L’officier en blouse noire respirait difficilement, les mains posées sur ses genoux.
— On les a perdus, Commandant.
— J’ai bien vu qu’on les a perdus ! s’énerva Sharx, ses cheveux blonds attachés lui descendant sur les épaules.
Il regarda tour à tour les deux hommes qui tentaient tant bien que mal de reprendre leurs souffles.
— Qu’est-ce que vous fichez encore là ? Retrouvez-les ! Ordre du Colonel, il me faut ce gamin !
Acquiesçant d’un mouvement de tête, les officiers Dacos et Delanon repartirent sans attendre.
Deux semaines… Deux semaines que Sharx avait obtenu ce poste. Commandant Natanaël Sharx ! Combien de moqueries, d’insultes et de preuves pour atteindre son objectif ? Jamais une mission, aussi futile fût-elle, ne lui avait résistée. Et voilà que trois vulgaires gamins de rue lui avaient échappés.
D’un pas décidé, il repartit lui aussi à la recherche des trois enfants. Quand ils les auraient attrapés, il se ferait une joie de les fourrer au fin fond d’une cellule. Il ne pouvait, bien sûr, pas toucher à ce "Noah", mais ses deux abrutis d’amis suffiraient à calmer sa frustration. Agressant les personnes qui avaient le malheur de passer devant lui en leur demandant s’ils n’avaient pas vu trois garçons courant à toute allure, il éjecta un passant dans les poubelles à côté de lui quand il les vit. Ils sortaient discrètement par la porte de derrière un bar, regardant de chaque coté pour s’assurer qu’aucun membre de sa brigade ne se trouvait dans les parages.
Sharx se cacha contre un mur et appela ses collègues grâce à son téléphone puis leur ordonna de revenir en prenant soin de rester cachés.
— Puisqu’ils veulent jouer au chat et à la souris, nous allons jouer, pensa-t-il sournoisement.
Les trois amis marchaient à vive allure dans la rue déserte. À l’unanimité, ils avaient décidé de se rendre dans une rue délaissée de leur zone, où seuls quelques chiens errants et déchets malheureux n’arrivant pas à s’offrir un toit, même ici, hantaient les lieux.
— Et qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? demanda Noah. Conscient que ce qui leur arrivait était de sa faute.
— J'en sais rien, avoua un Nikolaï vaincu, tout d’abord trouver un endroit sûr où on pourra réfléchir à tout ça.
Ils entrèrent dans une maison abandonnée après avoir prudemment regardé qu'aucun squatteur n'occupait actuellement les lieux.
— Mes parents trouveront bien quelque chose, on peut pas rester ici indéfiniment ! se lamenta Noah.
Les deux amis s’installèrent où ils purent dans cet amas de bois et de poussière, tandis qu’Az ne cessait de jeter des regards furtifs par le cadavre ébranlé d'une fenêtre.
— Je connais quelqu’un, annonça-t-il soudain, du moins, ma mère connaît quelqu’un qui possède beaucoup de renseignement sur les activités du Président. Peut-être qu’il pourra nous expliquer pourquoi la Brigade Noire en a après toi Noah, enfin, même si ça fait des années qu'on a pas entendu parler de lui à la maison...
— Et qui est-ce ? questionna Noah ravi de trouver quelqu’un qui pourrait leur venir en aide.
— Un certain Lebrèse.
— Lebrèse ? répéta Nikolaï. Le chef de chantier ?
— Tu le connais ? demanda Noah.
— C’est lui qui s’était occupé de l’école lorsqu’une partie a brûlée. À ce qu’on dit de lui, il est assez proche du Président. Ça serait risqué de se pointer chez lui. En plus, il vit dans la zone 3, et avec ce qu'il s'est passé cette nuit, les accès doivent être ultra surveillés. Autant dire qu'on passera pas inaperçus...
Noah soupira, une plainte qui lui sembla durer des heures.
— Tu as le chic pour détruire les espoirs Nikolaï, souffla le garçon.
— J’évite simplement de nous jeter dans la gueule du loup.
— Alors propose quelque chose ! s’énerva Az.
— Je vous propose de nous suivre gentiment pour éviter toute violence.
À ces mots tranchants, le sang des trois garçons se glaça. L’officier Dacos de la Brigade Noire se tenait devant le trou de fenêtre où se trouvait Az qui avait vivement reculé de plusieurs pas, sa lourde masse noire bloquant l'issue.
— Comprenez bien que cela nous gênerait de salir nos uniformes.
Les trois amis tournèrent la tête et virent l'officier Delanon, qui avait tenté de frapper Az plus tôt dans la journée, descendre les marches grossièrement taillées dans la pierre, la matraque à la main.
— Comment êtes-vous entrés ? demanda Noah dont la voix trahissait sa peur.
— Il ne suffit pas de regarder par la fenêtre pour être en sécurité, la prochaine fois pensez à vérifier chaque recoin de la maison. Répondit celui-ci en montrant l’étage du doigt, un sourire de supériorité sur les lèvres.
Az fut frappé par sa propre erreur.
— Et si tu arrêtais de leur donner des conseils ?
Un bruit sourd, ignoble, suivi d’un petit cri étouffé. Az et Noah se retournèrent, le corps inconscient de leur ami gisait, étalé par terre, Sharx accroupi à ses côté, une matraque déployée en écho au cri de leur ami.
— Attrapez les qu’on en finisse, ordonna le commandant.
Alors que les officiers s'avançaient vers les malheureux avec une facilité étonnante malgré les débris sur le sol, Az attrapa rapidement la planche en bois sur laquelle était assis Noah et décocha un violent coup dans l’un des officiers, qui réussit à l’esquiver sans problème.
— Cours No...
Une ultime attaque de tonfa derrière le crâne l’empêcha de finir sa phrase, et il s’effondra au sol.
Pris d’un accès de peur, Noah se jeta par le trou de fenêtre derrière lui, alors qu’un des officiers tentait de l'agripper par un vêtement. Ignorant la douleur qui lui tirailla le flanc lorsque celui-ci entra en contact avec la pierre et les larmes qui lui montaient aux yeux, le malheureux courut à en perdre haleine, tournant à chaque rue, ignorant lui-même sa destination, l’intense désir de se trouver loin primant sur toute pensée intelligible. Derrière lui, il entendait le commandant du groupe hurler après ses hommes qui ne cessaient de le suivre.
Le jeune homme s’arrêta net, le souffle coupé. Il se trouvait dans un cul de sac. Pris de panique, son flanc lui faisait atrocement mal, et un point de côté brûlant le fit tomber à genoux. Les larmes revinrent quand il repensa à ses amis qu’il avait lâchement abandonnés là bas.
— Par ici petit.
Un homme, vêtu d’un grand manteau noir se tenait dans l’embrasure d’une porte. Noah reconnut l’étranger du bar. Sans réfléchir, il se précipita dans la maison où se trouvait l’inconnu qui lui indiquait à présent une trappe à peine visible dans le sol. Noah l’ouvrit rapidement et s’engouffra à l’intérieur du trou sombre, suivi de près par l’étrange allié, ne sachant nullement s’il plongeait dans un abri, ou droit à sa perte.
— Ferme la trappe, dépêche-toi !
Noah s’exécuta. À présent, on n'entendait plus que le son des pas et du chef qui ordonnait à ses sous-fifres de fouiller les lieux.
Noah tremblait de peur, tentant tant bien que mal de garder son sang froid. Il commençait à s’accoutumer à l’obscurité oppressante qui régnait en ce lieu et aperçut enfin l’homme qui l’avait secouru ainsi que l'alignement de caves qui couraient le long du mur. Ces soubassement étaient courant dans les basses zones, la maison de Noah communiquait également avec les caves de son quartier. Ces catacombes avaient été construits pour faciliter la distribution et l'évacuation d'eau. Elles permettaient également à la pègre locale d'agir sans empiéter sur la vie des habitants du dessus, ce qui rendit ces caves utiles très vite inutilisées, voire abandonnées à l'instar de celles-ci. Il attendit que les bruits de pas au dessus d’eux se dissipent, puis parla d’une voix peu assurée. La Brigade Noire ne tarderait sûrement pas à trouver la trappe.
— Merci, pour m’avoir aidé à leur échapper.
— Tu me remercieras plus tard, s’ils te cherchent pour la raison que je pense, tu es loin d’en avoir fini avec eux.
— Et vous pensez à quoi exactement ?
L’inconnu se mit à avancer dans le couloir sombre. Noah ne s’en aperçut qu’après un certain temps, tant ses pas étaient silencieux sur le sol.
— Suis-moi. Ce chemin mène près de la sortie de la zone, annonça l’inconnu.
Noah se précipita alors derrière lui, buta sur une botte de terre et s’étala au sol. Il cracha la terre qui s’était logée dans sa bouche et se releva, gêné d’être si bêtement tombé.
— Excusez-moi, balbutia-t-il.
— Pas de problème.
Noah se remit à marcher derrière l’homme au long manteau.
Les murs commençaient à se resserrer, et Noah, d’une corpulence plutôt forte, dut avancer en diagonal pour continuer. Ne voyant que très mal ce qu'il se passait devant lui, il avançait à tâtons et écoutait attentivement le moindre son de pas de l’inconnu quand celui-ci ne lui indiquait pas sa position.
Ils atteignirent enfin ce qui ressemblait à un petit escalier grossièrement sculpté dans la terre et qui semblait mener à la surface.
— Sors par là, une fois dehors, dirige-toi vers la zone 5, va vers le marché tu y trouveras un vieux marchand sur la place du puits à l'angle, accolé à un bar, il s'appelle Edouard. Tu m’as bien compris ?
Noah ne réagit pas immédiatement à cette question, mais le silence lui fit comprendre qu’il attendait une réponse.
— Euh... Oui, oui, répondit-t-il précipitamment. Le marchand, dans la zone 5.
— Dis-lui que la Brigade Noire te recherche. Je ne peux pas venir avec toi.
— Mais pourquoi ?
— J’ai encore des choses à faire, sors dépêche-toi !
Noah entama la montée des marches, puis se ravisa.
— Mais je ne sais même pas qui vous êtes !
Ils se regardèrent un instant, ignorant s’il devait partir ou attendre une réponse. Puis l’étrange personnage déclara dans un chuchotement.
— Zhéos.
Noah acquiesça en signe de remerciement, bien que les maigres rais de lumières émanant de la trappe ne permissent pas à Zhéos de le voir.
Le garçon souleva la trappe, et le soleil, bien que la journée touchât à sa fin, l’agressa et lui fit fermer les yeux.
— Attends ! reprit soudain Zhéos.
Noah le fixa tant bien que mal et, pour la première fois, il aperçut clairement son visage. Il était jeune, sûrement une trentaine d’année, des yeux et de cheveux d’un noir inquiétant, bien que son visage dur inspirait une certaine confiance.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Noah.
— Tu ne dois parler de moi à personne tu entends ?
Noah hocha la tête, ne comprenant pas bien, mais pressé de quitter ce triste dédale, il s’apprêta à sortir.
— Attends ! coupa une nouvelle fois Zhéos. Ce que tu vas vivre va être très éprouvant. Et surtout très dangereux. Tu dois à tout prix rester avec les gens chez qui je t'envoie. Eux seuls pourront t’aider.
Noah le regarda d’un air effrayé. Où voulait-t-il en venir ?
— Allez ! Pars maintenant.
Le pauvre garçon l'observa quelques secondes, puis se décida à sortir, le cœur battant, effrayé d’être à nouveau en terrain découvert.
Et seul.