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âđđđ đđđđđ - đđđđđđ đđđđ đđđđđđđđ
đđđđ đđđ đđđđđđ'đ đđđđđđđđđ
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Elle était là , et m'attendait avec un grand sourire. Ce dernier était aligné, alors que lorsque je l'avais connue, ses dents étaient décalées, comme nos façons de penser.
C'était à l'étage du dessus que je devais me rendre, il fallait que je l'esquive pour pouvoir monter tranquillement. Si, pour venir jusqu'ici, au milieu bondé d'Abu Dhabi, cela signifiait qu'elle était au courant de tout, et qu'elle me tenait en laisse, je n'aurais donc d'autre choix que de me plier à sa volonté. Séparés par quelques groupes de personnes, elle ne pouvait pas m'atteindre, tout du moins pour le moment.
Le bruit mondain bourdonnait dans mes oreilles, son brouhaha brouillait mes pensées, ma capacité cognitive.
Elle avait bien joué son jeu, s'étant positionnée du cÎté des appareils photos. J'avais osé croire que cette sortie serait ce qui existait de plus banal, certes à des fins qui ne le serait en aucun cas, mais il avait fallu que nos chemins se croisent. Elle avait forcé le destin d'une étonnante maniÚre, qui lui était familiÚre, c'était sa spécialité.
AprĂšs un bref jeu de regards, je tirais profit du fait que quelques personnes passent devant moi, pour m'en aller avec subreptice, bien que je sache pertinemment que cela ne servait Ă rien. FrĂŽlant pratiquement les deux mĂštres, je dĂ©passais de loin les gens, j'Ă©tais facilement apercevable, et ce de loin. MalgrĂ© tout, je pris la direction des escaliers, montant au second Ă©tage, plutĂŽt dĂ©diĂ© aux tĂ©lĂ©phones portables. J'Ă©tais dĂ©jĂ venu plusieurs fois ici, j'y avais mĂȘme achetĂ© mon propre portable, auquel je reconnaissais ĂȘtre greffĂ©, mais je n'en avais pas le choix.
ArrivĂ© en haut des escaliers, je fermais les yeux, et de deux doigts, pinçais l'arrĂȘte de mon nez. L'objectif Ă©tait d'acheter un portable Ă Tasnim, et de rentrer Ă Al-Hakikah, pas de s'engager dans une course -poursuite ni d'avoir une quelconque altercation avec une folle. Je devais dĂ©jĂ gĂ©rer une psychopathe qui l'Ă©tait aussi, en me servant correctement d'elle, cela m'Ă©tait amplement suffisant, je n'en voulais pas de seconde.
Doucement, en veillant Ă ĂȘtre furtif et Ă ne pas me retourner, je m'approchais des Ă©talages. Je n'avais qu'Ă prendre une boĂźte, de prĂ©fĂ©rence le mĂȘme modĂšle que le mien, payer et m'en aller. Ce n'Ă©tait pas plus compliquĂ© que cela.
Je commençais donc à observer chacun des modÚles, farfouillant ensuite dans les boßtes pour trouver celle qui me fallait. Mais mes gestes étaient tremblants, traßtres envers l'assurance que je m'efforçais d'avoir, ils étaient machinaux, alors que j'y mettais toute l'énergie et la concentration que je n'avais pas su mettre dans ma conduite.
â Je peux t'aider, avocat Ben Sayour ?
C'était sûr. Je n'avais pas réussi à l'esquiver, notre rencontre était depuis le départ inévitable, et son lieu bien atypique. Son voix avait retentit dans mes tympans, résonnant dans un léger grésillement, grave pour une voix féminine , me surprenant alors que je m'y attendais. Je ne lui répondis pas, continuant de remuer les appareils soigneusement emballés.
â Un avocat qui manque de politesse, ricana-t-elle en regard de l'ignorance que je lui accordais.
Cette fois-ci, je tournai mon visage vers elle, haussant un sourcil comme je savais si bien faire, passant mĂȘme mes doigts sur les poils de mon arcade. S'attendait- elle rĂ©ellement Ă une rĂ©ponse de ma part, ou cherchait -elle simplement Ă susciter chez moi de l'irritation ? Avec elle, il Ă©tait possible que ce soit l'un ou l'autre, ou mĂȘme les deux rĂ©unis. Elle avait des buts souvent mal dĂ©finis, ce qui lui avait, Ă de nombreuses reprises, causĂ© du tort.
â Un avocat par qui tu aurais pourtant aimĂ© ĂȘtre dĂ©fendue, lui lĂąchais -je froidement.
J'étais détaché de la situation, détaché de sa personne, détaché du passé qui n'était à présent que de vagues souvenirs sans importance. En attendant, je continuais ma tùche, sans vraiment le faire, mon action se résumait à un mime visant à lui faire comprendre que je n'avais pas le temps pour elle.
â Je ne doute pas de tes compĂ©tences, Ryan. En revanche, je doute ce que tu t'apprĂȘtes Ă faire.
Je me relevais, sous ses grands yeux bruns de femme arabe, qui me toisaient d'un regard qui se voulait perçant, mais qui n'arrivait pas Ă l'ĂȘtre malgrĂ© sa volontĂ©. C'Ă©tait peut-ĂȘtre parce que je ne lui accordai que peu de crĂ©dit, si ce n'Ă©tait aucun, qu'elle donnait cette impression de ridicule en me toisant. Comment pouvait- elle douter de ce qu'allais faire ? Ătait -elle en connaissance d'un dixiĂšme de mes plans, d'ailleurs ?
Je tenais de mes deux mains à la fois, une boßte blanche qui renfermait ce que j'étais venu chercher. J'étais sorti pour cela, pas pour la voir.
Alors que je me retournais pour m'en aller, d'un pas dĂ©cidĂ© Ă ĂȘtre ferme. Mon corps passa Ă quelques centimĂštres d'elle une fraction de seconde, et elle me retint, saisissant mon bras au niveau du biceps d'une poigne de fer. J'avais oubliĂ© qu'elle possĂ©dait autant de force, certes loin d'ĂȘtre Ă©gale Ă la mienne, mais prĂ©sente et vive. Pour me dĂ©gager de son emprise, je devais m'agiter ou la saisir elle, chose dont je n'avais pas envie au milieu des gens, ce surtout avec un tel objet entre les mains.
â S'il-te-plaĂźt, je te le dis une fois, lĂąche- moi.
Mon ordre n'avait pas été assez sec, au vu de sa réaction qui fut une plus forte pression sur mon muscle. Elle commençait à me faire mal, mais je ne voulait pas lui rendre cette douleur.
â Pourquoi le devrais -je ? rĂ©torqua-t-elle avec un sourire en coin.
Elle le faisait exprÚs. Elle connaissait mes nerfs et souhaitait me pousser à bout, afin que je lui fasse mal en retour, et que je sois placé dans une position encore plus délicate que celle dans laquelle je me trouvais déjà .
â LĂąche- moi, seconde Ă©dition. Et dans tous les sens du terme.
Elle enleva sa main de moi. J'Ă©poussetais alors mon polo, Ă l'endroit oĂč elle m'avait touchĂ©, avec une moue de dĂ©goĂ»t, qui se rĂ©percuta sur son visage Ă elle.
â En quoi tu doutes ce que je vais faire ? l'interrogeais -je ensuite, ma curiositĂ© prenant le dessus.
â De tout, c'est beaucoup trop risquĂ©, Ryan.
Le fait que mon prĂ©nom sorte de ses Ă©paisses lĂšvres repulpĂ©es par la mĂ©decine esthĂ©tique m'horripilait, de mĂȘme que l'inverse. Depuis le dĂ©but de notre altercation, je me retenais de prononcer son nom, et elle se permettait de dire le mien sans la moindre gĂȘne.
Elle prĂ©tendait douter de mes projets, que j'avais pourtant mis du temps Ă planifier, les ayant travaillĂ©s jusque dans les plus petits dĂ©tails, me parant Ă la moindre Ă©ventualitĂ© et aux consĂ©quences qui la succĂ©deraient. Connaissait -elle mĂȘme l'entiĂšretĂ© de mes plans, Ă dĂ©faut de connaĂźtre l'entiĂšretĂ© de ma personne ?
Je fis un pas vers elle, l'objet toujours tenu par mes deux mains :
â N'interfĂšre pas dans ces choses -lĂ , ce ne sont pas tes affaires. Je dois dĂ©jĂ en parallĂšle m'occuper des sauces dans lesquelles tu es en train de me mettre, n'en rajoutes pas une couche.
J'avais opté pour une voix plus rauque, que j'avais vaguement tenté de rendre menaçante. J'avais accompagné mes propos d'un froncement de sourcils, qui insistait sur leur gravité. Sa réponse fut digne d'elle : un grand haussement de sourcils agrémenté d'un sourire de taille égale, qui laissait se découvrir chacune de ses dents.
C'était elle tout craché, mais je pouvais sentir sa peur dissimulée émaner de son corps, comme m'irradiant. Je pouvais percevoir ses sueurs froides face à moi, et, de surcroßt, elle devait se faire mal au cou pour me regarder. Mes yeux s'étaient ancrés dans les siens, pour appuyer ce que je lui avais dit, qu'elle comprenne bien que j'étais plus que sérieux.
â Fais ta vie, je fais la mienne. Ne te mĂȘle de rien qui me concerne. J'ai dĂ©jĂ assez de problĂšmes comme ça, ne m'en crĂ©e pas devant tout Abu Dhabi.
Sur ces mots, je me détournais d'elle, ne cherchant pas plus que ça à attiser sa colÚre, ainsi que la mienne. Elle ne valait pas plus la peine que je ne m'attarde sur elle, il fallait simplement que je lui tourne le dos, que je l'ignore. Cette fois-ci, elle ne m'attrapa pas, elle me laissa lui montrer mon dos. Il valait mieux pour elle comme pour moi que nous nous tenions éloignés l'un de l'autre, autrement tout risquerait de mal se terminer. Avec les articles d'Abu Dhabi Noor et les évÚnements de ce matin, mes plans tournaient déjà assez à la mascarade comme ça.
â Tiens moi au courant de tout, Ryan Ben Sayour. Ou tu le payeras trĂšs cher.
Elle m'avait lĂąchĂ© ces deux phrases sans que je ne la voie, en admirant ma largeur d'Ă©paules. Elle avait dit ça d'un ton qui se voulait grave, Ă la limite de la menace ou mĂȘme de l'injure. Mais cette femme n'avait en elle rien d'effrayant, certes son retour Ă©tait pour moi un mauvais prĂ©sage, mais en rien ne me faisait peur. Mon anatomie devait bien se composer de trente centimĂštres de plus que la sienne, et bien que je fus en parfaite connaissance de son machiavĂ©lisme, j'Ă©tais loin d'ĂȘtre apeurĂ© par les consĂ©quences qu'elle me promettait si je lui dĂ©sobĂ©issais.
Mon corps s'Ă©tait un instant crispĂ©, alors je me secouai, sans lui fournir de rĂ©ponse. Elle ne força pas plus, et me laissa m'Ă©loigner, la boĂźte de l'appareil Ă©lectronique en main. La posant Ă la caisse, je plongeai ma main dans ma poche pour en tirer mon portefeuille, duquel j'extirpais ma carte. Je dĂ» l'insĂ©rer et rentrer mon code, mon cĆur pulsant toujours horriblement dans ma cage thoracique.
Ce fut rapidement fait, et je pu m'en aller, tenant le tĂ©lĂ©phone soigneusement emballĂ©, d'une main qui aurait voulue ĂȘtre ferme sur le carton mais qui Ă©tait pourtant tremblante. Mon pas, lui aussi Ă©tait fĂ©brile, mon regard allait dans tous les sens, mon esprit s'attendait Ă ce qu'elle me rattrape. Mais, Ă mon immense soulagement, elle ne vint pas une seconde fois Ă ma rencontre.
Finalement, aprĂšs avoir traversĂ© des rues et des rues, je parvenais Ă la 4matic noire, que je dĂ©verrouillais d'un geste toujours hĂ©sitant. Je jetais la boĂźte sur le siĂšge passager et m'asseyais derriĂšre le volant, en poussant un long soupir, aussi bien de fatigue que de soulagement. La pression venait de retomber, mon cĆur pouvait enfin se calmer. Je n'avais plus de souffle, et mon corps avait glissĂ© sur le siĂšge, et aussi moelleux soit-il, cette position m'Ă©tait dĂ©sagrĂ©able. Je me redressais donc, enfonçant les clefs dans le contact, toujours lĂ©gĂšrement tremblant, mais rapide. Je devais rentrer Ă Al-Hakikah, revenir Ă la rĂ©alitĂ© et assurer mes fonctions.
Je l'avais recroisée. Je n'en revenais pas. J'avais le sentiment que j'aurais du mal à la sortir de ma vie, je me sentais tomber dans un précipice, dont je devrais me relever. Les événements étaient en train de s'enchaßner sans me laisser de répit, d'abord Tasnim, puis le vol du Coran Bleu, une fusillade et son retour, le tout en l'espace de moins de quarante-huit heures.
Lorsqu'elle m'avait approchĂ©, j'avais senti le monde s'arrĂȘter pour nous, sans mĂȘme que je ne m'en rende compte. Mon attention s'Ă©tait concentrĂ©e sur elle, moi, et nos mots, ma conscience s'Ă©tait appliquĂ©e Ă analyser nos tons, nos maniĂšres et les intentions qui allaient avec. Elle avait mĂȘme rĂ©ussi Ă faire sortir Tasnim de mon esprit, alors qu'elle Ă©tait depuis longtemps devenue ma prĂ©occupation.
Dehors, malgré les articles de la fusillade de la veille relayée ce matin, on ne m'avait adressé que peu de regards déplacés, ou alors y étais -je insensibilisé depuis deux bonnes années ? Lorsque j'avais défendu Sariya, je m'étais retrouvé au centre des polémiques et m'étais fait connaßtre en tant qu'avocat à travers chacun des émirats, aussi m'avait -on regardé avec attention chaque fois que je sortais, et cela n'avait pas cessé. J'étais devenu Ryan Ben Sayour, l'avocat défenseur de la meurtriÚre de 1441.
J'Ă©tais Ă prĂ©sent bien loin des Etihad Towers, j'approchais mĂȘme du quartier oĂč j'Ă©tais basĂ©. Je craignais que Tasnim ait fait une quelconque folie Ă Ayotunde, ou qu'elle lui ait infligĂ© la mĂȘme blessure que celle dont j'avais Ă©tĂ© gratifiĂ© au niveau du cou. Toujours au volant de la Mercedes noire luisante aux dĂ©tails argentĂ©s, je pĂ©nĂ©trais dans le quartier, me trouvant non- loin de la base de l'organisation.
En finalitĂ©, je me garais derriĂšre le bĂątiment, Ă la mĂȘme place qu'au dĂ©part. Avant de descendre, je rĂ©cupĂ©rais l'achat relĂ©guĂ© vulgairement sur le siĂšge. Je pris aussi un instant pour redĂ©marrer mon tĂ©lĂ©phone portable. Elle m'avait renvoyĂ© un message, que cette fois-ci je n'ouvrirais pas, et que je ne lirais probablement jamais. Je rangeais l'objet dans ma poche et m'en allais.
Mes pieds, qui connaissaient le chemin par cĆur, me ramenĂšrent Ă mon organisation, qui Ă©tait mon chez-moi. Mon esprits, aux pensĂ©es pour le coup tumultueuses, ne se calma que devant la porte du hall, revenant Ă l'actualitĂ©. Je tournai la poignĂ©e, me dĂ©chaussai et pĂ©nĂ©trai dans la grande piĂšce. M'y attendaient Tasnim et Ayotunde, un silence religieux et tendu rĂ©gnant dans l'atmosphĂšre. Je commençais Ă croire qu'elles avaient eu une quelconque altercation en mon absence. Ce serait ironique, du fait que j'en avais eu une aussi.
â De retour, Ben Sayour.
Je me tournais vers l'Ămiratie. Je voyais clairement sur son visage qu'elle contenait un petit sourire, comme une satisfaction qui n'avait pas lieu d'ĂȘtre, tordant ses lĂšvres dans tous les sens. Sa pupille la trahissait aussi, on pouvait y voir que tout son ĂȘtre Ă©tait en joie. Quant Ă la NigĂ©riane, elle avait sur le visage une expression trĂšs fermĂ©e, comme si l'autre, Ă l'aide de mots ou mĂȘme de coups, l'avait cadenassĂ©e.
Sur le comptoir, je posais la boĂźte blanche qui contenait l'IPhone, et pointai l'index en sa direction.
â C'est Ă toi, Sariya.
Elle me jeta un regard interrogatif, et j'attendis une répartie de sa part, puisqu'elle semblait en avoir en toute condition.
â A moins que tu ne prĂ©fĂšres le pigeon voyageur, ironisais -je en levant les mains.
Elle tendit une des siennes vers l'emballage, le ramenant à elle, en faisant une totale abstraction de ma remarque. Je pris place juste à cÎté d'elle, en face de ma collÚgue africaine. L'émiratie commença à déballer la boßte et son contenu. Le chargeur et la coque étaient fournis avec, alors directement je pris le cùble pour le ficher dans le mur, allumant l'appareil.
â Promets-moi que tu n'en feras pas n'importe quoi, Sariya. Quoi qu'il arrive je pourrais y accĂ©der, l'avertissais -je.
â Ăa marche, Ben Sayour. Dans tous les cas, tu es mon avocat ?
â Je l'ai Ă©tĂ© une fois, c'est largement suffisant. Tu as fait tes affaires ?
J'avais, de maniĂšre brutale, fais digresser la conversation, et ce fut sans doute ce qui lui arracha un froncement de sourcils. J'avais mis tout ce qu'il fallait dans ses placards, tout dans le style khaleeji, Ă la fois moderne et culturel, puisque je savais qu'elle en Ă©tait une adepte. Je savais aussi qu'elle ne mettrait pas son style vestimentaire de cĂŽtĂ© une fois arrivĂ©e aux Pays-Bas. Elle ne passerait donc pas inaperçue en Europe, je devrais y faire attention. Son affaire Ă©tait pour le moment loin de l'internationalitĂ©, mĂȘme si avec la disparition du Coran Bleu elle risquait vite d'ĂȘtre connue sur le plan mondial. Et si cela arrivait, elle ferait tout rater en se faisant remarquer.
Alors qu'elle débutait la configuration de l'appareil, je me tournais vers Ayotunde, lui chuchotant à voix basse, de façon à ce que la psychopathe n'entende pas :
â Ăa s'est bien passĂ© ?
â Plus ou moins. Je ne l'apprĂ©cies pas mais tant pis.
Je ne lui répondis pas, mais je la comprenais. Comment apprécier Tasnim Sariya lorsqu'on est sensé et que l'on réfléchit avec la raison ?
La femme pianotait sur l'Ă©cran Ă une vitesse fulgurante, Ă tel point oĂč moi-mĂȘme j'en Ă©tais impressionnĂ©. Elle Ă©tait absorbĂ©e par sa tĂąche, alors je me levais en veillant Ă ĂȘtre silencieux, et fit signe Ă la NigĂ©riane de me suivre. Elle obĂ©it et m'accompagna hors de la piĂšce. J'avais Ă lui parler, certes rapidement, mais je profitais de l'occasion d'avoir la psychopathe calme.
â Tu vas rentrer quand aprĂšs l'avoir accompagnĂ©e ? me questionna-t-elle une fois sortis.
â Je sais pas, sĂ»rement une semaine ou dix jours. J'aurais quelque chose Ă faire aux Netherlands, je crois te l'avoir dit.
â Oui, tu plaides lĂ -bas.
â A la cour suprĂȘme en cassation, renchĂ©rissais -je. Le mĂ©tier commence Ă me fatiguer.
C'Ă©tait Ă la fois vrai et faux, j'aimais ce que je faisais et l'influence que mon travail avait, mais courir Ă travers les tribunaux et ĂȘtre contraint Ă dĂ©fendre ce que j'aimerais en fait condamner crĂ©ait en moi lassitude et ennui. Ma condition physique aussi parlait pour moi.
â Une affaire grave, non ?
â L'affaire implique surtout ADAK, c'est ça qui est compliquĂ©. Et, aux Pays-Bas, les jugements sont souvent transparents, accessibles au public. Si c'est mal gĂ©rĂ©, ADAK risque d'ĂȘtre poursuivi, et Tasnim avec, et ce rĂ©seau est la seule piste que nous avons.
â Et Sariya, elle le sait ça ?
Quelle question de sa part. Ma collÚgue connaissait pourtant ma maniÚre de faire, et savait ce qu'était la psychopathie. Si je révélais à Tasnim que je plaidais en cassation par rapport à ADAK, elle aurait encore plus envie d'enfreindre les rÚgles, les risques semblaient faire monter en elle une adrénaline spéciale, la poussant au bout de sa folie. J'espérais qu'au sein de cette mafia, elle ne soit pas en marge, mais j'avais tort de nourrir ces espérances.
Je fis un signe négatif du menton à Ayotunde :
â Tu devras gĂ©rer par rapport Ă tous les Ă©vĂ©nements, comme je ne serais pas lĂ , et pour le coup ce ne sera sĂ»rement pas simple. Tu penses pouvoir le faire ?
â Sans problĂšme, Ryan.
Son affirmation confiante me rassura et me fit plaisir. Cette femme Ă©tait comme un bras droit pour moi, elle savait s'occuper de toute situation. Elle Ă©tait aussi d'humeur souriante, bien que lĂ , elle scrutait Ă©trangement chaque parcelle de ma peau. Ăa lui Ă©tait mĂȘme peu commun, c'Ă©tait le genre de personne qui baissait le regard et qui ne s'intĂ©ressait qu'Ă ce qui la concernait. Que cherchait -elle Ă voir sur mon visage ?
â Il s'est passĂ© quelque chose dehors ? me demanda-t-elle devant mon air un peu incompris.
Elle connaissait dĂ©jĂ la rĂ©ponse Ă la question, et je savais cette derniĂšre ĂȘtre une injonction Ă lui dire les choses. Mais je ne voulais pas lui expliquer, pour une raison que moi-mĂȘme j'ignorais, sĂ»rement Ă©tait -ce parce que je ne voulais pas lui expliquer qui avais -je croisĂ©, et peut-ĂȘtre mĂȘme Ă©prouvais- je de la gĂȘne.
â Rien, franchement, une sortie banale.
â Ne me mens pas, insista-t-elle.
â Peut-ĂȘtre plus tard, tu n'es pas obligĂ©e de le savoir pour le moment. C'est loin d'ĂȘtre gravissime.
Esquivant une potentielle suite de conversation, je repris le chemin vers Tasnim, qu'il ne fallait pas laisser seule trop longtemps, au risque qu'elle ne fasse brûler quelque chose. Ayotunde m'emboßta le pas, mais je savais qu'elle ne tarderait pas à quitter la piÚce, elle n'avait plus rien à y faire et elle ne semblait pas pouvoir supporter l'émiratie.
Cette derniĂšre Ă©tait assise, pour une fois calme. Elle Ă©tait devant son tĂ©lĂ©phone, que je considĂ©rai aussi m'appartenir. La lumiĂšre blanche lui illuminait le visage, amplifiant ses cernes noires. La luminositĂ© devait ĂȘtre Ă son maximum.
â Tu t'en sors ?
Elle leva le regard à ma question, qui était pourtant sincÚre, sans aucune ironie. Elle avait dû mal le prendre, alors que j'étais sérieux.
â Bien sĂ»r, tu me prends pour qui ?
Sa rĂ©ponse fut agressive, le jour oĂč elle ne le serait pas mĂ©riterait de devenir fĂ©riĂ©. Mais je ne pouvais pas lui en vouloir, les psychopathes Ă©taient comme ça, et aprĂšs ce que j'avais lu dans son journal, bien que je n'en soit qu'au dĂ©but, je comprenais son attitude. Je sentais Ă©maner d'elle une envie de me dĂ©chirer en deux, d'approfondir ma blessure comme j'approfondirais les siennes. Mais elle le mĂ©ritait amplement.
â La carte SIM, tu la prendras aux Pays-Bas, ce sera plus simple au niveau du forfait. Et fais quelques affaires, ajoutais -je. Je te la prendrais Ă la sortie de l'aĂ©roport.
Doucement, je m'approchais d'elle, sentant ma collÚgue derriÚre non loin de moi. Je pris à Tasnim l'objet de ses mains, ce qui la vexa apparemment. Elle tenta de me mettre un coup, que je bloquais d'un geste vif que j'avais eu par réflexe. Une fraction de seconde de plus à réagir et j'étais gratifié d'un bleu en plein visage.
â Rends- moi ça, Ben Sayour ! m'Ă©ructa-t-elle.
Sa haine était perceptible, cette femme nourrissait de nombreux sentiments négatifs en elle, et son irritabilité finirait pas m'irriter aussi. Je me demandais parfois si elle l'avait développé en raison de sa psychopathie, ou si elle avait toujours été comme ça, vivant d'amour et mourant d'amour.
â Non, va faire un sac, n'oublie pas qu'on part demain.
Je rangeais son téléphone dans ma poche, avec le mien. Elle me donnerait du fil à retordre, mais je savais que de par sa volonté elle prendrait sa mission au sérieux.
Je me retournais et lui dit de me suivre. D'un regard circulaire, je balayais la piĂšce, remarquant qu' Ayotunde n'Ă©tait plus lĂ , et Ă©tonnamment, malgrĂ© ses chaussures je ne l'avais pas entendue. Tasnim Ă ma suite, j'empruntais des couloirs qu'elle devait Ă prĂ©sent connaĂźtre : ceux qui la ramenaient Ă sa chambre, celle que je lui avais attribuĂ©e, car elle aurait tout de mĂȘme Ă sĂ©journer ici, bien que son dĂ©part eu Ă©tĂ© hĂątĂ© par les Ă©vĂ©nements s'Ă©tant abattus sur nous.
Elle Ă©tait derriĂšre moi, et une fois arrivĂ©s devant sa porte, je la laissais l'ouvrir. Elle parut dĂ©stabilisĂ©e du geste, mais si jusque-lĂ j'avais Ă©tĂ© sans gĂȘne, je respectais en revanche l'intimitĂ©, encore plus celle d'une femme, aussi folle soit-elle.
â Ouvre ton placard et fais tes affaires. Il y a largement de quoi faire.
Alors qu'elle commençait à écarter les cintres pour voir tout ce qui était rangé dans l'armoire, je l'interrompis pour lui donner une importante consigne, dont elle aurait besoin si elle ne voulait pas faire tout rater :
â Ne met rien de trop voyant, s'il-te-plaĂźt. Ne te fais pas trop remarquer.
â Le style khaleeji est voyant, Ben Sayour. Ne demande pas Ă une femme comme moi d'ĂȘtre discrĂšte.
Elle passa alors sa main sur un kimono noir et dorĂ©, aux dĂ©tails faits de broderies et de strass, qui devait se voir Ă plusieurs mĂštres. Je soufflais, j'avais perdu ma dignitĂ© en faisant appel Ă la supplication Ă l'aide d'un "s'il-te-plaĂźt" et elle me montrait qu'elle n'avait rien Ă faire de ma consigne. Elle venait littĂ©ralement de me faire comprendre qu'elle ne considĂ©rait ni l'enjeu, ni qui elle Ă©tait au sein de la sociĂ©tĂ©. Je la laissais donc faire, puisqu'elle ne m'Ă©couterait pas. J'avais oubliĂ© que ces psychopathes ne voulaient qu'enfreindre les rĂšgles. Je la supposais tout de mĂȘme capable d'effectuer cette tĂąche, bien que je demeurais dubitatif du rĂ©sultat.
Je passais faire un tour dans le salon oĂč nous Ă©tions ce matin. Il Ă©tait pratiquement treize heures, l'actualitĂ© de la fusillade avait dĂ» ĂȘtre relatĂ©e Ă tout Abu Dhabi, tout comme les articles d'Abu Dhabi Noor avaient dĂ» faire le tour de l'Ă©mirat. J'Ă©tais, avec Tasnim, pour le coup indĂ©fendable, puisqu'une fichue journaliste et photographe avait dĂ©cidĂ© de nous prendre en photo pour illustrer son article en collaboration avec la SĂ©nĂ©galaise. C'Ă©tait mĂȘme surprenant qu'elle ait pris la peine de flouter ma plaque d'immatriculation, elle avait dĂ©jĂ fait scandale en affichant certaines personnes, certes problĂ©matiques, mais ce n'Ă©tait pas chose Ă faire.
Je sortis une Ă©niĂšme fois mon tĂ©lĂ©phone de ma poche, et m'emparais d'un lourd mouvement du porte document qui stagnait depuis hier soir sur la table basse. Le coinçant sous mon bras, je m'Ă©vertuais en mĂȘme temps Ă consulter l'Ă©cran de mon portable, et je pus bien voir que je ne m'Ă©tais pas trompĂ©. Les journaux en ligne et les informations ne parlaient que de la fusillade et beaucoup accusaient Tasnim, certains mĂȘme moi avec. Mais pourtant, lorsque j'Ă©tais sorti, les Ă©miratis avaient eu l'air calme, loin d'ĂȘtre effrayĂ©s ou mĂȘme apeurĂ©s, alors que l'Ă©vĂšnement s'Ă©tait dĂ©roulĂ© non loin de lĂ oĂč je m'Ă©tais rendu, et personne ne semblait avoir rĂ©ellement entendu quoi que cela ne soit.
Ăa me paraissait Ă©trange. Je fouillais un peu plus les articles et les vidĂ©os informatives, Ă la recherche de preuves concrĂštes de l'action. Il y avait quelques photos, et mĂȘme vidĂ©os, mais aucune ne montrait clairement Abu Dhabi et ses dĂ©cors. C'Ă©tait Ă©trange, ou seulement me montais -je la tĂȘte pas peur d'avoir de vĂ©ritables problĂšmes ?
Une chose Ă©tait sĂ»re : cette affaire Ă©tait Ă creuser, soit on ne voulait pas choquer le peuple, soit on lui mentait. Parfois, c'Ă©tait mĂȘme les deux, mais quoi qu'il arrive, il y avait une vĂ©ritĂ© Ă savoir derriĂšre tout cela, une information capitale Ă©tait souvent dissimulĂ©e. Machinations ou rĂ©alitĂ© ? Mon esprit tendait Ă croire Ă la machination, probablement Ă mon encontre et Ă celle de Tasnim, mais il Ă©tait aussi plausible que ce soit la vĂ©ritĂ©, et que cette soi-disant fusillade ait vraiment eu lieu.
Pour le moment, je me devais de laisser ça de cÎté. J'allais devoir plaider aux Pays-Bas, et y accompagner Tasnim, l'emmenant à Ad-Dawla Al-Khafiyyah, le réseau mafieux maghrébin et arabe de la Hollande, un des plus célÚbres et dangereux de son milieu.
Il fallait moi aussi que je me prĂ©pare, comme je l'avais ordonnĂ© Ă Tasnim, pour les dix jours que je passerais lĂ -bas. J'avais des dossiers Ă traiter, notamment un, et des vĂȘtements Ă emporter avec moi Ă l'autre bout du monde.
Je descendais Ă mon bureau, mes pas rĂ©sonnant dans les couloirs et escaliers rythmant mes pensĂ©es. J'apprĂ©ciais en mĂȘme temps la beautĂ© des lieux, j'y avais fait accrocher tableaux et calligraphies, dans des styles assez modernes, mais qui alliaient les cultures bĂ©douines, arabes et maghrĂ©bines. Notamment dans ces escaliers -lĂ , dont les murs gris Ă©taient dĂ©corĂ©s de calligraphies en arabe, faites de colle ainsi que de feuilles d'or. Sur toute une paroi, Ă©tait Ă©crit " Al-Hakikah" et sur celui d'en face quelques phrases, qui consistaient en proverbes et citations d'origine arabe.
Finalement, je revenais Ă mon bureau, que j'avais quittĂ© ce matin. Je ne me souvenais pas l'avoir laissĂ© dans un tel Ă©tat. J'Ă©tais plutĂŽt bien organisĂ©, sauf dans la prĂ©cipitation, et lĂ , des feuilles volaient et jonchaient mĂȘme le sol. Deux pochettes contenant des dossiers juridiques n'attendaient que moi pour ĂȘtre dĂ©poussiĂ©rĂ©es et servir Ă quelque chose. Je m'approchais du meuble sur lequel elles reposaient paisiblement, soit le bureau de ma salle. Il me semblait vide, ce qui attirait mon attention, la captant mĂȘme. Ma lampe Ă©tait restĂ©e allumĂ©e, je l'avais dĂ©jĂ notĂ© ce matin. Mais elle Ă©tait allumĂ©e dans le vide, pourtant j'avais lu la veille. Mais lu... ?
Je savais. Il avait disparu. Le journal de Tasnim Sariya avait disparu de mon bureau, Ă moi, Ryan Ben Sayour. On y Ă©tait venu l'y prendre, Ă moins que ce ne soit elle-mĂȘme qui l'ai fait, mais quoi qu'il arrive on avait pĂ©nĂ©trĂ© dans mon bureau afin de me le dĂ©rober.