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CarolineLOR
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Lueur d'Incertitude

Méjaï

Depuis cinq ans, le DMS nous a pris en charge, ma sœur et moi. Cinq années passées à errer dans les corridors glacés et stériles de leur base principale, tentant d'oublier pourquoi nous devons rester cachées. Ce matin, alors que je noue mes bottes d'équipement, le poids de ces années m’écrase plus que jamais. Aujourd’hui, les règles vont changer.

— Méjaï, tu crois qu'ils vont nous faire remonter à la surface ?

La voix inquiète de ma sœur me tire de ma concentration. Chélie, perchée sur son lit, balance nerveusement les jambes. Ses grands yeux, autrefois vifs, sont ternis par une mélancolie trop adulte pour son âge. Depuis l’éveil de ses pouvoirs, tout semble plus lourd pour elle.

Je m'arrête un instant, les doigts figés sur mes lacets. La regarder me déchire. Elle n’a pas choisi cette vie. Ni ce fardeau.

— Je ne sais pas, Chélie. Peut-être. Quoi qu’il arrive, reste près de moi, d’accord ?

Elle hoche lentement la tête. Son silence en dit plus que des mots. Mes paroles sonnent creuses, une promesse qu’on hésite à formuler. Depuis la révélation de ses capacités, elle est perçue comme une menace. Trop dangereuse, trop imprévisible. Ils m’envoient avec elle, par précaution ou parce qu’ils me considèrent comme une ombre. Trop brisée pour être nuisible.

Je serre les dents. Le DMS nous tolère, je ne suis pourtant plus celle que j’étais. Une mission échouée, des vies sacrifiées. Mon erreur. Mon échec. Une part de moi s’est envolée, et la base ne me le pardonne pas. Alors pourquoi m’envoyer avec Chélie ? Veulent-ils se débarrasser de nous cette fois ?

Je termine de m'équiper, repoussant l'angoisse qui s’infiltre dans mes veines. Les sons métalliques de la base résonnent en moi. Une autre journée de survie. Ce qui m’effraie, c’est ce qui nous attend à l’extérieur. Pas le DMS. Pas les soldats. L’inconnu.

— Partons, déclarai-je d’une voix plus froide que je ne l’aurais voulu.

Chélie ajuste sa sangle et me suit sans un mot. Les couloirs défilent, chaque pas résonnant comme un mauvais présage. Les agents nous observent. Certains nous saluent, d'autres détournent le regard. J’ignore ce que je préfère : l’indifférence ou la peur qui, il y a quelques jours encore, se lisait sur leurs visages.

Dans la salle de transfert, Jarod Oser est déjà là. Sa silhouette me heurte tel un coup de poing. Grand, mince, les cheveux bruns plaqués en arrière, il porte sa blouse comme une armure. Mon cœur rate un battement. Il n’a pas changé – ce regard ferme, cette assurance tranquille. Moi, en revanche, je ne suis plus la même.

— Méjaï. Chélie.

Il incline légèrement la tête, ton neutre, mais tendu.

La colère brûle aussitôt. Il m’a abandonnée. Il n’a même pas essayé d’en discuter. Après tout ce qu’on a traversé, il a suffi que je perde ma nature surnaturelle pour qu’il me tourne le dos. Malgré la rancune, une douleur sourde persiste. Une part de moi reste accrochée à ce qu’on a été. Je cherche dans son regard un regret, une hésitation, quelque chose qui prouverait qu’il éprouve ce vide qu’il a laissé derrière lui. Jadis, il pouvait me désarmer d’un simple coup d’œil. Aujourd’hui, il n’est plus qu’un rappel du passé.

Alors je me ferme.

— Directeur Oser, répliqué-je sans chaleur.

Il avance et me tend un dossier. Nos doigts s’effleurent. Il ne réagit pas, sa mâchoire se contracte. L’atmosphère est lourde de tout ce qui n’a pas été dit.

— Vous savez que ce n’est pas une décision que j’ai prise à la légère, annonce-t-il, son regard fixé sur moi.

Les mots sont polis, je décèle pourtant la culpabilité, la résignation.

— Bien sûr, répliqué-je, plus acerbe que prévu. Vous ne prenez jamais rien à la légère, Jarod.

Un pic, un rappel à peine voilé de notre relation passée. Lorsqu’il a compris que mes capacités ne reviendraient sûrement jamais, il a rompu. Sans explication. Juste au moment où j’avais le plus besoin de lui.

Le silence devient insupportable. Il recule enfin, ajuste son col avec une rigueur mécanique.

— Bonne chance à vous deux, murmure-t-il.

Il appuie sur un panneau. Les portes s’ouvrent dans un sifflement métallique. Devant nous, un long couloir lumineux s’étend, chaque pas se répercutant avec froideur. Je prends une inspiration, tentant d’apaiser la tempête en moi.

— Allons-y, soufflé-je en serrant brièvement la main de Chélie.

Un 4x4 militaire nous attend. Son vrombissement me secoue les entrailles.

Deux soldats sont installés à l’avant, visages cachés par des lunettes teintées. L’un d’eux nous jette un regard furtif avant de se détourner.

Je fais monter Chélie la première. Elle se tasse sur la banquette arrière, yeux baissés. Je la rejoins, muscles tendus, pensées éparpillées. Les portières claquent. Le véhicule démarre, nous emportant vers l’inconnu.

À côté de moi, ma cadette fixe la vitre. Je glisse un bras autour de ses épaules, la rapprochant, comme pour la protéger.

— Tout ira bien, murmuré-je.

Un souffle plus qu’une promesse. Elle acquiesce d’un signe de tête, silencieuse, les doigts crispés sur son sac.

Les tunnels défilent. Le béton cède peu à peu la place à une lumière diffuse. Une lueur jaune apparaît au loin, brillante, presque irréelle.

À mesure que le véhicule avance, elle devient plus tangible.

Le soleil.

La surface.

Les yeux de Chélie s'ouvrent un peu plus à chaque instant, émerveillés, presque inconscients de tout ce qui a précédé. C’est la première fois qu’elle découvre la lumière depuis qu’on a été recueillies dans la base mère. Et pourtant, en la voyant ainsi, je me demande si moi-même ne la redécouvre pas aussi pour la première fois.

Je me rapproche d'elle, pose mon genou contre le sien, mes doigts effleurent sa main dans un mouvement furtif. C’est un geste instinctif, une connexion fragile dans cet instant suspendu. Le trajet paraît interminable, chaque seconde lourde de sens. Le grondement du moteur vibre en moi, martelant mes pensées, écrasant toute tentative de concentration sur ce qui est inscrit dans le dossier. Je sais où nous allons : l’école des mutants, un endroit destiné à ceux comme Chélie, des êtres marqués par le gène X. Or, la certitude de la destination n’apaise pas mon esprit.

À côté de moi, ma sœur fixe la vitre, fascinée par le paysage qui défile. Chaque tunnel, chaque éclat de lumière traversant les ouvertures semble un monde nouveau pour elle.

Je l’observe, une boule me serrant la gorge. Son émerveillement, pur et lumineux, me frappe de plein fouet, et je sens l’écart entre ses émotions et les miennes. La lumière qui baigne l’horizon ne me réchauffe pas. Elle ne fait qu’éclairer les ténèbres que je porte en moi, tout ce que je voudrais enfouir. Nous fonçons vers cette école. Un endroit où elle sera obligée de se fondre dans la masse, de maîtriser ses pouvoirs. Elle devra surtout accepter de se mêler aux autres : une classe, un groupe, une unité.

Un souffle me manque. Puis la clarté bleutée de Hartz envahit mes pensées, sa lumière trop vive, trop froide. Son rugissement résonne dans mes oreilles, et je sens mes mains se crisper, comme si la violence de ce souvenir m’étreignait à nouveau. Le sang, frais et chaud sur ma peau. La rage aveugle, l’emprise de mon propre corps, le déferlement de violence que je n’ai pu maîtriser. Je me revois avancer, folle, brisant tout sur mon passage, la chair et l’os se déchirer dans un chaos incontrôlable. L’explosion me propulse en arrière, mon esprit noyé dans la douleur. Visuel, Marco, et Hartz, mes anciens coéquipiers, figés devant l’horreur, l’urgence dans leurs yeux. Puis la douleur, vive, fulgurante. La bile acide remontant dans ma gorge, la sueur glaciale qui me glace jusqu’aux os, le poison qui s’insinue dans mes veines. Ma chute, brutale, violente, et ce choc contre le sol. La conscience qui se brise, qui s’effondre dans un vide glacé.

Être en groupe n’est pas toujours une promesse de sécurité. Parfois, c’est une illusion.

— Tu vas bien ?

La voix de Chélie me ramène à la réalité. Je serre la mâchoire et détourne le regard.

— Ouais. J’admire aussi le paysage.

Je lutte pour forcer un sourire, qui se tord sur mes lèvres. La lumière dehors n’est rien de plus qu’une morsure glacée. Elle ravive les ombres du passé, là où je me perds encore et encore.

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