Le soleil était caché derrière les montagnes et, si sa lumière n’avait pas encore tout à fait disparu, la vallée était maintenant plongée dans la pénombre. Une fine brume s’était déposée dans les rues de la ville abandonnée, ajoutant une atmosphère sinistre à ce qui n’était déjà pas fort joyeux.
Adossée contre le muret d’un jardin, Charlotte ne réalisait toujours pas ce qui s’était passé quelques heures plus tôt. Ce fut une longue attente sous sa voiture avant d’être certaine que Lucifer ne lui jouait pas un mauvais tour. Après s’être posé la question un bon millier de fois, elle avait fini par conclure qu’il l’avait sauvé par flemme de se trouver un autre appât aussi conciliant qu’elle. Elle ne put que se féliciter d’avoir jouer le jeu correctement. La culpabilité d’avoir mener autant d’hommes à leur mort l’avait effleuré un instant, mais sa survie lui importait bien plus que celle de pilleurs de la trempe de Ludo.
Elle contempla son sac neuf et bien rempli. Le petit supermarché du coin avait déjà était bien pillé, mais elle avait pu dénicher pas mal de denrées non périssables et même des tampons. Ce qui lui simplifierait considérablement la vie pour les deux ou trois mois à venir. Sans parler des nouveaux vêtements, ou encore des biscottes à la confiture qu’elle se ferait une joie de manger le lendemain matin.
Il ne lui restait plus qu’à trouver une pharmacie. Ensuite, elle se choisirait une maison confortable pour passer la nuit. L’idée d’un matelas mou, même humide et plein de poussière, lui redonna assez de courage pour se remettre debout.
Elle longea les bordures des habitations, disparaissant dans l’ombre des jardins autant que possible. La nature avait repris ses droits dans les rues et les cris des oiseaux nocturnes se faisaient entendre un peu partout. Le calme de l’endroit lui donnait presque envie de s’arrêter ici quelque temps. Pourquoi ne pas investir pour quelques semaines la petite maison qu’elle se serait choisie ?
Le souvenir de Ludo et sa bande lui revint en mémoire et elle écarta cette idée. Les villes attiraient toujours du monde, qu’importe leur taille. Si elle voulait survivre longtemps, il lui fallait rester en mouvement.
Un coup de feu résonna entre les montagnes, suivis de plusieurs exclamations. Charlotte se jeta sous une haie, le souffle court, aux aguets. Bien vite, une nouvelle détonation, puis une riposte, d’autres cris et encore des coups de feu.
Deux fusillades en une seule journée, c’était bien trop pour elle. Sortir de ce guet-à-pans était devenu la priorité, tant pis pour la pharmacie. Les bruits semblaient venir de l’autre côté de la ville, elle estima avoir assez de temps pour atteindre l’orée de la forêt. Elle courut à travers les jardins, rasant les murs, se glissant sous les haies, mais se rendit bien vite compte qu’elle n’était pas assez rapide. Le conflit se rapprochait toujours plus et, faute de se mettre à couvert, elle allait finir entre deux feux.
Elle essaya plusieurs portes et fenêtres avant d’en trouver une qui s’ouvrit sous ses gestes frénétiques. Une odeur de moisi et de renfermé agressa ses narines alors que ses yeux survolaient le chaos qui régnait à l’intérieur. Les pilleurs n’avaient pas été tendres avec cet endroit. Sans plus attendre, Charlotte se précipita dedans et monta l’escalier quatre à quatre pour se rendre directement à l’étage et prendre refuge dans une des chambres.
Assourdie par le bruit de son propre cœur, elle ouvrit brusquement une porte et se trouva nez à nez avec deux survivants. Son sang ne fit qu’un tour. Comment avait-elle pu être aussi conne ?
— Oh ! Bouges plus, gamin ! cria l’homme en bondissant sur ses pieds, hache à la main, s’interposant entre l’intrus et sa collègue blessée.
La panique lui avait fait oublier toute prudence. Avec lenteur, Charlotte leva les mains en l’air dans un geste d’apaisement.
Assise contre le mur en face de la porte, la femme blonde parue tout autant prise de court qu’elle-même. Elle était blessée à la cuisse et, bien que l’expression féroce, elle n’était pas vraiment une menace sur l’instant. Charlotte reporta son attention sur l’homme dont les traits titillaient sa mémoire.
— D’où tu viens ? lui demanda-t-il abruptement et elle le replaça enfin.
C’était un des rares gars bien qu’elle avait rencontré au refuge. Ils avaient eus quelques conversations et Charlotte l’avait trouvé pas trop bête. Comment s’appelait-il déjà ?
— Thomas ! C’est moi, Charlotte.
Et, doucement, elle abaissa son foulard d’une main et découvrit son visage. Au moins ne portait-elle pas ses lunettes de ski…
Thomas ne cacha pas sa surprise.
— Charlotte ? répéta-t-il en baissant sa garde. Bordel, on te croyait morte ! Luc a disparu le même jour que toi, on était persuadé qu’il t’avait chopé et s’était enfui par peur de la réaction d’Hugo…
— Je suis partie à cause d’Hugo et Luc m’a suivi, rectifia-t-elle. Il a failli m’avoir, mais j’ai réussi à lui échapper et je sais pas ce qui lui est arrivé après…
C’était faux. Elle se doutait bien de ce qui s’était passé. C’était à peu près à ce moment-là, que Lucifer avait commencé à la filer.
— C’est bien beau vos retrouvailles, intervint la femme blonde, mais je me vide de mon sang là !
— Natacha a pris une balle dans la jambe pendant l’affrontement, expliqua Thomas en se rasseyant près de sa collègue.
Charlotte surveilla le couloir une dernière fois avant de fermer la porte. La fusillade faisait toujours rage à l’extérieur, mais elle s’était éloignée et le reste de la maison était calme.
— On a perdu nos sacs avec la trousse de secours dedans, ajouta Thomas. On a fait un garrot, mais ça suffira pas…
Charlotte voulut examiner la blessure, mais Natacha eut un mouvement de recul.
— Pas touche ! cracha-t-elle. Je te connais pas ! Qu’est ce que tu fous là déjà ?
— Moi je la connais, répondit Thomas sans laisser le temps à Charlotte de réagir. Son père était chasseur et elle est plutôt douée en soin d’urgence. Fais-moi confiance.
— Ça explique pas pourquoi elle se retrouve ici en même temps que les autres connards ! Qu’est ce qui me dit que t’es pas avec eux, hein ?
— Rien du tout, répliqua Charlotte, pragmatique en s’adossant nonchalamment contre le mur un peu plus loin. Si tu veux pas que je m’en occupe, tant pis pour toi. Mais si je règle pas ce garrot, tu te vide pas de ton sang, mais tu perds ta jambe. Mais moi, ce que j’en dis…
Après un regard sceptique pour chercher l’accord de Thomas, Natacha finit par céder et présenta sa cuisse.
Les cris et la fusillade faisaient toujours rage à l’extérieur et Thomas avait allumé une petite lampe de camping pour que Charlotte puisse nettoyer la blessure de sa collègue.
Sans trousse à pharmacie, elle fit ce qu’elle put. La balle était ressortie et il n’y avait pas d’hémorragie, c’était rassurant. Après avoir surélevé la jambe, elle se décida, avec une pointe de regret, à utiliser un des T-shirts qu’elle venait tout juste de récupérer pour compresser la plaie et diminuer les saignements.
— Heureusement que tu étais là, lui dit doucement Thomas.
Charlotte ne répondit rien. Il n’y avait rien à dire et elle aurait préféré être ailleurs. Certes, elle avait sauvé la jambe de Natacha, mais les gens étaient synonymes d’ennuis et elle prenait toujours soin d’éviter l’un comme l’autre. D’autant plus si ces gens venaient du camp de réfugiés.
— C’est impressionnant que tu aies survécu toute seule aussi longtemps, ajouta-t-il.
— J’étais pas toute seule, répondit-elle un peu plus brusquement que nécessaire.
Elle avait pris l’habitude de répéter ce mensonge à qui voulait bien l’entendre. Il est toujours plus risqué de s’attaquer à quelqu’un qui attend des renforts.
Et puis… Ce n’était plus tout à fait un mensonge. Partout où elle allait, Lucifer la suivait.
— Pardon, j’ai cru, s’excusa Thomas.
— Appuie fort ici, lui demanda-t-elle en montrant la blessure de sortie.
Autant pour changer de conversation que parce qu’il lui manquait deux mains. Elle voulut envelopper les deux plaies dans un morceau de tissu déchiré du T-shirt, mais la matière était trop fine et trop élastique pour tenir la pression correctement. Elle regretta les bandages de bonne qualité qui lui avaient été dérobés.
— Il faudra faire mieux, très vite, ajouta-t-elle pour Natacha.
— Les secours vont bientôt débarquer, assura-t-elle.
Si les troupes d’Hugo étaient sur le point d’apparaître, elle devait, elle, disparaître au plus vite.
Mais Thomas avait une idée en tête et n’était visiblement pas prêt à laisser tomber le sujet.
— Tu devrais revenir au Refuge, tu manques à beaucoup de gens et le nombre fait la force…
Elle l’interrompit d’un reniflement de dédain, qu’elle regretta aussitôt devant son expression peinée. Thomas n’était pas un mauvais gars, mais il était, de toute évidence, facile à manipuler.
— Eh ! Personne t’oblige hein… grogna Natacha, vexée par la réaction de Charlotte.
— Je suis désolée, souffla Charlotte. Je sais que vous pensez pas à mal et que l’offre est sincère. Mais mon temps au camp… C’était compliqué. Avec Hugo qui tournait psycho et sa bande qui s’imposait de plus en plus… Je veux pas paraître odieuse, mais j’ai pas envie de retourner dans un endroit qui… C’était pas un refuge, c’était une dictature.
— C’est plus comme ça, dit simplement Thomas. Hugo a changé, il prend soin des gens maintenant. On a sauvé plus de deux cents personnes et on les protège.
— Tu crois vraiment que…
Charlotte n’eut pas le temps de finir sa phrase, la porte s’ouvrit avec fracas pour laisser apparaître un sans-visage.
Thomas se redressa d’un bond, hache à la main. Natacha voulut faire de même, mais s’effondra sous son propre poids, emportant Charlotte avec elle.
Ce n’était pas n’importe quel sans-visage, s’aperçut Charlotte en se redressant. La fièvre ne l’avait pas tellement faite délirer finalement.
Thomas se précipita vers Lucifer, son arme levé, mais l’Alien ne fit qu’un pas sur le côté pour attraper le bras du jeune homme qui perdit l’équilibre. Lucifer le repoussa négligemment de l’autre côté de la pièce.
En un pas, il était sur Charlotte qu’il remit brusquement sur pied avant de l’entraîner vers la sortie. Visiblement, il avait décidé qu’elle avait trop traîné dans les parages. Étrangement calme, Charlotte se laissa entrainer quand son œil tomba sur son medikit qui dépassait légèrement d’une poche latéral du sac de Lucifer.
— Attends ! cria-t-elle.
D’un mouvement souple, elle tourna sur elle-même ce qui prit Lucifer par surprise, lui permettant ainsi de dégager le tissu de sa veste de la poigne de l’Alien.
Après un signe d’apaisement elle désigna avec lenteur la trousse de secours, puis Natacha.
— Elle est blessée, dit-elle simplement.
Elle n’était même pas sure que Lucifer comprenne sa langue, mais elle se devait d’essayer. Elle le suivrait après. Que cette idée ne la terrifie pas plus que ça lui sembla étrange l’espace d’un instant, mais ce n’était pas le moment de s’en préoccuper.
Il parut réfléchir. Charlotte, nerveuse, priait intérieurement pour que Thomas ne soit pas assez bête pour attaquer à nouveau. Finalement, Lucifer attrapa le medikit et le tendit à Charlotte qui se précipita sur la blessée.
Les yeux agrandis par la peur et l’incompréhension, la blonde se laissa faire.
— Thomas, appela Charlotte d’une voix étonnamment calme, j’ai besoin que tu comprimes ici s’il te plaît.
Elle aurait pu s’en sortir seule, mais elle voulait s’assurer qu’il ne ferait rien de stupide. Que Lucifer l’ait épargnée lui parut déjà incroyable en soi, elle n’était pas certaine qu’il le fasse une seconde fois.
Mais le jeune homme, sous le choc, n’avait pas bougé d’un cheveu.
— Thomas ! appela-t-elle d’un ton pressant.
Reprenant ses esprits, il se dirigea vers elles, ce qui ne plut pas à Lucifer. Thomas eut un mouvement de recul et fit un signe de paix à l’Alien qui s’immobilisa. Alors le jeune homme continua doucement son chemin vers les deux femmes.
Bander la plaie fut rapide. Elle ne pouvait retirer les morceaux de T-shirt maintenant au risque de relancer le saignement, mais, heureusement, il lui restait quelques antibiotiques. Elle en sortit une boîte. D’un geste vif qu’il accompagna d’un grognement désapprobateur, Lucifer la lui arracha des mains et reprit la trousse.
— Hé ! s’insurgea Charlotte.
Il l’ignora tout bonnement sous un ricanement de Natacha.
— Ton garde du corps a décidé que j’avais gaspillé assez de ressources comme ça.
— C’est pas mon… commença Charlotte, mais une grande main gantée l’attrapa par le col de sa veste pour la remettre sur pied.
Il était temps de partir.
De retour dans le couloir plongé dans la pénombre, Lucifer relâcha sa veste pour la pousser devant lui. Elle n’avait pas fait un pas qu’un bruit de verre brisé perça le silence, suivi d’un chuchotement à peine audible. La fusillade avait cessé. Un fait passé tout à fait inaperçu avec la folie de ce qui venait d’arriver. Les hommes d’Hugo venaient chercher Thomas et Natacha. S’ils trouvaient Charlotte, ils ne la laisseraient jamais plus partir…
Lucifer l’attrapa par le bras pour l’attirer vers une autre chambre, mais elle se dégagea d’un mouvement sec et lui désigna la trappe au plafond. Il ne bougea pas d’un poil et Charlotte dut lui mimer le fait de tirer vers le bas. Sans même avoir besoin de tendre son bras totalement pour attraper l’anneau, il ouvrit le battant de bois. L’échelle de métal donnant accès au grenier glissa sans un bruit jusqu’à eux.
Des pas se firent entendre dans l’escalier et Charlotte se précipita sur les barreaux de fer, suivis de près par Lucifer. Il dut penser qu’elle n’allait pas assez vite, puisqu’il la souleva par la taille et la déposa d’un geste sur le sol du grenier. Enfin, il remonta l’échelle et la trappe s’était à peine fermée qu’ils entendirent des voix venant de la pièce où se trouvait Thomas et Natacha.
Tendus, ils étaient tous deux accroupis autour de l’entrée, prêts à réagir en cas de besoin. La fusillade à l’extérieur s’était tue et Lucifer avait placé ses mains sur les deux lames énergétiques accrochées à ses cuisses. Qu’il ne les ait pas sorties plus tôt était étrange.
D’un autre côté, Charlotte dut reconnaitre que rien dans l’attitude qu’il avait eue à son égard n’avait été menaçant. Si bien qu’elle avait préféré le suivre plutôt que de retourner avec Thomas et la troupe d’Hugo. Elle avait fait ce choix d’instinct. Une habitude qu’elle avait prise. Après tout, son père lui répétait souvent qu’elle avait un bon instinct et, jusqu’ici, les circonstances lui avaient toujours donné raison.
La porte de la chambre s’ouvrit à nouveau tandis que des voix leur parvinrent.
— Puisque j’te dis que je l’ai vu comme j’te vois ! s’énervait la voix de Natacha, assourdie par la paroi qui les séparaient.
— Un sans-visage ? répondit un homme. Y en a presque plus dans le coin, qu’est-ce qu’il ferait tout seul ici lui ?
Charlotte jeta un œil vers Lucifer qui contemplait avec attention l’appareil étrange qu’il portait au poignet.
Natacha laissa échapper un gémissement de douleur.
— Jo putain, fais gaffe ! grogna-t-elle, hargneuse. Tu marches trop vite !
— On peut pas tellement prendre notre temps… répondit Jo.
— Et il était pas tout seul j’te dis ! Demande à Thomas si tu me crois pas…
Thomas se contenta d’un grognement.
— Faut le dire à Hugo… intervint un autre homme à la voix rocailleuse. Un Taëkh’to qui se trimballe sans ses copains c’est l’opportunité du siècle !
Charlotte n’avait pas quitté des yeux le petit appareil qui, chaque fois que quelqu’un prenait la parole, affichait un nouveau message dans un alphabet étrange. Il ne fallait pas être un génie pour voir que c’était un traducteur. Ainsi donc, Lucifer comprenait tout ce qu’on disait… Tout du moins en avait-il la possibilité.
— Et la fille ? demanda Thomas alors qu’ils passaient sous la trappe pour se diriger vers les escaliers.
– Quoi « la fille » ? s’énerva Natacha. Tu veux pas la sauver non plus ?
— Elle a rien fait de mal, elle t’a même soignée ! Elle avait pas l’air d’avoir tellement le choix de le suivre, hein !
— Non, mais tu déconnes j’espère ! cracha la blonde avant de gémir de douleur à nouveau. T’as vu comme elle lui collait aux basques ? Une putain de traîtresse à sa race, c’est tout ce que c’est !
La colère comprima la poitrine de Charlotte. Quelle connasse !
— Elle avait clairement pas le choix ! s’énerva Thomas une nouvelle fois.
— Regarde la vérité en face, crétin ! Il l’a gentiment écouté quand elle a réclamé les bandages. Et t’as entendu les histoires des réfugiés. Ces monstres sont des animaux.
— Mec, Nat à raison, surenchérit Jo. Pour qu’il la suive comme un bon toutou elle a sûrement dû écarter sagement les jambes et hop ! Elle s’est trouvé un bon petit garde du corps.
La rage s’empara de Charlotte, bien vite remplacé par la honte quand les yeux rouges et sans pupilles de Lucifer se posèrent sur elle. Les joues en feu, les larmes au bord des yeux, elle détourna le regard pour ne plus croiser celui de l’alien alors qu’un bruit de lutte se fit entendre depuis l’escalier.
— Ça suffit ! ordonna la voix rocailleuse. Thomas reprend toi, on a assez d’emmerdes comme ça ! On va faire notre rapport à Hugo et on verra ce qu’il en dit. Mais fais-toi une raison gamin, cette fille a l’air bourrée de problèmes jusqu’au cou et je crois pas qu’elle ait envie d’être sauvée.
Qu’ils aillent tous au diable… Elle voulait juste survivre.
Les bruits de pas avaient depuis longtemps quitté la maison quand Lucifer s’était enfin redressé. Plié pour ne pas se cogner la tête au plafond, il avait attrapé le paquetage de Charlotte et en avait sorti le sac de couchage qu’il lui avait lancé. Le message était clair, ils dormiraient ici.
Installée dans son duvet, à l’abri de l’humidité de la nuit, que la maison sans habitants depuis plus d’un an ne repoussait plus, elle essayait de trouver un sens aux évènements de la journée. Jamais Hugo ne laisserait passer l’occasion de choper un alien vivant. Il allait poursuivre Lucifer désormais. En avait-il conscience ?
La bêtise de sa réflexion l’exaspéra et elle se frotta rageusement le visage de ses mains, comme si ce geste seul pouvait effacer l’idée stupide qu’il lui était venu.
Qu’est ce que ça pouvait bien lui faire qu’il le sache ou non ! Elle devait se concentrer sur la suite pour elle ! Sur sa survie à elle !
Maintenant qu’elle était associée au Taëkh’to dans la tête des réfugiés, qu’ils croisent sa route et s’en était fini d’elle. Marquée comme traîtresse à sa race. La putain du monstre…
Des larmes de rages coulèrent sur ses joues et elle ne fit rien pour les retenir. Du coin de l’œil, elle observa Lucifer.
Assis en tailleur à côté de la trappe, adossé au mur, il fermait les paupières. Il ne dormait pas, elle le savait. À chaque bruit suspect, son oreille en pointe s’agitait pour se tendre vers l’origine du bruit. Parfois, il entrouvrait un œil pour consulter le brassard accroché à son poignet. Charlotte n’avait jamais vu de Taëkh’to d’aussi près. Tout du moins à visage découvert, ils portaient toujours leur casque noir et lisse, reflétant le monde autour, d’où leur surnom.
Il était surprenant de constater que leur peau n’était pas lisse, mais recouverte d’une fourrure rase à l’aspect soyeux. Les nervures rouge-carmin qui parcouraient son visage et son cou l’intriguaient au plus haut point. Était-ce naturel ? Ou bien une sorte de tatouage ? Des scarifications peut-être ?
Les motifs intriqués qu’elles créaient adoucissaient les courbes dures et anguleuses de ses traits. Son nez plat, sa fourrure et ses oreilles, lui donnait un air étrangement félin.
À le voir ainsi, détendu, immobile, elle devait avouer qu’il tenait plus de Tom Ellis que de Lucifer…
Elle se frotta de nouveau rageusement le visage devant une pensée aussi absurde. Ce mouvement brusque tira un regard interrogateur de Lucifer, qu’elle évita en lui tournant tout simplement le dos. Elle n’allait jamais réussir à dormir dans ces conditions…