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Lina-M
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3. Les embruns

3. Les embruns


    Je m’étais réveillé bien avant que le soleil ne pointe à l’horizon. La veille, j’avais récolté la rosée de Beltaine, celle qui nous accompagnerait toute l’année et que nous utilisions pour ses vertus guérisseuses. Elle était conservée soigneusement dans de petites fioles de verre qui représentaient pour nous un trésor.

    Je procédai à un sortilège de gratitude pour remercier les dieux de ce cadeau inestimable. Je pris un plateau en nacre et y versai du sable de Beriya. J’y plantai une chandelle blanche pour la purification et une verte pour la guérison. J’y posai une pierre d’améthyste avant de laisser tomber quelques fleurs de queue de renard (Amarante). J’enflammai un brin de paille pour les allumer. J’allumai un fagot de sauge à leur flamme et laissai la fumée s’enrouler autour de chaque flacon pour les purifier.

    Une fois le rituel fini, j’ouvris la fenêtre pour laisser la brise de ce mois de mai balayer les derniers vestiges de cette odeur herbacée et légèrement musquée qui était entêtante.

    Llyr sauta sur le rebord et pencha la tête sur le côté, son petit museau s’agita dans les airs pour capter les dernières fragrances qui flottaient encore dans la pièce.

    J’attrapai un grand panier en osier et lui fis un signe de la main. Il sauta lestement et grimpa le long de mes braies, jusqu’à venir se poser sur mon épaule. Je sortis une noisette de ma poche et lui tendis. L’écureuil l’attrapa aussitôt pour la grignoter. Je retins un sourire et me dirigeai vers la porte.

    Le soleil était dorénavant levé. Un fin brouillard flottait sur le paysage empêchant de voir à plus d’un mètre, pourtant je me dirigeai à travers les dénivelés du terrain sans même regarder où je mettais les pieds.

Je connaissais chaque racine, chaque pierre, chaque arbre de cette terre qui m’avait vu naitre. J’aurais pour en arpenter ses reliefs les yeux fermés.

    Je me dirigeai d’abord vers le ruisseau dont j’entendais la musique dans le lointain. Les pousses de cresson ondulaient doucement dans le courant.

    J’ôtai mes chaussures et m’avançai lentement dans l’eau. Je sentis sa morsure glaciale sur mes chevilles et poussai un cri de surprise qui fit déguerpir Llyr. Je lui jetai un regard avant d’éclater de rire.


    — Je me demande, mon cher Llyr, pourquoi tu m’as choisi. Ai-je donc si peu de courage ?


    L’écureuil émit un petit couinement outré avant d’enrouler sa silhouette fauve autour d’un tronc et de venir poser son séant sur une branche au-dessus des remous de la rivière. Je me détournai et retournai à ma récolte.

    Quand je relevai la tête, le soleil était haut dans le ciel, il traversait les feuillages et formait des arabesques à la surface de l’eau. Les brumes s’étaient estompées.

    Je frottai mes mains tétanisées par le froid et jetai un coup d’œil à mon panier bien rempli, avec la satisfaction que l’on ressent après un travail harassant, mais ô combien gratifiant !     Llyr descendit de son perchoir et vint à mes côtés alors que je m’asseyais sur une pierre plate que caressait un rai de lumière. Je laissai mon regard se perdre dans ce paysage qui était chaque jour différent. Les oiseaux chantaient leur mélopée et accompagnaient mes songes.

    Je restai ainsi à rêver jusqu’à ce que l’inconfort de ma position et la faim ne viennent me tirer de ma retraite intérieure. Je me relevai et remis mes chaussures, il était temps de rentrer. Llyr sauta dans le panier et se mit à grignoter quelques brins de cresson.


    — Je t’interdis de tout manger, espèce de petit goinfre.


    L’écureuil redressa la tête, un brin d’herbe dans la bouche, avant de l’ingurgiter à toute vitesse, comme si j’allais lui retirer sa précieuse friandise.

    Je décidai de longer la côte pour profiter de l’air iodé et peut-être trouver quelques coquillages qui pourraient faire office de déjeuner. J’avais la chance de vivre sur cette île qui regroupait différents paysages, je pouvais marcher dans la forêt et me retrouver quelques minutes plus tard au bord de la mer. Les prairies côtoyaient les montagnes, les ruisseaux coulaient au pied des arbres centenaires. Les animaux y vivaient en liberté et chaque essence trouvait sa place dans ce microcosme.

    Beriya était un sanctuaire.

    Je sentis la mer avant même de la voir. Ses embruns vinrent caresser mon visage dès que je quittai l’orée du bois. L’iode se mélangeait à l’odeur terreuse de l’humus en décomposition. La senteur entêtante des jonquilles qui bordaient le chemin venait s’y mélanger et provoquait un kaléidoscope de parfums.

    J’avançai doucement, mes pieds quittèrent la terre pour s’enfoncer dans le sable. Je balançai mon panier au gré de mes pas, berçant Llyr qui s’était endormi dans un nid de cresson, mes yeux fixaient sur l’horizon.

    Mon regard se perdit dans l’immensité bleutée de la mer à perte de vue.

    J’étais l’enfant qu’avaient engendré la terre et la mer dans une union mystique.

    J’étais le monde.

    Un sourire étira mes lèvres, oubliant un instant les paroles qu’avaient prononcées Cyan, oubliant ma mission, oubliant tout ce qui n’était pas moi.

J’allais tourner les talons quand mon regard accrocha une tache noire sur le sable, forme incongrue qui n’aurait pas dû s’y trouver.

    J’avançai lentement dans sa direction, toute sérénité m’avait quitté et je sentis les tentacules de l’angoisse s’enrouler autour de mon corps. Llyr se réveilla, il avait senti les affres de mon inquiétude. Le panier fut déséquilibré quand il grimpa sur le rebord, les yeux fixés à son tour vers la forme qui gisait dans le sable. Le panier émit un petit craquement quand je le lâchai. Les feuilles de cresson s’éparpillèrent sur le sol, tachant de vert, l’or blond du sable, mais je ne le vis pas, je me mis à courir et me laissai tomber à genoux dans le sable.

    Un homme était allongé sur le côté, ses vêtements raidis par le sel avaient été noirs, cependant ils étaient dorénavant striés de bandes blanchâtres. Il tenait une dague dans son poing serré. Mon regard se porta sur son visage. Je fus saisi d’un vertige.

    Ses paupières étaient rouges et enflées par son séjour en mer, ses lèvres si craquelées qu’elle ressemblait à du papier sur le point de se déchirer. Des mèches brunes raidies par le soleil tombaient sur son front. Je le trouvai beau, ses traits m’étaient familiers et pourtant inconnus.

    J’avançai une main tremblante et la posai sur sa joue. Sa peau était chaude et je sentis un soupir de soulagement quitter ma poitrine, il était encore vivant. Je me tournai vers Llyr qui sautillait autour de nous.


    — Va chercher quelqu’un, vite.


    L’écureuil jeta un dernier coup d’œil à l’homme avant de détaler vers le village. Je fouillai dans mes poches à la recherche de ma gourde. Je la posai délicatement à côté de moi et essayai de bouger l’inconnu.

Son corps raidi par le froid était lourd, je réussis malgré tout à poser sa tête sur mes genoux. Je penchai la petite outre au-dessus de lui et laissai glisser quelques gouttes sur ses lèvres. Il émit un râle qui me fit sursauter. Je continuai pourtant. L’eau glissait sur sa bouche fermée et coulait le long de son cou pour se perdre dans le sable. Je posai ma main sur ses lèvres et les écartai légèrement pour lui permettre de boire.

    Dans un réflexe de déglutition, il avala avant de se mettre à tousser. Je penchai aussitôt sa tête sur le côté. Sa main vint se poser sur la mienne sans que je sache s’il cherchait à me repousser ou à s’accrocher à un semblant de vie. Sa tête finit par retomber sur mes genoux. Ses paupières se mirent à frémir pour enfin s’ouvrir. Ses yeux larmoyaient abondamment.


    — Brûle…


    Sa voix était rauque comme s’il n’avait pas parlé pendant des jours. J’attrapai sa main qu’il allait porter à ses yeux et la retenait pour l’empêcher de se les frotter. Je la reposai sur sa poitrine et fis couler un peu d’eau sur son visage, nettoyant du bout des doigts, les traces de sel qui figeaient son expression. Il ne bougea pas et, quand j’eus fini, il ouvrit enfin les yeux.

    À travers les larmes qui continuaient à couler sur ses joues, je distinguai deux prunelles noires comme une nuit sans lune.


…


    L’eau fraîche coula sur ma peau. Je la sentis glisser sur moi comme un baume apaisant, soulageant les brûlures qui constellaient ma peau.

    Un homme était penché au-dessus de moi. Je ne pouvais distinguer les traits de son visage caché dans l’ombre de son corps jetait sur moi. Une odeur herbeuse s’échappait de lui comme s’il venait de se rouler dans un pré. Il sentait les fleurs, il sentait la terre. Ses boucles brunes dansaient dans la brise. Sa main chaude était posée sur ma joue.

    J’y sentais le soleil et la vie.

    Je voulus lui demander qui il était, mais aucun mot ne sortit.

    J’entendis une cavalcade au loin, comme si plusieurs personnes couraient vers moi. Je pensai à Lachlan et à Rory. Avaient-ils eu aussi trouvé un ange de lumière sur leur chemin ? 



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