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Zavireg
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Prologue

Personne ne devrait connaître une peur pareille.

Le vent rugissait à travers la forêt, sa colère déchaînée faisant ployer les arbres sous la pression de la tempête. Les sapins se courbaient, se brisaient, comme si la nature elle-même voulait détruire tout sur son passage. La pluie tombait en trombes. La lumière des éclairs déchirait l’obscurité, aveuglante, brutale.

Elle courait à perdre haleine. Ses camarades avaient disparu dans l'obscurité. La visibilité était nulle, à peine quelques mètres devant elle. Son cœur battait à tout rompre, ses jambes faiblissaient sous le poids de la peur et de la fatigue, mais elle n’avait pas le droit de s’arrêter. La tempête l’enveloppait mais elle savait qu’elle ne pouvait pas tomber. Pas maintenant.

Son harnais, trop grand pour elle, battait sur ses épaules frêles, les ailes métalliques qu’elle portait, imposantes et trop lourdes, traînaient derrière elle. La gauche, brisée, inutile, pendait misérablement vers le sol et cognait sur son mollet à chacun de ses pas

Il ne fallait pas succomber à la peur. Son peuple lui interdisait.

Un éclair. Un flash aveuglant d’une blancheur trop intense.

Dans la lumière frénétique, elle aperçut l'orée de la forêt. Ses jambes se mirent à bouger d'elles-mêmes, refusant de s’arrêter. Elle jaillit hors des arbres, trébucha sur un amas de branches mortes, et dégringola la pente rocheuse. Sa tête frappa contre le sable, et les vagues se jetèrent sur elles, noires et furieuses. 

Reste loin de la mer ! avertissait la voix de son mentor dans ses souvenirs.

Elle se releva, pliée en deux par les forces de la tempête, et longea la roche pour s’éloigner des vagues. Sa bouche, pleine de sable, de mer et de sang, crachait ce qu’elle pouvait. Le camp était trop loin !

Soudain, un cri déchira la nuit. Une voix de gamine, stridente et pleine de terreur. Une de ses camarades ! La gamine se figea. Son regard se perdit dans l’obscurité, le vent emportant toute sensation. Elle tendit l’oreille. Laquelle de ses camarades était en danger. Elle se mit à les appeler à plein poumons.

—   Nimphée ! Véctoire ! Lémpa !

Le vent dévorait chacun des noms. Théclis s’appuya sur la falaise pour s’empêcher de tomber. La roche calcaire déchira sa paume. Encore du sang.

—   Lémpa ! Nimphée !

Le déluge la faisait s’étouffer.

—   Théclis, enfuis-toi ! répondit la voix.

—   Véctoire ! reconnut-elle.

Sa camarade n’était pas loin. Théclis scruta les horizons déchaînés pour la trouver ?

—   Cours !

La voix de Véctoire n’était pas loin, mais le hurlement qui suivit glaça le sang de la gamine. Théclis tomba au sol, assommée par la peur.

Ses doigts sentirent une faille dans la falaise, une fissure si étroite qu’elle douta de pouvoir y entrer. Mais c’était tout ce qu’elle avait. Quand elle se glissa à l’intérieur, la pierre écorcha ses ailes déformées dans un grincement plaintif, mais elle s'en fichait. Elle s’enfonça plus profondément dans la faille, et se recroquevilla comme un insecte cherchant à se protéger.

Elle ramena ses deux longues tresses brunes contre sa poitrine, les serra si fort que ses doigts blanchirent. À chaque mouvement, ses ailes abîmées grinçaient contre la pierre. Elle tenta de respirer. De se calmer. De rester vivante.

Et c’est alors qu’elle le vit.

Derrière le rideau de pluie, une forme immense se dessinait. Une silhouette inhumaine, venue du fond des abysses. Des bras, des pinces, un corps boursouflé, difforme, comme gonflé par la mort elle-même. L’ombre croissait à mesure qu’elle sortait de l’océan.

Un éclair. La lumière révéla la chose — et la chose devint horreur.

La nuit couvrit la suite. Véctoire hurla une dernière fois.

Théclis sentit sa gorge se contracter.

La mort se tenait devant elle. Ce n’était pas un animal. Pas un homme. C’était un monstre. Il titubait sur les rochers, maladroit, mais déterminé. Il avançait vers la falaise. Vers elle.

L’odeur de sel fut remplacée par une puanteur écœurante. Théclis retint son souffle. Elle sentit contre sa cuisse le contact froid de l’épée qu’elle portait. Elle voulut la saisir. Mais son corps refusa de bouger.

Elle ne voulait pas mourir. Pas à treize ans.

La chose continuait d’avancer, boiteuse, dans un crissement de métal. La faille ne la protégerait pas longtemps. Elle devait agir. Se battre. Une lame s’engouffra dans la faille, frôla le visage de Théclis. Frappa.

L’une de ses tresses tomba au sol. Quelques centimètres de plus, et la lame aurait tranché sa carotide. Théclis avait arrêté de respirer, fermé les yeux, comme s’il lui était possible de disparaître.

Encore un éclair. Encore un cri. Théclis vit le corps sans vie de sa camarade.

Ce cri n’était ni le sien, ni celui de Véctoire. Théclis plaqua une main sur sa bouche pour s’empêcher de faire du bruit. Elle pensa à ses deux autres alliées. Où étaient-elles ?

L’ombre monstrueuse tourna la tête, attirée par le son. Elle pivota, recula, s’effaça dans la pluie, emportant avec elle son odeur fétide et sa démesure.

Théclis expira enfin l’air bloqué dans ses poumons. Elle se jeta hors de la cachette, prit le torrent de pluie en pleine face. Ses ailes geignirent une dernière fois. Jamais encore elle n’avait eu aussi peur.

Elle secoua le corps de Véctoire, tenta de le tirer avec elle dans la cachette. Impossible, elles ne rentraient pas à deux. Théclis sentait son propre corps la lâcher. Dans son esprit, un chaos aussi violent que celui du dehors faisait rage. Comme si quelque chose en elle s’était brisé. Elle attrapa sa natte coupée et se fit une promesse. Une promesse de sang. De rage.

Un jour, elle deviendrait la plus grande soldate de son clan.

Et ce monstre, elle le retrouverait. Et elle le détruirait.

Pour ne plus jamais, jamais, avoir aussi peur.

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