~ Hacienda Rodriguez ~
Bruno
Je reste surpris. Ma mĂšre me demande de rester et de reprendre les rĂȘnes de lâentreprise. Je ne mâattendais vraiment pas Ă cette proposition.
â Pourquoi as-tu aussi surpris Bruno ? Ăa ne devrait pas ĂȘtre le cas. Tu savais bien que tu allais reprendre la place de ton pĂšre. Câest pour ça que je tâai envoyĂ© Ă©tudier Ă Madrid. Tu nâas pas envie ?
â Non, ce nâest pas ça maman, câest juste que⊠tu ne mâas pas consultĂ© avant de prendre cette dĂ©cision.Â
â Je nâai pas eu besoin de te consulter Bruno, il est logique que ce soit toi qui dois ĂȘtre Ă la tĂȘte de lâentreprise dĂšs Rodriguez. Mathias et Esteban peuvent le faire, je suis d'accord, mais tu es plus performant, car tu as pu faire de longues Ă©tudes.
Je ne rĂ©ponds pas tout de suite, rĂ©flĂ©chissant Ă ses paroles.Â
â Quâest-ce qui se passe, Bruno ? Parle-moi.
â Maman, il faut que je tâavoue quelque chose.
â Je t'Ă©coute.
â Je vais me marier.
â Tu vas te marier ? Mais avec qui ? Et pourquoi tu ne me lâas pas dit plutĂŽt ?
â Calme-toi, dâaccord. Je ne te lâai pas dit avant parce que je ne savais pas comment te le dire.
â Bruno⊠dit-elle complĂštement abasourdie. Comment ça, tu vas te marier ? Et qui est-elle ? JâespĂšre pour toi qu'elle est trĂšs distinguĂ©e et que tu ne m'emmĂšnes pas une fille banale qui peut se trouver dans les coins du village.
â Non, maman, puisque tu la connais. Câest AngĂ©lica.
â La fille de Sebastian ?
â Oui.
â Quoi ? Es-tu sĂ©rieux ? Câest elle que tu vas Ă©pouser ? demande-t-elle, interloquĂ©e.
â Oui, câest elle. On ne dirait que ça ne te plaĂźt pas que je lâĂ©pouse, dis-je, les sourcils froncĂ©s.Â
â Non⊠Ce nâest pas que ça ne me plaise pas. Câest juste que je suis un peu trop surprise que tu me l'annonces comme ça. Quand est-ce que tu as dĂ©cidĂ© de l'Ă©pouser ?
â Pourtant, ça ne devrait pas te surprendre maman. Câest toi qui m'envoyais chaque vacance chez elle et sa famille. AngĂ©lica et moi, nous nous connaissons depuis tout petit et puis au fil des annĂ©es lâamour sâest installĂ© entre nous au fil des annĂ©es. Ăa fait quelques mois que je lui ai demandĂ© de mâĂ©pouser, pour rĂ©pondre Ă ta question.
â Je vois, dit-elle en s'accrochant Ă mon bras et nous commençons Ă marcher en direction de la maison, mais j'aurais aimĂ© le savoir, tu comprends ? Je trouve ça bien que ce soit cette fille que tu as choisie. Elle est trĂšs distinguĂ©e et classe. Elle est faite pour toi.Â
Je m'arrĂȘte pour lui faire face.Â
â Alors, câest bon ? Tu es contente ?
â Comment ne pas ĂȘtre heureuse, alors que tu vas te marier, mon fils, sourit-elle. Tu es devenu un homme. Le temps passe super, vite.
â Câest toi qui mâas Ă©loignĂ© dâici maman. Si j'Ă©tais restĂ©, le temps serait passĂ© moins vite et tu mâaurais vu grandir.
â Oui, je sais, mais je ne regrette pas de tâavoir envoyĂ© vivre Ă Madrid. Tu sais que ça a Ă©tĂ© trĂšs dur pour moi quand⊠Elle marque une pause, je te voyais avec cette fille. Tu la dĂ©fendais tout le temps que tu me mettais de cĂŽtĂ©.Â
â Maman, Irina Ă©tait mon amie et tout comme Hugo. Je ne comprends pas pourquoi tu ne voulais pas me voir avec eux.
â Tu sais bien ce quâelle reprĂ©sente Ă mes yeux, câest la fille de la femme qui mâa pris ton pĂšre. Et pour cet orphelin, Hugo, il nâa pas le mĂȘme rang social que toi. Enfin bref, ne parlons plus de ça. Je ne veux pas me disputer avec toi alors que tu viens Ă peine dâarriver.
â Tu as raison, moi non plus. Mais fais-moi une faveur maman ?
â Quoi donc ? dit-elle, intriguĂ©e.
â AchĂšte des chevaux. Tu sais que j'adore monter Ă cheval et ne pas en voir ici, m'embĂȘte beaucoup.Â
â D'accord. Je te l'offrirai en cadeaux. Ăa sera mon cadeau de mariage.
â TrĂšs bien. Maintenant, il faut que jây aille.
â OĂč ça, Bruno ? Il fait dĂ©jĂ nuit et tu viens juste dâarriver. Tu ne vas quand mĂȘme pas sortir, proteste-t-elle, mĂ©contente.Â
â Il ne fait pas si tard, maman, rĂ©pliquĂ©-je simplement. Ăcoute, je vais juste faire un tour dans les environs et jâen profiterais pour aller voir mon oncle.Â
â Dâaccord, mais ne dure pas et passe mon bonsoir Ă ton oncle de ma part.
â Ok, maman.
Je l'embrasse sur le front et la quitte.Â
~ Les calderas ~
Irina
Seule devant lâĂ©tang, jâobserve mon reflet dans lâeau, pensive. Cet endroit me tient tout particuliĂšrement Ă cĆur. Ătant petite, jâaimais y venir, parfois seule ou avec mes amis. Câest un lieu magnifique, composĂ© de quatre piscines naturelles sur une roche de granit et dans lesquelles il y a diffĂ©rentes cascades, dont plusieurs pots qui contiennent des chaudiĂšres dans le coin.Â
Sofia, Rosalinda, Hugo, Bruno et moi, nous nous retrouvions souvent ici pour sâamuser et nager dans l'Ă©tang tous ensemble. Cette Ă©poque me manque. Je donnerai nâimporte quoi pour y retourner, juste un moment. Mes pensĂ©es se tournent vers Bruno⊠Quâest-il devenu ? OĂč est-ce quâil est ? Que fait-il ? Va-t-il revenir un jour ? Le reverrais-je un jour ? Toutes ces questions sans rĂ©ponse me taraudent l'esprit. Ăa fait si longtemps que je ne l'ai pas vue⊠JâespĂšre quâil va bien. Jâaimerais tant le revoir pour quâon puisse discuter et rire de tous ces moments de bonheur que nous avons partagĂ© ensemble. Comme au bon vieux temps⊠Je laisse Ă©chapper un soupir de tristesse et de dĂ©sespoir.
Je me relĂšve lorsqu'Ă travers lâeau, je distingue une silhouette. Pas nâimporte laquelle non. Câest celle d'un homme. Il me scrute sans raison. Ses sourcils sont froncĂ©s et il a lâair dâavoir une attitude impassible, presque froide. Ce qui m'interpelle le plus, ce sont ses yeux, dâun bleu azur trĂšs profond. Ses yeux me disent quelque chose, mais pas sĂ»r. IntriguĂ©e et presque troublĂ©e par la façon dont il me regarde, je me retourne et lui fait face. Je voulais me montrer hostile, mais lorsque je croise Ă nouveau ses yeux... Non, ce nâest pas possible. Câest lui ? Est-ce que je rĂȘve ?
â Bruno⊠?! mâexclamĂ©-je de surprise, les yeux Ă©carquillĂ©s.Â
Câest lui. Câest bien Bruno. Mon Dieu, je nâarrive pas Ă y croire. Je mâapproche de lui, la boule au ventre, heureuse de le voir devant moi. Alors quâil me regarde avec cette mĂȘme intensitĂ© dans les yeux.
â Câest toi⊠Tu es revenu !
â Tu es⊠?
Les yeux toujours Ă©carquillĂ©s, je fronce lĂ©gĂšrement les sourcils. Comment ça, tu es⊠? Il ne sait pas qui je suis ? Est-ce une plaisanterie ?Â
â Irina. Irina Gonzalez. Tu⊠Tu ne te rappelles pas de moi ? Nous avons Ă©tĂ©âŠ
â Oui, me coupe-t-il avec nonchalance, tu es Irina. DĂ©solĂ©, je ne tâavais pas reconnu.
Il ne mâa pas reconnue⊠Comment câest possible ? Il est parti si longtemps quâil mâa dĂ©jĂ oubliĂ©e⊠? Je nâarrive pas Ă lâaccepter. Câest difficile. Mes mots se bloquent au fond de ma gorge, comme si je nâavais plus lâusage de la parole. Câest lâĂ©motion qui m'empĂȘche de parler. Quâil ne mâait pas reconnue, m'attriste Ă©normĂ©ment, ça me fait mal. Nous nous connaissons depuis tout petit quand mĂȘme, ce nâest pas possible quâil puisse revenir comme si de rien Ă©tait et tout oublier.Â
â Je vais remonter au village. Ă bientĂŽt, Irina.
Et il sâen va. Je suis choquĂ©. Il part sans mĂȘme me reconnaĂźtre⊠Je me tourne vers lâĂ©tang, je soupire en observant le paysage, déçu et triste Ă la fois. Â
Ă bientĂŽt⊠Bruno, pensĂ©-je tout bas.Â
âĄ
~ Iglesia Del pueblo ~
Bruno
Je suis en face de lâĂ©glise que jâobserve avec mĂ©lancolie. Je chĂ©ris beaucoup cet endroit, car câest lĂ que mon oncle Ă travailler toute sa vie en tant que prĂȘtre du village. Ăa mâa manquĂ© de venir ici pour le voir quand jâavais besoin d'ĂȘtre en sa compagnie. Il mâa terriblement manquĂ©. Je mâapprĂȘte Ă rentrer Ă lâintĂ©rieur en espĂ©rant le trouver ce soir. Ă cette heure-ci, il doit ĂȘtre rentrĂ© chez lui, mais ça ne coĂ»te rien dâessayer. Je me dirige vers le coin du confessionnal. Une personne vient dâen sortir, ce qui veut dire que mon oncle est lĂ . Il nâa pas fini de travailler. Ăa tombe bien, je vais pouvoir lui faire ma surprise. Jâentre Ă lâintĂ©rieur et attends quâil me parle. Il ne se doute mĂȘme pas que ce soit moi.Â
â Bonsoir, je tâĂ©coute, mon fils. Confesse-toi.
â Bonsoir, ça fait trĂšs longtemps que je nâĂ©tais pas revenue. Maintenant, que je suis de retour, je venais voir si mon oncle Daniel est disposĂ© Ă me recevoir.
â Mon Dieu, câest toi, Bruno ?!Â
â Oui, câest bien moi.Â
Je sors du confessionnal, fais le tour et m'approche de lui qui vient d âen sortir. Il me regarde avec un sourire trĂšs large puis il ouvre ses bras pour m'accueillir. Le sourire aux lĂšvres, je le serre contre moiÂ
â Mais que fais-tu fais ici ?! demande-t-il lorsque je mâĂ©carte de lui. Depuis quand est-ce que tu es entrĂ© ? Ta mĂšre ne m'a absolument rien dit.
â Aujourdâhui. Je suis arrivĂ© ce matin.Â
â Quel bonheur de te revoir ! Câest magnifique ! dĂ©clare-t-il dâun ton théùtral.Â
Je souris.
â Regarde-toi, tu es devenue un beau gosse !
â Merci mon oncle.
â Et comment tu vas ? Tes Ă©tudes en Angleterre se sont bien passĂ©es ?
â Oui, trĂšs bien. Ăa me fait plaisir de revenir et de vous revoir surtout.
â Moi aussi. Mais ceux qui seront ravis aussi de te revoir, ce sont Hugo et Irina. Tu les as vues ?
â Euh, oui, jâai croisĂ© Irina tout Ă lâheure.
â Et alors ? Comment a-t-elle rĂ©agi ? Elle devait sĂ»rement ĂȘtre trĂšs contente, non ?
â Si, si, jâimagine quâelle est contente, je rĂ©ponds dâun ton lĂ©ger en repensant Ă notre rencontre, qui mâa chamboulĂ©e.
Irina a beaucoup changĂ©. Ce nâest plus la mĂȘme fille avec qui jâaimais jouer.Â
â Câest bien, sourit-il. Et Hugo ?Â
â Je ne l'ai pas encore vu.Â
â Il faut que tu le voies.
â Oui. Jâirai le voir. Il habite toujours avec toi ?
â Bien sĂ»r. Il est aussi devenu un bel homme comme toi.
â Bonsoir.
â Eh bien, quand on parle du loup. Hugo vient voir qui est lĂ , tu vas ĂȘtre super content, lui dit-il dâune voix enthousiaste, presque enfantine.Â
Je me retourne et croise les yeux de mon vieil ami. Lui aussi, il a changĂ©. Il est devenu un vrai homme. Ăa me fait vraiment plaisir de le voir comme ça. Hugo se rapproche lĂ©gĂšrement, visiblement surpris de me voir.
â Alors tu es revenu, constate-t-il, sa voix pleine de nonchalance.Â
â Oui.Â
â Bienvenue, alors, dit-il dâun ton simple et amer.
Je fronce les sourcils, perturbĂ© par cette attitude indiffĂ©rente quâil a envers moi.
â On ne dirait que me voir, ne te fais pas plaisir Hugo, je me trompe ?
â Eh bien, je ne mâattendais surtout pas Ă te revoir.
â Je suis rentrĂ© ce matin.
â Dâaccord.
Je lâobserve avec incomprĂ©hension. Jâai lâimpression qu'Hugo Ă une dent contre moi, mais jâignore quoi. Je finis par dĂ©tourner le regard et me tourne vers mon oncle.Â
â Je vais y aller tonton. Passe une bonne soirĂ©e.
â Toi aussi, mon fils. Ăa mâa fait plaisir de te revoir. Et salut ta mĂšre et tes frĂšres de ma part.
Je lui offre un sourire en guise de rĂ©ponse puis je lui tourne le dos. Je regarde une derniĂšre fois mon meilleur ami qui demeure impassible. Jâaimerais insister auprĂšs de lui pour savoir ce quâil a, mais je prĂ©fĂšre partir. Je lui demanderai plus tard.Â
Ces retrouvailles sont plus qu'Ă©trangers Ă mon goĂ»t. Je refuse de croire quâil ait pu oublier son meilleur de toujours.Â
HugoÂ
Bruno est de retour. Je ne m'attendais pas Ă ce quâil remette les pieds au village. Moi qui pensais quâil vivait parfaitement bien lĂ oĂč il Ă©tait et quâil nous avait tous oubliĂ©s. Et maintenant, le revoilĂ . Je ne comprends plus rien. De toute façon, notre amitiĂ© est terminĂ©e au moment oĂč il est parti du village. Je ne compte pas renouveler cette amitiĂ© comme si de rien Ă©tait. Quâil soit ici, ne m'intĂ©resse pas.Â
â Mais qu'est-ce qui se passe, Hugo ? me demande le pĂšre Daniel, interloquĂ©. Tu nâes pas content de voir Bruno ? Depuis quâil est parti, tu nâas pas arrĂȘtĂ© de demander aprĂšs lui. Je ne te comprends pas.
â Je demandais aprĂšs lui quand je n'Ă©tais encore qu'un gamin, mon pĂšre. Aujourdâhui, câest diffĂ©rent.
â DiffĂ©rent ?
â Oui, rĂ©torquĂ©-je avec affirmation. Nous ne sommes plus des enfants, vous le savez.Â
Il soupire.
â Oui, câest sĂ»r. Mais maintenant il est de retour. Tu devrais sauter de joie.
â Sauter de joie ? Et pourquoi ? Je ne suis plus un gamin. Ăa ne me gĂȘne pas quâil soit revenu. Câest juste que de le revoir aprĂšs tant dâannĂ©es, ça me fait⊠Bizarre.Â
â Je comprends Hugo, mais maintenant quâil est ici, vous allez pouvoir discuter et aussi mettre les choses au clair.
â Non, je ne veux rien savoir sur lui. Et puis nous ne vivons pas dans le mĂȘme monde, lui et moi. Vous ne l'avez pas vue avec sa chemise tout droite sortie du pressing ? Il a la classe tandis que moi, je ne suis qu'un pauvre homme, qui se dĂ©brouille pour sâen sortir.
â Mais quâest-ce que tu racontes ? dit-il, lâair renfrognĂ©, les sourcils froncĂ©s. Ne dis pas nâimporte quoi ! Bruno et toi avez grandi comme des frĂšres. Câest vrai quâil a changĂ© et qu'il porte de beaux vĂȘtements, mais ça ne signifie pas quâil est si diffĂ©rent de toi.Â
â Câest la vĂ©ritĂ© mon pĂšre. Bruno est une autre personne. Jâai failli ne pas le reconnaĂźtre en le voyant. Je parie mĂȘme quâIrina ne le reconnaĂźtra pas. Bruno lâa sĂ»rement oubliĂ© comme il mâa oubliĂ©.
â Tu abuses Hugo. Si vraiment, il tâavait oubliĂ©, il ne t'aurait pas saluĂ© comme un vieil ami.
â Un vieil ami⊠me moquĂ©-je, saouler. Nous ne sommes plus des amis.
â Et ça ne te dirait pas de renouer votre amitiĂ© ?
â La renouĂ©e ? Non. Je vous lâai dit : Bruno est devenu trop diffĂ©rent pour quâon redevienne des amis.
Il pousse un soupir de fatigue.
â Bref, je dois aller chez Monsieur Gonzalez. Je passais juste pour vous prĂ©venir que je nâallais pas tarder Ă rentrer.
â Dâaccord, vas-y. Tu lui diras que je le salue. Â
â TrĂšs bien.
âĄ
~ Propiedad Del GonzĂĄlez ~
Irina
Dans le jardin, l'air, est plutĂŽt calme, sans bruit et agrĂ©able. Jâobserve les Ă©toiles tout en pensant Ă ma rencontre avec Bruno. Je nâarrive toujours pas Ă croire pas quâil soit de retour. Le pire, câest quâil ne mâa pas reconnue. Pourquoi jâai si mal ? Pourquoi ? Bruno est juste ami de longue date, je ne devrais pas me faire autant de soucis. Ce nâest que Bruno⊠Pourtant, mon cĆur nâarrive pas Ă accepter quâil ne mâait pas reconnue.
Je laisse échapper un petit soupir.
Subitement, je sens subitement une prĂ©sence prĂšs de moi. Je tourne la tĂȘte pour voir qui câest je souris.
â Bonsoir, il rĂ©pond Ă mon sourire.Â
â Hugo, qu'est-ce que tu fais ici ?
â Je suis passĂ© voir ton pĂšre pour des documents puis je t'ai vu. Que fais-tu ici ?
â Rien de spĂ©cial. Je prenais juste l'air.
â Tu es triste. Quâest-ce te rend aussi triste, ma belle ?
Je soupire Ă nouveau. Il vaut mieux que je lui dise. TĂŽt ou tard, il finira par savoir.
â Bruno est de retour.
â Ah, dit-il en dĂ©tournant les yeux, comme sâil Ă©tait dĂ©jĂ au courant.
Il le savait.
â Oui, je sais Irina. Je lâai croisĂ© Ă lâĂ©glise avant que je ne vienne ici, rĂ©pond-il d'un ton indiffĂ©rent.
Je fronce les sourcils, lâair fĂąchĂ©. Je me mets Ă marcher et il se met Ă cĂŽtĂ© pour faire de mĂȘme.
â Alors tu lâas vu. Figure-toi que moi aussi. Et tu sais ce qui est le pire ? Bruno ne mâa mĂȘme pas reconnue.
â Quoi ? Tâes sĂ©rieuse ?
â Oui.
â C'est n'importe quoi⊠sâĂ©nerve-t-il, comment est-ce quâil a fait pour ne pas te reconnaĂźtre ? Tu nâes pas une inconnue pour lui.Â
Une brise me fait frissonner et je croise les bras autour de ma poitrine. Je rabats une mĂšche de mes cheveux sur le cĂŽtĂ© et lui rĂ©pond :Â
â Je ne sais pas, Hugo. On dirait que Bruno ne sait plus qui on est et quâon nâa jamais comptĂ© pour lui.
â Ne te rends pas mal pour ça, Irina. Sâil ne tâa pas reconnu, ce n'est quâun idiot. Oublie-le.
Je soupire tout baissant les yeux, avant de les reposer sur lui.
â Oui, câest ce que je vais faire, l'oublier.
Câest ce quâil mĂ©rite aprĂšs mâavoir autant blessĂ© ce matin.
â Sinon, quels Ă©taient ces documents que tu as ramenĂ©s Ă mon pĂšre ? je lâinterroge tout en changeant de sujet.
â Rien dâextraordinaire, ce sont juste les rĂ©sultats des derniĂšres recettes quâon a accumulĂ©es avec la vente des aubergines.
â Et tout va bien ? Jâai entendu dire que les rĂ©coltes nâallaient pas fort en ce moment.
â Pas vraiment, ouais. Mais si ton pĂšre ne trouve pas de solution, il risque de faire faillite et ça ne sera pas bon pour lui et pour nous tous.
â Jâaimerais lâaider, mais tu sais quâentre mon pĂšre et moi, câest trĂšs distant.
â Oui, je comprends et tu nâas pas Ă tâinquiĂ©ter, je lâaiderai Ă voir comment on peut faire pour sâen sortir.
Quelques secondes plus tard, je suis de retour dans ma chambre. DolorĂšs m'a laissĂ© un dĂźner bien garni sur un plateau, posĂ© sur mon lit. Du cocido madrilĂšne (ragoĂ»t Ă base de pois chiches, de lĂ©gumes, de viande et de lard). Je m'approche, m'assois puis je commence Ă manger ce dĂ©licieux plat quâelle prĂ©pare si bien.Â
â Te voilĂ enfin, dit-elle en pĂ©nĂ©trant dans ma chambre. OĂč Ă©tais-tu passĂ©e ?
Je pose ma fourchette et me tourne vers elle.
â Dans le jardin, j'ai pris l'air.
â Tout va bien ? s'inquiĂšte-t-elle.
â Oui, DolorĂšs, ça va.
Elle s'approche et s'assoit sur mon lit.
â Dis-moi ce qu'il y a ? Je te connais mon poussin.
â Je vais bien. Câest juste que la situation entre papa et moi me perturbe Ă©normĂ©ment. La derniĂšre fois, il mâa dit quâil ne voulait plus me voir dans la chambre de maman. Ensuite, il semblait le regretter puisquâil est venu sâexcuser. Mais il a fini par me blesser en me disant quâil ne pouvait pas ĂȘtre mon pĂšre. Carolina sâest mĂȘlĂ©e Ă la discussion en lui disant de me dire la vĂ©ritĂ©.
Elle fronce les sourcils.
â La vĂ©ritĂ© ? Mais de quelle vĂ©ritĂ© ?
â Câest ça que je n'arrive pas Ă comprendre. Jâignore ce quâils me cachent, mais je finirais bien par le dĂ©couvrir.
â Ma puce, ne te tracasse pas avec ça. Si ça se trouve, câest encore une invention de ta tante pour te faire du mal.
â Je ne sais pas DolorĂšs⊠Moi, je crois quâils me cachent un truc.
â Ăcoute, tu as toutes les raisons de douter, mais tu dois te dĂ©tendre. Ce qui me chagrine, câest le comportement quâĂ ton pĂšre avec toi. Ce nâest pas normal. Il est trop dur. Il ne devait pas agir ainsi et t'interdire dâentrer dans la chambre de ta mĂšre.
â Moi non plus, je ne le comprends pas. Et pour ĂȘtre franche, DolorĂšs, j'en ai assez.
â Je sais... Mais prends ton mal en patience ma chĂ©rie, ton pĂšre finira par changer.
â Non et ça m'est Ă©gal maintenant, qu'il fasse ce qu'il veut. Je ne veux plus lui accorder mon intention. C'est fini. J'ai perdu tout espoir qu'il redevienne comme avant.
â Mon poussin...
Elle laisse échapper un soupir de ses lÚvres puis elle vient s'asseoir en face de moi.
â Bon, dis-moi, Hugo t'accompagnait dans le jardin ? Je l'ai vu repartir du domaine et Ă cheval.
â Oui, nous discutions ensemble. Mais tu ne devineras pas qui jâai vu aujourdâhui.
â Qui ? demande-t-elle, intriguĂ©e.
â Bruno. Il est revenu au village.
â Bruno ? Non vraiment ?
â Oui, apparemment, soupirĂ©-je. Mais⊠il nâa pas su me reconnaĂźtre, ajoutĂ©-je, la voix triste.
â Comment ça, il ne tâa pas reconnu ma puce ?
â Il ne mâa pas reconnu. Il mâa demandĂ© qui jâĂ©tais.
â Eh, ben, ça mâĂ©tonne de lui. Je ne pensais pas quâil nâallait pas te reconnaĂźtre, mais câest sĂ»rement parce que tu es devenue une belle jeune fille, sourit-elle en me taquinant.
â Ah non, DolorĂšs, soit un plus sĂ©rieuse, sâil te plaĂźt⊠dis-je en soufflant. Je nâai vraiment pas apprĂ©ciĂ© nos retrouvailles. Ăa m'Ă©nerve autant que ça me rend triste.Â
â Je comprends Irina, mais tu dois le comprendre aussi. Bruno est parti dâici lorsquâil Ă©tait tout petit, câest normal quâil puisse ĂȘtre perdu et de ne plus savoir qui tu es.
â Tu as peut-ĂȘtre raison. Mais jâaurais aimĂ© quâil me reconnaisse.
â Je sais, ma chĂ©rie. Mais tu le reverras et vous allez sĂ»rement vous rappeler le bon vieux temps, ne soit pas si triste ! Soit contente quâil soit lĂ .
Je lui lance un sourire.Â
â Oui, câest vrai. Maintenant, quâil est lĂ , jâespĂšre le revoir et peut-ĂȘtre passer du temps avec lui.
â Et comment il est ? Il a changĂ© ? demande-t-elle curieuse, sa voix trahit par lâexcitation.
â Câest le plus bel homme que je nâai jamais vuâŠÂ
â Attention, ne tombe pas amoureuse hein, rit elle.
â Mais non ! Quâest-ce que tu dis ? Bruno est un bon ami.
â Et Hugo alors ? Il est quoi pour toi ?
Je fronce les sourcils.
â Hugo est aussi un ami, DolorĂšs. Ne dis pas de bĂȘtises voyons. Ne crois pas tous ces gens et leurs ragots qui racontent qu'il y a quelque chose entre nous.Â
â Ne t'Ă©nerve pas Irina. Je me posais juste la question.
â Ce n'est pas ça. Ta question m'a prise par surprise. Hugo ne ressent rien d'autre qu'une belle amitiĂ© pour moi. Et si ça avait Ă©tĂ© le cas, je l'aurais remarquĂ©.
â D'accord, si tu le dis, je te crois, sourit-elle.
â De toute façon, les hommes ne m'intĂ©ressent pas. Ils sont tous les mĂȘmes.
â Ce n'est pas le cas de Hugo, Irina. Lui, saura prendre soin de toi.
â Mais DolorĂšs, enfin, rĂ©pliquĂ©-je, dâun ton lĂ©gĂšrement agacĂ©. C'est mon meilleur ami. Il est comme un frĂšre.Â
â TrĂšs bien. Mais tu tomberas sĂ»rement amoureuse un jour ou lâautre, mon poussin et tu te marieras !
Je roule des yeux en soupirant.
â Je ne veux pas tomber amoureuse, DolorĂšs. Je ne crois pas un jour me marier aussi. L'amour est bien trop nĂ©faste. Ăa fait trop mal et je ne veux pas souffrir et quâun homme me blesse.
On peut le dire, mon cĆur est bien trop fragile. Je ne supporte pas d'ĂȘtre blessĂ©.Â
â Je comprends tes prĂ©jugĂ©s concernant l'amour, mais tu ne devrais pas penser ainsi. L'amour est un sentiment magnifique et tu l'as vu comment tes parents s'aimaient.
â Oui, DolorĂšs... Et c'Ă©tait l'une des raisons qui m'a poussĂ©e Ă croire en l'amour. Mais aujourd'hui, je suis une femme, je n'ai plus la mĂȘme envie que lorsque j'Ă©tais petite.
â Tu ne rĂȘves plus des princes charmants, Ă ce que je vois, plaisante-t-elle.
â Tu sais qu'ils n'existent pas.
â Bien qu'ils n'existent pas, je souhaite que cet homme et oĂč qu'il soit, te rende heureuse. Il ne sera peut-ĂȘtre pas un prince, mais jâespĂšre quâil te respectera.
Je lui offre un lĂ©ger sourire en secouant la tĂȘte nĂ©gativement.
â Tu vas attendre longtemps alors parce que ce nâest pas prĂšs dâarriver !
Elle lĂšve les yeux au ciel.
Une heure plus tard, quelquâun sonne Ă lâentrĂ©e, j'ouvre et tombe sur Hugo. Je hausse les sourcils, surprise de le revoir chez moi. Je sors et ferme la porte derriĂšre moi.
â Bonsoir Hugo. Quâest-ce qui t'amĂšne ?
â Salut. Je suis lĂ pour te parler de ton pĂšre, Irina.
â De mon pĂšre ? Nous avons dĂ©jĂ discutĂ© de ça tout Ă lâheure.
â Oui et il faut qu'on en parle, car je ne tâai pas tout dit.
â Allons-nous promener et tu me diras, dis-je en le prenant par le bras, tout intriguĂ©e.