Tout semblait calme aux premiers abords, la nuit suivait tranquillement son cours au manoir Lockart. La journée avait été chargée pour tout le monde. Le repos était donc attendu avec impatience. Mais une aura préoccupante planait sur la route pour arriver à la maison. Des personnes de toutes couleurs, tous âges, tous sexes, mais toutes avec la même inquiétude et peur dans les regards.
Au milieu de cette troupe se trouvait un homme qui, contrairement aux autres, semblait agacé, voire même énervé de devoir rejoindre, avec tous ces inconnus, le refuge qui semblait au bout du voyage. Devoir tout laisser du jour au lendemain n’était pas dans ses habitudes. Mais cette fois, c’était nécessaire, même vital, de fuir, ne serait-ce que pour quelques jours.
Toute la foule avançait plus rapidement dans un bruyant remous lorsqu’elle vit le manoir à quelques mètres d’eux. Le lieu, qui était d’aspect calme, finit par accueillir un terrible fracas. Tout le manoir se mit à trembler, des cris, des pleurs ainsi que des voix fusaient dans tous les sens derrière les portes de la maison. L’homme à la chevelure semblable à du feu tentait de se dégager tant bien que mal de cette marée humaine déchaînée.
Les portes étaient prêtes à exploser si la force magique du domaine ne les soutenait pas. Bartholomew descendit les marches à toute vitesse, il avait entrevu par les fenêtres de son bureau la vague de créatures. Personne ne savait ce qui se passait dehors, mais avec un tel vacarme, il fallait envisager le pire.
— Maître ! dit une voix féminine dans le fond du couloir.
En haut des escaliers principaux, Sotiras observait le Maître, vêtu de sa robe de chambre. L’incompréhension se lisait dans son regard.
— Tout va bien, cherche Ezra, inutile d’inquiéter tout le monde, répondit-il d’une voix relativement calme.
La jeune femme hocha la tête et se précipita vers la chambre de l’angelot, croisant dans les couloirs sa jeune collègue qui l’interpella.
— Sotiras ? Mais qu’est-ce qu’il se passe ?
— Je... je n’en ai aucune idée... Le Maître est en bas, regarde s’il y a besoin d’aide. Je cherche Ezra, on se rejoint dans le hall !
— D’accord !
La rouquine hocha la tête, ni une, ni deux, elle rejoignit le propriétaire en bas.
Quand le blond vit la seconde demoiselle, il ressentit comme une sorte de soulagement inexplicable.
— À la vue de ce qu’il nous attend dehors, je pense qu’il faudrait réveiller les gobelins, mademoiselle. Il y a une immense force magique dehors, et des bras vont être utiles.
— Bien, Monsieur !
La jeune femme hocha à nouveau la tête face au blond. Ils échangèrent un regard furtif avant qu’Eileen parte dans les appartements des gobelins. Non loin de là, Sotiras toqua frénétiquement à la porte de son ami angélique. Étant connu pour son sommeil de plomb, il n’y avait pas d’autre choix que de tambouriner à la porte. Mais à force d’entendre sa porte prête à tomber, il n’eut d’autre choix que de se lever.
— Ezra ! EZRA BON SANG ! Réveille-toi !
— J’arrive... j’arrive...
Il ouvrit la porte dans sa tenue la plus simple.
— Sotiras ? Qu’est-ce que tu fais là ? Je te manque déjà ? dit-il tout en appuyant son bras à l’encadrement de la porte, un sourire charmeur en coin.
Un bas de pyjama recouvrait le bas de son corps, mais si on remontait, plus aucun tissu ne recouvrait son torse. Elle avait un total aperçu sur les lignes de ses abdominaux, ce qui la déconcertait complètement.
— Je... euh... je... enfin... Enfin il faut...
Elle bafouilla avant de reprendre ses esprits.
— Il faut qu’on aille aider le Maître, Ezra !
— Que se passe-t-il pour que le Maître ait besoin de nous à une heure pareille ? dit-il tout en prenant un haut avant d’emboîter le pas de son amie.
— De ce que j’ai senti, il y a un problème dehors, une énorme vague de magie. Même Eileen s’est réveillée avec les bruits de la porte. Je pense que le Maître l’a envoyée réveiller les gobelins !
Tout le monde était enfin réuni en bas, prêt à découvrir ce qui se tramait. Le fracas ne s’arrêta qu’au moment où la porte s’ouvrit, laissant apparaître le Maître. Il n’était pas prêt à voir les centaines de personnes face à lui. Mais pour éviter tout problème, une barrière magique les séparait. De sa voix portante, il demanda :
— QUE LE GUIDE S’AVANCE !
La foule arrêta de se mouvoir et le brouhaha général se calma quand la voix retentit parmi eux. Le silence était maître à présent, tandis qu’un homme s’approchait. Il n’avait pas l’air confiant, mais il semblait que personne d’autre ne l’était. Personne, sauf cet homme à l’air arrogant et aux cheveux particuliers. Celui-ci était adossé contre un arbre, observant la scène qu’il trouvait particulièrement pathétique. Il était curieux de voir s’ils allaient tous se faire virer de la propriété.
— Nous ne sommes pas méchants, Monsieur... Monseigneur... Milord... Euh... Monsieur ? fit l’homme présentement face à Bartholomew, mais d’une voix quasiment inaudible.
— Je suis désolé, mais je ne comprends pas un traître mot de ce que vous dites. Pourquoi êtes-vous ici ? Surtout à une heure si tardive ?
Alors que l’homme se confondait en une ridicule forme de politesse, Kallias roula des yeux avant de s’approcher, visiblement agacé de voir un tel incapable parler au propriétaire des lieux. Il le bouscula légèrement avec arrogance pour lui faire comprendre de lui laisser sa place, ce que l’homme fit immédiatement, totalement désemparé.
— Les chasseurs sont de sortie, plus dangereux que jamais, commença Kallias. Ils ont déjà tué une quinzaine des nôtres, et apparemment ils ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Les villes sont piégées, surveillées, et il nous est impossible de savoir si nous pourrons les vaincre tant que nous n’aurons pas trouvé un refuge pour nous organiser. Vous êtes le seul à être isolé de tout, isolé des villes et des villages, isolé des populations humaines. Nous vous demandons une seule chose : un asile, le temps que nous réussissions à régler la situation.
Malgré son beau discours, Bartholomew observait le dédain dans les yeux de son interlocuteur, comme s’il était persuadé de pouvoir s’en sortir sans l’aide de personne. Son discours était bien ficelé, assez pour que la foule recommence son vacarme. Certains revendiquaient l’asile demandé par cet homme, d’autres disaient qu’il avait raison. Un beau manipulateur dans toute sa splendeur, comme lorsqu’il était devant les tribunaux. Le blond comprenait rapidement l’ampleur du danger. Cela faisait un moment qu’autant de gens n’étaient pas arrivés. La dernière fois que cela s’était produit, c’était lorsque les gobelins avaient trouvé refuge. Eux aussi avaient été chassés, par sûrement les mêmes individus, avec une soif de sang. Il fallait donc être rapide et vigilant. Les ordres ne tardèrent pas à être donnés.
— Que les familles se mettent à gauche, les femmes seules à droite et les hommes au milieu. Des chambres vont vous être attribuées, ainsi que des dortoirs. Malheureusement, en dix minutes, je ne peux créer davantage de chambres. Nous verrons demain pour vous reloger plus convenablement. Je ne laisserai personne tuer les miens. Veuillez, s’il vous plaît, garder votre calme et suivre la personne que je vais vous attribuer. D’ici une vingtaine de minutes, un repas chaud sera déposé dans vos chambres.
À ces mots, la foule commençait à s’organiser. L’homme à l’arrogance inébranlable eut un léger sourire de satisfaction quand certaines personnes vinrent le voir pour le remercier d’avoir pris la parole pour eux. Pantins ; tel était le mot qui définissait pour lui cette population éphémère sur laquelle il avait gagné une confiance bête et simpliste. Ce qui lui permettait sûrement de profiter de nombreux avantages durant son asile. Mais dans son incroyable narcissisme, il ne remarqua pas que le Maître l’observait.
— Mademoiselle Eileen ? Je vous confie les familles, fit l’homme en se tournant vers son personnel, veillez à ne brusquer personne. Je pense que tout le monde est assez en panique et que les nerfs sont à vif.
— Comptez sur moi, Maître, répondit la demoiselle avec un léger hochement de tête.
Il continua ainsi avec Sotiras et Ezra. Les nouveaux arrivants entraient au fur et à mesure, suivant chacune des trois personnes. Eileen ne put s’empêcher de jeter un dernier regard en direction du blond avant de quitter le hall. Mais quand l’homme au beau discours passa à côté de lui, il lui murmura :
— Ça ne sert à rien de commencer ce jeu avec moi, Kallias.
L’homme dont le nom venait d’être dévoilé fut d’abord surpris, avant d’arborer un sourire incontrôlable, entre fierté et malsain.
— On dirait bien que mon nom est également populaire ici, à ce que je vois.
Il posa une main sur l’épaule de Bartholomew.
— Ne vous en faites pas, Monsieur le comte. Je n’ai besoin que de vous pour me loger, pour le reste, je me débrouille. Vous n’aurez qu’à prendre ma part du repas, je vous l’offre.
Il le laissa alors là, rejoignant le groupe au dortoir des hommes, satisfait de cet échange. “Décidément, ce manoir a bien plus de potentiel qu’il n’y paraît”, pensa-t-il. Il comptait bien s’amuser.