Il finit par lâcher mon bras. En approchant un peu plus de sa blessure, je peux voir nettement le trou béant d'une balle de calibre 9 mm qui a percé son flanc. Heureusement, la balle n'est pas allée bien loin, rendant l'intervention moindre. Je ne peux m'empêcher de remarquer une multitude de cicatrices réalisées avec une technique qui me fait frissonner, cette même technique que je connais par cœur pour l'avoir réalisée trop de fois sur moi. Ces cicatrices seraient invisibles pour la plupart des chirurgiens, mais pas pour moi. Ses tatouages ne parviennent pas non plus à me tromper.
Je me pose encore plus de questions à son sujet. Il a une balle dans le ventre, mais il agit comme s'il s'était à peine écorché. Il doit être sacrément fou pour ne pas ressentir la douleur.
J'imbibe une compresse d'alcool, sentant son regard peser sur mes gestes précis et délicats.
- Ça risque de piquer un peu... dis-je avec une grimace.
Il hausse les épaules et bascule la tête en arrière. Je peux alors voir les veines pulser dans son cou. Il ne bouge pas d'un millimètre lorsque je place la compresse sur sa plaie. Après l'avoir nettoyée, je vois plus nettement la blessure. La balle est juste sous mes yeux, même pas besoin d'inciser, juste de la retirer. Seulement, sans anesthésie, il va souffrir le martyre.
- Je ne peux pas vous anesthésier ici, dis-je, la voix tremblante.
- Pas la peine.
Je le scrute un moment, lui fais comprendre sa décision. Il ne déroge pas son regard et me pousse à l'action. Sans un mot, je saisis une pince. Ma main libre se pose sur ses abdos, à proximité de la blessure. Je peux sentir chaque relief de son ventre rouler sous mes doigts. Je souffle pour me concentrer sur l'extraction de la balle. Son souffle rauque fait bouger mes cheveux attachés en queue de cheval haute lorsque je retire rapidement la balle, d'un geste précis.
Je reste surprise qu'il n'ait pas crié. Son visage reste impassible, et il me surplombe de son imposante musculature. Je pourrais enlever ma main de ses abdos saillants, mais elle semble aimantée à sa peau. Je récupère du fil Catgut chromique, qui se résorbera tout seul au bout de 7 jours. Quand je plante l'aiguille dans sa chair, un grognement viril s'échappe malgré lui. Il resserre sa prise sur son pantalon cargo, ses phalanges blanchies par la douleur. J'effectue rapidement les quelques points, une pratique que je maîtrise les yeux bandés.
J'effleure les points réalisés. Ce sont les plus beaux que j'ai jamais faits. Je souris fièrement avant de me rappeler qu'il est devant moi. Toujours agenouillée devant lui, je me racle la gorge et relève les yeux. La vue qui s'offre à moi me coupe le souffle : sa tête penchée en arrière me donne une vue splendide sur sa pomme d'Adam qui roule au rythme de son souffle. Ses abdos, contractés par la douleur, me captivent. Une chaleur envahit mon corps. Des tatouages recouvrent son corps d'Apollon, de multiples formes et dessins que je ne saurais deviner dans l'immédiat. Je pourrais passer des heures à le regarder.
Une obsession malsaine me hante. J'ai honte du désir naissant qui me fait vibrer. Je n'ai même pas remarqué qu'il avait baissé la tête. Il se racle la gorge, me poussant à le regarder dans les yeux. Un sourire rempli de malice étire ses lèvres qui m'obsèdent. Je mords ma lèvre inférieure pour contenir toutes ces émotions qui me traversent. Il remarque à quel point je suis troublée par sa présence et ses muscles. Je retire rapidement ma main de son corps lorsque je réalise que je suis encore en train de profiter de son contact.
Je me relève, attrape un pansement sur le bureau et, dans un mouvement lent, je m'accroupis de nouveau devant lui. Mes gestes prennent une allure provocante sans même que je ne m'en rende compte. Je suis accroupie entre ses cuisses écartées, une de ses mains est sur son entrejambe tandis que l'autre est plongée dans ses cheveux bruns. Je me penche sur sa blessure, ma poitrine effleure sa cuisse. Je fais tout mon possible pour m'éloigner de son intimité. Sa respiration devient plus bruyante. Mes doigts nus effleurent sa peau tandis que j'applique le pansement délicatement. Puis, je retire mes doigts avec une lenteur qui me rend folle. Son corps se contracte sous mon toucher. Je m'apprête à me relever quand la porte s'ouvre brusquement.
- Ola, merde, un homme éclate de rire. J'ai cru que t'étais en train de te faire sucer, mec.
Il referme la porte à clé, une main sur son front, mimant d'essuyer une sueur froide d'avoir surpris un moment intime. Cette pensée me fait rougir pour une raison qui m'échappe. Il tient deux bouteilles d'eau dans son autre main et un paquet de cookies. Il m'observe avec un regard trop lourd de sous-entendus. Je me rends compte qu'avec le sursaut que j'ai eu quand il est entré, ma poitrine s'est collée à l'entrejambe de l'homme. Je me recule rapidement, pose chacune de mes mains sur ses cuisses pour m'aider à me relever. Mes genoux sont douloureux d'être restés dans cette position.
Le brun mystérieux sourit sous le contact de mes mains et de ma gêne provoquée par ma poitrine contre son intimité. Alors que mon visage passe proche du sien tandis que je tente de me relever, je l'entends murmurer d'une voix suave :
- Très agréable.
Il m'adresse un clin d'œil malicieux.
Une fois debout sur mes jambes fébriles, je me recule de lui, ne sachant plus comment gérer ma gêne mêlée à mon désir. Mes joues brûlent, et mon regard fuyant croise celui du blond, qui hausse les sourcils à plusieurs reprises, lourd de sous-entendus pervers. Avec une lenteur calculée, il s'approche de moi, débarrasse ses mains de ses courses et me tend la sienne. Par politesse, je la saisis.
- Salut, je m'appelle Mike, et toi, tu dois être Erynn, la prodige d'Anthony, dit-il avec un sourire sincère, cette fois-ci.
- Heu... ouais, exact, bégayai-je.
- Excuse ma remarque, tu veux un cookie pour me faire pardonner ? dit-il en me regardant avec une tête de chien battu, comme s'il souhaitait vraiment que je le pardonne.
J'éclate de rire en me disant qu'il a l'air vraiment sympathique. De petites taches de rousseur parsèment son visage jovial. Sa carrure est bien moins imposante que celle de son collègue, pourtant je sens qu'il doit être tout aussi dangereux.
- Il faudra plus d'un cookie ! dis-je en mimant de bouder.
Il me tend une boîte complète avec un sourire déçu, comme un enfant qu'on aurait puni pour avoir désobéi. Il me fait sourire malgré moi ; il est attachant.
- Ok, ça devrait aller, je te pardonne.
Je récupère la boîte de cookies et m'empresse d'en manger un, laissant échapper un petit bruit de satisfaction qui le fait éclater de rire. Je lui donne un cookie qu'il avale à une vitesse déroutante. Je reviens à la réalité lorsque la voix rauque du brun résonne à mes oreilles.
- Tu viens de te faire racketter, se moque-t-il.
Je hoche la tête en signe d'approbation, ce qui le pousse à prendre un air offusqué face à mon aveu. Par compassion, je lui rends ses cookies. La scène est mémorable. Pour une raison que j'ignore, je passe un agréable moment, d'une simplicité que je n'avais pas connue depuis longtemps.
Je me tourne finalement vers l'autre homme pour donner mes instructions de guérison.
- Je dois vous voir tous les jours, commençai-je avec assurance.
- Hors de question, me coupe-t-il. Je sais que tu en meurs d'envie, mais non.
- Ne vous croyez pas si irrésistible.
C'est un mauvais mensonge. Bien sûr qu'il est irrésistible, mais sa bonne guérison est la seule chose qui m'importe. Je viens de lui accorder une heure de mon temps, ce n'est pas pour qu'il gâche tout.
- Je ne vous laisserai pas gâcher mon chef-d'œuvre, dis-je, le doigt pointé vers ses points de suture impeccables.
- Je ne reviendrai pas ici, dit-il fermement.
- Alors chez moi, tous les jours à 19 h, dis-je sans lui laisser le choix.
- Non.
Je reste bouche bée face à son entêtement. Je prends le temps de le soigner, de lui proposer des solutions, mais monsieur n'est pas content. Je sens la colère s'infiltrer dans mes veines. Je croise les bras sur ma poitrine, et son regard y descend sans aucune gêne.
- Je te l'amènerai, même si je dois y laisser ma vie, me dit Mike en rigolant.
- Va te faire foutre, Mike, je te tuerai avant, réplique-t-il froidement.
La sincérité de ses propos me glace le sang.
- Toi, va te faire foutre, Elio, elle a pris le temps de te soigner, réplique Mike, son ton devenant froid à son tour.
Elio, donc... charmant.
- Bon, si vous ne voulez pas revenir, c'est moi qui viendrai à vous, dis-je avec aplomb.
Il éclate de rire, ensemble et de bon cœur. Le rire d'Elio est puissant, magnifique, ce genre de rire que vous voulez entendre tous les jours, viril et rauque. Il me fixe, pensant que je rigole, mais je lui montre que je suis bien sérieuse, que je le soignerai coûte que coûte.
- T'es audacieuse, toi, me dit Mike avec un clin d'œil.
- Tu ne mettras pas les pieds chez moi, doc, me dit Elio avec méchanceté.
Je récupère un bout de papier pour annoter mon adresse et l'heure, que je souligne de trois traits appuyés. Je lui tends, mais il ne bouge pas. Son arrogance me met hors de moi. Il a beau être impressionnant, son numéro d'homme dangereux ne marche pas sur moi. Je pose chacune de mes mains sur ses cuisses, je sens ses muscles se contracter sous la pulpe de mes doigts. Mon corps tressaille, mais je ne laisse rien paraître de l'effet qu'il a sur moi.
-Tous les jours, 19 h, dis-je dans un murmure rempli de menace. Je t'ai promis de ne rien dire, alors tu me dois bien ça ! Je risque ma place.
Je glisse le papier dans la poche de son cargo, mes doigts à proximité de son intimité. J'essaie de garder ma posture assurée, je le sens se raidir pour mon plus grand plaisir. Je ne le lâche pas du regard, mais je me perds dans le vert de ses iris quelques secondes de trop.
-Ok, doc, dit-il en approchant son visage du mien. Je sens son souffle sur mes lèvres que je mords pour contenir mes désirs. Fais-nous sortir d'ici avant de me sauter dessus.
Je rougis sous son sous-entendu pervers et me recule rapidement, trahissant la vérité de ses propos. Je vois Mike avec un sourire niais sur ses lèvres fines. Je dresse mon majeur sous son nez, ce qui le fait exploser de rire.
J'ouvre le bureau, regarde à droite et à gauche. Une fois sûre que personne n'arrive, je leur fais un signe de la main. Mike passe en premier, il me remercie et m'envoie un baiser avant de courir vers la sortie de secours. Quand Elio s'approche, j'attrape son poignet sans réussir à faire le tour avec mes doigts. Je n'ai pas la force de l'arrêter, mais mon toucher délicat le fait s'arrêter.
-Demain, 19 h, je ne plaisante pas, murmurais-je.
Nous sommes tous les deux dans l'embrasure étroite de la porte, nos corps se touchent. Il sait l'effet que sa présence me fait et reste volontairement proche de moi pour me faire comprendre que c'est lui qui a le dessus. Son regard est lourd de menace. Bizarrement, je ne perçois pas une menace dangereuse pour ma vie, mais plutôt pour ce qui pourrait se passer. Il m'adresse un clin d'œil qui pourrait me faire perdre pied. Il n'a rien de ceux de Mike, les siens m'enivrent, me feraient dire oui à toutes ses demandes. Ses doigts effleurent les miens et il disparaît derrière la porte de secours.
Je ne peux m'empêcher de ressentir une certaine nostalgie. Leur contact a été bref mais rempli d'une sincérité pesante. Je m'enferme dans le bureau et nettoie le sang qui a maculé le sol blanc. Plongée dans mes pensées, je revois en boucle son contact, son corps, ses yeux qui vont me hanter. Je sursaute quand Anthony fait son entrée.
-Merci, Erynn, me dit-il avec un sourire crispé. Je te revaudrai ça.
-J'y compte bien, dis-je avec une pointe d'amertume.
Je passe devant lui et m'apprête à sortir du bureau avant qu'il ne me stoppe en agrippant mon poignet plus délicatement. Cette fois-ci, son contact me dérange. J'aimerais que ce soit une autre main qui me retienne de partir.
-La garde est finie, Erynn, tu peux rentrer chez toi.
Je n'ai même pas vu le temps passer. Ces 72 heures ont été lourdes en émotions, passant rapidement du plaisir à la fierté, et pour finir à la peur, mélangée au désir de cet homme dangereusement attirant. Je prends rapidement une douche dans les vestiaires, enfile une tenue confortable et récupère mes affaires.
Le soleil brûlant de cette fin d'après-midi me redonne le sourire. Il ne me faut pas moins de cinq minutes avant d'arriver chez moi. J'ai réussi à trouver ce logement tout proche, une véritable aubaine pour quelqu'un d'aussi passionné que moi. Le sommeil ne tarde pas à s'emparer de mon corps quand je fond sous ma couette. Son visage apparaît une dernière fois avant que les bras de Morphée ne m'attrapent.