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AlexandraEndersen
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13. Éclats de Braise et Silences

—   𝑋𝐼𝐼𝐼   —

Éclats de Braise et Silences

La soirée s'est installée tranquillement, le ciel se teintant d'un bleu profond qui annonce la nuit, tandis que le feu de camp crépite joyeusement, jetant ses éclats dans l'air frais. J'aime cette sensation d'être à la fois loin de tout, loin des bruits de la ville, et en même temps parfaitement en phase avec la nature, comme si le monde autour de moi était suspendu dans une bulle de tranquillité. Le sable sous mes jambes est à peine plus dur que le matelas d'un hôtel deux étoiles, mais, hey, le camping, c'est l'aventure, non ? Un peu d'inconfort fait partie du charme.

Je me laisse tomber sur le sol avec l'élégance d'une vieille chaussette abandonnée, m'étalant un peu trop sur le sable, mes bras s'étendant de manière dramatique comme si j'allais essayer de faire une étoile de mer géante, histoire de marquer ma présence dans cette nature sauvage. Ørjan se pose à côté de moi, et je lui jette un regard furtif, comme pour m'assurer qu'il est encore humain et pas une créature magique sortie d'un conte scandinave où les trolls vivent sous les ponts et les sorcières dansent sous la pleine lune. C'est quand même étrange de partager des moments aussi simples avec lui... Je pensais qu'un gars aussi « goth » que lui vivait dans une dimension parallèle, un endroit où les soirées sont rythmées par des orages violents, des chants lugubres et des cimetières abandonnés, avec une bonne dose de mystère flippant. Mais là, ici, on est juste deux ados (bon, un peu - beaucoup - plus vieux, mais l'idée est là) autour d'un feu de camp.

Je ferme les yeux, profitant du vent frais, et je me sens étrangement bien ici, un peu déconnectée de tout ce qui m'encombre en dehors de ce feu, de cette chaleur, de cette simplicité. L'air est doux, presque caressant, et je m'y abandonne volontiers, laissant chaque souffle m'éloigner un peu plus de tout ce qui pèse sur mes épaules. Le crépitement du feu, les ombres dansantes, c'est comme une bulle, un refuge où rien d'autre ne semble exister. Je me laisse emporter par ce calme inattendu, comme si, en cet instant précis, tout était parfait, tout avait un sens.

Quand je rouvre les yeux, je vois Ørjan qui me regarde tranquillement, son sourire un peu plus détendu que d'habitude. C'est là que je le vois vraiment. Pas son visage de méchant de film, pas ses airs mystérieux de type sortant tout droit d'une crypte, mais cet instant-là, lui, paisible, juste là, avec la lueur du feu qui éclaire son visage. Il est presque en osmose avec l'ombre et la lumière, chaque trait de son visage amplifié par la chaleur mouvante des flammes. Il n'a pas besoin de dire un mot, il a cette présence calme, presque intemporelle, comme s'il était fait pour se fondre dans cette scène, pour être une partie de cet instant. C'est étrange à quel point tout chez lui semble naturel, comme si, dans cet endroit, tout s'était arrêté, et qu'il appartenait à cet univers-là, là, avec moi. L'image d'un homme figé dans un moment qu'il semble maîtriser parfaitement, et moi, spectatrice d'un tableau vivant. C'est comme s'il était né pour exister dans cet instant précis, à cet endroit précis, un peu comme une pièce manquante qui se place dans un puzzle que je n'avais même pas vu se former.

Je détourne le regard, un peu gênée, comme si je venais de saisir quelque chose d'intime, quelque chose qui dépasse cette complicité nouvelle entre nous. Comme si je venais de toucher une corde fragile qu'il n'était pas censé laisser vibrer. Mais il ne me semble pas y avoir de mal. Peut-être qu'il y a des moments où les choses se disent sans avoir besoin de mots, sans avoir à l'expliquer. Ce genre de silence partagé, lourd de sens, qui fait qu'on se comprend sans se comprendre vraiment. Un silence qui tisse quelque chose de plus profond que des paroles maladroites, quelque chose que l'on ressent, que l'on capte sans avoir à y réfléchir.

Un de ces silence dont je n'ai pas l'habitude et que je sais pas vraiment maitriser...

— Tu sais, c'est fou, non ? Comment tout paraît plus intense autour d'un feu... 

Je tente de faire l'intellectuelle en cette soirée tout feu tout flamme, espérant probablement qu'on me voie comme une âme profonde, mais qui suis-je en réalité ? Juste une fille qui se laisse envoûter par les crépitements du bois. Ça sonne presque comme une citation inspirante à mettre sur Instagram, mais je me dis que tant pis, après tout, qui me jugerait ici ?

Ørjan hausse les épaules avec ce regard à la fois lointain et mystérieux, comme s'il venait de comprendre l'énigme de l'univers, ou comme s'il était en train de me livrer un secret cosmique.

— Oui, c'est comme si le feu te faisait oublier tout ce qui est à côté. 

Il parle avec une telle simplicité, comme si cette vérité était évidente pour tout le monde, mais dans son regard, il y a cette touche de sérieux qui m'amuse toujours. Ça me fascine, ce contraste entre son apparence détachée et la profondeur qu'il arrive à insuffler dans une simple réflexion.

— Mais oui, tu m'étonnes ! m'exclamé-je doucement, mon regard se perdant dans les flammes. Surtout qu'on ne fait rien d'autre que de regarder un feu... Si quelqu'un nous voyait, il penserait sûrement qu'on est des philosophes en train de discuter du sens de la vie, rigolé-je à ma propre blague et il me suit avec un sourire.

— Des philosophes, carrément... souligne-t-il en hochant la tête, l'air légèrement moqueur. Je t'imagine bien en train de partir dans un monologue, du style : Oh, regardez, le feu ! Il brûle, mais est-ce que nous brûlons aussi ?

Je mime une posture de grand savant, prenant un air solennel, avant de placer ma main sur mon menton, comme si la vérité universelle venait soudainement d'éclater dans mon esprit.

— Et si le feu n'était qu'une métaphore de la flamme intérieure qui brûle en nous tous, mais qui s'éteint trop vite ? ajoutée-je d'une voix grave et théâtrale, en veillant à laisser chaque mot suspendu dans l'air.

Je marque une pause, mon regard balayant l'environnement comme si j'attendais que la révélation de ma sagesse soit applaudie, avant de lâcher un rire franc. Ørjan, qui a assisté à ma prestation avec un sourire mi-amusé, mi-impressionné, secoue la tête.

— T'as un vrai talent pour ça, je dois l'admettre. 

Je hausse les épaules, feignant l'humilité tout en savourant le moment. Comme si ce genre de monologue philosophique était une de mes spécialités, quelque chose que j'avais appris au fil des années à maîtriser pour amuser la galerie.

— Oui, mais faut dire qu'un feu, ça te met dans l'ambiance. C'est une source d'inspiration illimitée. 

Je laisse échapper un petit soupir, comme si la révélation de ma pensée était d'une profondeur insondable, même si, au fond, je sais que je suis un peu à côté de la plaque. Mais c'est ça qui rend tout ça encore plus drôle. Je me sens légère, comme si j'étais transportée dans un autre monde, un monde où on peut rire de tout, même des choses les plus futiles. La vie peut être sérieuse parfois, mais pas ce soir. Ce soir, on se permet tout, sans culpabilité.

La nuit s'installe doucement autour de nous, enveloppant le monde d'une obscurité feutrée, comme une couverture que l'on tire sur un secret. L'air est chargé de cette fraîcheur propre à l'été, celle qui s'infiltre sous la peau et fait frissonner, mais qui n'est jamais assez mordante pour qu'on s'en plaigne vraiment. Un vent léger agite les feuilles des arbres, un murmure presque imperceptible qui se mêle au chant du feu. Devant nous, les flammes du feu de camp dansent en silence, projetant sur nos visages une lumière vacillante, comme si elles hésitaient à révéler ce qui se cache sous nos masques respectifs.

Le crépitement du bois résonne entre nous, un bruit réconfortant, presque hypnotisant, ponctué par le craquement soudain d'une bûche qui se fend sous la chaleur. Parfois, une braise s'élève, minuscule éclat incandescent perdu dans l'obscurité avant de s'éteindre doucement, avalée par la nuit. J'observe Ørjan du coin de l'œil. Il est assis juste à côté de moi, un peu en retrait, les coudes posés sur ses genoux, son regard fixé sur les flammes. La lumière du feu découpe son profil, sculptant des ombres anguleuses sur ses traits et accentuant l'intensité silencieuse qui se dégage de lui.

Je l'ai rarement vu aussi calme. Pas le calme nonchalant qu'il arbore en société, cette désinvolture presque provocante qu'il affiche comme une armure, mais un calme plus profond. Presque... vulnérable. Comme si, pour une fois, il s'autorisait à baisser sa garde, à laisser le silence parler à sa place.

— Alors, parles moi de toi, tes parents ? demande-t-il soudainement, brisant le silence complice.

Je tourne légèrement la tête vers lui, plisse les yeux, comme si je jaugeais sa question. Elle me prend un peu au dépourvu, mais elle ne me dérange pas. C'est une nouvelle étape dans notre relation. Un pas de plus dans cette étrange dynamique où chaque détail partagé nous rapproche, sans qu'aucun de nous ne le formule à voix haute.

— Ma mère est... ma mère. 

Je souris en coin, amusée par ma propre pirouette, mais lui continue de me fixer avec une intensité qui me fait tiquer. Ce n'est pas juste une question de politesse ou de curiosité. Il veut vraiment savoir. Je soupire doucement, sentant son regard accroché au mien, patient, attendant que je me dévoile un peu plus.

— Un mélange de feu sacré et de chaos organisé. On est très proche en vrai, on s'appelle assez régulièrement. C'est une femme incroyable. 

— Chaos organisé... C'est génétique on dirait, souligne-t-il esquissant un sourire en coin

Je rigole. Il n'a pas tort, à croire que c'est en effet génétique. Un éclat malicieux traverse ses yeux, et ce sourire précis – ce fichu sourire en coin – me fait oublier, l'espace d'un instant, où nous sommes et pourquoi je me sens toujours un peu trop consciente de ses silences. C'est presque agaçant, cette manière qu'il a de me désarmer sans effort.

— Et ton père ? reprend-t-il.

— Mon père, médecin de campagne. Un type tranquille, toujours prêt à soigner, même quand il a l'air de sortir d'un autre siècle. Mais honnêtement, il a un don pour calmer les gens – même quand sa fille fait des conneries. 

Je lâche un petit rire en haussant les épaules. Il faut dire qu'il en a vu passer, des situations absurdes. Entre les patients qui débarquaient chez nous à l'aube pour une piqûre de calmant et moi qui accumulait les décisions discutables, il a du parfois se demander pourquoi il ne s'était pas contenté de soigner des plantes. Pourtant, il ne m'a jamais jugé. Il est toujours resté là, stoïque, avec ce regard paisible et cette capacité à tempérer n'importe quelle tempête. Même les miennes.

— Et toi ? Parle moi de ton père et de ta mère ? reprends-je.

Le sourire d'Ørjan se fane légèrement. Il inspire doucement, baisse le regard vers le sol. Son pied écrase une branche sèche, qui craque doucement sous la pression. Il joue distraitement avec une brindille, l'effrite entre ses doigts avant de la jeter dans le feu. Une minuscule étincelle jaillit avant de se fondre dans les braises.

— Oh, mon père...

Sa voix traîne un peu sur les mots, comme s'il pesait s'il devait en dire plus ou s'arrêter là. Je ne bouge pas, je ne parle pas. J'attends. Je l'observe. Je refuse de le brusquer. Le silence s'étire, avalé par le crépitement des flammes. Il fixe le feu, les yeux absents, lointains.

— Il m'a donné le plus grand cadeau de tous : il m'a laissé partir à l'autre bout du pays. Loin de lui.

Il marque une pause. Son regard se fixe sur un point invisible devant lui, puis revient sur moi. Il semble peser ses mots, les tourner et les retourner dans son esprit avant de les lâcher, comme s'ils avaient un poids trop lourd à porter seul.

— Ma mère, elle... elle essaie. Mais elle est fatiguée. Trop fatiguée. 

Le poids de ses mots s'accroche à l'air, alourdit l'instant. Le « trop fatiguée » a une résonance particulière. Comme si ce n'était pas juste un état passager, mais une vérité permanente, quelque chose d'incontournable. Une lassitude incrustée dans les os, dans les gestes, dans le souffle même. Je sens mes propres épaules s'affaisser légèrement sous l'implication de ces deux mots.

Autour de nous, tout semble suspendu. Même le feu, jusqu'ici vibrant et vorace, paraît s'être calmé, ses crépitements atténués comme s'il écoutait. L'air est plus dense, presque tangible, chargé de ce qu'il ne dit pas.

Son regard cherche quelque chose, je le vois. Mais quoi ? Une validation ? Une réaction ? Une permission de ne pas en dire plus ? Il oscille entre le besoin de parler et celui de se protéger. L'espace d'un instant, j'ai envie de lui tendre quelque chose, un mot, un geste, n'importe quoi pour alléger le poids sur ses épaules.

Finalement, il détourne les yeux.

Je ressens le besoin de casser cette tension, pas en la niant, mais en l'adoucissant un peu. Après tout, c'est moi qui ai lancé le sujet. Un mince sourire étire mes lèvres alors que je décide de ramener un peu de légèreté.

— Je vois... En tout cas, toi, tu es bien plus sympa que papa Ørjan, dis-je avec cette pointe d'ironie qui ne me quitte pas.

Et pourtant, tout de suite après, je me sens un peu honteuse. Peut-être qu'il n'avait pas besoin de mes blagues ce soir, pas dans ce moment particulier. J'ai toujours eu ce réflexe, détourner, alléger, enfouir sous une couche d'humour un peu bancal ce qui pourrait peser trop lourd. Mais là, dans l'atmosphère feutrée du bord du lac, avec cette tension invisible qui flotte entre nous, je me demande si ce n'était pas déplacé.

Il se tourne alors vers moi, son regard se durcit un instant, puis se radoucit. Il y a quelque chose de fragile dans son expression, quelque chose qui me touche. Peut-être que c'est ce côté protecteur, ce côté qu'il ne laisse paraître qu'à de rares occasions. Un instant suspendu où il hésite, où j'ai l'impression qu'il pèse ce qu'il va dire avant de se lancer.

— Tu sais, t'es pas la seule à avoir des trucs à gérer. Je vois bien que derrière ton ironie y'a autre chose qui se trame. 

Sa voix est calme, posée. Aucune trace de reproche, aucun sous-entendu accusateur. Juste une vérité, dite simplement. Mais ça change tout. Le ton de sa voix, les mots qui coulent. Ce n'est pas une ouverture, pas tout à fait encore. Mais ça donne un avant-goût de ce qui pourrait se passer s'il décidait de me laisser entrer un peu plus dans son univers.

Je ne réponds rien, pas tout de suite. Il ne me regarde plus, mais il sait que j'ai entendu. Il sait que je comprends. Et c'est déjà beaucoup plus qu'un simple « il faut que tu comprennes ». Je suis là, avec lui, dans cet instant où l'on s'apprivoise, où les silences veulent autant dire que les mots. Un signe que, peut-être, s'il le décidait, il pourrait un jour me laisser entrer un peu plus loin dans son monde.

Je comprends tellement ce que cette phrase signifie, parce qu'il a raison. Il y a bien plus derrière mon ironie. Mais tout comme lui l'a fait avec ses parents, je refuse d'en parler, pas encore.

Nous sommes là, lui et moi, assis sous cette nuit sans étoiles, un feu crépitant entre nous. Les flammes dansent, projetant sur nos visages des lueurs vacillantes, comme si elles hésitaient entre lumière et obscurité. Deux âmes avec leurs propres ombres, qui se croisent, s'effleurent sans s'entrechoquer, suspendues dans cet instant en équilibre fragile.

Le silence s'installe, pas pesant, mais dense, chargé de pensées que personne ne prononce. Il n'y a que le murmure du feu et le bruissement discret du vent dans les arbres. Puis, comme pour marquer une transition, Ørjan tend la main vers les flammes et attrape une brindille. Il la fait tournoyer entre ses doigts, l'observe un instant, comme s'il y lisait quelque chose d'invisible.

— T'as pas trop froid ? demande-t-il soudain, la voix plus douce, presque hésitante, brisant le silence sans le brusquer.

Je secoue la tête, même si l'air frais s'infiltre sous mon sweat, mordant ma peau avec une douceur perfide.

— Non, ça va. 

Mensonge, peut-être, mais un de ceux qui ne pèsent pas lourd.

Il hoche la tête, l'air de me croire sans vraiment y croire. Puis, dans un geste presque nonchalant, il retire sa veste et la pose sur mes épaules. L'odeur de lessive et de son parfum qui devient de plus en plus familier m'enveloppe aussitôt. Je pourrais protester, dire que je n'en ai pas besoin, mais je ne dis rien. Je la garde, serrant instinctivement le tissu contre moi, et le regarde du coin de l'œil, un sourire naissant sur mes lèvres.

— Merci, Dracula. 

— Si je suis Dracula, alors tu viens de me voler ma cape, dit-il en soufflant du nez, amusé, et l'ombre d'un sourire passe sur son visage.

Je glousse, et d'un coup, la légèreté revient, comme une respiration après l'intensité. L'air semble moins tranchant, la nuit moins froide.

— Peut-être, mais j'en avais plus besoin que toi. 

Il me regarde un instant, l'œil brillant d'une lueur indéchiffrable. Comme si quelque chose en lui hésitait entre le dire et le taire, entre l'ombre et la lumière. Puis il sourit, vraiment cette fois. Pas un sourire en coin, pas un sourire ironique. Juste un sourire sincère, de ceux qui réchauffent mieux qu'une veste, de ceux qu'on n'attend pas mais qui tombent avec une douceur inattendue. Et c'est peut-être ça, la plus grande révélation de la soirée.

Il ne dit rien, mais il me rapproche un peu plus de lui. Un geste simple, instinctif, mais chargé de tout ce qu'il ne verbalise pas. Sa main effleure brièvement mon bras, sa chaleur contre la mienne, et je me surprends à m'y ancrer. Je ferme les yeux un instant, me laissant bercer par le crépitement du feu, la caresse du vent nocturne sur ma peau, et le rythme tranquille de sa respiration.

Le silence entre nous n'a rien de gênant. Il est juste... là. Comme une évidence. Un espace où les mots sont inutiles, où l'on pourrait presque entendre nos pensées se frôler sans jamais se heurter.

Puis, au bout d'un moment, Ørjan rompt le silence, d'une voix plus basse, presque hésitante. Comme s'il craignait que le simple fait de poser la question change irrémédiablement quelque chose.

— Tu crois qu'on est foutus d'avance ? 

Je fronce légèrement les sourcils, sans me détacher de lui, sentant la gravité cachée derrière cette question en apparence légère.

— Foutus ?

— Toi et moi. Nos histoires. Nos familles. Tout ce bordel, répond-t-il esquissant un léger sourire, mais il n'a rien de moqueur cette fois, juste un peu amer, un peu fatigué.

Je prends une seconde pour réfléchir, mes pensées dévalant dans un tourbillon. Honnêtement, je n'ai pas de réponse toute faite, et peut-être qu'il n'en attend pas. Il n'est pas du genre à chercher des réponses prêtes à l'emploi, lui. Alors, je me contente de dire ce qui me traverse l'esprit, sans vraiment y penser :

— Je pense qu'on est ce qu'on décide d'être. Parce que peut importe comment la vie nous traite, il y a toujours du positif dans le négatif, même si on ne le vois pas toujours. 

Je laisse mes mots flotter dans l'air frais de la nuit. Je n'en sais pas plus, mais ça semble juste. Ça résonne en moi comme une vérité, même si je n'ai pas tous les mots pour l'expliquer.

Il tourne lentement la tête vers moi, comme s'il avait entendu quelque chose de plus lourd que ce que j'ai dit. Ses yeux se posent sur moi, et dans la lueur vacillante des flammes, il y a une sorte de... de mouvement. Quelque chose qui bouge derrière son regard, comme s'il enregistrait mes mots, les analysait, les testait contre sa propre réalité. Ça me fait un frisson dans le ventre, mais je ne veux pas trop le scruter, parce que ça me ferait trop de questions.

— T'es vraiment bizarre, souffle-t-il doucement.

— Je prends ça comme un compliment, gloussé-je, secouant la tête, un peu amusée par sa manière de me juger sans vraiment juger. C'est comme s'il acceptait ma bizarrerie sans essayer de la comprendre, et ça me plaît.

Il hoche la tête lentement, et cette fois, il esquisse un sourire qui se fait plus léger, comme un petit accord tacite. C'est la première fois que je le vois sourire comme ça, vraiment. Comme si mes mots avaient trouvé un petit coin dans son esprit, un endroit où il pouvait les poser sans que ça le perturbe.

Le feu commence à s'éteindre. Les braises rougeoyantes se réduisent lentement, absorbées par la nuit, tandis que la fraîcheur se fait de plus en plus mordante autour de nous. Mais sous sa veste, contre lui, je n'ai pas froid. Pas du tout. C'est étrange, comme une chaleur tranquille, silencieuse, presque imperceptible, qui m'enveloppe et me garde là, juste un peu plus longtemps. Je pourrais presque y rester des heures, dans ce silence où l'on ne se dit rien, où l'on se comprend sans vraiment parler.

— Il va falloir rentrer, murmure-t-il presque à regret, rompant le silence.

— Oui, soupiré-je.

Je n'ai même pas besoin de dire plus. Le simple mot semble suffisant pour signifier que je n'ai pas envie de quitter cet endroit. C'est comme un constat, comme si l'idée de sortir de cette bulle était un peu plus dure à accepter que nous ne le montrons.

Aucun de nous ne bouge tout de suite. On reste là, comme deux âmes suspendues dans le temps, testant la patience du monde, grappillant quelques secondes de plus avant de replonger dans ce qui nous attend. Le monde est encore un peu flou, dans ces derniers instants.

Finalement, Ørjan se lève en premier, l'air un peu plus lourd, comme s'il ne voulait vraiment pas bouger. Il tend la main vers moi, un geste simple, mais qui me tire de mes pensées.

— Allez, viens.

Il tend la main vers moi, son expression pleine de cette patience exaspérante que je connais bien. Je la prends, mes doigts se refermant sur les siens. Lorsqu'il me tire doucement vers lui, je me sens soudainement si proche de lui que ça en devient presque... gênant. Un instant suspendu, juste une fraction de seconde, où nos regards se croisent. Une question, une pensée fugace, s'installe dans ma tête. Mais c'est lui qui brise le silence.

Il lâche ma main avec une légèreté étonnante, comme si ce geste ne demandait aucun effort, puis il glisse ses doigts dans mes cheveux et les pousse doucement.

— Allez, bouge-toi avant que je te porte sur mon dos, murmure-t-il au creux de mon oreille.

J'étouffe un rire, non sans ressentir une pointe de chaleur qui s'immisce au plus profond de mon être. Mon visage se tord dans un sourire, essayant dans le même temps d'ignorer cette subite chaleur. C'est lui le comédien dans l'histoire, toujours à trouver un moyen de me surprendre.

— Ça va, Dracula, j'arrive, dis-je en roulant des yeux, le sarcasme lourd dans ma voix, mais accompagné de ce petit sourire qui trahit ma complicité.

Mais à peine ai-je le temps de me redresser pour marcher qu'il me prend complètement au dépourvu. Un éclat malicieux traverse son regard, et avant même que je puisse réagir, il m'attrape d'un geste rapide, presque trop fluide, me hissant sur son épaule comme si je n'étais qu'une plume.

— Ørjan ! crié-je en me débattant, mais mes protestations sont noyées dans un éclat de rire incontrôlable.

Je frappe son dos, mais ça ne fait rien, mes gestes sont presque ridicules face à sa force tranquille.

— Pose-moi tout de suite, espèce de brute ! poursuivis-je tout en rigolant malgré moi.

— Nope. Trop tard. Maintenant, tu subis, assène-t-il en secouant un peu son épaule comme pour me remettre en place, et je sens ses muscles se tendre sous moi. On dirait un hamster qui tape, je sens à peine tes coups, taquine-t-il en riant, une touche de fierté dans sa voix.

Je continue de me débattre, mais c'est inutile. À chaque mouvement, il semble m'ignorer complètement, marchant d'un pas décontracté vers la hytte. Il semble aussi indifférent à mes protestations qu'il l'est à la gravité de la situation. C'est comme si, de son point de vue, ça ne me dérangeait même pas.

— Je vais te maudire jusqu'à la dixième génération, je te préviens ! râlé-je, trop amusée pour lui offrir une réplique plus subtile.

— Oh mon dieu, j'en tremble, répond-t-il d'un ton exagéré, comme si la menace que je venais de proférer était la chose la plus ridicule au monde.

Il éclate de rire, et même si je suis encore en train de lutter contre son étreinte, je finis par rire moi aussi, emportée par la douce mélodie de son rire.

L'obscurité s'installe lentement autour de nous, comme une couverture douce, mais je sais déjà que cette soirée, si légère et insensée soit-elle, restera gravée dans ma mémoire. Elle est plus qu'un simple moment d'insouciance, c'est un instant où tout semble suspendu, où le monde extérieur disparaît pour laisser place à une complicité totale, sans retour.

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Chers lecteurs, chères lectrices, 

J'espère que vous allez bien et que vous passez un bon dimanche, peut-être en famille ? 🏡🍽️

Alors, ce chapitre ? 📚 Entre les petits moments de folie et cette complicité qui se tisse entre les personnages, j'espère que vous avez ressenti toute l'énergie qui s'en dégage ! 💥 À votre avis, que se cache-t-il derrière le moment de faiblesse vis-à-vis d'Ørjan et sa famille ? 🤔 Qu'entend-t-il par « Il m'a donné le plus grand cadeau de tous : il m'a laissé partir à l'autre bout du pays. Loin de lui. » et « Ma mère, elle... elle essaie. Mais elle est fatiguée. Trop fatiguée. » ? Des idées ? 💬

❓Et vous alors ? Quelle est votre meilleure anecdote de situation gênante ou inattendue ? 😅 Je suis sûre qu'on a tous un souvenir un peu comme celui partagé par Amalie et Ørjan au début ou même à la fin ? 🤭

Je vous souhaite un merveilleux dimanche, et vous dis à la semaine prochaine - même endroit même heure - pour un nouveau chapitre ! 📖✨

A.E 💖

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