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Petitefleur707
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CHAPITRE V

RHYS

La réunion a été un succès. Il ne me reste plus qu'à signer avec le PDG de SterlingCorp pour pouvoir acquérir le terrain. Grâce à ça, plus rien ne pourra freiner le projet NovaRise. J'ai d'ailleurs un dîner prévu avec le doyen demain soir, histoire de régler quelques formalités sans importance.

Je noue ma cravate autour de mon col et quitte l'appartement. Mon doigt presse la touche métallique de l'ascenseur, puis je m'engouffre dans la cage d'acier.

À chaque fois que je me retrouve ici, mon esprit dérive inévitablement vers la silhouette d'une petite brune aux lunettes rondes.

C'est comme si notre rencontre s'était imprimée au fer rouge dans ma mémoire. Chaque geste, chaque mot, chaque infime détail.

Son rire. Son regard. Même sa façon de froncer les sourcils quand elle se concentre.

Tout me ramène à elle, comme une obsession que je n'ai jamais vraiment voulu combattre.

Isabela Fox.

Je l'ai retrouvée au « Café du Rêve »il y a quelques semaines. Sa présence m'a pris de court, mais j'ai réussi à ne rien laisser paraître du moins en apparence.

Depuis que cette femme est entrée dans ma vie, nos chemins ne cessent de se croiser. Et à chaque fois, elle fissure un peu plus la tranquillité que je m'étais acharnée à préserver.

Je devrais l'ignorer. L'oublier. Fermer cette porte avant qu'elle ne l'enfonce pour de bon.
Mais je sens déjà les murs se fendre.

Je crois que j'ai peur d'elle. Pas au sens habituel du terme, elle ne me menace pas. C'est pire. Elle me rend étrange. Instable. Comme si, en sa présence, quelque chose déraillait en moi. Ce qui est complètement ridicule.

Je n'arrive pas à comprendre son manège. Elle vit ici, dans un immeuble que même des cadres supérieurs ne peuvent pas se permettre. Et pourtant, elle travaille dans un simple café du quartier. Il y a un décalage. Un mensonge quelque part.

Rien. Pas une trace. Pas un putain de nom, pas une adresse, pas même un vieux compte oublié quelque part. C'est impossible. Les gens ne sortent de nulle part. Et pourtant... elle, si. Comme si elle venait d'apparaître. Comme si elle n'avait jamais existé avant aujourd'hui.

Mon instinct me pousse à creuser. À chercher, à fouiller, à obtenir des réponses.
Mais je sais que si je fais ça, je m'enfoncerais encore plus dans cette obsession malsaine.

Et je ne sais pas comment réagir face à ça. Je suis Rhys Volkov. PDG, milliardaire, maître de chaque détail de ma vie. J'ai toujours su ce que je voulais, toujours su comment l'obtenir.

Mais avec elle... je perds pied. Et je déteste ça.

★★★

Après la réunion de ce soir, Ben m'a donné rendez-vous dans un bar du West Loop. Un de ces repaires à hipsters qui sentent la sueur, la bière artisanale et la prétention. Je ne fréquente pas ce genre d'endroit. Trop de bruit, trop de monde, trop de néons qui veulent se donner un style "industriel chic" mais qui crient surtout "j'ai été conçue par un designer insomniaque sous LSD". Mais bon. Exception.

D'après Ben, notre contact passe souvent ici. Alors je suis là, en mission d'observation. Repérage. Rien d'autre. Ce n'est certainement pas pour le plaisir de m'asseoir sur une banquette en velours douteux pendant qu'un DJ sous-payé massacre du vieux rock indé. Je suis censé récupérer un dossier. Un truc que notre source n'a pas voulu envoyer par voie électronique. Trop risqué, trop de paranoïa. Soit. Je joue le jeu. Mais que ce soit clair : dès que j'ai ce foutu dossier, je me tire..

Je franchis la porte et une vague de chaleur saturée de conversations, de parfums trop sucrés et d'alcool bon marché me frappe de plein fouet. L'endroit est un mélange bâtard entre un bar et un restaurant branché : des tables en bois brut collées trop près les unes des autres, des suspensions industrielles qui pendent au-dessus des têtes comme des menaces stylisées, et des serveurs en tablier noir qui slaloment entre les clients comme dans un ballet désorganisé.

Le plafond est trop bas, les rires trop forts, et quelqu'un a visiblement décidé que les murs de briques apparentes donnent du "cachet". Moi, je vois juste un piège à échos. Des groupes discutent bruyamment autour de cocktails aux couleurs fluo, d'autres s'écrasent sur des banquettes en simili cuir, à moitié affalés, à moitié saouls. L'ambiance se veut détendue. Moi, je trouve ça étouffant.

Je m'avance entre les tables, en tentant de ne pas respirer trop fort l’odeur de friture, de parfum entêtant et de désespoir du vendredi soir. Je jette un œil vers le fond, là où la lumière est un peu moins crue, à la recherche d'un visage familier ou d'un signe distinctif. Je suis concentré. Sérieux.

Et puis je la vois.

Isabela.

Assise à une petite table contre le bar à l'écart du chaos. Elle est légèrement penchée sur son verre, le coude posé nonchalamment sur la table, l'air absorbée, mais pas perdu. Juste... ailleurs. Une robe simple, une couleur claire qui contraste avec la lumière ambiante et qui, évidemment, attire l'œil. Ses cheveux retombent sur ses épaules comme si chaque mèche avait été placée là volontairement. Et ce sourire. Léger, comme une pensée silencieuse qui l'amuse, elle seule.

Elle est comme un tableau accroché dans un couloir trop bruyant. Hors de propos. Mais impossible à ignorer.

Je m'arrête un instant, pris au dépourvu. Je ne sais pas si c'est elle qui est au mauvais endroit ou si c'est moi. Probablement moi

Je contourne un groupe de types bruyants installés au comptoir, les épaules rentrées, en essayant de me fondre dans la masse aussi discret qu'un costume hors de prix dans un repaire de vestes en jean. Et sans vraiment le planifier, mes pas me guident vers elle.

Je m'approche par derrière, poussé par une curiosité que je refuse d'admettre. Je ne fais que passer, je me dis. Repérage. Observation. C'est tout. Et pourtant... je ralentis.

Elle ne m'a pas vu. Elle est plongée dans un petit carnet noir posé devant elle. Pas un agenda, pas un menu. Un carnet usé, un de ceux qu'on trimballe partout et qu'on ouvre comme un coffre à secrets. Il est couvert de post-its colorés, certains dépassent en désordre, griffonnés à la va-vite. Elle écrit. Concentrée. Le front plissé, la main qui court sur la page, rapide, presque fébrile.

Je n'avais encore jamais vu cette version d'elle.

Et, sans réfléchir, je souffle son prénom.

— Isabela.

Elle sursaute légèrement, lève les yeux. Surprise. Pas effrayée. Juste... tirée d'un autre monde.

Pendant une seconde, on reste là, comme figés. Moi debout derrière elle, incapable de détourner les yeux du carnet. Elle, les doigts encore crispés sur son stylo, comme si elle hésitait entre me saluer ou refermer ses pensées d'un coup sec.

Je ne sais pas ce qu'elle écrivait. Je ne sais même pas pourquoi ça m'importe. Mais c'est étrange... De tous les endroits où je pensais la croiser, celui-ci était le dernier sur la liste.

Elle lève les yeux vers moi et, fidèle à elle-même, m'accueille avec un sourire si large et lumineux qu'il détonne dans l'ambiance feutrée du lieu.

— Encore toi ? Je vais finir par croire que tu me suis, murmure-t-elle en refermant doucement son carnet, les yeux pétillants d'un amusement tranquille.

Je fronce légèrement les sourcils. Je n'ai pas le temps pour ce genre de plaisanterie. Surtout pas quand elles viennent d'une femme assise seule dans un bar, avec un carnet de notes codé comme une énigme.

— Je te signale que j'étais là le premier, je réplique, un peu trop sec pour que ce soit drôle.

Même si c'est faux.

Elle hausse un sourcil, visiblement amusée par ma rigidité, puis tapote la chaise vide à côté d'elle du bout des doigts.

— Tu peux t'asseoir, tu sais. Je t'offre rien à boire je suis pas aussi généreuse mais j'attends un hamburger. Si t'as deux minutes, t'as qu'à me tenir compagnie pendant que je salive.

Je reste un instant figé. Je devrais refuser. J'ai un dossier à récupérer, un contact à repérer, un million de choses à ne pas faire dont celle-ci. Mais au lieu de ça, je m'assois. Presque malgré moi.

Elle glisse son carnet de côté, comme si elle venait d'inviter quelqu'un dans son petit monde et qu'elle avait besoin de le ranger un instant. Je la regarde du coin de l'œil, et pour une fois, elle ne parle pas tout de suite. Elle me laisse le silence. C'est presque plus perturbant que ses blagues.

— Tu viens souvent ici ? je demande, histoire de dire quelque chose, même si ça sonne idiot.

— C'est pas mon QG, mais j'aime bien. Ils ont des burgers incroyables et une playlist qui ne fait pas saigner des oreilles. Pourquoi, t'enquêtes sur mes habitudes alimentaires maintenant ?

Je ne réponds pas. Elle rit doucement. Et contre toute attente... je reste.

★★★

Elle croque une frite qu'un serveur vient de déposer avec un demi-sourire charmeur qu'elle ignore royalement. Moi aussi, d'ailleurs. Je n'ai pas le temps pour les idiots qui flirtent avec tout ce qui respire.

— Tu sais, à ce rythme-là, je vais vraiment finir par croire que t'as planté un GPS sur moi, dit-elle en me lançant un regard en coin. Sérieusement... l'ascenseur, le couloir, le café, maintenant ici ? Tu me suis, Stalker ?

Je lève les yeux au ciel.

— Je suis ton voisin, pas un harceleur. Statistiquement, c'est logique qu'on se croise.

Elle plisse les yeux, faussement suspicieuse.

— Mouais. Trop logique pour être honnête. Tu veux avouer maintenant ou tu préfères que j'appelle la police ?

— Je préférerais que tu appelles ton serveur, si t'as l'intention de me faire interroger, je veux au moins un verre.

Elle éclate de rire, un vrai rire cette fois. Libre, inattendu, qui chasse l'agacement que j'ignorais avoir dans les épaules.

Mon regard glisse à nouveau vers son carnet. Ce petit truc noir, griffonné de partout, rangé comme s'il valait de l'or. Intrigant.

— Et ça, c'est quoi ? je demande, en désignant le carnet d'un geste du menton. Un journal intime version multicolore ?

Elle pose théâtralement la main dessus, comme si elle protégeait un code nucléaire.

Top secret, chuchote-t-elle. Si je te le dis, je devrais te faire disparaître.

Je la fixe sans réagir. Elle roule des yeux.

— Bon, d'accord. C'est mon projet perso. Un roman. Enfin, un début de roman. J'écris dès que j'ai une pause, ou que j'essaie d'éviter une conversation gênante dans l'ascenseur.

Très drôle.

— Un roman ? je répète surpris. Du genre... fiction ?

— Non, du genre recette de lasagnes. Évidemment que c'est de la fiction, Sherlock.

Je hausse un sourcil, et elle continue, un peu plus doucement :

— Je bosse dans un café pour payer le loyer, mais ce que je veux vraiment, c'est être autrice. Genre à plein temps. Pas barista avec un carnet magique.

Je la regarde un instant. Ce n'est pas du tout ce à quoi je m'attendais. Et, pour une raison que je ne m'explique pas, je ne trouve pas ça ridicule.

— T'as un plan B, au cas où le roman ne marche pas ?

Elle prend une frite, la pointe vers moi comme une épée miniature.

— Tu veux dire comme devenir garde du corps pour milliardaire grincheux ?

Je souris. Presque.

— Et t'écris quoi, du coup ? je demande, plus curieux que je ne devrais l'être.

Elle semble hésiter une seconde, puis hausse les épaules avec un sourire timide, presque gêné.

— Une histoire d'amour.

Je cligne des yeux.

— Sérieux ?

— Pourquoi, j'ai pas la tête à ça ?

— Honnêtement ? Non.

Elle éclate de rire en posant son menton dans sa main, comme si ma réponse était exactement celle qu'elle attendait.

— T'inquiète, ce n'est pas juste des cœurs et des violons. Y a un peu de drame, un peu de bordel émotionnel... et beaucoup de sarcasme. Faut bien que je me défoule quelque part.

Je l'observe un instant. Elle parle avec une légèreté naturelle, sans chercher à impressionner. Comme si c'était la chose la plus normale du monde d'écrire des romans en secret dans des bars trop bruyants.

Elle prend une gorgée de soda, puis me dévisage avec une moue mi-amusée, mi-curieuse.

— Au fait, qu'est-ce que toi tu fais ici ? J'veux dire... t'as pas vraiment la tête du type qui traîne dans ce genre d'endroit. Trop de bruit, trop de gens normaux, pas assez de whisky hors de prix, non ?

Je fronce les sourcils, incapable de dire si elle se moque ou si elle est simplement lucide. Peut-être les deux.

— Un petit truc pour le boulot, je réponds, vague.

Elle plisse les yeux, puis son sourire s'élargit.

— Ah, je vois. Un dossier ultra-secret classé "Confidentiel Défense", c'est ça ? Mission spéciale pour milliardaire en quête de vérité ?

Je secoue légèrement la tête, un soupir discret m'échappe. Cette fille pourrait transformer un interrogatoire en stand-up.

Mais au moment où je m'apprête à répliquer, mon regard est attiré par quelque chose derrière elle. Un homme vient d'entrer. Manteau sombre, allure nerveuse. Il balaye la salle du regard avec une précision qui ne trompe pas. Je le reconnais aussitôt. Le contact.

Je me redresse légèrement, l'attention revenue d'un coup.

Mon regard se durcit, je me redresse sans même m'en rendre compte.

— Quoi ? demande Isabela en se retournant à moitié. Tu viens de voir un fantôme ou c'est mon burger qui t'a coupé l'appétit ?

— J'ai... un truc à régler.

Je me lève, à contrecœur. Enfin, pas vraiment. Mais presque. Elle lève les yeux vers moi, surprise.

— Déjà ? Je croyais que les voisins stalkers prenaient plus leur temps.

Je glisse les mains dans les poches, reprenant mon masque d'indifférence.                         — Désolé, dis-je en me levant. Je dois y aller.

Elle fronce les sourcils, surprise, mais ne cherche pas à retenir le moment. Elle m'observe, toujours assise, son carnet maintenant refermé contre elle.

— Ouh, on dirait que c'était vraiment un truc top secret, souffle-t-elle.

— Une autre fois. Peut-être.

Elle me fait un petit salut moqueur.

— Fais attention à toi, mystérieux voisin. On sait jamais, les bars branchés, c'est dangereux.

Je tourne les talons sans répondre, mais son rire me suit jusqu'au fond de la salle.

Et merde.

 Pourquoi j'ai l'impression de laisser un truc derrière moi ?

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