream explosent alors il n'y a aucune inquiétudes à avoir à ce sujet. L'équipe de développement se tient prêt en cas d'éventuels nouveaux bugs, lâche t-il en me montrant un aperçu des chiffres.

Et il y en aura. Malgré notre vigilance le risque zéro n'existe pas dans notre jargon, c'est bien pour cela que nos testeurs sont là. Je me lève, le community-manager redresse la tête comprenant que c'est à son tour de répondre.

   —  Qu'en est t-il des fournisseurs ?

   — Ils ont tous répondu présents.

  — C'est parfait, bon boulot tout le monde, dis-je en tapant dans mes mains. On ne se relâche pas, les quinze prochains jours s'annoncent intenses en vue de la sortie officielle alors d'ici là tenez vous prêt à toute éventualité ! Selma je compte sur toi pour continuer la com, Niklas surveille les chiffres et informe Lewis qu'il peut s'occuper de l'interview s'il le souhaite. En parlant de lui, ou est-il ?

   Mes yeux balayent la salle du regard mais aucune trace de lui.

   — Monsieur, m'interpelle ma secrétaire en se penchant dans ma direction. Il semblerait qu'il y ai eu un léger contretemps. Lewis ne pourra pas assister à la réunion mais il s'est chargé de transmettre le cahier des charges à la direction.

   Je fronce les sourcils. Aucun membre du pôle artistique n'est présent, habituellement seul le directeur artistique et le game designer les représentent afin qu'ils puissent continuer à travailler, à moins qu'une réunion d'urgence se proclame il est rare que les trois pôles soient réunit au complet dans une même salle. Néanmoins, l'absence ne Lewis n'est pas normale pour autant.

   — Une urgence ? cela ne pouvait t-il pas attendre ? Lewis était censé présenter les projets à venir... je doute que Selma s'en sorte sans lui.

   — Lewis souhaitait faire le point avec les graphistes concernant la nouvelle marche à suivre en vue des nouveaux recrutements. Je sais que cela tombe mal mais il voulait impérativement s'en occuper pour débuter une nouvelle semaine sans encombre.

   — Bien. D'accord, dans ce cas passons au point suivant.

   Je me reconcentre sur le diaporama qui défile sur l'écran de la salle après avoir prit à mon tour place dans un siège. Il est vrai que depuis les nombreux départs imprévus, plus particulièrement celui d'Anna, lancienne Game designer, Lewis croule sous la tâche et ne s'en sort plus. En tant que directeur artistique il est essentiel d'être épaulé par le game designer, un équilibre nécessaire pour que tout fonctionne sans encombre et une répartition des tâches optimales. Il à beau être un élément crucial, Lewis n'en reste pas moins humain et parfois submergé. La réunion se poursuit, le manager énonce tout les points à aborder avant de passer la main à une petite blonde. L'écran affiche des images de croquis provisoires.

   — Malgré le lancement de Hitman elite, le pole design ne s'est pas reposé sur ses lauriers. Nous avons imaginé quelques croquis de personnages et quelques lieux afin de cibler un public différent. Nous attentions votre validation pour procéder à l'étape suivante, m'informe le graphiste, seul membre de l'équipe design présent aujourd'hui.

   Je hoche doucement la tête prenant note mentale des images qui défilent sous mes yeux. Les sujets se succèdent ainsi que tout les points à aborder, la réunion est plus longue que je ne l'aurai pensé et même si je n'aime pas particulièrement cela, elles sont essentiels pour le bon fonctionnement. Alrik est encore aux abonnés absents cette semaine, en déplacement à l'étranger pour affaire et devrait être de retour dès la semaine prochaine, je suis donc seul capitaine du navire ces temps-ci. Judith à coté de moi prend quelques notes qu'elle juge probablement assez importantes pour être de nouveau mentionnées plus tard. Les questions s'enchainent, les avis divergent signant la fin de la réunion.

   — Bien, dans ce cas à lundi ! passez tous un bon week-end.

La salle se vide graduellement sous les visages souriants. Je rassemble à mon tour mes affaires et rejoins ma secrétaire qui m'attend dans le couloir. Elle m'emboite d'ailleurs le pas me bombardant d'informations que j'essaie de noter dans un coin de ma tête mais mon attention se fixe sur Lewis que j'aperçois près de l'accueil en compagnie d'un homme.

Un sourire radieux au visage, son accompagnateur lui tend un porte folio et Lewis hoche vivement la tête visiblement satisfait. Les deux hommes échangent quelques mots puis l'inconnu passe rapidement les portes automatiques et quitte les locaux.

Figé, je n'écoutes plus Judith qui reste hésitante à mes côtés à me questionner du regard mais je ne parviens pas à répondre trop obnubilé par ce que je crois avoir vu. Je me demande même si je ne suis pas en train de rêver tant cela me parait irréaliste alors sans réfléchir je rejoins Lewis qui s'apprête à repartir.

   — Lewis ! attendez !

   — Monsieur Gylënstierna ? Sursaute t-il en se retournant.

Je ne lui laisse pas le temps de se questionner sur mon état de panique et m'écrie bien plus fort que je ne le voudrais :

   — L'homme qui vient de partir ! qui étais-ce ?

   — Euh... le... nouveau game designer, nous venons de terminer la réunion d'équipe mais... pourquoi ? il y a un problème ?

Je cesse d'écouter lorsqu'il me le confirme et me précipite dehors passant les portes automatiques à toute vitesse. Lorsque je l'aperçois il est déjà trop tard, il s'engouffre dans un véhicule et quelques secondes plus tard celui-ci s'insère dans la circulation disparaissant tout aussi vite. Néanmoins il n'y a plus de doute possible... c'est lui. J'en suis certain. A cette idée, mon coeur tambourine furieusement dans ma poitrine, un rythme infernal que je ne contrôle plus. Seule cette scène tourne en boucle dans ma tête telle une litanie obsessionnelle,  il n'y a aucun doute possible c'est une évidence. Il ne m'aura fallut qu'une seconde pour le reconnaître. Je ne sais pas si c'est un coup du destin mais si c'est le cas, la vie fait bien les choses.

Ce manteau à carreau, ces cheveux blonds.... c'est bien lui.

Pas de place au doute, c'est lui, l'inconnu du pont Malaren.

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