"La criminologie vise à comprendre les causes du comportement criminel et les moyens d'y répondre, à travers une analyse pluridisciplinaire."
— Pierre Landreville
1. Esquadrão criminoso
Leïla.
22 octobre 2024
9h02
Siège nacional de la Polícia Judiciária, Lisbonne, Portugal.
Le rythme de talons frappant les pavés de la rue me suit jusqu'à l'entrée de mon terrain de jeu.
Devant moi se dresse un imposant bâtiment à la façade en damier, alternant des plaques claires et sombres, comme si le béton avait voulu jouer aux échecs avec le ciel. Les fenêtres, irrégulièrement placées, ressemblent à des cicatrices de lumière sur ce corps de béton moderne. Massif, anguleux, presque froid dans son allure, l'édifice donne cette impression d'autorité silencieuse – le genre d'endroit où les secrets murmurent derrière chaque mur.
Et pourtant, pour moi, ce n'est ni intimidant ni austère. C'est meu covil (mon repaire). Mon point d'ancrage. Mon terrain de jeu.
En tant qu'étudiante en criminologie, j'ai toujours eu la chance de pouvoir contribuer à certaines enquêtes ici. C'est un mélange entre théorie et pratique, un terrain d'apprentissage aussi fascinant que réel.
Je passe l'entrée tout en saluant Gina qui accueille les plaignants pendant les heures d'ouvertures et pars en direction du département qui m'a été assignée.
La forte odeur réconfortante du café emplit l'air. Des bruissements de feuilles que l'on empile se font entendre de part et d'autre de la salle, donnant un rythme, un tempo à suivre pour ce début de journée.
Certains des inspetores (inspecteurs) s'affairent à la classification de documents ou encore s'acharnent sur cette pauvre machine à "carburant", aussi appelée dans le langage courant "machine à café", qui ne fonctionne plus très bien ces derniers jours.
—Dans la lune, Vasconcelos ? m'interpelle une voix que je suppose être celle de Ramirez.
Je lui jette un petit coup d'œil et...
Bingo !
Il est assis de façon décontractée, les jambes écartées, la tête reposant contre le dossier de sa chaise de bureau et les bras posés sur les accoudoirs tandis qu'il s'amuse à tourner avec cette dernière.
Encore postée à l'entrée de la pièce, je me tourne totalement dans sa direction.
—Olá Ramirez ! Heureuse de te revoir, j'ai super bien dormi si tu veux savoir, et je vais bien, merci de demander, dis-je sarcastiquement avant de lui lancer un clin d'œil en m'élançant jusqu'au bureau que l'on m'a mis à disposition cette semaine.
Occupée à sortir mes affaires, je l'entends ricaner avant qu'il ne se propulse jusqu'à moi, toujours assis sur sa chaise.
Âgé de 34 ans, il a ce sourire contagieux et une humeur qui ne se dément jamais. Toujours prêt à sortir une blague ou à dire une connerie, il fait partie de ceux qui rendent la PJ un peu moins sérieuse. Il est comme un grand frère un peu encombrant, et on se comprend sans même avoir besoin de beaucoup de mots. Même si j'ai parfois l'impression qu'il me prend un peu trop pour une gamine, je sais qu'il me couvre toujours quand ça compte.
— Qu'est-ce qui est prévu aujourd'hui, mademoiselle le prodige ? me lance-t-il, me faisant lever les yeux au ciel, un léger sourire en coin se dessinant sur mon visage.
— On ne m'a pas encore proposé de dossier sur lequel travailler, donc je suppose que je peux traîner encore un peu... ou continuer à chercher le sujet de ma thèse à faire, expliquai-je en retirant ma veste, avant de me laisser tomber sur ma chaise. J'irai voir Catarina dans quelques minutes je pense...
Il acquiesce doucement en se pinçant les lèvres avant de s'éloigner pour retourner à sa place et allumer son PC.
—D'ailleurs, me relance-t-il, il est possible que la chefe ne soit pas disponible quand tu iras la voir.
— Ah bon ?
— Sim, il y a deux mecs, des anglais apparemment, qui sont arrivés tôt ce matin et ils voulaient lui parler dans son bureau... Ils n'en sont toujours pas sortis d'ailleurs, m'éclaire-t-il.
— Está bem!... Attend... Des anglais ? tiltais-je.
— Agence de la protection de l'État...un truc du style..., m'explique t-il en tournant sur sa chaise, les mains croisées derrière la tête.
Je fronce légèrement les sourcils. Une visite officielle à cette heure-ci, de bon matin, sans prévenir personne ?
— Et ils ont dit ce qu'ils voulaient ?
Une mission top secrète ?
En mode James bond ?
— Curieuse ? me lance-t-il un sourire en coin, le sourcil gauche relevé.
Oui.
Totalement.
Mes lèvres se pincent involontairement avant que je ne retourne la tête vers mon ordinateur qui vient de se lancer (oui il est lent).
— Pas le moins du monde ! mentis-je, tentant de plus me convaincre moi même que ce brincalhão de Ramirez.
Bien sûr que si !
Il secoua la tête, un sourire en coin, avant de replonger dans son travail.
*****
Relevant la tête de mon ordinateur, je m'étire longuement, mes muscles encore engourdis. Puis je me lève et me dirige vers le bureau de la cheffe.
J'allais frapper quand la porte s'ouvre brusquement. Un homme déboule, me heurte sans un mot, puis disparaît aussi vite qu'il est apparu.
— Estúpido ! soufflai-je en remettant mon haut en place.
Je lève les yeux... et me fige. Un homme se tient face à moi.
Il a un visage doux et harmonieux. Des traits fins, un nez droit, des lèvres bien dessinées. Il porte de fines lunettes rondes qui lui donnent un air studieux, presque sage. Ses cheveux bruns, légèrement ondulés, encadrent naturellement son visage. Dans ses yeux, on devine une intensité tranquille, un calme qui s'impose sans hausser le ton.
Il porte un col roulé noir, simple mais diablement efficace. Les manches sont retroussées, révélant les tatouages qui serpentent sur ses avant-bras. Les mains dans les poches, il dégage une assurance nonchalante, un subtil équilibre entre détachement maîtrisé et charisme brut.
C'est bon...
c'est mon heure.
Dites à mes parents et mon chat que je les aime.
Adieu monde cruel !
— ...son intention, dit-il d'une voix posée.
— Pardon ? fis-je, n'ayant pas saisi le début.
— Je suis désolé qu'il vous ait bousculée. Ce n'était pas dans son intention, répéte-t-il dans un portugais approximatif.
Je reste un instant silencieuse, plus intriguée par lui que fâchée par la bousculade.
Sa voix est calme, posée.
Je dirais même apaisante...
Son accent est maladroit, mais ce n'est pas ça qui retient mon attention.
Il s'est redressé un peu trop droit, comme s'il voulait se donner une contenance. Sa mâchoire s'est brièvement contractée après qu'il a parlé, et il évite soigneusement mon regard — du moins, jusqu'à ce que je tourne la tête. Là, je sens son regard glisser vers moi. Fugace. Presque involontaire.
Intéressant.
Il s'est frotté discrètement le pouce contre son annulaire, un geste nerveux que j'ai déjà vu chez des témoins mal à l'aise.
Il a réfléchi à ses mots avant de les prononcer, et je suis presque certaine qu'il s'est corrigé intérieurement en cours de route.
Il est gêné.
Pas seulement parce que son portugais est approximatif — ça, à la rigueur, il aurait pu s'en moquer. Non. C'est autre chose. Plus intime. Plus contrôlé.
Je l'observe du coin de l'œil, dissimulant mon intérêt derrière un demi-sourire.
On dirait qu'il a voulu bien faire. Qu'il s'est forcé à parler ma langue.
Et ça, ça en dit long.
— Oh ce n'est pas si grave ne vous en faites pas ! répondis-je perturbée.
Si ça ne tenait qu'à moi je l'aurait quand même engueuler...
Il penche la tête sur le côté à la suite de ma réponse.
c'est mignon...
— ha oui, pardon.Ce n'est pas grave ne vous en faites pas... repris-je en anglais, un petit sourire se dessinant sur mon visage.
— Oh... lâche t-il en passant sa main dans ses cheveux, comprenant enfin ce que je venais de dire.
— Veuillez m'excuser je dois m'entretenir avec Catarina... Donc... à la prochaine ? Peut être ?
— Oui bien sûr... Au revoir... répond-il avant que je ne me décale pour le laisser partir.
À son passage, une douce odeur musquée, boisée avec une légère touche de... vanille ?
(Bon sang, ça sent bon !)
Parvient à mes narines.
Même son odeur est rassurante...
Je le regarde donc s'éloigner quand un homme lui saute dessus. Et pas doucement. Non, on dirait qu'il a pris de l'élan dans le couloir, si bien qu'on les voit basculer derrière la porte vitrée.
Je pense qu'il y en a un qui n'attendait que ça...
Je ricane dans mon coin avant de toquer, une bonne fois pour toutes, contre la porte du bureau.
— Entre minha linda ! m'appelle Catarina.
La porte s'ouvre sur un capharnaüm maîtrisé. Des piles de dossiers plus ou moins stables trônent sur le bureau en bois massif, envahissant aussi les chaises libres et même le rebord de la fenêtre. Une tasse de café à moitié vide côtoie un cactus en pot qui a l'air de lutter pour sa survie. Quelques post-it colorés s'accrochent désespérément au bord d'un écran d'ordinateur, tandis qu'un tableau blanc derrière Catarina est couvert de noms, de flèches et de dates, griffonnés à la hâte.
Et au centre de ce joyeux bazar, Catarina. Debout, les manches retroussées, en train de maintenir une tour bancale de documents comme si sa vie en dépendait.
— Besoin d'aide ? demandai-je en m'avançant vers elle.
— Non, ne t'en fais pas ! Je me débrouille... Tu vois ! s'exclame-t-elle, les mains posées sur ses hanches, fière d'avoir réussi à faire tenir la pile.
— Autant pour moi... répondis-je avant de ricaner en voyant la pile tanguer très fortement sur le côté.
Suivant mon regard, elle s'assoit et souffle en voyant la pile s'effondrer.
— Je ramasserai plus tard, ne t'en fais pas, Leïla... s'empresse-t-elle de me dire en me voyant me baisser pour les ramasser.
Je ne l'écoute pas et rassemble les feuilles en deux piles distinctes : les rapports d'un côté et les dépositions de l'autre.
— Trop tard ! Je me redresse toute contente d'avoir pu lui éviter cette corvée et dépose les paquets côte à côte.
— T'es tellement teimosa (têtue)... dit-elle presque désespérée en se pinçant l'arête du nez.
— Peut-être... Mais je suis géniale ! lançai-je avec un clin d'œil. Bon, plus sérieusement, je voulais savoir si tu pouvais, sur un malentendu, puisque je suis la petite protégée du département...
— Quel truc encore un peu interdit tu vas me demander ? m'interroge-t-elle, les mains croisées sur son bureau.
— D'anciens rapports...? Rien de bien méchant, bien sûr... juste ceux sur les gangs et les sectes... La routine, quoi... dis-je, tentant d'avoir un air détaché.
— Tu sais très bien que je ne peux pas tout ressortir sous prétexte que tu veux les lire, hein ? Surtout qu'à la base, si je me rappelle bien, tu n'es pas officiellement employée ici, hmm ? m'explique-t-elle en s'installant contre le dossier de sa chaise.
— C'est pour ma thèse de fin d'année ! J'aimerais travailler sur les dynamiques de manipulation au sein des organisations criminelles...
— Ton père a gardé les trois quarts des affaires de ses trente-cinq dernières années... Demande-lui, il pourra sûrement te les ressortir, m'indique-t-elle. D'ailleurs... comment va-t-il depuis...
— L'accident ? Tu peux dire le mot, hein, on ne va pas en faire une maladie. Il va plutôt bien... Même si, j'avoue, le fait qu'il ait dû prendre sa retraite anticipée n'a pas facilité les choses. Il arrive de nouveau à marcher avec sa nouvelle prothèse ! lui expliquai-je, souriante.
— Je vous inviterai à la maison un de ces jours... Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vus, me répond-elle, l'air nostalgique.
D'ailleurs...
C'était qui les hommes qui sont sortis de son bureau ?
— Toi t'as encore une question à me poser, lâche Catarina, sûre d'elle.
— Peut-être bien que oui...
— Allez, dis-moi tout, me répond la quinquagénaire, le menton appuyé sur ses doigts croisés.
— Bon ok, Ramirez m'a dit que des agents de la protection de l'État anglais étaient arrivés très tôt ce matin... En allant à ton bureau, l'un d'eux m'a bousculée, s'il ne s'était pas enfui, je pense que je lui aurais appris les bonnes manières, d'ailleurs... Bref, ce n'est pas le sujet. Et en me retournant, un autre homme, avec des lunettes, était face à moi, il était très charmant d'ailleurs, et très poli ! Bref, je m'éloigne encore... Qu'est-ce qu'ils viennent faire au Portugal ? Lâchais-je d'une traite.
Je relève la tête vers elle et remarque un sourire amusé sur son visage.
— Tu l'avais senti venir, hein ?
— Non... Bon, en fait si, mais on va faire comme si de rien n'était, répond-elle avec un clin d'œil.
— Et du coup ? Demandai-je, curieuse.
— Secret d'État ! Je ne peux rien te dire, minha linda, déjà que tu viens ici depuis tes 11 ans alors que....bon. désolée...
— Ne t'excuse pas, c'est logique après tout, la rassurai-je.
Bon, j'avoue que je suis déçue...
Légèrement...
Bon ok, beaucoup !
Je voulais le potin !
Le croustillant !
Je baisse le regard vers ma montre et commence à me lever.
— Je dois y aller Catarina ! Papai está me esperando ! (Papa m'attend). Tu le connais, les repas en famille c'est du sérieux !
Je m'approche d'elle, la prends dans mes bras et me précipite vers mon bureau.
— Je dois y aller, Ramirez, je suis en retard ! Beijos ! Dis-je en prenant mes affaires à la volée.
— Embrasse tes parents de ma part, Leï ! Je l'entends me prononcer de loin.
Ce à quoi je lui réponds par un pouce en l'air avant de finalement passer la porte du département en direction de la sortie.
•••••
Coucou ! 😊
Bon, parlons peu, parlons bien.
J'ai pris beaucoup de retard pour écrire ce chapitre, je l'avoue.
MAIS ce n'est pas de ma faute !
Mon ordinateur ne voulait pas coopérer 💀 (en fait, c'est plus Google Docs, mais mon ordi aussi m'a bien embêtée).
Bref,
Qu'est-ce que vous en pensez ?
Personnellement, je flex un peu pour certaines descriptions.
Oui, je prends le melon. 🍈
J'espère juste que vous allez adorer tout autant que moi la petite Leïla.
D'ailleurs, c'est qui ce couillon qui l'a bousculée ?
Oh, et le brun à lunettes... Je vous avoue qu'en pensant à sa tenue, j'étais comme ça 😏.
On aime les cols roulés ici.
Bon, sinon, je vous fais de gros poutous et à la prochaine ! 😉