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LilaMystery
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OWEN/ La fragilité de mon esprit

Mon étoile,

Parfois, je me demande ce qu’auraient été nos vies si le hasard ne m’avait pas poussé à m’inquiéter de ton sort. Aurais-je agi autrement si la collision dans le couloir n’avait pas eu lieu ? Est-ce que, sans ce face à face, j’aurais été autant touché par l’histoire rapportée par Jamaal le soir même ?

Nous sortions d’une répétition avec le groupe et Jamaal était parti prendre l’air et fumer sa dernière cigarette de la journée. Mais quand il est finalement revenu dans la chambre, j’ai tout de suite remarqué que quelque chose le tracassait. Je l’ai rarement vu aussi sérieusement sombre.

Quand il nous a raconté ce à quoi il avait assisté, je n’ai pas eu de doute. Cette jeune femme frêle qui se faisait si rudement gifler ne pouvait être que toi. Mille questions m’ont alors saisi. Qui était cet homme qui osait lever la main sur une aussi pauvre créature ? Comment pouvait-il en toute bonne foi se déclarer être ton père ?

Moi qui manque trop souvent d’énergie pour me mettre en colère, je bouillonnais. Ce qui me rendait le plus malade, c’est que les autres ne semblaient pas saisir mon émoi. Bien sûr, Jamaal pensait comme moi. On se comprend toujours, tous les deux. Mais Russell s’est contenté de dire que la fille avait certainement fait une bêtise et que, de toute façon, cela ne nous regardait pas. Et c’est à peine si Kris a prêté une oreille avant de finalement remettre ses écouteurs et reprendre ses activités comme si de rien n’était.

Évidemment, ce serait hypocrite de ma part de leur en vouloir pour leur réaction. Car – qui sait ? – peut-être que si je ne t’avais pas croisé plus tôt ce jour-là, si je n’avais pas pu mettre un visage sur cette triste histoire, peut-être que j’aurais réagi pareillement. Peut-être que j’aurais été choqué ou attristé un moment avant de passer à autre chose.

Heureusement, le hasard fait bien les choses et, comme pour nous encourager dans nos idées, nous avons recroisé les deux françaises dès notre arrivée dans le réfectoire. Je ne suis pourtant pas du genre à me lever aux aurores mais j’avais mal dormi cette nuit-là, et je crois que Jamaal aussi. Nous n’avions donc rien d’autre à faire que de nous sustenter.

J’ai tout de suite reconnu Claire. Difficile de la rater. Avec sa chevelure brillante, son port altier et ses traits fins, elle dégageait un charisme raffiné comme on en voit peu en Californie. Elle me détesterait sûrement si elle venait à lire ses mots mais – je le dis comme un compliment – elle respirait le charme et la fraicheur de l’étrangère européenne.

Il me semble qu’à l’époque Layla ne parlait pas beaucoup (du moins pas en anglais), mais ses sourires chaleureux et son regard de biche auraient pu attendrir n’importe qui. Sans qu’elle n’ait rien besoin de dire, on sentait que c’était une personne douce et profondément gentille.

Elles ont tout de suite compris notre inquiétude et quand Claire nous parla des bleus qu’elle avait remarqués sur ton corps, mon point de vue fut fixé. Il fallait agir. Et c’est ce que nous avons décidé de faire, ensemble.

Aujourd’hui, je suis fier d’avoir pris cette décision. Si je pouvais retourner en arrière, je ferais la même. Cependant, avec le recul, je vois la fragilité de mon esprit et à quel point il aurait pu être facile pour moi de passer à côté de ce drame. Si tu ne m’étais pas rentré dedans la veille, si Jamaal ne t’avait pas vue te faire gifler, s’il ne nous l’avait pas raconté, si nous n’avions pas recroisé Claire et Layla, si elles ne nous avaient pas proposé d’agir avec elles… Il aurait suffi qu’un de ces évènements n’arrivent pas pour changer tout. Toute notre histoire. Tu te rends comptes ? La vie se joue parfois à si peu et ça me terrifie.

Tu penses que, sans notre intervention, quelqu’un d’autre serait venu te tendre la main ? Que tu aurais vécu une autre vie, meilleure ou juste différente ? Que je ne serais pas là à t’écrire de longues lettres pour exorciser mes sentiments ? Peut-être que je réfléchis trop – certainement, même – mais j’espère de tout cœur avoir pris la bonne décision ce jour-là. Imaginer le contraire m’est trop difficile…

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