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1 - Éveil dans les Ruines
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CarolineLOR

Éveil dans les Ruines

Max

Dans la moiteur de la nuit, un silence oppressant pèse sur les ruines, alourdi par l’obscurité. Silver Falls, autrefois animée, n'est plus qu'un théâtre de désolation à la suite d'une mystérieuse explosion. L’odeur de chair brûlée imprègne l’air, le goût métallique du sang est omniprésent. Chaque pas résonne, chaque souffle tambourine dans mes tympans. Jadis connue pour ses installations militaires secrètes, cette région est devenue le symbole d'un incident que le gouvernement s'efforce de camoufler depuis plus de trois heures. La base est un charnier béant, encore fumant. Les corps sont trop nombreux. Trop dispersés. Et surtout... trop silencieux. Pas un gémissement, ni un battement de cœur à l'agonie. Comme si la vie elle-même avait fui cet endroit.

J’ajuste mon oreillette.
— "Zone sécurisée, aucune menace repérée."
— "Compris", confirme une voix dans mon casque.

Toute l’équipe est répartie autour des ruines alors que les renforts restent à l'extérieur de la zone attendant nos directives. Chacun de mes pas dans les gravats m’évoque une intrusion, un rappel brutal de la catastrophe. Sous mes bottes, le crissement du verre avertit du danger, tandis que l’air saturé de cendres envahit mes synapses. Ce lieu maudit cherche à m’engloutir. Recouvert de cette substance noire, ma peau d’ébène me fait presque disparaître dans le paysage. Un soupir m’échappe. Volontaire pour cette mission, un choix ironique qui me hante à présent. C'est le genre de missions qui laisse un goût amer, l'impression d'arriver trop tard.

Et pourtant, au milieu du néant, nous espérons dénicher des preuves, des indices menant aux criminels ayant pris pour cible chaque bâtisse gouvernementale recueillant les êtres surnaturels.

Je suis Max, soldat et loup-garou, funambule entre deux mondes antagonistes. Ma lignée, souvent traquée, a appris à vivre dans l’ombre ou les profondeurs d’un monde caché. Or, certains d’entre nous ont percé le voile et œuvrent au sein du DMS, une branche secrète du gouvernement dédiée aux créatures surnaturelles et aux phénomènes inexpliqués. C’est ma particularité : je m’intègre aux équipes, mes sens exacerbés aidant mes compagnons. Un bruissement dans les ruines, une respiration lointaine : des détails anodins pour eux, des révélations pour moi. Mes yeux percent la pénombre, révélant mouvements furtifs et éclats métalliques sous la poussière. Mon odorat détecte chaque nuance âcre, chaque menace latente. Dans ce chaos, l’affrontement entre mes instincts bestiaux et mon contrôle humain reste constant.

Un frisson me traverse. Pas à cause du froid. Pas vraiment. Pendant une fraction de seconde, la nuit se superpose à une autre. Une neige trop blanche, souillée de rouge. Une silhouette effondrée, immobile, ses lèvres bleuies entrouvertes sur un dernier souffle qui ne viendra jamais. Klaus. Le goût âcre du poison me remonte à la gorge. L’odeur d’amande amère, insidieuse, danse encore sous mon nez. Je cligne des yeux. La vision s’efface. Il n’y a que la cendre, ici. Parfois, ils me laissent à bout de souffle, le cœur cognant, les poings crispés.La mort de mon frère m’a déjà plongé dans la rage aveugle. Aujourd’hui, elle nourrit ma détermination.

À l’Institut du Cerf Blanc, une jeune branche du DMS, j’ai découvert une autre voie. Le directeur de l’institut est devenu un guide, un véritable ami. Un humain m’a montré qu’il est possible de bâtir des ponts entre nos mondes. Grâce à lui, j'ai appris que la coexistence n’est pas un mythe. J’ai trouvé un équilibre, fragile, mais réel. Et ce travail m’a conduit ici.

La radio grésille dans mon oreille, annonçant l’imminence de l’aurore. Nous avons peu de temps avant l’arrivée de l’équipe de nettoyage, chargée d’effacer les traces. Il faut agir vite. Toutefois, à mesure que l’obscurité se dissipe, une vibration imperceptible me traverse. Mes instincts se réveillent, mes poils se hérissent. Une pulsation.

Je m’immobilise.

Un battement, puis un autre. Faibles, irréguliers, pourtant bien réels. Sous les gravats, quelqu’un respire encore. Mon regard se fixe sur un amas de pierres, mes sens captent ce que mes compagnons ne peuvent percevoir.

— Par ici !

Ma voix fend l’air, brisant le silence comme une détonation. Je n’attends pas. Je me jette en avant, les muscles tendus, creusant dans les décombres avec une rage contenue. Des pierres roulent sous mes doigts, du métal tordu cède sous ma force.

Puis, je les remarque.

Une femme. Un enfant.

Vivants.

Je plisse les yeux. Quelque chose ne colle pas. Un enfant indemne, ici ? Dans ce chaos ? C’est impossible. Il est bien là, recroquevillé, son souffle court et paniqué. La femme, en revanche... quelque chose cloche. Son corps est à moitié enseveli, ses blessures graves, et une autre sensation m’envahit.

Son odeur me frappe de plein fouet.

Je me fige, l’estomac retourné. Mon cœur rate un battement, un spasme incontrôlé avant que je ne le force à reprendre un rythme normal. C’est instinctif, primitif, un signal d’alarme que mon corps entier refuse d’ignorer. Elle n’est pas humaine. Mais ce n’est pas juste la reconnaissance d’un être surnaturel. C’est autre chose. Quelque chose d’ancien, de sauvage. Un parfum métallique, brut, qui m’évoque le sang et la terre humide, la prédation et la chasse nocturne. En une fraction de seconde, mes muscles se tendent d’eux-mêmes, une réaction primitive. Je lutte pour l’éliminer, l’alerte demeure pourtant, tapie sous la surface. Je ne devrais pas réagir ainsi. Pas après tout ce temps. J’ai appris à côtoyer d’autres créatures, à voir au-delà des instincts primaires. Là… c’est viscéral.
Mes mains se crispent. Une tension oppressante s’abat sur moi, l’air se charge d’électricité. Son visage, à peine visible sous la poussière, paraît flou, irréel. Et ses paupières… une fraction de seconde, j’ai l’impression qu’elles tremblent d’une manière étrange, trop lente, trop calculée. Un frisson de malaise remonte le long de mon échine.
C’est une victime, Max. Juste une victime.
Ma raison lutte pour reprendre le dessus, mon instinct hurle, gronde, m’enjoint à reculer, à me méfier. 

L’équipe de secours débarque, s’active autour des survivants, et je force mes muscles à se détendre. Une inspiration lente. La femme, bien que blessée, respire encore. L’enfant semble miraculeusement épargné, bien que son visage soit marqué par la terreur et des larmes séchées. Ses grands yeux scrutent le monde avec une peur animale. Un pas en arrière. Je me répète que ce n’est qu’un détail, qu’il y a plus urgent à gérer.

Après avoir sécurisé la zone, je retrouve mon supérieur, le Capitaine Ford. Malgré les tensions persistantes entre nos deux mondes, Ford reste pragmatique. Contrairement à beaucoup de ses pairs au DMS, qui me regardent avec méfiance, il fait preuve d’ouverture d’esprit.

Lorsque je lui raconte l'incident des survivants, il réagit avec une approbation mesurée. 

— Bon travail, Max, déclare-t-il d’une voix grave. Trouver des survivants dans un tel chaos est rare.

Je hoche la tête, tel un réflex. Mes doigts effleurent distraitement la poussière collée sur ma manche, comme si mon corps cherchait à se débarrasser d’une sensation invisible. Une tension diffuse refuse de s’apaiser.

— On les transférera dès que possible à la base mère, reprend Ford. L’équipe médicale s’en occupe déjà.

Mon regard se fixe une seconde sur la femme, à peine visible parmi les secours. Mon souffle est stable, mon visage impassible, toutefois mes crocs me picotent de manière désagréable, vestige d’une alerte que je m’efforce d’ignorer.

— Reçu, Capitaine, réponds-je enfin, la voix maîtrisée, comme un soldat qui se fond dans la mission.

L’odeur étrange persiste, sournoise, accrochée à l’air. Je devrais pouvoir l’ignorer, mon instinct gronde, insatisfait. Une alerte sourde vibre en moi, une tension que je ne parviens pas à chasser.

Je me force à me recentrer. Rien ne justifie de se laisser distraire par une impression fugace. Ce parfum insidieux s’insinue dans mes narines, dérangeant sans que je puisse en identifier la cause.

Je ravale mon malaise. Ce n’est qu’un détail. Mais mon instinct, lui, refuse de se taire.

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