Alice
11 juin 2023
J’ouvre les volets, pensive. Aujourd’hui marque le jour de mon rendez-vous avec Sasha. Nous devons discuter d’un projet qui me tient à cœur : prendre des photos de paysages pour illustrer les lieux décrits dans mon roman.Une fois prête, je m’adonne à mon rituel matinal, qui consiste simplement à caresser Maurice, mon fidèle compagnon à quatre pattes. Je m’apprête à éteindre la télé que j'avais allumé pour l’avoir en arrière plan pendant ma préparation, un frisson me parcours lorsque je vois l'image des cadavres, cette façon de tuer mes très familière, le premier roman que j'ai publié parle d'un tueur en série qui tué comme ça, c'est certainement une coïncidence me je ne peux m’empêcher de croire à plus qu'un hasard. J'éteins le téléviseur non sans un dernier coup d'œil à l' image. Le rendez-vous ayant lieu dans un café non loin de chez moi, je décide de m’y rendre à pied. En consultant l’heure sur mon téléphone, je constate que j’ai une demi-heure d’avance.
Un serveur m’accueille dès mon arrivée.
— Bonjour, une table pour combien de personnes ?
— Bonjour, une table pour deux, s’il vous plaît.
— Bien, suivez-moi, je vous prie.
Il me conduit à une table près de la vitre. Une fois installée, je sors mon téléphone pour prévenir Sasha que je suis déjà là et que j’ai pris place. Quelques minutes plus tard, je le vois arriver en trottinant, arborant un petit sourire gêné.
— Je suis vraiment désolé de t’avoir fait attendre, dit-il en se grattant l’arrière de la tête, manifestement embarrassé.
— Ce n’est rien, ne t’inquiète pas. Je suis arrivée en avance, répondis-je avec un sourire.
Sasha s’installe en face de moi, juste au moment où le serveur revient pour prendre nos commandes. Une fois cela fait, je sors de mon sac un carnet dans lequel j’ai noté les adresses des différents lieux que je souhaite intégrer à mon roman. Je le tends à Sasha.
— J’ai eu une idée pour un livre que j’écris, expliquai-je. J’aimerais inclure des photos des lieux mentionnés dans l’histoire. Ce carnet contient toutes les adresses ainsi que des indications précises pour chaque endroit.
- Tu es écrivaine ?
- A mes heures perdues oui.
Sasha feuillette le carnet avec attention, son regard oscillant entre les pages et mes explications.
— Très bien. Je pense pouvoir terminer ce travail en deux semaines minimum. Cela te convient ?
— Parfait, je ne suis pas pressée, répondis-je avec enthousiasme. Nous passons l’heure suivante à discuter plus en détail des lieux et des instructions. Sasha semble pleinement investi dans le projet, ce qui me rassure et me motive davantage. Alors que la conversation semble toucher à sa fin, il me regarde avec une expression hésitante.
— Alice… Je me demande si tu ne te souviens pas de moi. Nous étions dans la même classe en cinquième et en quatrième…
Je reste silencieuse un instant, feignant de réfléchir.
— Je suis désolée, j’ai une très mauvaise mémoire pour les prénoms, dis-je finalement.
Il secoue la tête avec un sourire indulgent.
— Ce n’est rien, ne t’en fais pas.
En réalité, je me souviens parfaitement de lui. Bien que Sasha et moi ayons deux ans d’écart, nous étions dans la même classe. Cela s’explique par le fait que j’ai intégré la maternelle un an plus tôt que mes camarades, puis sauté le CP grâce à mes parents qui m’avaient déjà appris les bases. À l’époque, Sasha était souvent la cible de harcèlement. Je m’étais interposée, malgré les risques, pour l’aider.Il semble ne pas se douter que je n’ai jamais oublié cet épisode, mais je choisis de ne pas en dire plus. Parfois, les souvenirs se suffisent à eux-mêmes, enveloppés dans le voile du passé.
Alice - 11 ans
03 octobre 2013
Aujourd’hui, j’ai fini les cours une heure plus tôt, mon professeur étant absent. Bien que je sache que ma mère désapprouve catégoriquement que je rentre à pied, l’idée me séduit. Sans prévenir notre domestique, je décide de profiter de cette liberté inattendue et me lance sur le chemin du retour à travers les petites ruelles de la ville. Au détour d’une allée, un bruit étrange attire mon attention : des gémissements étouffés. Je me fige, tendant l’oreille. Curieuse, je m’avance discrètement et me penche contre le mur pour voir ce qui se passe. Devant moi, une scène révoltante se déroule. Sasha, un camarade de classe dont je me souviens vaguement, est recroquevillé sur le sol. Ses mains couvrent son visage, et des larmes coulent sur ses joues. Face à lui, trois élèves de troisième rient aux éclats, savourant manifestement leur cruauté.Un sentiment de colère m’envahit. Je redresse la tête et avance vers eux d’un pas résolu. Dès qu’ils m’aperçoivent, leur hilarité s’interrompt net.
— Regardez qui vient se mêler à la populace ! lance l’un des garçons avec un rictus méprisant. Ignorant son sarcasme, je me place devant Sasha et leur fait face, les toisant avec un mélange de dédain et de froide détermination.
— Il serait vraiment regrettable que vos parents perdent leur emploi… ou finissent leur vie en prison, dis-je calmement, mais avec assez de fermeté pour les faire vaciller. L’un d’eux proteste immédiatement, sa voix tremblante.
— Tu n’as aucun pouvoir pour faire ça ! hurle-t-il, un brin paniqué.
— Revois ta manière de t’adresser à moi, espèce de gueux. Je marque une pause, mes yeux fixant les leurs, glacials. Vous savez très bien qui je suis. Mes parents ne sont pas seulement les personnes les plus riches de la ville, ils détiennent également un pouvoir considérable. Celui qui contrôle l’argent contrôle tout.
Un autre garçon tente de sauver la face.
— Tu… tu ne connais même pas nos noms !
— C’est exact, mais il ne me serait pas difficile d’accéder à vos dossiers scolaires, rétorquai-je avec un sourire sarcastique. Alors, partez maintenant, et ne vous en prenez plus jamais à lui !
Les trois garçons détalent comme des rats, disparaissent au coin de la rue. Bien que ma menace ait fonctionné, je sais qu’ils finiront par comprendre que je bluffais. Enfin… presque. Tout ce que j’ai dit est théoriquement possible, mais mes parents ne bougeaient pas le petit doigt pour aider un "moins que rien", comme ils aiment si bien les appeler. Si j’avais été la cible, ce serait une toute autre histoire.Je me tourne vers Sasha, qui est maintenant assis sur le sol, ses sanglots s’étant transformés en pleurs silencieux. Je m’accroupis devant lui et lui tends un mouchoir.
— Tiens. Il y a une pharmacie pas loin. Reste ici, je reviens tout de suite.
— Merci… hoquète-t-il, la voix brisée.
Je me relève et me mets à courir vers la pharmacie la plus proche. Quelques minutes plus tard, je reviens sur les lieux. Cette fois, une nouvelle personne est avec lui : un jeune homme agenouillé devant Sasha, caressant doucement ses cheveux roux pour le calmer. À ses pieds, une canne ornée d’un manche en forme de corbeau doré attire mon attention. Ses longs cheveux noirs tombent sur son visage, m’empêchant de distinguer ses traits. Soudain, il lève la tête et croise mon regard, une étrange leur refléter dans ses yeux me donne un léger frisson de peur.
— Je vous en suis reconnaissant, gente demoiselle, pour votre précieuse assistance. Je vais à présent prendre soin de lui personnellement.
Son sourire, bienveillant, m’inspire un étrange mélange de soulagement et de perplexité. Il tend une main pour récupérer le sac de soin que je lui avais apporté.
— Bien… au revoir, dans ce cas, dis-je en lui tendant le sac avant de m’éloigner.
À peine ai-je passé la porte de notre maison que je trouve ma mère dans le salon, visiblement furieuse.
— ALICE ! hurle-t-elle. Non seulement tu oses rentrer à pied comme une vulgaire roturière, mais en plus, tu te permets d’aider un… un inconnu ?! Tu piétines l’éducation que nous t’avons donnée, sans parler de l’image que tu renvoies ! File dans ta chambre ! J’attendrai le retour de ton père pour décider de ton sort.
Sa réaction ne me surprend pas le moins du monde. Mes parents ont des "yeux et des oreilles" partout, toujours prêts à rapporter le moindre faux pas. Je garde la tête haute, résistant à l’envie de répondre, et me rends dans ma chambre.
Alice
11 juin 2023
Le rendez-vous terminé, je décide de flâner dans les rues de la ville à la recherche d’inspiration. Après tout, comme disait Baudelaire, le génie est une promenade au hasard. Au coin d’une rue, l’odeur alléchante de viennoiseries fraîches me conduit à une boulangerie. Impossible pour moi, bonne Française que je suis, de résister à un pain au chocolat. Une fois mon précieux goûter en main, je reprends ma balade, savourant chaque bouchée tandis que je me perds dans mes pensées. Soudain, quelqu’un me percute de plein fouet. Je recule, déséquilibrée, prête à tomber, lorsqu’une main se referme fermement autour de mon poignet pour me retenir.
— Oh, toutes mes excuses. Vous allez bien ?
Je lève les yeux vers l’homme devant moi. Ses prunelles bleu glacier me scrutent avec une intensité déconcertante. Son visage est maquillé, recouvert d’un fond de teint parfaitement lissé. Ce n’est pas courant, mais je ne m’attarde pas à juger. Je réalise que je le fixe en silence depuis trop longtemps. Il semble le remarquer aussi, car il relâche doucement ma main.
— Euh… oui. Ça va. J’étais juste… un peu perdue dans mes pensées. Ce n’est pas totalement de votre faute.
— Vous en aviez tout l’air, en effet, dit-il avec un sourire étrange.
— Vous m'observez ? demandai-je en fronçant les sourcils.
— Non, pas du tout. Ce n’est pas ce que je voulais dire. C’est juste que… vous avez mis un moment avant de réagir.
— Vous m’avez surprise, voilà tout.
— Ou intriguée, peut-être ?
— Quoi ? Non.
— Dommage. C’est pourtant mon cas.
Un frisson d’inconfort me parcourt l’échine. Il me fixe toujours, avec un calme qui frôle l’insolence.
— Je suis désolée, mais… je suis attendue. Je risque d’être en retard.
Sans attendre sa réponse, je tourne les talons et m’éloigne rapidement, sentant encore son regard dans mon dos.
Lorsque ma promenade touche à sa fin, je rentre chez moi et vérifie mon téléphone. Une idée me traverse l’esprit : contacter Axel pour lui demander la date de son rendez-vous pour son tatouage, plus précisément l’heure.
“Salut la vieille, il est prévu pour le 17 juin à 14h. T’as le temps”, me répond-il dans un message, ponctué d’un emoji moqueur. Un rapide coup d’œil à l’écran m’indique qu’il est déjà 12h40. L’heure tourne, et il est temps pour moi de me préparer pour le travail. Je prends mes affaires et me dirige vers ma voiture, en route pour la librairie.
Une fois arrivée sur place, je descends de la voiture et avance vers l’entrée, saluée par la réceptionniste avec un sourire chaleureux.
— Bonjour Alice, dit-elle d’une voix douce.
— Bonjour, lui répondis-je avec un sourire en retour.
Je me dirige ensuite vers les vestiaires pour me changer et déposer mes affaires, prête à commencer ma journée.
Sasha
11 juin 2023
Une fois qu’Alice est partie, je décide de commencer les photos immédiatement, surtout qu’un des lieux mentionnés se trouve à quelques pas. En sortant, je prends une profonde inspiration, appréciant l’air frais et la chaleur douce du soleil, puis je me dirige vers l’adresse indiquée. Une fois sur place, je sors le carnet pour relire les instructions : photographier la fontaine située au centre du parc, avec en arrière-plan la forêt, ses arbres encore verdoyants malgré la chaleur de la saison. Je mets en marche mon appareil photo, suspendu autour de mon cou, et me concentre. Je prends plusieurs clichés, explorant différents angles et perspectives : contre-plongées, vues de face, plans serrés et larges. Après environ trente minutes, je suis satisfait : une quinzaine de photos variées, capturant les moindres nuances de lumière et les détails environnants. Ne travaillant pas aujourd’hui, je décide d’aller rendre visite à Mathieu, qui se trouve dans son salon, juste au bout de la rue.
Le tintement du carillon annonce mon arrivée, et Mathieu lève les yeux de sa tablette graphique pour m’accueillir.
— Mon cher Sasha, s’exclame-t-il avec un sourire espiègle. Quel noble motif t’amène en ce jour radieux dans mon modeste salon ?
— Eh bien, dis donc, t’as l’air de bonne humeur aujourd’hui, je réponds en haussant un sourcil amusé.
— En effet, mon ami, je savoure ces rares instants de tranquillité où le chaos du monde ne s’invite pas dans mon antre.
— Et moi, je m’ennuie, soupirai-je, laissant tomber mes épaules.
Mathieu, dans toute sa théâtralité, fouille dans sa poche et sort un billet de 100 euros.
— Tiens, noble vagabond. Procure-toi un jeu, un livre ou tout autre objet susceptible d’apaiser ton ennui, et laisse-moi œuvrer en paix.
— Sérieux ? Merci ! m’exclamai-je, les yeux pétillants. En m’approchant pour récupérer mon dû, mes yeux sont attirés par un dessin en cours de réalisation, je plisse les yeux essayant de me souvenir ou j'ai déjà vu ces habits. Captant mon regard Mathieu éloigne le dessin, me le cachant. Je fronce les sourcils, ce geste ne confirme que ce que j’ai compris, ces vêtement je l'ai déjà vus sur Alice…Avec ce précieux billet en poche, je décide de rentrer chez moi pour prendre la voiture et aller m’offrir ce nouveau jeu vidéo dont tout le monde parle. Une fois arrivé au magasin, je file directement dans le rayon jeux vidéo pour récupérer mon achat tant attendu. Pourtant, au lieu de partir immédiatement, je prends le temps de flâner dans les rayons, savourant ma liberté du jour. En passant par le rayon livres, mon regard tombe sur Sujet 66, ce roman dont Mathieu ne cesse de me vanter les mérites depuis des années. Selon lui, c’est carrément une œuvre sacrée, son “saint Graal littéraire”. Alors que je tends la main pour prendre un exemplaire, une voix douce m’interpelle derrière moi :
— Bonjour monsieur, je peux vous aider ?
Je me retourne, surpris, pour tomber sur Alice qui me sourit chaleureusement.
— Alice… Tu travailles ici ?
Elle me lance un regard amusé.
— Non, pas du tout. J’ai juste trouvé un uniforme dans la rue et me suis dit : “Pourquoi pas jouer à la libraire ?” Bien sûr que je travaille ici, plaisante-t-elle. Tu cherches quelque chose en particulier ?
La situation est presque cocasse. Demander de l’aide à un employé pour trouver un livre, alors que cet employé en est secrètement l’auteur, pourrait être gênant. Mais heureusement, Alice écrit sous pseudonyme, et je ne suis censé avoir aucune idée qu’elle est derrière Sujet 66.
Alice
11 juin 2023
Après une journée ordinaire, je rentre enfin chez moi. À peine ai-je le temps de m’affaler sur mon canapé pour souffler que mon téléphone vibre, annonçant un message. Curieuse, je jette un œil à la notification :
“Salut Alice, c’est Iris. J’aimerais beaucoup qu’on se retrouve prochainement autour d’un verre pour discuter.”Un mélange de surprise et de curiosité m’envahit. Je prends quelques secondes pour réfléchir, puis je lui réponds :
“Avec plaisir ! Es-tu disponible le 18 au soir ?” Quelques instants plus tard, mon téléphone vibre à nouveau :
“Parfait, c’est noté. À bientôt !”Un sourire naît sur mon visage tandis que je repose mon téléphone. Une rencontre avec Iris après tout ce temps... Cela promet d’être intéressant.
Depuis notre rupture l’an dernier, je n’ai pas cherché à garder le contact. Ce n’est pas contre elle — vraiment — mais ce n’est pas mon genre d’envoyer des nouvelles. Axel m’a réprimandé un nombre incalculable de fois à ce sujet. Rien n’y fait : je déteste ça. Si ce n’est ni important ni urgent, je ne vois tout simplement pas l’intérêt de contacter qui que ce soit.
Je pousse un long soupir en rejetant la tête en arrière, les yeux fermés, étirant lentement mon corps endolori. Un frisson me parcourt soudain lorsqu’un contact léger effleure mon front. Je sursaute, les yeux s’ouvrant brusquement.
— Ce n’est que toi… Tu prends un peu trop de plaisir à me faire peur, non ?
Je récupère mon chat et le cale contre ma poitrine. Sans se faire prier, il frotte doucement sa tête contre la mienne. Un petit sourire m’échappe alors que je glisse mes doigts dans son pelage, l’écoutant ronronner contre moi.