Il y avait des haut. Il y avait des pas.
Des journées remplies de bonheur, et d'autres, un peu plus grises.
Après l’annonce du jugement de son père, Agathe s’était refermée un peu, comme une fleur sous la pluie.
Elle souriait toujours, elle parlait toujours, mais parfois, Marie et Virginie sentaient ce voile invisible glisser sur elle.
Ce soir-là, la maison baignait dans une lumière douce.
Virginie, un torchon à la main, finit d’essuyer les couverts puis monta chercher Agathe pour passer à table.
Elle allait frapper doucement à la porte quand elle entendit un léger mouvement à l’intérieur.
Elle entra sans bruit.
Agathe était assise au bord de son lit, la tête baissée, jouant distraitement avec la manche de son pull.
Virginie s’approcha, s’assit à côté d’elle sans un mot, laissant le silence s’installer doucement entre elles.
Puis, d’une voix douce, elle demanda :
— Ça va, Pumpkin ?
Agathe haussa les épaules sans répondre.
Virginie lui effleura la main, un geste léger, presque timide.
— Tu sais, si tu veux parler... je suis là. Mais tu n’es pas obligée.
Longue minute.
Puis Agathe inspira profondément, comme pour se donner du courage.
— J’ai peur... souffla-t-elle.
— De quoi, ma belle ? demanda Virginie en se tournant un peu plus vers elle.
Agathe hésita, triturant la manche de son pull.
— Mon père... Il a été jugé coupable. Mais... il reste mon père.
Et... et j’ai peur qu’un jour, il vienne me chercher.
Que tout ça... ce bonheur-là... ça disparaisse.
Sa voix se brisa à la fin de sa phrase.
Virginie sentit son cœur se serrer.
Elle ne répondit pas tout de suite. Elle se contenta de passer doucement son bras autour des épaules d’Agathe.
Puis, doucement, elle murmura :
— Tu sais, moi aussi, j’ai eu peur, à ton âge.
Elle marqua une pause.
— Je n’ai pas connu mes parents. Ils sont morts quand j’étais toute petite.
Et j’ai grandi de foyer en foyer. De famille d’accueil en famille d’accueil.
Elle baissa la tête, comme perdue dans ses souvenirs.
— Un jour, une famille m’a accueillie. Les Faure.
Je croyais, comme toi, que ce serait juste... temporaire.
Que dès que je m'attacherais, ils disparaîtraient eux aussi.
Agathe releva la tête, les yeux pleins d’émotion.
Virginie se leva, fouilla dans son armoire, et revint avec une vieille paire de baskets usées.
— Tiens, regarde.
Elle s'agenouilla devant Agathe et lui montra l'intérieur d'une des chaussures.
Au dos de la languette, on pouvait lire des noms, écrits au marqueur.
Chaque famille. Chaque maison. Chaque rupture.
— Et là, dit-elle en pointant un nom, c’est la famille Faure.
Les derniers. Ceux qui sont devenus ma maison.
Mon papa et ma maman.
Agathe effleura du bout des doigts les lettres à demi effacées.
— Tu sais, dit Virginie dans un sourire tendre, toi aussi, tu peux avoir cette chance.
Et puis... un jour, tu les rencontreras. Parce que tu fais partie de notre vie, Agathe.
Elle se releva doucement et tendit la main à la jeune fille.
— Viens. Marie nous attend. On voulait te parler toutes les deux.
Un peu tremblante, Agathe glissa sa main dans celle de Virginie.
Elles descendirent ensemble, dans le salon baigné de lumière douce.
Marie les attendait, assise sur le canapé, son regard plein d'amour et d’inquiétude mêlées.
Virginie s’installa à côté d’Agathe, sans lâcher sa main.
Marie posa sa tasse sur la table basse, et prit une inspiration discrète.
— Pumpkin... commença-t-elle d'une voix douce.
On t’aime très fort, tu sais.
Agathe baissa les yeux, mordillant sa lèvre.
Virginie poursuivit :
— Ce qu’on voudrait te proposer... c’est plus qu’un foyer.
Plus qu’un endroit où vivre.
Elle serra doucement la main d’Agathe dans la sienne.
— On voudrait t’adopter, Agathe.
Si toi, tu veux aussi de nous.
Le silence tomba, lourd et chargé d'émotions.
Le cœur d'Agathe battait si fort qu’elle crut que tout le monde pouvait l’entendre.
Puis, d’une voix tremblante mais sûre, elle murmura :
— Je veux...
Marie esquissa un sourire, les yeux brillants.
Virginie l'attira doucement contre elle, et Marie vint les enlacer toutes les deux.
Pendant un instant hors du temps, il n’y eut plus rien d’autre que cette chaleur.
Ce lien fragile mais solide.
Cette famille naissante, construite non pas sur le sang, mais sur l’amour.
Et au milieu de toutes les blessures, il y avait cette lumière douce, patiente.
Celle qui grandissait un peu plus chaque jour.