Je me trouve, d'après ce que je peux voir, au Bureau des Affaires Occultes.
Enfin, d'après ce qu’a pu m’en dire Grégory, ce qui veut dire que je vais avoir de gros ennuis.
Il m’avait raconté que le Bureau était connu pour traiter les affaires qui touchent de près ou de loin au surnaturel. Bien sûr, à cette époque-là, je n’y croyais pas. Je commençais à peine à admettre que la figure de la Mort pouvait exister. Alors des êtres surnaturels ? N’importe quoi !
Dès que la Mort -ou l’homme emmitouflé d’une cape noire et rouge, aux épaules larges et aux cheveux mi-longs- m’eut prise par surprise dans la rue, il nous téléporta immédiatement dans cet endroit lugubre et étrange.
Je ne vois que des amoncellement de roches volcaniques : aux murs, au sol, au plafond,… et, en guise de comptoir, un bloc de basalte aux rainures rougeâtres comme la braise d'un feu incandescent.
Et derrière ce comptoir finement sculpté se tient une personne âgée, occupée à regarder un écran d’ordinateur, de ce que je peux en voir.
La Mort, qui me tient toujours fermement par l'épaule, me force à avancer vers elle.
Bien entendu, ne disposant pas de pouvoirs contrairement à lui, manifestement, je me retrouve donc piégée au Bureau.
- Que faites-vous ici ? Vous ne devriez pas…?
Ce que je devine être une secrétaire, ou du moins, une employée du Bureau, se lève précipitamment, contourne son comptoir en faisant claquer ses talons hauts et s'arrête devant nous d'un air furibond.
Elle me dévisage un instant, l’incompréhension se lit dans ses yeux plissées et clairs, avant d’interpeller la Mort d'une voix stridente :
- Qui c’est ça ? Et où diable est donc passée Judith ?
Mon jeolier, dont la main est restée visée sur mon épaule, pour ne pas que je puisse m’enfuir sans doute, lui chuchote d’une voix dénuée d'émotion :
- Il faut que nous parlions.
Je ne remarque qu’à cet instant, où ses lèvres sont à deux centimètres de mon oreille, qu'il possède un accent. Un accent que je ne reconnais pas bien, pour l’avoir très peu entendu aux Etats Unis. De quel endroit peut-il bien venir ?
Avant que je ne puisse mettre le doigt dessus, je sens ses doigts s’ancrer dans mon épaule, provoquant un spasme qui parcourt tout mon corps.
Que va-t-il m’arriver ? Va-t-il lui dire que c'est moi l’auteure de cette explosion ? Non il ne le pourrait pas, après tout, je n’y suis pour rien ! Qu'en serait-il s’il le pensait ?
Judith nous fait signe de la suivre d'un geste sec de la main et continue de faire claquer ses hauts talons en peau de crocodile en direction d'une porte en fer.
Sentant l’emprise que la Mort a sur moi, je n’ai d’autres choix que de les suivre.
Je cherche une solution pour m’extirper de cette situation, malheureusement pour moi, je ne vois rien suceptible de m’aider : la pièce est occupé par un large bureau et une chaise, ce qui me rappelle les salles d’interrogatoires de New York…
- Il y a eu une explosion à San Francisco pendant une récolte, Judith a été tuée, révèle froidement la Mort en me lâchant.
Il doit considérer que dans une pièce fermée, il ne prend pas trop de risque. Je me sens à la fois vexée et libérée, ça pourrait être une opportunité pour moi à saisir ?
Carole, bouche bée, replace ses lunettes sur l'arrêté de son nez. Elle se tourne alors vers moi et m’assene de questions :
- C’est toi qui a fait ça hein ?! Qui es-tu et que veux-tu ? Réponds-moi ou…
La hargne et la rapidité avec laquelle Carole m’empresse de répondre me déstabilise, si bien que je me trouve incapable de fournir une réponse cohérente.
- J’ignore si elle est responsable de cette explosion, en tout cas, si elle l’a fait, elle ne peut l’avoir fait seule. Ce qui m'inquiète, c’est sa capacité à me voir, intervient la Mort à mon grand soulagement.
- Une simple mortelle ? Et qu’est-ce qui te dit qu’elle ne l’a pas fait seule ? Elle peut très bien être une métamorphe venue s’approprier tes pouvoirs ! Rétorque Carole, plus véhémente qu’avant.
- Vérifie, lui intime la Mort froidement.
La secrétaire opine du chef et cherche quelque chose dans la poche de son tailleur rouge. Elle en sort un objet minuscule, rond, dans lequel se trouve une lentille en verre enchâssé dans un anneau doré.
Elle le porte devant son oeil droit et me scrute intensément avec.
L’objet me donne l’impression que son oeil a triplé de volume mais, après quelques instants, elle le range dans sa poche, la bouche pincée.
- Rien, décrète-t-elle visiblement déçue.
Pourtant, malgré l'aveu que je ne suis pas une créature magique, elle persiste à me détailler d'un air mauvais. Elle doit penser que malgré que son outil magique n’est pas fonctionné, cela ne m’empêche pas de cacher mon identité ou de vilains secrets qui pourraient les nuire.
En un sens, elle n’a pas tort. Sauf que je serais bien incapable de leur faire du mal à tous les deux en cet instant et en cet endroit.
- Si le Révélateur ne montre rien, cela confirme ce que je pensais, affirme la Mort avec son accent exotique.
Parfait ! J’allais peut-être pouvoir déguerpir d’ici !
Je n’ai pas le temps de me réjouir que Carole décide d'en remettre une couche :
- Qu’elle puisse te voir me semble plus inquiétant, on ignore encore ce qu’elle faisait là bas ! Et pile au moment du meurtre, comme par hasard…
De son doigt ridé, elle me désigne du doigt. Trop, c’est trop! Je ne suis pas un animal de compagnie de qui l’on peut parler de lui comme s'il n'était pas là !
Je prends alors son doigts entre mon pouce et mon index, et l’oriente dans une autre direction :
- Je n’ai rien à voir dans cette histoire ! Je rendais visite à des amis lorsque j’ai vu l’explosion ! Je vous promet que je ne sais rien, laissez-moi partir !
Je me tourne vers la Mort pour l’implorer et je crois voir passer dans ses yeux noir une vague de sang aux reflets ondoyant à leurs surfaces.
Cette vision me fait l’effet d'une douche glaciale et me pétrifie sur place. Je ne dis plus un mot. Oubliant ce que je disais quelques secondes plus tôt.
- Hors de question ! Réplique la secrétaire d'un ton suraiguë. Petr, il faut l’emmener au Tribunal pour qu'ils la jugent. On ne connait pas son implication dans ce qu'il vient de se passer ! Ça doit être la folie là-dessous, il faut penser à prévenir Bertram, et faire enfermer cette fille !
- Non, répond Petr en m’empoignant de nouveau l'épaule. Je vais l’amener voir l’Ordre de Caen, ils pourront peut-être nous éclairer sur tout ça.
Carole ouvre la bouche pour répliquer mais semble se raviser.
Me voilà un peu plus rassurée face à la décision de Petr. De ce que Carole et Petr laissaient sous-entendre, le Tribunal semble être un endroit bien pire que le Conseil.
Une idée me vient en tête : je pourrais tenter de trouver un moyen de m'échapper lors de notre voyage jusqu'au Conseil ?
Seulement, au plus je me répète le nom du Conseil, au plus j'ai la curieuse impression que mon clan l’avait déjà mentionné dans ses récits d’aventures. Et ce n'était pas en bien.
Sauf qu’à ce moment précis, impossible de m’en souvenir clairement.
- À plus tard Carole, salue Petr en l'emportant avec lui dans un tourbillon d’ombres, de poussière et de flammes.