Sam se réveilla en sursaut, persuadé qu’il avait fait un cauchemar. Les tempes trempés de sueur, il se redressa, encore sonné.
Comment en était-il venu à retrouver son lit ?
Une par une, il ordonna les images de ses souvenirs dans sa tête.
Une fois Winifred partie parmi les siens, Justus avait raccompagné son fils et Charlotte à la maison. Sa mère était pétrie d’inquiétude et de questions, mais elle s’était contentée de l’enlacer, de le convaincre de se doucher et d’aller dormir.
Elle avait bien essayé de le faire manger, mais l’épuisement lui avait fait perdre l’appétit.
Entre les horreurs de la veille qui hantaient désormais ses rêves et la faim, pas étonnant qu’il se réveille en plein milieu de la nuit !
Il prit son téléphone et soupira en voyant l’heure. A deux heures du matin, ce n’était vraiment plus l’heure de manger. Et il n’avait pas vraiment la foi de descendre à la cuisine pour fouiller les placards.
Il valait mieux tenter de se rendormir.
Mais, derrière ses paupières, les images du tram le tourmentait encore et encore, et la culpabilité revint dans son esprit.
Il tenta de chasser ces pensées de son esprit, et ce fut l’enterrement de Terry qui se rappela à lui.
Les obsèques de son ami, dans tout ça, où en était-ce ? Comment allaient monsieur et madame Brown ? Avaient-ils été atteint par la catastrophe ? Avaient-ils pu lui dire au revoir correctement ? Lui en voulaient-ils pour son absence, alors qu’ils lui avaient donné l’autorisation de venir dire adieu à Terry ?
Son cœur se serra. Il n’était pas un bon ami. Il n’avait même pas réussi à être là pour lui dans la mort.
Il ne trouverait plus le sommeil cette nuit.
— Maître, reposez-vous encore un peu. Il n’est rien qui ne puisse attendre demain.
La voix de Charlotte fendit le silence dans un murmure. L’enfant était assise près de lui, à son chevet, et, de ses petites menottes glacées, elle pressa avec douceur la main de l’adolescent.
— Même les pensées les plus sombres qui vous tourmentent peuvent attendre. Apaisez donc vos esprits et rendormez-vous, je vous prie.
Sam posa son regard sur la petite avec surprise et curiosité.
Il avait oublié, pendant un instant, sa présence. Elle était toujours près de lui. Et c’était la première fois qu’il oubliait ce fait.
Rien que de la voir nourrissait ses pensées de milliers de questions supplémentaires. Elle paraissait toujours savoir ce qu’il se passait dans sa tête, comme si elle lisait ses pensées.
Le soir où il l’avait ramené à la vie, il avait deviné que les choses s’étaient déroulées d’une étrange façon, même s’il était dans l’incapacité de dire pourquoi. Il le sentait, simplement. Tout comme il ressentait une sorte de lien fort qui la reliait à elle constamment. Il n’y avait pas fait particulièrement attention, jusqu’alors. Mais cette nuit, son esprit plus alerte que de coutume pointait du doigt cette différence.
Charlotte l’observait avec attention, et devinait qu’elle était la cause de son trouble. Depuis son éveil, ce n’était pas la première fois qu’il s’abstenait de lui poser des questions. Sam ne se rendormirait pas. Elle le savait.
Il était sans doute temps de l’aider à obtenir des réponses sur elle.
— Maître, je vois bien que je vous intrigue. Si quelque chose chez moi vous trouble, j’en suis confuse. Que puis-je faire pour que vous retrouviez votre calme et que vous terminiez votre nuit avec quiétude ?
La sollicitude de la petite fille prit au dépourvu le jeune homme. Peut-être avait-il paru désobligeant à son égard ? Il n’avait pas l’intention de lui faire ressentir un quelconque malaise. Néanmoins, il allait bien falloir qu’ils crèvent l’abcès s’il ne voulait pas que les questions sans réponse ne finissent par éroder la confiance que l’enfant avait placé en lui.
Cela le soulagerait un peu, s’il ne se montrait pas trop maladroit.
En espérant que tout cela ne tourne pas à une énième catastrophe.
— Je me pose juste beaucoup de questions sur toi, Charlotte, murmura-t-il avec précaution. Mais je ne veux pas que mes questions puissent te gêner.
La petite fille lui offrit un sourire paisible, et affirma doucement sa poigne sur la main de son jeune Maître. Dans son regard, on devinait une étincelle de détermination. Cela la rendait plus humaine que jamais.
Sam hésita un instant à quel interrogation pouvait-il bien commencer. Finalement, ce fût la plus curieuse d’entre toutes qui franchit ses lèvres, même si elle lui donnait l’impression de dire une bêtise plus grosse que lui.
— Est-ce que tu lis dans mes pensées ?
— Lire dans vos pensées ? répéta l’enfant avec surprise. Voyons, Maître !
Elle rit de bon cœur, les éclats cristallins de sa voix brisant de toute part la sobriété de la chambre dans la pénombre nocturne.
L’adolescent rougit de plus belle, gêné qu’elle se moquât ainsi de lui. Il répliqua pour se justifier.
— Ce n’est pas marrant ! On dirait que tu les devines toujours ! Comme… comme dans le tram, par exemple…
La simple évocation de ce qui avait pu se passer durant l’après-midi le troublait encore profondément. Il secoua la tête afin de chasser la moindre image qui tentait de parvenir à son esprit et concentra toute son attention sur Charlotte, dont le rire s’était soudain tu.
— Je n’ai point cette capacité, Maître. Ou peut-être l’ai-je, mais d’une manière bien différente ce que vous pensez. Nous sommes liés, tout simplement. Par conséquent, près de vous, je peux ressentir, lorsque je suis auprès de vous chacun de vos états d’âme. Je perçois votre joie, votre peur, votre curiosité… mais je ne puis guère entendre vos pensées.
Entendre ces mots soulageait le cœur de Sam. Il avait craint si fort qu’elle puisse lire avec clarté chacune de ses pensées, qu’il était terrifié de la moindre pensée négative qui pourrait blesser Charlotte. Des fois, on a en tête des choses qu’on ne pense pas réellement du plus profond de nous. Il serait idiot de les confondre avec les pensées parasites sous le coup des émotions.
— Selon tes mots, si je comprends bien, cela signifie que lorsque que je suis loin de toi, tu ne peux pas ressentir mes émotions ?
Le visage de l’enfant se fit plus grave.
— Plus vous vous éloignez de moi, moins je peux vous protéger, c’est un fait clair et évident. Je ne pourrais supporter de vous savoir trop loin de ma personne en sachant que vous pourriez courir un grand risque, comme ce que nous avons eu le malheur de connaître tantôt. A mon sens, ce serait comme bafouer ma raison d’être.
L’attention qu’elle portât à peser chaque mots pour répondre à Sam fit comprendre à celui-ci à quel point il était essentiel pour Charlotte de rester auprès de lui. Cela dépassait la propre volonté de la petite fille, ou même la sienne, et cette vérité ébranla le jeune homme, qui concevait un peu plus nettement le poids de sa responsabilité envers la vie qu’il avait ramené auprès de lui.
Elle n’avait pas choisi que Sam lui faisait mener, jour après jour, tentant simplement de vivre la vie qu’il avait toujours vécu avant la connaissance de la Nécromancie ou d’une quelconque magie existante dans ce monde.
Il n’était sans doute pas une personne mauvaise ou tyrannique, mais elle devait sans nul doute être troublée sur la raison d’accompagner un jeune Maître incompétent et inexpérimenté qui passait son temps à trouver le moyen de s’éloigner d’elle, et donc d’entraver la raison même de son retour à la vie.
Se sentait-elle rejetée ?
Se sentait-elle seule ?
Lui avait-il donné le terrible sentiment d’être inutile ?
Cette dernière question lui tordait l’estomac.
— Lorsque je ne suis pas là et que tu es seule, comment ça se passe, pour toi ? osa demander le jeune homme en se disant que sa question était déplacée.
A nouveau, un petit silence se fit, que l’enfant utilisait pour choisir soigneusement ses paroles afin de ne pas troubler Sam au-delà de ce qu’il était en mesure d’accepter.
— Lorsque vous n’êtes pas à mes côtés, l’inquiétude me ronge. Comme je vous l’ai exprimé tantôt, ne pas être à vos côtés pour vous protéger n’est pas naturel pour moi. Je ressens moins bien vos émotions, je ne puis réagir en conséquence. J’ai beau utiliser les moyens qui m’ont été octroyés par le Pacte, je ne puis guère être efficace en cas d’une nouvelle attaque. Cependant, sachez que je m’emploie toujours à respecter votre volonté, Maître.
Les craintes de Sam se confirmaient. Il était incroyablement égoïste de s’acharner à vouloir qu’il la laisse seul. Pourtant, il ne voyait aucune solution à ce fait, car il était bien obligé d’aller en cours, et Charlotte était beaucoup trop jeune pour se faire passer pour une élève de son lycée.
Que pouvait-il faire pour soulager l’inquiétude de la petite fille si impliquée dans son devoir ?
Le jeune homme préféra changer de sujet, son esprit n’étant pas prêt pour réfléchir à tout cela.
— Je dois te paraître bien maladroit, soupira-t-il, mais j’espère que tu sais que je fais de mon mieux. Tout ce qu’il s’est passé, ces derniers jours, c’est beaucoup. J’ai l’impression que chaque jour sera pire que le prochain.
Il posa son autre main avec douceur sur les menottes glacées de Charlotte.
— Je n’y connais rien, tu sais. Je sais que tu considères tes devoirs avec forces et conviction, et moi, tout ce que j’ai eu à te proposer jusque-là, c’est une petite vie de famille entre deux catastrophes. Est-ce que la situation te convient ? Est-ce que tu regrettes… de t’être levée pour moi ?
— A travers le temps et les âges, je ne pense pas qu’il n’y ait jamais aucun maître expérimenté dès son premier jour. Vous apprendrez, Maître, comme tout un chacun. Sachez simplement que je n’ai aucun regret. Je sais la chance que j’ai que vous soyez si bon envers moi. Vous vous souciez réellement de moi, et cela me suffit. Savoir que vous faites ce que vous estimez le mieux pour moi m’enchante sincèrement. Je suis heureuse de m’être levée pour vous, et j’espère avoir l’extrême honneur de vous voir évoluer jusqu’au jour où vous serez reconnu par tous comme un grand Maître, et plus seulement par moi.
Une confiance irréprochable.
Une sincérité qui déconcerta Sam au plus profond de lui-même.
Charlotte n’était pas une marionnette. Elle n’était pas un soldat.
Elle était en vie, corps et âme.
S’il avait douté un jour de ce fait, à cet instant, les doutes disparurent.
Mais comment se montrer à la hauteur d’une telle foi qu’elle plaçait en lui ? Lui qui n’était qu’un incapable, un bon à rien ?
Les bras du jeune homme enlacèrent la petite Charlotte dont les joues rosirent, ne s’attendant pas à une telle étreinte, protectrice et réconfortante. Contre lui, la petite fille entendait les battements du cœur chamboulé de son jeune Maître.
L’étreinte d’un grand frère qui réconforte sa petite sœur. La promesse de se montrer à la hauteur de ses espérances, même s’il ignorait comment il devrait s’y prendre.
L’accepter pleinement comme membre de la famille, tout simplement.
Il n’y avait pas besoin de mots pour comprendre ce geste tendre. Et l’enfant aurait pleuré à chaudes larmes de reconnaissance, si seulement elle le pouvait.
Après une discussion aussi intense, Sam, épuisé tant moralement que physiquement, s’excusa auprès de Charlotte, le sommeil le rappelant.
Charlotte le borda et s’assit à nouveau près de lui, le laissant s’assoupir paisiblement.
Pour elle, il n’y avait point de sommeil. Cela était une caractéristique des vivants. Mais elle ne se languissait pas des rêves.
Elle avait dormi si longtemps. Le jour où ses paupières seraient closes à nouveau, se serait pour retourner à jamais sous terre.
Elle en avait parfaitement conscience.
En attendant la venue de jour funeste, elle comptait bien aider son jeune et innocent Maître à devenir un grand Maître Nécromancien accompli, puisque tel était son devoir. Elle ferait tout pour que chaque minute passée ensemble, avec ce jeune Maître si sensible encore, puisse être faits de morceaux de bonheur, tout simplement.
Dans la faible lueur d’une petite lampe, Sandra était assise devant la table de la cuisine, une tasse de café encore fumante face à elle. L’air grave, ses mains gelées se réchauffait au contact de la porcelaine qui contenait le liquide chaud et aussi noir que la nuit.
Justus s’était éveillé, sentant son absence dans leur lit conjugal, et la rejoignit, s’inquiétant de ne pas la voir revenir dans leur chambre à une heure si tardive. Cela ne voulait dire qu’une seule chose de la part de son épouse.
Sans un mot, il se glissa derrière elle et déposa un baiser délicat dans le creux de son cou, avant de commencer à lui masser les épaules en douceur. Sandra le laissait faire, se détendant peu à peu grâce aux longues mains chaudes et expertes de son époux.
Elle finit par lâcher sa tasse pour recouvrir les mains chéries par les siennes, et blottit sa tête contre lui, fermant les yeux.
Justus embrassa alors tendrement son front, et sa voix finit par percer avec délicatesse le silence de la pièce.
— Dis-moi ce que tu as sur le cœur, ma chérie.
La belle femme rouvrit alors ses yeux d’émeraude, transperçant la nuit et ses longues mèches brunes le long de son visage. Elle se fendit d’un long soupir avant de se décider à répondre à son mari.
— On a attaqué notre fils, Justus. Mon fils. Ses pouvoirs viennent à peine de s’éveiller et il est déjà en danger ! Pourquoi l’attaquer, il n’est même pas encore un apprenti ?
La voix de la mère vibrait tel un tango entre peur et colère, qu’elle parvenait à peine à maîtriser. Car Sandra arrivait toujours à se maîtriser. Justus le savait parfaitement. Ce petit bout de femme, si elle laissait ses émotions déborder, pourrait réduire le monde en cendres. Elle cachait si bien cette tempête en elle que son mari se demandait qui pouvait savoir qui elle était sous ses airs de mère douce et épouse raisonnable.
La naissance de Sam avait tout changé pour elle. Alors oser toucher à son fils était certainement l’acte le plus stupide que puisse faire un être doué d’intelligence, quand bien même madame Millenium n’était pas une Nécromancienne.
— Nous trouverons le responsable. Je te le promets, ma douce.
Il lui embrassa l’épaule avec tendresse, cherchant à apaiser la déferlante qui s’agitait derrière son regard d’émeraude.
Il partageait son inquiétude. Pourtant, il avait accepté de laisser leur fils tranquille pendant bien trop longtemps. A cause de cette négligence, Sam avait été en danger.
— Je sais ce que tu vas dire, le coupa Sandra en plein milieu de ses pensées. Mais je ne voulais pas de cette vie pour lui. Tu t’en rends bien compte, non ? Ton univers est bien trop dangereux pour un enfant aussi sensible que lui.
— Il faut te faire à l’idée que nous ne pouvons plus attendre. Sam doit être en mesure de se protéger seul, Nous ne pouvons pas être constamment à ses côtés pour se battre à sa place.
— Comme aujourd’hui, releva-t-elle, amère.
— Exactement. Même s’il n’était pas tout à fait seul. Charlotte était là, reprit-il.
— C’est une enfant, Justus. Pas un soldat. Que tu le veuilles ou non. Et elle n’est pas éternelle, nous le savons tous les deux. Ils peuvent difficilement rester ensemble tout le temps, ne serait-ce que lorsqu’il doit aller au lycée.
— Alors envoyons-là à l’école la plus proche de son lycée. Elle pourra le rejoindre presque immédiatement au moindre problème, ainsi.
Sandra réfléchit à ce cas de figure. C’était acceptable, une école primaire se trouvait à huit cents mètres du lycée de Sam. Et, avec une paire de lunettes, vu que Charlotte apprenait très rapidement, l’école l’accepterait sans le moindre doute. L’enfant en serait sans doute ravie, elle qui avait soif d’apprentissage et de se rapprocher de l’adolescent.
— Ça ne va pas lui plaire, finit-elle par dire dans un sourire amer.
— Il râlera comme tous les gens de son âge, mais tout se passera bien, tu verras, ma douce.
— Cependant, on ne doit plus perdre de temps, mon chéri. Dès demain, tu commences son instruction. Je ne veux plus que quiconque puisse s’en prendre à mon garçon impunément.
Tout en douceur, Justus incita son épouse à se relever afin de la prendre dans ses bras. Elle avait besoin de son étreinte. Ou peut-être était-ce lui, il ne saurait le dire. En cet instant, il n’y avait qu’une seule chose qui importait.
Leur fils était à la maison. Ils étaient ensemble.
Et ça, c’était déjà bien.
*****
De toute ma vie, je n’avais jamais entendu le moindre son.
Pour moi, les sons n’avaient aucun sens, puisque je ne les connaissais pas.
On ne s’embête pas à expliquer les couleurs à un aveugle, alors pourquoi s’embêter à comprendre ce qui n’est, tout au plus, que des vibrations de l’air ?
Entendre ne m’avait jamais manqué, puisque j’étais dans l’incapacité de savoir ce que c’est.
J’avais un nom. Un joli nom écrit sur le papier. Il était doux et poétique, donné à un instant où, sans doute, mes parents m’aimaient encore, puisqu’ils ignoraient qui j’étais.
Trois jolis mots pour prénom, que je n’avais jamais entendu vibrer.
Une voix grave avait fendu l’air et remué le monde, articulant les syllabes tout en douceur, comme un vœu flottant dans l’air.
C’était tellement merveilleux qu’en pleurait presque.
Rien n’était plus magique de savoir que j’avais entendu mon nom.
Même si ce n’était qu’une seule fois.
Même si ce n’était qu’une seule voix.
Mon nom était aussi un son.
Un instant, mon cœur a tremblé.
Il n’y avait personne dans cette pièce sombre qu’était ma chambre, alors que le crépuscule s’achevait à ma fenêtre.
J’ai toujours aimé les couleurs tranchés des ténèbres de cette heure du jour. Le moment où la nuit envahit voracement le jour. Je n’allumais pas les lampes tant que la nuit n’était pas entièrement tombée, ou que ma gouvernante appuie sur les interrupteurs d’un air agacée, me traitant de fantôme déprimant de ses fines lèvres sèches.
Dans cette pénombre qui s’assombrissait de seconde en seconde, je n’osais plus bouger, chercher à savoir d’où était venu cette voix inconnue sans briser la féerie de l’instant.
Mes yeux scrutaient alors les moindres coins de ma petite prison personnelle, et je ne voyais rien. Il n’y avait personne autour de moi.
J’ai essayé, avec mes mains, comme toujours, de demander s’il y avait quelqu’un.
J’étais terrifiée à l’idée que je puisse avoir imaginé la voix.
Ou alors, est-ce que ma solitude avait eu raison de mon esprit ?
Avais-je tout inventé ?
Y avait-il réellement quelqu’un avec moi, ici ?
Folle ou non, j’étais terrifiée.
La noirceur de la nuit avait presque pleinement conquis l’espace.
Je devais me résigner.
Après tout, j’ai toujours été sourde.
J’étais née, j’étais faite ainsi.
Il fallait bien que j’accepte mon handicap, puisque je ne saurais jamais comment était la vie autrement.
Un frisson me parcourut alors le long de l’échine, et mes yeux se posèrent alors sur le coin le plus sombre de la pièce, dans l’angle mort de la fenêtre, et pourtant pas loin de son encadrement.
Il y avait deux yeux bleus qui m’observaient.
Qui me terrifiaient.
Qui me fascinaient.
Je n’avais jamais vu de tels yeux. J’avais l’impression qu’ils étaient capables de voir jusqu’à mon âme. Une silhouette immense finit par se dessiner autour de ses magnifiques yeux d’azur, et je crois bien que mon cœur a manqué, à cet instant précis, un battement.
Je n’avais jamais vu d’homme plus beau que celui-ci, et sans doute, même si j’avais su parler, cela m’aurait laissée bouche bée. Il devait mesurer au moins deux mètres. Ou peut-être était-ce parce que j’étais encore assise à même le sol qu’il paraissait si grand ? Son visage était d’une pâleur presque égale à la mienne, et une crinière de lion le couronnait, lumineuse. A se demander comment elle avait pu mettre autant de temps pour le trouver. Tout de noir vêtu, se confondant dans l’obscurité alors que le soleil finissait de s’éteindre à l’horizon, il était extraordinaire. Fascinant comme jamais un être humain ne pouvait l’être.
J’osais enfin remuer, me relevant face à lui.
Ce n’était pas qu’une impression, il était bel et bien immense. Le sommet de ma tête était toujours en dessous de son cou. Jamais je n’avais vu d’homme si grand. Je ne savais même pas que c’était possible.
Était-il seulement bien réel ? Comment pouvait-il être ici, dans ma chambre, alors que ma gouvernante n’aurait jamais laissé pénétrer un inconnu dans la maison, et encore moins jusque dans ma chambre ?
J’agitais soudain mes bras et mes mains.
J’avais des milliers de choses à lui demander, à commencer par pourquoi j’avais pu entendre sa voix.
L’inconnu m’arrêta d’un geste d’une de ses immenses mains.
Je le dévisageais avec désarroi, quand j’entendis l’air vibrait au rythme de ses lèvres.
« Sers-toi de ta voix pour parler. »
Je le regardais avec stupeur.
Avais-je au moins des cordes vocales pour parler ? Je n’ai jamais eu à m’entendre, alors je ne savais même pas si j’en étais capable. Son regard insistait dans un sourire rempli de confiance.
L’ensorcèlement de sa voix m’envoûtait presque.
Pour lui, j’aurais voulu parler.
Pour lui que j’entendais pour la première fois, je tenterai d’articuler des sons.
Je ne savais pas ce que cela donnerait, et je ne le saurais jamais.
Mais je voulais tout faire pour être capable de prononcer mes mots comme si j’étais une personne normale.
Comme si je pouvais m’entendre et me faire entendre par n’importe qui.
Ou, au moins, me faire entendre de lui.
— Qui es-tu ?
L’inconnu me sourit alors, et sa voix, la plus merveilleuse du monde, me répondit.