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1 - Licenciement + chaton = dure journée
2 - Métro + vidéo = fiasco
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Licenciement + chaton = dure journée

Il pleuvait.

Il devait pleuvoir, sinon la loi Murphy aurait perdu tout son sens. Au moins, elle restait fidèle à ses principes et faisait les choses bien. C’était peut-être la centième ou la millième porte – à force, il avait perdu le compte –, qui se refermait avant même qu’il n’ait pu finir sa phrase. Mais il avait été plus loin qu’un « Bonjour, Vaillante Énergie pour plus d’économie ! ». Cela aurait pu être une victoire qu’il aurait volontiers fêté en jouant toute la nuit à Call of Duty, mais malheureusement, arpenter les lotissements et les impasses des bourgades alentour dès 8 heures du matin n’avait pas suffit. En fait, rien n’avait suffit : aucun quota n’était rempli et la sentence allait tomber. 

Non pas que Benjamin pensait pouvoir se démarquer… Si, bien sûr que si, évidemment ; il avait tout donné. Ce n’était pas suffisant. Comme au lycée, lorsqu’il avait raté son baccalauréat, son rattrapage, puis avait dû repasser son année. La même chose évidemment, comme un bon vieux rituel, pour son BTS commerce. Comme  à son précédent job de serveur où il ne passait jamais le balais sans briser la vaisselle, ou encore, à tous ces cafés brûlants renversés sur les clients – Une pensée pour madame Bourvier et son chihuahua sur les genoux. Et puis, toutes ces fois où il avait dû retaper son CV, dépenser ses maigres économies pour les faire imprimer, et ne convaincre personne aux entretiens – si tant est qu’on le rappelait.

Commercial terrain n’avait jamais été une vocation. C’étaient certainement les seuls qui vous rappelaient lorsque vous postuliez à leurs annonces. D’ailleurs, Fais ta com, n’avait même pas lu son CV. Tant mieux, Benjamin n’avait de toute façon aucune expérience à vanter. Pourtant, il y avait cru. On lui avait laissé sa chance, il avait été déterminé. 

La réalité avait surgi comme un « non » à la cérémonie d’un mariage. Une fois la porte ouverte, rester détaché face à un tel éventail de caractères n’avait rien d’une partie de plaisir. Certaines personnes vous ouvraient avec un grand sourire, prenant le temps d’écouter votre baratin sans y croire, simplement par respect, ou parce qu’elles étaient trop timides pour claquer la porte au nez. La plupart du temps, les gens revenaient d’une dure journée ou d’un dîner chez belle-maman qui avait tourné au vinaigre. Forcément, tout penaud et les bras ballants – néanmoins, votre badge vous donnait fière allure –, vous passiez de démarcheur à punching-ball.

Benjamin avait le gabarit parfait pour occuper le terrain. Grand (très grand), presque deux mètres. Plutôt svelte. Le profil auquel on ne cherchait habituellement pas des noises. En revanche, il ignorait quoi faire de tous ses centimètres. Benjamin adoptait l’allure d’un cornichon trop grand coincé dans son bocal. Celui que vous remarquez très vite, mais qui passe sous l’élévateur ; prometteur, toutefois décevant.

Il se décomposa sur place. Ses jambes tremblèrent face à son directeur. Tout à coup, il ne mesurait plus un mètre quatre-vingt seize. Le bureau semblait s’être allongé sur des kilomètres. Les cadres d’illustrations florales et les propagandes sur le métier de prospecteur ne captaient plus son attention. Il n’y avait qu’une étendue de murs blanc et le martèlement incessant de son cœur contre sa poitrine. Même l’écho de la sentence semblait lointaine.

« Malheureusement, c’est comme ça. Ça fait plus de deux mois et tu n’as pas obtenu un seul contrat. C’est un record ! Nous on est cool ici, tu sais, on t’a laissé continuer, mais le reste doit venir de toi et visiblement, il ne se passe pas grand chose. »

Il n’y avait rien à redire : les calculs étaient bons.

« On ne peut pas te garder. »

Peut-être qu’il aurait dû le convaincre de lui laisser une dernière chance. Une toute dernière chance. Mais dans un monde où votre existence relevait d’un questionnement scientifique sans réponses, Benjamin n’avait plus la force de prouver quoique ce soit. Cette expérience avait été un fiasco, et dans son estime, un dernier coup de poignard.

On venait de le virer.

À présent, qu’allait-il bien pouvoir faire ? Déambuler sous la pluie jusqu’à la station de métro la plus proche ? Ça faisait sens ; il n’avait plus de travail, pas de salaire, et un tas de paperasses sous le coude. Seulement, il n’avait aucune envie d’expliquer à la personne la plus terrifiante de sa vie pourquoi il ne se lèverait plus à 6h du matin en semaine.

Encore sous le choc, Benjamin n’évaluait pas le niveau de crise auquel il s’exposait. Il traversa la rue au milieu d’une nuée de passants et d’un brouhaha assourdissant. Les néons publicitaires l’alpaguaient avec leurs promotions et leurs nouveautés innovantes, comme les flashs des paparazzi. Mais si Benjamin n’avait jamais été sous le feu des projecteurs, il eut l’impression en cet instant que tout le monde l’observait. Cette mamie   – qui ressemblait étrangement à madame Bourvier avec son chihuahua habillé d’un sweat à capuche –, se tenait à la rambarde du trottoir et le toisait, comme s’il s’apprêtait à lui arracher son sac à main. C’était peut-être parce que ses cheveux bleus ne passaient pas inaperçus pour une septuagénaire. Ou alors, parce qu’il venait d’écraser l’étron de son animal qu’elle n'avait pas estimé nécessaire de ramasser.

Les fenêtres des bâtiments qui reflétaient les halos des réverbères paraissaient avoir les yeux rivés sur lui. Les pavés des rues lui tendaient des pièges, parfois trop enfoncés dans le sol et d’autres fois pas assez, le faisant trébucher à chaque coin de rue. Les tables des cafés et des brasseries voisins se passaient le mot pour cogner ses jambes, marquant sa peau de futurs bleus violacés. Même le feu vert décidait qu’il devait passer au rouge chaque fois qu’il posait le pied sur le passage piéton. Cette erreur, alors qu’il arpentait enfin une rue calme dans la pénombre, allait marquer sa vie à tout jamais.

D’abord, il y avait ce miaulement sortit de nulle part, qui paraissait à la fois proche et lointain. Ensuite, cette voiture qui fonça à toute allure, les phares aveuglants dans la ruelle. Lui-même, à peine engagé, prêt à s’élancer vers la fatalité. Ça n’était pas son but. De toute façon, ce n’était pas une voiture qui allait le tuer. Mais tous ses sens, soudain alertes, lui hurlèrent de prendre garde à son environnement. Et il le vit. Ce petit chaton de la taille d’une main, qui avançait naïvement au milieu de la route, les poils tout ébouriffés. 

Lui, la voiture ne le louperait pas. 

« Attention ! » hurla Benjamin comme si le conducteur allait l’entendre. Il se jeta vivement sur l’animal, le saisit dans ses bras qu’il referma sur lui comme une carapace, avant que la voiture ne les percuta de plein fouet. Benjamin n’avait pas réfléchi ; son instinct avait pris le contrôle de ses membres. L’impact déclencha l’airbag, détruisant le pare choc avant du véhicule, écrasant la carcasse et tout ce qu’elle contenait comme si elle avait percuté un tronc d’arbre. Benjamin sentit les plusieurs tonnes qui venaient de le heurter, provoquant une vive douleur tout le long de son bras.

Mais il allait bien. Il se redressa doucement, s’assurant que le petit être entre ses mains s’en était sorti.

« Oh mon dieu ! »

La réalité le rattrapa. 

Le chat. La voiture. La voisine qui s’était écriée, après avoir ouvert ses volets pour comprendre l’origine du bruit assourdissant que l’accident venait de causer. Et puis, à nouveau, le chaton. Il allait bien. La voiture… Si le conducteur était encore vivant, cela témoignerait de l’existence des miracles. Benjamin relâcha le chaton qui ne cessa ses miaulements et s’élança vers l’épave fumante. 

« Que s’est-il passé ?!

– Appelez les secours ! » hurla-t-il en réponse, bien trop préoccupé par la victime.

Sa victime.

C’était de sa faute si elle s’était retrouvée dans cet état. Après tout, c’était lui ou elle, mais Benjamin n’avait rien d’humain, alors l’issue était toute tracée. Son cœur s’emballa dans sa poitrine, et il se retrouva tout à coup tétanisé. Que devrait-il faire ? Devait-il essayer d’évacuer la victime ? Était-elle seulement encore en vie ? Et si la voiture prenait feu ? Comment pouvait-il gérer cette crise ? Il n’eut pas à le faire. Les habitants se ruèrent à l’extérieur, prenant les choses en main. On l’assomma de questions et d’accolades alors qu’il peinait à remettre ses idées au clair. Est-ce qu’il allait bien ? Oui, non, pas vraiment, que devait-il répondre ? Était-il blessé ? Non, non, il n’avait rien ! Benjamin n’avait aucune égratignure, parce que ses os étaient fait d’une matière différente. Quand est-ce que les secours arriveraient ? Ce n’était pas lui qui les avait appelés. Alors, est-ce qu’il devait les laisser gérer la situation jusqu’à l’arrivée des pompiers ? 

Toutes les questions se bousculèrent dans sa tête et il manqua de souffle. Il n’avait aucune envie de rester ici. Il avait besoin d’air. Pourtant, il était déjà dehors et le froid mordant agressait sa peau. Mais il ne ressentait pas sa fraîcheur ; seulement la sueur le long de son échine, le tumulte des passants et des habitants inquiets, les sirènes qui retentirent enfin au bout de la rue et les miaulements incessant du petit chaton. La soirée s’annonçait terriblement longue.

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2 Comments

1 day ago
Très bonne introduction d'histoire, je suis très curieuse de voir où est-ce que tu vas emmener ton histoire. J'aime beaucoup le ton un peu grinçant et humoristique de ta narration, ça se lit très bien. Le coup de l'alien à la fin, on ne le voit clairement pas venir, et ça promet quelques péripéties intéressantes. Contente que le chaton aille bien et vivement la suite !
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10 hours ago
Merci beaucoup pour ton retour je suis touchée d’avoir un premier avis !
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