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Horliana
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Chapitre 1 : Ewan

Les doigts fermement serrés autour de ceux de ma mère, j'entends à peine les paroles que psalmodie le prêtre. Autour de nous, presque tous les habitants de notre petite ville se sont réunis afin de rendre un tout dernier hommage à Fiona. Seule la voix grave de l'officiant retentit entre les travées. Le poids de la tristesse alourdit l'atmosphère, il la rend presque irrespirable. Je n'entends pas les belles paroles qui rendent hommage à ma sœur, je n'entends que le son de mon propre cœur qui se brise face à son cercueil clos. Les rayons du soleil qui passent au travers des vitraux projettent une lueur rougeoyante sous la nef. Une rivière de sang, lugubre, macabre, comme toutes mes pensées. Je détourne le regard et fixe sur le bout de mes chaussures vernies. Une petite éraflure sur la pointe gauche marque déjà le cuir alors que je les ai achetées ce matin. Juste pour la cérémonie. Un frisson s'insinue sous ma peau malgré la lourdeur de ce début de juin. Je n'ai pas besoin de relever la tête pour sentir la myriade de regards compatissants qui se posent sur nous. Je n'ai pas la force de les affronter.

— Je vais maintenant inviter ceux qui le désirent, à venir s'exprimer pour rendre un dernier hommage à Fiona.

Je resserre ma prise sur la main de ma mère. Sa paume est moite, comme la mienne, et je peux sentir contre ma peau les battements fatigués de son cœur. La nef de l'église retient son souffle alors que tous les regards convergent dans notre direction. J'avale ma salive, plusieurs fois, mais la boule qui m'obstrue la gorge refuse de partir. Les secondes s'étirent pour devenir des minutes. Le silence est total. Religieux, à peine perturber par quelques sanglots étouffés. Finalement, le froid vient chatouiller mes doigts, tremblants d'avoir perdu leur ancre. Ma mère se lève. Fière, droite, sans une larme pour tacher ses joues. Le bruit de ses talons claque sur la pierre froide. Les fragrances de son parfum s'attardent à sa place. C'est l'odeur du réconfort, un cocon qui m'enveloppe un bref instant, avant que les quelques notes de bergamote s'étiolent sous les relents du désespoir. Quand les mains tremblantes et marquées par le temps de ma mère se posent sur le pupitre, au côté du prêtre, je réprime le sanglot qui menace de jaillir. Mes yeux brûlent de larmes, et je serre les lèvres dans le seul espoir de les retenir.

— Fiona était une force de la nature...

Les premières paroles de ma mère sont éraillées, presque grinçantes. Avant de continuer, elle replace une mèche grise qui s'est échappée de son chignon.

— C'était une jeune femme forte, drôle, toujours pleine de vie et de joie...

Une première zébrure fêle son masque de dignité pour laisser entrevoir la femme brisée qu'elle dissimule derrière. Sa voix vacille légèrement, le bleu de ses prunelles s'embue, mais elle reprend contenance.

— Ma fille avait ce don unique pour rassembler les gens, pour trouver la lumière derrière chaque âme blessée. Partout où elle passait, son rire résonnait.

Elle pose le poing sur son cœur. Je sais la douleur qui la tenaille. Je lutte contre le même étau qui enserre ma poitrine, qui me coupe le souffle, qui me poignarde le cœur. Ses yeux se plissent, son front se fronce, ses épaules s'affaissent. Le poids du deuil l'étouffe et je détourne le regard pour ne pas voir cette femme toujours si digne s'écrouler sous le regard de tous.

— Fio...Fiona est partie bien trop tôt. Sans sa lumière, le monde semble un peu plus sombre, mais nous devons lutter...

Cette fois, elle craque. Sa voix se brise dans un cri déchirant qui appelle mon propre chagrin. Les larmes roulent sur mes joues, les sanglots agitent ma poitrine. La douleur palpite partout : dans mon cœur, dans ma tête, dans mes membres qui tremblent.

— Fiona voudrait qu'on continue de se battre, qu'on continue de rire, qu'on continue d'aimer...

Mes poings se serrent. Elle ne se battra plus, elle ne rira plus, elle n'aimera plus. On lui a tout volé.

— Je t'aime, mon enfant, et jusqu'à ce que je te rejoigne, je ne cesserais de t'aimer.

Ces mots sonnent le glas de sa retenue et de la mienne. Dans un même mouvement, nous nous écroulons. Genoux qui s'écrasent contre la pierre, épaules affaissées, visages dans les paumes. Les sanglots nous secouent, seule musique au cœur de la nef. Il n'y a rien d'autre que la douleur, rien d'autre que la perte. Les mains dans mon dos ne sont que fantômes, les paroles rassurantes que murmures. Le temps s'est arrêté pour offrir à nos âmes ce dernier moment pour pleurer. Après, il faudra reprendre sa vie, tenter d'avancer, mais plus que tout, trouver le moyen de se venger.

Je trouve finalement la force de lever la tête. Je cherche le regard de ma mère. Ses yeux, bien que rouges et gonflés, me renvoient une intensité empreinte de résilience. Elle n'a pas besoin de mots pour me faire comprendre qu'il faut qu'on se relève, qu'il faut qu'on continue. Comme nous nous sommes écroulés, nous nous relevons de concert, soutenus par le mince filet de notre peine commune. Comme elle est partie, elle me rejoint tête haute et fière malgré les traces de sel qui maculent ses joues. Des mains se tendent dans des gestes d'affection silencieux. Puis chacun reprend sa place et la cérémonie continue dans le flou. Les témoignages s'enchaînent, les larmes pleuvent et les hommages sont beaux et sincères. Finalement, sur une ultime parole, on nous invite à saluer Fiona, une toute dernière fois. Un à un, les passants, les connaissances, les amis, les amants, la famille, rejoignent le cercueil. Une brève caresse, quelques mots murmurés et des larmes versées. Comprimé dans la file, entre ma mère et un vieil oncle bedonnant, j'attends mon tour. Mon regard coule sur la procession de robes et costards noirs pour essayer de reconnaître un visage, mais ce ne sont que des inconnus de passage, des rencontres fugaces dans une vie trop courte. Certains ne lui avaient parlé qu'une seule fois, pourtant les larmes noient leurs yeux. Un violent goût de bile remonte mon œsophage, il me tapisse la gorge. Je serre les poings plus fort lorsqu'un des ex de Fiona, me tape sur l'épaule en signe d'encouragement. Ce bâtard l'a largué comme une merde, mais il pense qu'il a le droit d'être là. Je ravale les mots pleins de rancœurs qui me brûlent la langue et fait un pas de plus. Devant moi, ma mère s'est agenouillée. Ses lèvres sont pressées contre le bois que ses bras entourent. Elle offre une dernière étreinte à une simple boîte. Quand elle se relève, quand elle se décale, quand il n'y a plus rien entre moi et le lit de chêne de ma sœur, mon cœur s'arrête. Juste une seconde. Puis, il reprend. La vérité me frappe de plein fouet : la moitié de moi est morte. Partie. À jamais.

Mes pas sont lourds jusqu'au cercueil, comme si mes jambes pesaient des tonnes. Le couvercle en chêne vernis est glacé sous ma main, nouvelle preuve que la chaleur de ma jumelle a irrévocablement disparu. Les mots me brûlent les lèvres, mais refusent d'en franchir la barrière. J'aimerais réussir à lui dire à quel point je l'aimais, à quel point elle va me manquer... Mais je ne lui dis rien de tout cela, je lui fais juste une dernière promesse.

— Je te vengerais.

Et puis je l'abandonne. Je traverse la nef d'un pas déterminé. Des particules de poussière virevoltent dans les rayons de soleil. L'ambiance austère et froide de l'église détonne avec les couleurs qui commencent à parer la pierre. Je pousse les épaisses portes dans un grincement sinistre et atterris dans un monde bien trop lumineux. L'air est lourd de la chaleur estivale, il contraste brutalement avec l'ambiance qui règne à l'intérieur. Devant l'église, les langues commencent à se délier, les visages se parent de quelques sourires, même les oiseaux ont l'audace de chanter. Pour beaucoup, la cérémonie n'était qu'une parenthèse morose dans leur journée, pour moi c'est presque un point final.



Et voilà le premier chapitre, enfin la moitié de celui-ci, pour la facilité de lecture sur Wattpad j'ai choisi de découper mes chapitres en deux parties afin de vous éviter les trop longs chapitres, difficiles à lire sur la plateforme. 

Qu'avez-vous pensé de ce début ? Êtes-vous prêt pour la suite ? 

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