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Cepheyra
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□□□ 0.2

Durant son transfert vers la salle dédiée aux rapports de mission, un homme s'approcha, enveloppant son corps éreinté dans une douce couverture. C'était Ronald, une figure familière et réconfortante. Il avait toujours été là pour elle, tel le père qu'elle avait toujours attendu. Il l'avait recueillie dès sa naissance dans son orphelinat, lui offrant un refuge dans ce monde rigide et incertain. Ses parents biologiques n'avaient jamais donné signe de vie, n'ayant que son reflet pour tenter d'imaginer leurs visages, se raccrochant aux rares traits qu'ils lui avaient laissés - ses yeux et son sourire. Devant le miroir, elle cherchait des fragments de leur existence, mais tout lui échappait. Alors qu'elle traversait, ces longs couloirs sinueux, d'un blanc éclatant presque aveuglant, escorté par son « père » ; ils croisèrent des pilotes, d'autres Algors, leurs visages figés et dénués de toute expression. Leurs regards étaient vides, insensibles au monde qui les entourait, car ces émotions, qui faisaient d'eux des êtres humains, avaient été jugées impures, incompatibles avec leur fonction première. Il régnait dans ces lieux une froideur presque inhumaine, un contrôle absolu des sentiments, qui effrayait parfois Cepheyra malgré son éducation stricte. Elle savait que ce n'était qu'une façade ; elle aussi, souvent, devait masquer les tourments qui la hantaient.

Algor X413A-0, votre quota d'extractions des souches est cohérents avec vos habilités. La pureté des fragments est lui aussi respectable, comme à votre habitude. Nous allons devoir faire des révisions sur votre Sinats avant votre prochaine plongé. Vous avez quartier libre jusqu'à ce qu'on vous recontacte.

Ce discours, elle l'avait entendu des centaines de fois. Cette même voix nonchalante et formelle , dépourvue de toute reconnaissance. Cette fois-ci, cependant, le rapport fut bref. Son immersion dans le flux avait duré quatre jours entiers, et on lui attribua, comme à chaque mission, une bourse. Juste assez pour couvrir ses besoins primaires pendant quelques jours, mais bien insuffisante face aux risques qu'elle prenait, mettant son corps et son esprit en péril. Elle hocha la tête, comme à l'accoutumée, acceptant les paroles de son supérieur sans broncher, avant de repartir aux côtés de Ronald.

Ils reprirent le chemin inverse, arpentant les vastes couloirs de ce bâtiment colossal, aux murs oppressants. Soudain, Cepheyra s'arrêta net. Le son grinçant des roues d'un brancard résonna dans l'espace, et son corps se figea. Ses yeux se posèrent sur le spectacle lunaire qui se présentait devant elle, la frappant de plein fouet. Là, sur ce brancard métallique, gisait son Sinats, démembré et défiguré, réduit à un amas de métal sans valeur. Son cœur se serra violemment, une boule amère se forma dans sa gorge. Son pouls s'accéléra, et elle sentit le sol vaciller sous ses pieds. La scène qui se déroulait devant elle, pourtant ordinaire, lui sembla insupportable. Chaque câble arraché, chaque plaque de métal pliée était un coup porté à son âme.

Un torrent de colère sourde l'envahit. Ces techniciens sans âme, ne pouvaient pas comprendre. Pour eux, le Sinats n'était qu'une machine de plus, une enveloppe métallique interchangeable, Mais ils ne savaient rien de ce qu'elle avait sacrifié, de ce qu'elle et le Sinats avaient traversé ensemble. Ils ne connaissaient pas les épreuves qu'ils avaient surmontées, ni les dangers auxquels ils avaient échappé de justesse. Chaque immersion dans l'Exitus renforcé le lien qu'ils avaient crée. Il n'était pas juste une machine. Pour Cepheyra, il était une prolongation de son être, un partenaire. Ensemble, ils formaient une unité symbiotique, un équilibre parfait entre l'humain et la machine.

Ses yeux se posèrent sur les cicatrices du Sinats. Elle les connaissait toutes. Chaque éraflure, chaque entaille avait sosn histoire. La cicatrice sur le flanc droit, par exemple, était un vestige d'une mission qui avait failli leur coûter la vie. Ce jour-là, le Flux s'effondrait autour d'eux, et elle se souvenait du moment précis où elle avait cru que tout était fini. Mais, d'une manière qui dépassait la simple mécanique, le Sinats avait réagi avant même qu'elle ne puisse donner une commande, l'arrachant à une mort certaine. C'était bien plus qu'une machine. Celui qui, à travers leur connexion, sentait ses peurs, connaissait ses faiblesses, mais aussi ses rêves brisés et ses espoirs fragiles.

Il avait compris ce que personne d'autre n'avait saisi, et maintenant, il gisait là, réduit à une carcasse sans valeur, prêt à être détruite. Chaque coup porté à son corps criait l'injustice de cette situation. Elle ne pouvait pas se résoudre à accepter ce sort pour lui. Ils avaient tant partagé, tant survécu, et c'était ainsi que tout devait se terminer ? En un tas de ferraille, balayé d'un revers de main par des jeunes techniciens insensible qui n'avaient aucune idée de la véritable nature de ce lien ? Le poids de ce silence, lourd comme une chape de plomb, écrasait son âme. Elle se tenait là, figée, les yeux rivés sur le brancard qui emportait son Sinats. Voir son crâne défiguré exhibé comme un vulgaire trophée devant ces jeunes internes la révoltait. Sa gorge se serra, la colère bouillonnant en elle, mais aucun son ne franchit ses lèvres. Que dirait-on si elle craquait, si elle laissait ses émotions, qu'elle était supposée réfréner, déborder ? Les internes se moqueraient, la qualifieraient d'irrationnelle, de déraisonnable, incapable de faire la part des choses entre l'humain et la machine. Et son supérieur... Cet homme qui n'avait jamais montré la moindre once de gratitude, qui considérait les Algors comme des outils jetables, des instruments sans âme. Quel serait son jugement, si elle se laissait emporter ? Un attachement trop fort à un outil était, après tout, un signe de faiblesse, d'instabilité. Une faille qu'ils ne pouvaient se permettre.

Il était, de toute évidence, impensable qu'une Algor ose dire un mot. Vous n'êtes que des récolteurs démunie de toute sensation de révolte, n'est-ce pas, Cepheyra ?  Elle savait qu'on attendait d'elle, en tant qu'Algor, qu'elle ne s'attache pas. , que leurs outils étaient remplaçables, eux-mêmes n'étant que des maillons dans une chaîne plus vaste. Mais elle ne pouvait ignorer la douleur sourde qui l'accablé. Peut-être que les autres Algors avaient réussi à devenir des machines insensibles, à accepter le rôle qu'on leur a attribué, sans le remettre en question ; Mais elle... Elle n'était pas comme eux. Elle ne pouvait pas se transformer en une coquille vide, dénuée de sentiments. Peut-être était ce une malédiction ou une bénédiction, mais le lien qu'elle avait tissé avec le Sinats, allait au-delà de la simple utilité fonctionnelle. Et, à cet instant, elle en avait la certitude. Ce que les autres considéraient comme de la faiblesse, elle savait que c'était une part d'humanité qu'elle ne pourrait jamais étouffer.

— Pourquoi est-ce que je ressens encore ça ?  pensa-t-elle, confuse, en jetant un dernier regard à ce qui restait de son compagnon métallique.

Elle baissa la tête, sentant un poids immense s'abattre sur elle. Un frisson lui parcourut l'échine à cette pensée. Un frisson d'angoisse, mais aussi de rébellion. Elle savait qu'il lui faudrait bientôt choisir entre sa propre humanité et la froideur attendue d'un Algor. Mais pour l'instant, elle n'avait d'autres choix que d'accepter le sort réservé à son partenaire. Une partie d'elle venait d'être arrachée sous ses yeux, impuissants.

Hey belette, me lâche pas maintenant. T'as pas fini ton job. 

Le ton sec et rude de Ronald trahissait pourtant une certaine inquiétude. Son bras autour de sa taille empêchait la jeune Algor de flancher, cette étreinte, ferme, était bien la preuve que sous ses airs bourrus, il voulait la protéger.

Je sais que c'est dur. Mais tu ne dois pas les laisser t'enlever ça. Ce lien que tu as avec ton Sinats, c'est ce qui te rend spéciale. 

Les mains de Cepheyra tremblaient légèrement. Elle serra les dents, forçant ses émotions à se maintenir sous contrôle. Elle savait qu'il avait raison. Ce lien, aussi fragile qu'il semblait, était son trésor le plus précieux. Malgré les épreuves à venir, elle allait continuer de le chérir, de le protéger.

Hmm...Oui,  murmura-t-elle, dénuée d'émotion. Elle se détacha légèrement de lui, se redressant, essayant de reprendre son souffle. 

— Allons-y,  ajouta-t-elle, jetant un dernier regard sur son Sinats qui disparaissait au loin. Un adieu silencieux avant de reprendre son chemin.

Ronald hocha la tête, la laissant prendre son moment avant de repartir. Il savait que Cepheyra était plus forte qu'elle ne le pensait. Que la douleur ne la briserait pas, même si elle était en train de lutter pour en accepter la réalité. Son regard se fit plus doux, moins autoritaire. Il savait que derrière cette froideur se cachait une âme brûlante de quelque chose de plus grand, et que ce quelque chose pouvait lui permettre de transcender la colère et la tristesse qu'elle ressentait maintenant. 

On prend le prochain wagon. 

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