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1 - Licenciement + chaton = dure journée
2 - Métro + vidéo = fiasco
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Métro + vidéo = fiasco

Elle s’appelait Laure et elle était mère de famille. Benjamin peinait à lui rendre visite, car on préférait le tenir à l’écart. Ce qu’il comprenait. On ne lui reprochait presque rien, l’ayant pris pour un dommage collatéral, mais il ne pouvait s’empêcher de culpabiliser. Bien sûr, s’il ne s’était pas écrasé sur cette planète via une météorite étrange, il serait mort, comme tout être humain ordinaire qui se serait jeté sous les roues d’une voiture à pleine vitesse. Et bien qu’elle s’était permise de rouler à 70km/h dans une rue à 50, pressée par l’impatience propre des citadins, la nature nova de Benjamin avait penché la balance en sa défaveur.

Benjamin avait perdu son travail et il avait plongé une humaine dans le coma en voulant sauver un chaton.

Sa nature n’avait rien d’un cadeau. 

Les écrans sur les murs du métro, les réseaux sociaux, et les grands panneaux publicitaires de toutes les villes du monde diffusaient des louanges envers la poignée de novas qui s’était retrouvée sur Terre. Ils n’avaient rien d’autre en commun que la curiosité de leurs origines. Même leurs pouvoirs étaient différents. Ils ne venaient peut-être pas de la même planète, mais sur Terre, depuis leur arrivée en 2025, ils étaient des novas. Des aliens à l’apparence visiblement très humaine qui réunissaient aujourd’hui, en 2049, les plus grands héros.

Benjamin n’en était pas un. On avait refusé sa candidature à l’académie des super novas (l’ASN) sans qu’il n’en connaisse les raisons. Peut-être que son pouvoir était trop insignifiant, comme son existence entière. Il l’avait toujours dissimulé en vivant comme un humain ordinaire, sans pour autant se sentir à sa place auprès de ceux dont il usurpait la nature. Ça ne le préservait pas d’accidents qui pouvaient survenir. L’alliage qui recouvrait son corps avait plongé cette femme en soins intensifs. Aujourd’hui, et jusqu’à la fin de ses jours, il vivrait avec ce poids sur la conscience sans que personne n’en sache rien. 

La clochette d’une notification interrompit à nouveau la musique à ses écouteurs et le fil noueux de ses pensées.

Sam 🐸

MAIS BORDEL PK TU RÉPONDS PAS !!!

Très bonne question, Sam. 

Peut-être parce qu’il venait de se rendre à l’hôpital après avoir explosé une voiture avec son épaule gauche, envoyé une pauvre femme dans le coma, et puisque ça n’était pas suffisant, avait été renvoyé de son précédent taf ? 

C’était ce qu’il aurait dû lui répondre.

Mais engager une conversation avec Sam, c’était mettre de côté les cinq prochaines heures de son existence, et désormais sans emploi, il n’avait absolument pas le temps.  C’était aussi (surtout) devoir affronter ses questionnements très sensés pour lesquelles il n’aurait pas de réponse.  

Benjamin préféra ignorer ses trente-deux appels manqués, ses cinquante-huit SMS et probablement plus, si elle avait tenté de le joindre via imstagran. Ou peut-être qu’il se passait quelque chose de grave pour que sa meilleure amie le harcela de la sorte, mais là tout de suite, ça n’était pas son problème.

Serpentant comme un éclair dans la nuit, le métro cessa sa course à Esquirol pour embarquer de nouveaux voyageurs dans la rame, qui n’en laissait échapper qu’une infime partie en échange. Benjamin commença à se sentir à l’étroit contre la vitre, mais sa taille lui épargna de se tenir à l’une des quelques barres en métal. Il relança le nouveau titre de son rappeur préféré, que son amie avait impunément interrompu. Moins de deux minutes après, alors que la chanson s’emballa dans un rythme puissant comme si le rappeur lui hurlait dessus, trois adolescentes juste devant lui réclamèrent son attention.

« — Pardon ? demanda-t-il en retirant une de ses oreillettes ultra connectées.

— Tu veux bien qu’on prenne une photo ensemble ? »

L’intrépide dégaina son téléphone et Benjamin n’était pas certain d’avoir bien compris.

« — Hein ?

— C’est bien toi, non ? Dans la vidéo ? »

Elle devait sûrement confondre. 

Elle lui tendit son téléphone. 

Elle n’avait absolument pas confondu.  

La rame se déroba à ses pieds, mais Benjamin se rattrapa à la barre juste à côté de lui – pour une fois, tous ses centimètres lui furent utiles. Qui est ce type mystérieux aux cheveux bleus ? Je vous révèle tout ! (Abonne-toi). Un influenceur, qu’il ne connaissait ni d’Ève ni d’Adam, s’exprimait avec enthousiasme, tenant la révélation du siècle (c’était tout comme). À son grand étonnement, Benjamin répliqua rapidement. « Heu, non. »

Le métro s’engagea dans une allée lumineuse avant de stopper brièvement sa course. Benjamin se précipita vers la sortie en bousculant les passants. Il s’agissait d’un repli stratégique nullement réfléchi ; l’arrêt du Capitole n’était peut-être pas le choix le plus judicieux, mais il n’avait aucune envie de se retrouver coincé plus longtemps avec ces jeunes filles. 

Benjamin peina à trouver l’oxygène, accourant vers la sortie du tunnel qui l’aveuglait de ses néons, en ignorant les prospecteurs et les sans-abri qui lui tendaient les bras. Le soleil d’avril l’éblouit aussitôt, le froid de l’hiver griffa ses joues pâles et l’air brûla ses poumons.

Le cœur même de Toulouse était animé de toute part avec sa foule habituelle, si ce n’était plus imposante encore, en pleine heure de pointe. Les bâtiments en brique rouge, chics et élégants, s’élevaient autour des places comme les remparts d’une cité médiévale, malgré les technologies futuristes, des écrans holographiques sur les immeubles, qui préparaient leur coup d'État. Après tout, la société était régie de pubs et de propagandes quoique les individus puissent affirmer – prétextant profiter de leur libre arbitre quand il fallait choisir entre la peste et le choléra.

Bordel, bordel, bordel !

C’était lui sur la vidéo. C’était bien lui

Le peu de secondes qu’il avait pu entrevoir tournait en boucle dans sa tête. La sensation de se voir en double au travers les réseaux d’inconnus était indescriptible ; un mélange de malaise joint à  un haut-le-cœur couplé à une adrénaline, qui annonçait un danger imminent. Pourtant, personne à part ces deux lycéennes ne lui avait sauté dessus. Mais ce n’était peut-être qu’une question de temps ? Benjamin devait quitter le centre ville où on finirait par le reconnaître. Subitement, ses méninges se mirent en marche et il réalisa que les vidéos qui circulaient à son sujet ne dataient sûrement pas de ce matin. Samantha avait peut-être tenté de le prévenir – ou voulait-elle réclamer des comptes ? –, la seule issue possible était de se cacher. 

Direction l’appartement. 

Hors de question cependant de rejoindre Jean Jaurès pour attraper la correspondance ; il était sportif, il se servirait de ses jambes. De cette manière, il serait libre de s’enfuir à la moindre occasion. Très vite, il enfila la capuche de son sweat, remonta la rue pour rejoindre la place Wilson, à quelques pas de là. Le métro Jean Jaurès l’attendait comme un gouffre mais au lieu d’emprunter l’escalator, il continua direction la gare, tête baissée. Dans sa tête, l’itinéraire était tout tracé, et ça lui demanderait bien des heures.

La cité en périphérie du centre ville paraissait morne tant le gris dominait les immeubles, mais au moins, l’endroit était calme. Ici, l’itech n’avait pas encore envahit le charme détérioré d’antan ; ces immeubles tagués et les poubelles emportées par le vent. Mais c’était chez lui et retrouver la familiarité de ces lieux le rassura aussitôt. Benjamin cessa sa course, regrettant de ne pas avoir enregistré tous ces vaillants kilomètres sur sa montre connectée, puis il se dirigea vers sa résidence. La personne qui l’attendait en bas des marches était beaucoup moins tranquille que le silence qui pesait dans le quartier.

« C’est pas vrai… » soupira-t-il en reprenant son souffle. Il retira sa capuche et ses écouteurs avant d’attraper les clés dans sa poche. « T’es là depuis longtemps ? 

 — Ne me dis pas que t’es parti courir au lieu de me répondre ? J’attends là depuis à peu près deux heures.

— Pourquoi t’es pas passée chez toi ?

— Je te rappelle que je suis en froid avec mes darons depuis que je sors avec Pauline.

— C’est qui, Pauline ?

— Fait au moins semblant de suivre.

— J’y peux rien si t’enchaînes les conquêtes.

— Il n’y en a eu que trois ! » Samantha se releva et épousseta ses fesses, faisant tinter ses bijoux dans son geste. « — Mégane, Chloé, et Pauline. J’y peux rien si trois, c’est plus que toi dans ton existence entière. 

— On en parle à l’intérieur, s'te plaît ? »

Benjamin aurait peut-être dû préciser qu’à « l’intérieur » signifiait à l’intérieur de l’appartement, et non pas dans les couloirs de l’immeuble. Samantha sembla exploser tant ses mots se bousculèrent à peine sortis de sa bouche, défiant les prestations insolites des rappeurs les plus réputés. Ils percutèrent le hall en écho et il la précipita dans l’ascenseur avec sa valise. C’eût l’effet escompté, car les portes aussitôt refermées, Samantha se tue instantanément. 

C’était même pesant.

« C’est la merde. lâcha finalement Benjamin.

— Ouais. »

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