Thomas était revenu en urgence. Il était arrivé au petit matin, le visage tiré, les traits marqués par la tension. Max l’avait accueillie dans le bureau, les stores encore fermés, la lumière crue de l’écran projetant des ombres sur son visage grave.
— C’est confirmé, dit-il sans préambule. Le groupe s’appelle Sentinelle Noire. De vieux contacts du ministère de l’intérieur, radicaux, infiltrés dans des services qu’on croyait épurés.
Max serra la mâchoire. Elle s’en doutait, mais l’entendre rendait les choses plus réelles. Plus dangereuses.
— Et Léo ? — L’un des types qu’on a cueillis cette nuit a parlé. Il a confirmé que Léo est le contact. C’est lui qui transmet les infos. Et surtout, c’est lui qui organise l’enlèvement. Il veut faire pression sur le ministre en prenant sa fille.
Max se leva d’un bond. Elle fit trois pas dans la pièce, les poings serrés.
— Alors on fonce. Je vais la récupérer.
Thomas la stoppa d’un geste.
— Max, non. Tu ne peux pas. Si tu interviens maintenant, il s’échappe. On a besoin de preuves solides. De récupérer les communications, de les prendre la main dans le sac.
— Et s’il lui arrive quelque chose ?!
Thomas planta son regard dans le sien.
— Il ne faut pas qu’il se doute qu’on sait. Tu as mis les micros. Tu entends tout. Tu la protèges comme tu peux. Mais tu dois rester à distance. On le coince, Max. Pour de bon.
Elle ferma les yeux, le corps tendu à craquer. Rester à distance était la chose la plus difficile qu’elle ait jamais faite.
La journée s’écoula au ralenti. Max, installée dans un véhicule banalisé non loin de la planque, écoutait les conversations captées par les micros. Elle entendait Garence rire doucement avec l’autre agent. La méfiance dans sa voix parfois. L’impatience aussi. Et elle, impuissante, tentait de déceler le moindre signe que quelque chose se préparait.
Puis Léo arriva.
Il entra comme si de rien n’était. Voix calme, posée. Il fit croire que la planque n’était plus sûre. Qu’il avait des ordres. Qu’il fallait partir, vite. Le remplaçant de Max, pas encore au courant de la vérité, se laissa convaincre.
Garence, elle, ne dit rien. Mais Max, à travers les micros, sentit son silence. Cette méfiance tendue. Ces secondes où elle réfléchissait.
Le départ fut précipité. Ils préparèrent un sac. Garence posait des questions, tentait de gagner du temps, la voix à peine tremblante. Max serrait les dents. Elle visualisait chaque pièce. Chaque pas. Chaque minute qu’elle perdait.
Puis la porte d’entrée claqua.
— On y va, avait dit Léo.
Max se redressa dans le véhicule. Le doigt sur l’oreillette, les muscles crispés.
Ils étaient dans l’entrée. Puis sur le seuil. Puis dehors. Les pas crissaient sur le gravier.
Et soudain, la voix de Garence, forte, nette, déchirante.
— MARGOT !
Max bondit. Ce n’était pas juste un cri. C’était un signal. Leur code. Son vrai prénom. Elle avait compris. Elle savait. Et elle l’appelait.
Max déclencha son oreillette.
— Elle est en danger. Intervenez. Tout de suite !
La radio grésilla. L’ordre fut transmis. Les agents du périmètre convergèrent vers la résidence. Max bondit hors de la voiture. L’adrénaline dans les veines.
Elle courait.
Devant la maison, le véhicule était encore à l’arrêt. Léo venait d’ouvrir la portière à Garence. Mais elle reculait, refusait de monter.
Puis Max apparut.
Arme levée. Voix sèche.
— Léo. Lâche-la. Maintenant.
Léo se retourna, ses yeux sombres vrillés dans ceux de Max. Il attrapa Garence et la tira contre lui, son arme collée contre sa tempe.
— Bouge pas, Max. Ou je la descends.
Max se figea. Son doigt effleura la gâchette. Son souffle se coupa.
— Tu sais que t’as perdu, Léo. Laisse-la partir.
— Tu crois que je vais me laisser arrêter ?! hurla-t-il.
Max n’eut qu’un battement de cœur pour décider.
Elle visa. Elle tira.
Une balle. Une seule. Précise. Chirurgicale.
Léo s’effondra, touché à l’épaule. Garence, libérée de son emprise, tomba en arrière, les bras tremblants. Max se précipita, la rattrapa juste avant qu’elle ne heurte le sol.
— Ça va, tu vas bien ?
Garence hocha la tête, muette d’émotion.
Les agents encerclèrent Léo, le désarmèrent. Tout alla vite. Trop vite.
Le retour chez le ministre fut silencieux. Il les attendait, debout dans son bureau, les traits tirés, le regard sombre.
Mais quand il vit sa fille, il s’avança, la serra contre lui sans un mot. Garence ne protesta pas.
Puis il se tourna vers Max.
— Merci. Vous lui avez sauvé la vie.
Elle hocha la tête, humble, droite.
— J’ai fait mon travail, monsieur.
— Justement. C’est pourquoi je souhaite que vous repreniez votre poste. Officiellement.
Max hésita. Puis acquiesça.
— Si elle est d’accord, je resterai.
Garence, à côté, esquissa un sourire discret.
Ce soir-là, de retour à la résidence, elles s’étaient effondrées l’une contre l’autre sur le canapé. Épuisées. Mais vivantes. Max avait passé un bras autour d’elle, la tête de Garence posée sur son épaule.
Le silence était paisible. Garence souffla, presque à mi-voix :
— Pourquoi Max ?
Max tourna la tête vers elle, intriguée.
— Pourquoi ce prénom ? Ton vrai, c’est Margot, non ?
Max sourit.
— Quand j’ai commencé, personne ne me prenait au sérieux. "Margot", ça faisait… léger. Trop doux, trop jeune. Alors mes collègues ont commencé à m’appeler Max. Comme "Maxi-analyse", "Maxi-mémoire", et puis… X. L’inconnue. Celle qu’on n’attendait pas. Et c’est resté.
Garence hocha doucement la tête, souriant à son tour.
— Ça te va bien, tu sais. Mais moi… je t’appellerai Margot.
Max l’embrassa sur le front, la gardant contre elle.
— Juste entre nous, alors. Comme un code secret.
Et dans la nuit enfin calme, elles s’endormirent, serrées l’une contre l’autre, conscientes que la tempête était passée… pour un temps.