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Carazachiel

Chapter 1

Stan

France, trois mois plus tard.

— Allo, Papa ? Tu...

— Mon grand, tu es disponible, là ? me coupe-t-il sans vergogne.

Ma main se crispe sur le smartphone. Dire que j'allais justement lui demander de me rappeler plus tard. La barre clignotant sur mon traitement de texte me lorgne. Elle me juge avec dédain. Elle sait, au fond, que je vais encore une fois déserter.

Et c'est ce que je ferais sans hĂ©sitation si je ne venais pas tout juste de m'installer Ă  mon bureau avec un cafĂ© bien chaud. Si je n'avais pas enfin trouvĂ© la motivation aprĂšs des mois d'abandon. Si je n'avais pas pris soin de fermer tous les onglets diaboliques de mon navigateur. J'ai mĂȘme fermĂ© deezer pour ĂȘtre certain de garder ma motivation et ma concentration !

Et puis, pour la premiÚre fois depuis des mois, je suis seul dans mon studio. ComplÚtement seul avec un risque zéro de bris de solitude. C'est le moment idéal pour me remettre à l'écriture de mon manuscrit. Mon roman. Ce brouillon à l'état brut qui se languit de mon clavier.

— Je suis pas disponible, me forcĂ©-je Ă  rĂ©pliquer. J'allais Ă©crire, lĂ ...

— Non, je voulais dire, ces prochains jours. Rien de prĂ©vu avec RĂ©mi ?

Ça ne risque pas.

— RĂ©mi vient de partir, marmonnĂ©-je.

— Et il ne reviendra pas avant quinze jours ?

— Il ne reviendra pas tout court, lĂąchĂ©-je avec cynisme. Il en avait marre de devoir subir ma « lubie d'artiste fauché ». Pourquoi ?

— C'est parfait, ça ! Enfin, non, c'est pas parfait, c'est triste... trĂšs triste, mais ça tombe bien ! Enfin, pas que je m'en rĂ©jouisse, mais disons que dans la chronologie du moment...

Ce n'est pas de mon pÚre que je tiens mon amour pour les mots et la littérature. En tant normal, je suis plutÎt indulgent avec ses tùtonnements et maladresse. Ce soir, en revanche, ma mauvaise humeur prend le dessus.

— AbrĂšge, m'agacĂ©-je. Tu veux quoi ?

— Il faut absolument que tu viennes Ă  la maison pour te changer les idĂ©es. Il ne faut pas rester seul aprĂšs une rupture ! Tu vas venir, hein ? Je peux venir te chercher lĂ , maintenant ! 

Je ferme les yeux un instant pour essayer de réfléchir. Un échec cuisant, ma cervelle est malmenée depuis ce matin et la paix fragile que j'avais réussi à trouver vient de voler en éclat.

— C'est quoi la vraie raison ? 

— Permettre Ă  mon fils de se changer les idĂ©es ne peut pas ĂȘtre une vraie raison ? fait-il mine de se vexer.

— Pas quand tu ignorais que ton fils avait justement « besoin de se changer les idĂ©es » et que tu n'arrives mĂȘme pas Ă  faire preuve d'empathie. Crache le morceau.

Un bruit de courses et des cris couvrent sa réponse. Un autre de téléphone posé à la va-vite. D'autres pas. D'autres cris. Mon pÚre hausse la voix. Des piaillements lui répondent. Il tente de menacer. De négocier. Finit par céder... et le calme revient.

OK. J'ai compris pourquoi le paternel veut que je vienne.

— Stan, tu es toujours lĂ  ? soupire l'intĂ©ressĂ© quelques secondes plus tard. DĂ©solĂ©, les petits se chamaillaient un peu.

— C'est un euphĂ©misme, ricanĂ©-je. Laisse-moi deviner... Flavie n'est pas lĂ  ? 

Flavie, ma belle-mĂšre. Une femme plutĂŽt charmante qui a Ă©pousĂ© mon pĂšre il y a une quinzaine d'annĂ©es et avec qui elle a eu trois adorables (non) enfants de cinq Ă  quatorze ans. Celle de cinq ans peut encore ĂȘtre sauvĂ©e. J'ai peu d'espoirs pour celui de onze. Quant Ă  celle de quatorze, c'est dĂ©jĂ  foutu.

— Quoi ? Mais si, qu'est-ce que tu vas chercher ! Elle se repose juste, là ! Elle... elle... elle est partie pour deux semaines à Rennes, Stan ! Deux semaines ! Deux semaines entiùres ! Quinze jours ! Tu dois absolument m'aider mon grand ! Pas que je gùre pas, hein, je gùre parfaitement la situation. Enfin, je gùre pas trop mal. Enfin, d'habitude, je gùre, mais là, je sais pas ce qu'ils ont, ils sont infects, j'en peux plus ! 

Flavie est une femme adorable qui fait de son mieux avec la parentalité. Mon pÚre, en revanche, lui ajoute plus de travail qu'il ne l'en décharge. De mon point de vue, c'est entiÚrement de sa faute si mes demi-adelphes sont aussi pourris. 

— C'est ça d'acheter ta tranquillitĂ© au lieu de les Ă©duquer, rĂ©pliquĂ©-je. 

— Lana-Rose s'est lavĂ© les dents sans faire d'histoire, quand mĂȘme, bougonne-t-il. Non, mais sĂ©rieusement, Stan... j'ai besoin de toi. Je suis dĂ©solĂ© que RĂ©mi t'ait plantĂ©, ça tombe mal, mais... 

— Papa... je dois Ă©crire. Je n'ai rien publiĂ© depuis longtemps et...

— Je vais te payer ! m'interrompt-il encore. Crois-moi, ce sera plus rentable que tes romans... disons, 150 euros par jour... c'est bien, ça, 150 euros par jour ! Tu gagnes pas 150 euros par jour avec tes bouquins, si ? Non, non, Ă©videmment que non.

Merci, Papa, pour ce soutien inconditionnel...

Cela dit... il n'a pas tort. Non content d'ĂȘtre un auteur mĂ©diocre qui ne fait que peu de vendre, je m'entĂȘte Ă  en plus poster certains de mes romans gratuitement ! C'est prĂ©cisĂ©ment pour ça que RĂ©mi est parti. Pour ça et parce que je refusais de me « trouver un vrai job pour qu'on puisse enfin aller aux Maldives ». MĂȘme si personnellement, je n'ai jamais eu envie d'y aller, aux Maldives.

Il semblerait que nous n'Ă©tions simplement pas compatibles

— Stan, je t'en supplie ! Je... je ferai acheter tes livres Ă  mes collĂšgues ! Je les forcerai Ă  te mettre 5 Ă©toiles ! Je... je...

— Ça va, redescend hein. J'vais t'aider. Laisse-moi juste le temps de faire mes valises.

Évidemment, il ne le fait pas. La sonnette retentit furieusement dans l'appartement alors que je cherche mes caleçons dans le sĂšche-linge. Le temps d'ouvrir au paternel (qui a amenĂ© la plus petite avec lui) et je recommence mes recherches. Quelques paires de chaussettes propres, deux T-shirt, un jean, un short et un hoodie rejoignent mes caleçons. Mon pĂšre trĂ©pigne. Fourre le tout Ă  ma place dans mon sac de sport (qui ne m'a jamais servi Ă  faire du sport, d'ailleurs.) pendant que je range mon ordinateur avec son chargeur et ma mini tablette graphique. 

— Allez, dĂ©pĂȘche ! J'ai peur qu'ils s'entretuent pendant que je suis parti !

Je lÚve les yeux au ciel. Ils n'habitent qu'à dix minutes de chez moi en voiture les deux monstres restants ont tous les deux plus de dix ans. Ils devraient survivre pendant une demi-heure... 

Avant de quitter les lieux, je prends le temps de fermer mes volets, de couper le gaz et de prĂ©venir ma voisine. Lana-Rose me suit partout comme mon ombre en traĂźnant son doudou Ă  la suite. Puis elle tend ses petits bras vers moi pour que je la porte jusqu'Ă  la voiture... oĂč le paternel me demande en bĂ©gayant de l'attacher pour lui. Lui a (soi-disant) du mal avec la ceinture Ă  cinq points. 

Ça donne le ton. 

AprĂšs une hĂ©sitation (et surtout beaucoup de « Staaaaan, viiiiens » suraigu), je monte Ă  l'arriĂšre et m'installe Ă  cĂŽtĂ© de ma petite-sƓur : mieux vaut sa bave sur mes habits et dans mes cheveux que le stress communicatif de mon pĂšre.

Jamais je ne l'avais vu aussi nerveux encore. Pas mĂȘme le jour de son mariage. Pas mĂȘme quand il a dĂ©barquĂ© en pyjama dans ma rĂ©sidence Ă©tudiante pour que je garde les deux aĂźnĂ©s parce que Flavie avait perdu les eaux un mois trop tĂŽt. 

Ma cervelle d'auteur turbine. L'appel en catastrophe. Le débarquement si rapide. La nervosité.

Se pourrait-il que le paternel me cache quelques « dĂ©tails » au sujet de ce « baby-sitting longue durĂ©e » ?

Certainement. Seulement, j'ai beau rĂ©flĂ©chir, je ne vois pas bien ce qui pourrait ĂȘtre pire que trois enfants incontrĂŽlables sans leur mĂšre.

La voiture se gare dans l'allĂ©e du pavillon familial avant que je n'aie rĂ©solu l'Ă©nigme. Mon pĂšre file dans la maison sans demander son reste et, le temps que je contourne la voiture pour rĂ©cupĂ©rer Lana-Rose (qui a recommencĂ© Ă  piailler mon prĂ©nom), Kamilla, l'insupportable « aĂźnĂ©e » de la fratrie est sortie sur le pas de la porte.

Depuis quand Kamilla m'accueille-t-elle de la sorte ?

Depuis jamais ; nous n'Ă©tions pas proches du temps oĂč j'habitais encore lĂ , et nous ne l'avons pas Ă©tĂ© davantage aprĂšs. Elle tolĂšre ma prĂ©sence, je tolĂšre son insolence. Rien de plus.

Rien de plus jusqu'à présent, en tout cas. 

Kamilla observe Lana-Rose qui trottine jusqu'Ă  la maison, puis elle m'inspecte sous toutes les coutures.

— Salut le vieux. 

— Salut sale gosse.

Elle renifle de mépris avant de se planter en face de moi.

— Ton pull Ă  capuche est presque classe... j'aime bien tes sneakers. Par contre ton fĂ»t est Ă  vomir, mais bon, ça ira.

— T'as cru que je venais faire un dĂ©filĂ© de mode ?

— Nan, mais y a un minimum quand mĂȘme, hein. Tes fringues sont claquĂ©es au sol, lĂ ... je vais avoir la honte.

Mes neurones se connectent enfin : qu'est-ce qu'il y a pire que de garder trois terreurs ? Être le chaperon de leur aĂźnĂ© dans une fĂȘte. 

— Attends attends attends... je suis censĂ© venir faire du baby-sitting, pas t'accompagner Ă  une soirĂ©e ou un anniv ou peu importe ! 

Elle Ă©clate de rire avant de faire la moue.

— Ce sera pas une soirĂ©e, mais un concert. Ce sera pas un concert, mais LE concert ! Mais hey, le vieux... tu parles le corĂ©en, au moins ?

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