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Hanae_Ecriture
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Chapitre 4 - Le secret

La lumière blafarde des néons vacillants jetait sur la bibliothèque municipal une lueur froide et irréelle, comme figée hors du temps. Autour de nous, les étagères ploient sous le poids des archives anciennes, gardiennes muettes d’un passé que l’on croyait enfoui à jamais. Les reliures en cuir craquelé, rongées par les années, enfermaient des secrets que ni la poussière ni l’oubli n’avaient pu effacer. Des piles de journaux jaunis s’entassaient, leurs pages gondolées par l’humidité et les décennies, libérant un mélange âcre de papier moisi et de poussière stagnante. Plus loin, des manuscrits oubliés reposaient dans l’ombre, leurs encres effacées laissant deviner des histoires suspendues, offertes uniquement à ceux qui osaient tendre l’oreille.

 

Chaque pas tournée glissait sous mes doigts avec un léger craquement, et un frisson glacé dévalait ma colonne vertébrale, comme si la lourdeur des récits anciens s’infiltrait en moi, alourdissant l’air d’une tension mêlée d’angoisse sourde. Ces histoires de drames tus, de mystères enfouis, éveillaient en moi une urgence oppressante, comme si le passé exigeait qu’on l’écoute, refusant d’être ignoré. La fatigue tirait sur mes paupières, mes muscles se faisaient lourds, mais une force invisible me retenait, suspendue entre un espoir têtu et une inquiétude grandissante.

 

Notre groupe, réduit à quelques âmes épuisées mais obstinée, s’était retranché dans ce fragile sanctuaire, loin du manoir qui nous avait vidés de notre énergie. Loin du froid mordant, des silences pesants et des ombres menaçantes. Le calme y était lourd, presque suffocant. Nous scrutions chaque mot, chaque détail, cherchant désespérément un indice capable de déchirer le voile épais qui enveloppait notre enquête. Seul le bruissement discret des feuilles tournées et le souffle court de nos esprits tendus troublaient ce silence dense, comme si un seul mot pouvait déchaîner la peur ou faire éclater la vérité.

 

— Plus on creuse, plus ça pue la tragédie, murmura Sarah, les yeux rivés sur un registre abîmé.

— Tu crois qu’ils se sont tous entredéchirés, comme dans un mauvais polar ? Lança Mark avec un sourire ironique, tentant de briser la tension.

— Ça pourrait, répliqua Lucas d’une voix grave. Mais ce que j’ai déniché ici dépasse tout ça.

 

Il nous tendit un vieux journal intime, relié en cuir craquelé, si fragile que le moindre geste risquait d’en arracher les pages. Ce cuir desséché portait encore la marque des mains tremblantes qui l’avaient caressé jadis. Quand je l’ouvris, un frisson glacé traversa tout mon corps. Les pages, jaunies et usées sur les bords, étaient presque vivantes, comme si elles respiraient encore, chargées d’histoires trop lourdes pour disparaître. L’odeur mêlée de papier ancien, de poussière et d’air stagnant éveillait en moi une sensation étrange, presque intime. Ce carnet ne contenait pas un simple récit, mais un cri étouffé, une mémoire vivante, prête à s’échapper au moindre contact.

 

— Ce journal appartenait à Elizabeth Chantelombre, la dernière descendante directe, expliqua Lucas. Elle y raconte un pacte scellé dans le sang. Une alliance censée protéger la famille… mais qui s’est retournée contre elle.

— Un pacte ? M’étonnai-je. Avec qui ? Une autre famille ? Une force obscure ?

— C’est là que ça devient flippant, intervint Sarah en s’approchant. Ils évoquent une entité, un esprit torturé, une âme condamnée à errer sans repos. Une malédiction née d’une trahison vieille d’un siècle.

— La fameuse ombre, soufflai-je, le cœur se serrant.

 

Lucas fit glisser ses doigts sur les pages jaunies, chaque mouvement émettant un crissement sourd, comme un souffle étouffé venu du passé. Ses yeux scrutaient les lignes à la faible lumière, cherchant un indice, une vérité dissimulée. Soudain, il s’immobilisa, le souffle court. Son doigt s’arrêta net sur un passage écrit d’une main tremblante, les lettres vacillantes trahissant une peur profonde. Autour de nous, le silence s’alourdissait, comme si le manoir lui-même retenait son souffle, suspendu à cette révélation. Un frisson parcourut ma colonne vertébrale tandis que je plongeais mon regard dans celui de Lucas, devenu sombre, chargé d’une inquiétude lourde à porter.

 

— Écoutez ça : « Nous avons lié nos vies à ce serment, mais le sang versé à brisé le fragile équilibre. Désormais, une âme souffrante hante ces murs, réclame justice, crie sa peine dans l’obscurité. »

— Si c’est ça, on n’a pas juste une histoire de fantômes, on a un cri désespéré, un appel à la rédemption, souffla Sarah, les yeux brillants d’une lueur grave.

— Et nous, on est coincés au milieu, ajouta Mark en croisant les bras. On a réveillé un truc qui n’a jamais trouvé le repos.

 

La tension monta brusquement, glissant dans l’air comme un poison sournois. Ces mots, à peine murmurés, libéraient une force invisible mais lourde, qui rampait entre nous, s’accrochait à nos souffles, étouffant peu à peu la pièce. Mon cœur s’emballa, frappant ma cage thoracique avec une fébrilité oppressante, tandis que la faible flamme de la torche projetait des ombres mouvantes aux contours incertains, donnant vie aux murs froids dans une danse inquiétante.

 

Le silence avait changé d’essence. Il n’était plus vide, mais lourd, presque palpable, comme une main glacée posée sur mes épaules. Ma gorge se serra, mes muscles se raidissaient malgré moi, paralysés par une force étrangère. Mon esprit luttait pour rester maître, mais une partie de moi glissait doucement dans l’angoisse. Ce journal, posé devant nous, éveillait une mémoire enfouie, un feu sourd, peut-être même une conscience invisible, attentive, qui vibrait avec le manoir lui-même, prête à bondir au moindre faux pas.

 

— C’est ça, le secret du manoir, dis-je d’une voix lente, chargée. L’ombre ne se résume pas à une présence malveillante. C’est le poids d’une injustice jamais réparée.

— Peut-être qu’on est la dernière chance de cette famille brisée, ajouta Lucas, sa voix tremblante trahissant son propre doute.

 

Un frisson glacé me traversa, vif et tranchant, comme une lame effleurant ma peau. Mon cœur s’accéléra, non pas d’adrénaline, mais d’une peur sourde qui s’installait, tenace et implacable. Chaque pas vers la vérité nous entraînait aussi plus profondément dans une obscurité ancienne, où sommeillait une force qui refusait qu’on la dérange. Je sentais cette menace oppressante, lourde comme un voile de plomb. Ce que nous cherchions n’était pas simplement caché : il avait été scellé, enfermé, pour une raison précise. En grattant la surface fragile, j’avais l’impression de réveiller un géant endormi, tapi dans un silence éternel.

 

— Il faut qu’on retourne au manoir, proposai-je, la voix ferme malgré l’angoisse qui nouait ma poitrine. Ce qu’on a trouvé, c’est la clef. Mais ça ne suffit pas d’en savoir plus. Il faut agir.

— Agir comment ? S’inquiéta Sarah, les sourcils froncés.

— En rendant justice à cette âme tourmentée. Trouver ce qui a brisé ce pacte et réparer ce qui peut l’être.

 

Mark haussa les épaules, un sourire ironique aux lèvres.

 

— Facile à dire quand on n’a pas peur de finir hantés à vie.

— Fuir n’a jamais été une option, répliqua Lucas, un sourire fatigué aux coins des lèvres. On est entrés dans un jeu dont on ne maîtrise pas les règles. C’est à nous de les découvrir.

 

Le poids de cette responsabilité nous écrasait, plus lourd que la poussière qui recouvrait les étagères autour de nous. Chaque regard trahissait cette angoisse sourde, le doute qui s’insinuait au plus profond, cette envie dévorante de fuir loin de ces murs étouffants. Pourtant, au cœur de cette paralysie, une étincelle fragile brillait encore.

 

Un souffle d’espoir.

 

Au fond de nous, une force refusait de céder. Peut-être ce besoin viscéral de comprendre, cette conviction que notre présence avait un sens, un rôle à jouer. Malgré la peur qui s’immisçait dans nos pensées, malgré les battements affolés de nos cœurs, nous restions là, silencieux mais soudés. Cette lumière intérieure, même minuscule, suffisait à nous pousser à avancer, à tenir bon, à ne pas abandonner.

 

— Alors, on y retourne, conclut Sarah en serrant le poing, déterminée. Pour comprendre. Pour réparer. Pour libérer cette malédiction.

 

Nous quittâmes la bibliothèque, enveloppés dans un silence lourd. Chaque pas pesait sous le poids de l’épuisement et d’une inquiétude sourde qui collait à nos chaussures. Nos corps étaient ralentis, comme si une force invisible les retenait, comme si revenir vers le manoir réveillait une peur ancienne nichée au plus profond de nos âmes. Dehors, la nuit s’était épaissie, avalant lentement le monde dans une obscurité presque étouffante. L’air glacial mordait nos visages, s’immisçait sous nos vêtements, gelant jusqu’à nos pensées, laissant une froideur pénétrante qui engourdissait tout.

 

Le vent, vif et traître, balayait les feuilles mortes en un souffle rauque, un murmure funèbre, un écho lointain venu d’un passé oublié.

 

Devant nous, le manoir s’élevait, silhouette massive découpée sur un ciel dépourvu d’étoiles. Il imposait sa présence, immobile et oppressante, comme une bête endormie prête à bondir et nous engloutir. Aucune lumière ne perçait ses fenêtre closes, aucun signe de vie ne s’en échappait, pourtant l’air autour vibrait, chargé d’une énergie lourde et inquiétante. Ce n’était pas qu’un bâtiment ancien, mais une entité silencieuse, gardienne de drames oubliés, observant chacun de nos gestes, guettant notre retour avec une patience implacable.

 

À chaque pas que nous faisions, le manoir aspirait notre souffle, lentement, inexorablement. Ce chemin, autrefois familier, prenait une dimension nouvelle : le silence s’alourdissait, le vent se faisait plus aigu, comme si la nuit retenait son souffle. Une même pensée nouait nos entrailles, froide et implacable : notre histoire avec cette maison n’était pas terminée. Pas encore.

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