Alors qu'il arrivait au MTT Resort, il remarqua immédiatement que l'entrée était bloquée par un groupe de monstres. Il en reconnut plusieurs rencontrés à l'aller, et d'autres qui se trouvaient là lors de l'attaque de Snowdin, reconnaissables aux pansements qui recouvraient leurs bras et leurs jambes. Le squelette se cacha derrière un pan de mur, hésitant. Il savait qu'ils étaient là pour lui. Il pourrait toujours appeler Sans, mais il n'avait pas envie de l'embêter avec ça. De plus, il ne comprendrait pas pourquoi il avait décidé de rentrer sans Undyne et irait s'en prendre à elle directement.
Il prit une inspiration et ferma les yeux. Il pouvait gérer ça. Il avait un entraînement de garde royal, il était plus fort que la plupart des monstres ici-bas. Un toussotement mécanique le tira de sa rêverie. Il tourna la tête par réflexe. Un robot aux formes prononcées se tenait à ses côtés, appuyé contre le mur dans une position mélodramatique. Les joues de Papyrus prirent une teinte cramoisie quand il réalisa qui il avait sous les yeux.
— M-M-Mettaton ?
— C'est bien moi, Darling. Alphys m'a prévenu de ton arrivée et d'un possible grabuge à l'entrée de mon établissement. C'est pourquoi j'ai décidé de t'escorter jusqu'à l'ascenseur. Je... Je te dois bien ça à toi et ton frère pour ce qui est arrivé, se reprit-il d'une voix coupable.
— Mais ils sont nombreux, ils...
— Oh, ne t'inquiète pas pour ça. Les chiens aboient beaucoup mais ne mordent pas quand leur maître est capable de leur tirer des missiles dans les dents.
Le squelette resta dubitatif, mais fut contraint de le suivre lorsque le robot s'engagea vers l'entrée de l'immense centre commercial sans se retourner. Papyrus trottina pour le rattraper et resta soigneusement camouflé dans son ombre, mal à l'aise. Ils passèrent les portes vitrées sans trop d'encombres, les monstres ravis par cette apparition inattendue de leur star, mais les regards ne tardèrent pas à dévier sur le grand squelette en costume qui tentait de passer inaperçu. Le brouhaha des premiers instants céda à un silence pesant.
Mettaton s'en rendit compte en même temps que Papyrus. Il monta sur la fontaine pour attirer l'attention sur lui et s'éclaircit la voix.
— Mesdames, messieurs et autres visiteurs, j'ai l'immense honneur de vous annoncer un jeu concours ! Celui d'entre vous qui parviendra à avaler le plus de steaks à mon effigie (seulement cinq cents pièces d'or la pièce et garanti cent pourcents végan) aura l'honneur de se joindre à moi dans mon prochain chef d'œuvre : « Nage au cœur d'un tsunami avec un robot tueur et un calamar géant de cinquante mètres qui souhaite vous manger les fesses » ! L'offre est limitée à aujourd'hui alors courez vite à la boutique vous procurer vos mets ! Il n'y en aura pas pour tout le monde !
Un rire hystérique suivit son discours en provenance de la dite-épicerie, le seul qui rompit le silence. Mis à part un brave Pyrope qui se dévoua pour s'assurer que Burgerpants n'était pas en train de faire une attaque, personne ne bougea et tous les regards restaient braqués sur Papyrus, de plus en plus mal à l'aise. Certains monstres avaient avancé d'un pas. La tension magique qui se faisait sentir avant les combats frappait l'âme du squelette de toute part. Livide, il leva la tête vers Mettaton.
Un petit monstre qui ressemblait à une mouche fut le premier à tenter une attaque vers Papyrus. Instinctivement, il la dévia avec un os et recula d'un pas. Plusieurs monstres firent briller leurs âmes, les regards mauvais. Le squelette se concentra et invoqua plusieurs os autour de lui pour se protéger. Avant qu'ils ne puissent charger, Mettaton tomba entre lui et les assaillants.
— Je vais être clair, très cher public. Si l'un de vous abîme mon magnifique centre commercial, vous allez terminer en tartare dans ma prochaine émission de cuisine. Ma précédente offre est close et la boutique fermée. Veuillez quitter mon établissement.
— Ou quoi ? osa un Madjick un peu trop téméraire.
Le robot claqua des doigts. Une tronçonneuse tomba du plafond, directement dans ses mains, sous les regards ébahis des monstres et de Papyrus. Il tira la chaîne et l'outil vrombit furieusement. Plusieurs monstres reculèrent d'un pas, intimidés.
— Voulez-vous vraiment que je me répète ? demanda-t-il d'une voix gutturale surjouée.
La foule rebroussa chemin vers la sortie, les plus peureux entraînant les autres derrière eux. Mettaton se retourna et lança la tronçonneuse dans les bras de Papyrus. Le squelette la réceptionna maladroitement et le laissa fermer les portes derrière les derniers monstres. Le robot s'assura qu'aucun trouble-fête ne cherchait à rappliquer, et retourna aux côtés de son protégé. Il sortit un marqueur d'un compartiment dans son ventre et, sous les yeux médusés de Papyrus, signa la tronçonneuse.
— Tu peux la garder, mon chou. Elle ne fonctionne plus très bien depuis que l'humain est passé de toute manière. Tu devrais pouvoir poursuivre ta route sereinement depuis ici. Je vais rester pour m'assurer que personne n'essaie de suivre.
— Merci, Mettaton. J'espère qu'on se reverra.
— Quand tu veux, répondit-il avec un clin d'œil mystérieux qui fit frémir le squelette.
Papyrus tourna les talons et emprunta la route qui menait vers le CORE. Une fois dans le hall d'entrée, il se dirigea vers l'ascenseur qui menait à Nouvelle Maison, la tronçonneuse toujours dans les mains. Cette rencontre surréaliste lui avait presque fait oublier l'ambiance pesante qu'il retrouverait une fois dans leur nouveau chez eux.
Ce fut à pas de loup qu'il poussa les portes de la maison de Toriel. En bon invité, il chercha immédiatement la maîtresse des lieux pour annoncer qu'il était rentré. Son premier regard fut cependant pour son frère. Roulé en boule sur le fauteuil du salon, il dormait profondément au coin du feu, enroulé dans une couverture. La reine ne se trouvait pas loin. Assise autour de la table, elle regardait rêveusement à l'extérieur, l'air triste. Devant elle se trouvait un vieux carton qui contenait des cadres photos. Craignant de la déranger, Papyrus préféra regagner sa chambre.
La petite pièce était petite pour deux, mais confortable. Toriel ne pouvait pas leur offrir une deuxième chambre pour le moment. Ça ne dérangeait pas Papyrus outre-mesure. Plus que jamais, il avait besoin de s'assurer que son frère allait bien. Il craignait que les cauchemars ressurgissent avec les récents événements. Ceux de Sans, mais aussi les siens. Il y avait une raison pour laquelle Papyrus refusait souvent de dormir. Ce qui le visitait dans ses songes était loin d'être pacifique. Parfois, il voyait son frère se battre contre une forme indiscernable dans ce couloir doré, celui qui jouxtait le sous-sol de l'habitation. Il n'aimait pas cette scène.
Il secoua la tête, et tira une des boîtes qu'Undyne avait ramené plus tôt. Sans surprise, celles de Sans se trouvaient toujours sur son lit. Certaines choses ne changeaient pas. Il déballa soigneusement quelques-unes de ses plus belles figurines et les exposa sur sa table de chevet. Ce n'était pas la maison, mais ça l'aidait à se sentir plus chez lui. Le drapeau pirate était toujours là également. Sa partie de chambre était déjà bien chargée en décoration, alors il l'accrocha au-dessus du lit de Sans, presque vide. C'était étrange. La pièce semblait plus remplie d'un côté que de l'autre. Son esprit n'appréciait pas cette différence, alors il combla. Il déballa ses affaires, puis celles de son frère. Il décrocha les nombreux pulls vert et jaune du placard et les remplaça par leurs vêtements respectifs. Avec le recul, il réalisa que Sans n'avait presque rien à se mettre contrairement à lui. Depuis quand son frère ne s'était pas acheté quelque chose d'ailleurs ? Mis à part pour le jour des cadeaux et sous la contrainte, il ne demandait jamais rien.
Papyrus nota cette information dans un coin de sa tête. Après inspection de ses affaires, il troqua son costume de bataille contre une chemise ample et un pantalon noir couvert de chaînettes en métal. Son costume avait bien besoin d'être nettoyé de toute façon. Couvert de traces de boue et de poussière, il avait perdu de sa blancheur. Un peu comme lui. Le squelette termina son installation par le vieil album que Sans lui lisait depuis qu'il était petit : « Petit Lapin joue à cache-cache ». Papyrus tenait à cette vieille tradition. Sans lui lisait tous les soirs, non pas parce qu'il en avait besoin, mais parce que c'était dans ce rare moment que Sans souriait vraiment.
Il lança un regard à l'horloge au-dessus de la porte. Il avait passé deux bonnes heures sur le nettoyage. L'heure du conseil royal approchait. Papyrus frissonna. Il n'avait pas un bon pressentiment. Sans n'était pas en forme, épuisé par les récents événements, et peu importe les décisions que la reine prendrait, Undyne était trop bornée pour les accepter. Papyrus pourrait-elle la faire changer d'avis ? Il en doutait sérieusement. Dans un soupir, il ouvrit la porte et se força à retrouver le sourire.
D'un pas faussement jovial, il fit une entrée remarquée dans le salon. Toriel reposa les cadres dans la boîte précipitamment et essuya ses yeux, ce qui ne trompa nullement le squelette. La reine avait passé les deux dernières heures à se replonger dans les souvenirs, ce n'était pas bon non plus. Papyrus se dirigea vers Sans et lui secoua gentiment le bras pour l'inciter à se réveiller.
Comme il s'y attendait, Sans grogna comme un ours et tenta de le repousser faiblement en s'accrochant aux couvertures avec force, mais Papyrus avait plus de force encore et la lui arracha sans aucune pitié. Son frère cligna des yeux un moment avant de relever la tête vers lui.
— Tu es déjà rentré ?
— Depuis plusieurs heures, oui. Nous avons une réunion dans deux heures et il est hors de question que tu y ailles sans avoir pris une douche et changé de vêtements.
— Ok... Comment ça s'est passé avec Undyne ?
Papyrus détourna le regard et son sourire perdit un peu de son éclat. Les pupilles de Sans s'étrécirent à la manière de celles d'un chat.
— Tout est... Tout va bien, mentit Papyrus avec le plus de conviction possible. On a discuté, et je suis sûr et certain que tout va rentrer dans l'ordre à présent.
— Admettons, grogna Sans, peu convaincu.
À son grand soulagement, son grand frère posa ses pieds à terre et s'éloigna vers la salle de bain. Papyrus le suivit du regard pour s'assurer qu'il ne retournait pas dans la chambre, puis il rejoignit Toriel. La reine lui sourit doucement.
— Ça ne s'est pas très bien passé, n'est-ce pas ? demanda-t-elle.
— Ce n'est rien, répondit Papyrus en balayant ses problèmes de la main. Elle va bien finir par se rendre compte de ce qu'elle fait. Tout le monde peut devenir quelqu'un de bien s'il essaie vraiment, mais ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas faire des erreurs de parcours de temps à autre. Ne la jugez pas trop durement. Undyne n'est pas méchante. Elle... Elle a juste des opinions tranchées sur certains sujets.
— Je te promets de faire mon possible pour éviter d'envenimer encore plus la situation. Il est grand temps de reprendre ce royaume en main. Et de te donner quelques responsabilités, ajouta-t-elle au passage. Tu as un cœur en or, Papyrus, ce serait dommage de gâcher une opportunité de l'utiliser pour essayer d'encourager les autres à devenir de meilleures personnes, tu ne crois pas ?
Les yeux de Papyrus se mirent à scintiller comme si on venait de lui annoncer qu'il avait été choisi pour faire la tournée avec le Père Noël. Un sourire radieux, et vrai, pour une fois, illumina son visage.
— Je ferai de mon mieux pour être à la hauteur, dit-il en gonflant la poitrine, la main sur la tête dans un salut militaire maladroit.