—Turner ? Je le relâche et range d’un mouvement fluide mon arme. Putain ! Tu es vraiment con ma parole, tu aurais pu me dire directement que c’était toi, j’aurais pu te buter !
—Oui, mais ce n'est pas ma faute, si hier soir tu avais eu l’idée de me dire que tu étais en fait Lidélia, je ne t’aurais pas caché mon identité au lycée !
—J'ai mes raisons. Et arrête de m’appeler par mon nom, la colère est palpable dans ma voix.
—Pardon ? Je t'appelle comment au lycée ? Je ne vais tout de même pas t'appeler par ton nom de Jikkens.
—Tu peux faire comme les autres au manoir, tu m'appelles Lidi ou comme tu veux, mais pas mon prénom, la couleur blanche sur mes pointes est un peu plus visible.
—À oui ? Et ça fait quoi si je t'appelle encore Lidélia ? Ça n'avait pas l'air de te déranger tant que ça jusqu’à maintenant.
—Cacher ce que l’on ressent vraiment est plus facile à faire qu’on ne le pense.
—Tu donnes réellement l’impression de détester entendre ton prénom sortir de la bouche des autres.
—La ferme ! Une lueur de rouge traverse mon iris. Les mèches blanches ont atteint la moitié de ma chevelure.
Ekos recule d'un pas en remarquant le changement étrange de mes cheveux. A-t-il compris qu'il a touché une corde sensible ?
J’ai conscience que mon irritation prend légèrement le dessus sur moi, je choisis de partir de la ruelle et je cours jusqu'au manoir sans dire un mot. Quand je me trouve en plein milieu de la forêt, je m’arrête. Si je ne me trompe pas, je devrais être à une dizaine de minutes du manoir. Je monte sur d'un arbre et m'assois sur une branche.
Ekos
Me voilà seul dans cette ruelle, Lidélia disparaît au loin, sa silhouette avalée par l’ombre des bâtiments. Je n’avais pas pensé que ça prendrait une telle tournure. Il y avait ses cheveux… et aussi cette lueur dans ses yeux… Je me demande si j’ai bien fait ? Elle avait l’air bien énervée… Il faudra que j’en parle à Olivier en rentrant. Elle saura peut-être me dire ce qui a pu provoquer une réaction aussi vive.
Je marche pour rentrer en prenant un autre chemin pour éviter de la croiser. Après une dizaine de minutes à marcher sans tomber sur Lidélia, j’arrive devant l’imposante entrée du manoir et à peine la porte ouverte, je tombe sur Olivier, son visage fermé, le pied qui tape en continu sur le sol et ses bras croisés. Pas besoin d'être un génie pour deviner qu'il est là depuis un bon moment.
—Te voilà enfin ! Elle est où, Lidi ? Qu’est-ce qui t’a mis autant de temps à rentrer ?
—Salut, Olivier… content de te voir aussi.
—Répond à mes questions.
—J’ai causé un petit contretemps
—Qu’est-ce qui s’est passé ?
Sans hésiter, je raconte tout ce qui est arrivé dans les moindres détails. Le visage d’Olivier reste impassible tout au long du récit, tout ce qu’il fait, c'est de se pincer l’arête du nez.
—Putain, on aurait dû vous prévenir dès le début…
—Mais pourquoi elle s'est mise en colère ? Je me pose juste la question.
—Elle a ses raisons, mais ce n’est pas à moi de t’en parler.
—D'accord, je comprends.
—Bon, je vais demander à Silius d’essayer de communiquer avec B-S. Pendant ce temps, tu vas dans ta chambre. J'aimerais éviter que tu la croises.
Je hoche la tête et monte directement dans ma chambre sans me poser de questions.
Lidélia
Je suis dans ma bulle, perdu dans un océan de pensées, trop concentré sur ma respiration superficielle pour avoir une quelconque notion du temps. Je n’ai pas le moindrement bouger depuis que je me suis installé sur cette branche.
Ce moment de trans fini par être interrompu par la voix de Silius dans mon esprit.
— Lidi, ça va ? Je peux savoir où tu es ?
—Oui, je vais bien. Je me suis posé dans un arbre, je pense que je ne suis pas très loin du manoir.
—D’accord, Ekos nous a raconté ce qui s'est passé. Rentre à la maison, qu'on puisse en discuter.
—J’espère que tu ne lui as rien dit.
—Ne t’en fait pas, on ne lui a rien dit, mon frère et moi savons que seule toi est en droit de lui en parler. Maintenant, viens, tout le monde t’attend.
—J'arrive, mais tu pourrais.
—Oui, ne t’inquiète pas, il est déjà dans sa chambre.
—Merci.
Je saute de mon perchoir et atterris lourdement, les pieds joints sur le sol. Je reprends le chemin en direction de chez moi sans plus attendre pour éviter d’inquiéter encore plus les autres. Arrivé devant la porte du grand manoir, je l’ouvre et suis directement accueilli par l’expression soulagé de Kate.
—Salut ma grande, vas-y rentre, en plus il commence à faire frais, elle se décale sur le côté pour me laisser passer. Tu nous as fait une bonne frayeur, on était vraiment inquiet.
—Excuse-moi, ce n’était pas mon but, j’avais juste besoin de rester un peu seule.
—Ne t’en fais pas, le plus important, c'est que tu sois enfin ici. Et aussi, Ekos est dans sa chambre.
— Oui, je sais. Papa Fleur me l'a déjà dit.
— Oh, c'est vrai que tu l’appelles comme ça, ça fait bien longtemps que je n’avais pas entendu ce surnom. Et en parlant de lui, il voulait que je te dise de le rejoindre dans ta chambre.
—D’accord, merci
Je prends les marches pour le rejoindre. En ouvrant la porte, je vois Silius qui regarde les quelques dessins qu’il y a d'accrocher sur le grands murs gris. Il finit par tourner la tête dans ma direction avec un sourire chaleureux.
—Tu dessinais bien quand tu étais gosse
—Je sais, tu me le dis tout le temps, mais mes nouveaux dessins sont bien plus jolis.
— Normal, si tu continues comme ça, tu finiras par devenir une très grande artiste. Mais si j’ai demandé à venir, ce n’est pas pour parler de tes dessins.
—Je suis posé que tu as certaines questions à me poser.
La transition entre son côté chaleureux et sérieux se remarque sans problème.
—Tu veux lui en parler ?
—Il n'a pas besoin d'être au courant.
—En entendant le ton de ta voix, je suppose que tu es encore en colère à cause de ce qui s’est passé. Tu n'aimes pas qu'on t'appelle comme ça, il sort un soupir lourd, mais discret, presque inaudible.
—Ouai… un peu.
Il dépose sa main sur mon épaule et me regarde droit dans les yeux.
—Lidi, je suis sûr que tu comprends qu’il ne pouvait pas savoir que tu détestais ton nom. Alors pourquoi tu t’es énervée et pourquoi encore maintenant ?
—Il m'a cherché, je lui ai dit d’arrêter de m’appeler comme ça, mais il m’a provoqué et l’a répété.
—Et quoi d'autre ? Je te connais, je sais qu’il y a autre chose.
—Je-, aucun autre mot ne sort de ma bouche, je baisse simplement la tête pour éviter son regard. Oui...
La main de Silius attrape mon menton et me force à le regarder droit dans les yeux. Son regard doux me provoque une sensation d'empathie à mon égard.
—J’ai peur… et si,
Sans avoir le temps de finir ma phrase, il me coupe la parole, sachant d’avance où je veux en venir.
—Ça ne se reproduira pas, avec mon frère, on a discuté de vous. Je peux t’assurer qu’il n’est pas comme lui.
Je laisse un instant de silence, je le regarde d’un air dubitatif. J’ai eu du mal à me le dire… c’est difficile pour moi après ce qui s'était passé la dernière fois… Mon esprit se mélange avec plusieurs pensées, et là, je me répète sa phrase en tête et blogue sur le « vous ».
—Comment ça discuter de lui et moi ?
—Ne t’en préoccupe pas, ce n’est rien d’important.
Sans que je puisse lui poser d’autres questions, Silius sort déjà de ma chambre, me laissant seul face à mes pensées. Plusieurs questions me travaillent l’esprit.
Je lui souris puis il sort de ma chambre. Je me pose dans mon lit. J'ai fini par me perdre dans mes pensées pendant une bonne période jusqu’à ce que je sois entrainée dans les bras de Morphée.
—Attention.
Ce simple murmure me sort de mon sommeil en sursaut accompagné d’une rapide respiration. Je me redresse comme par automatisme et regarde tout autour de moi. Après quelques secondes, je passe mes mains sur mon visage histoire de m’encré un peu plus dans la réalité tout en reprenant une respiration normale. Les faibles rayons lumineux qui passent à travers le verre de la fenêtre suffisent pour m’éblouir. Pas encore habitué à la luminosité, j’arrive légèrement à voir un coucher de soleil. Ciel d’un dégradé rouge-orange, quelques arbres devant, ceci donnant un magnifique paysage que je n’avais plus contemplé depuis bien longtemps. Très vite, je repense à mon réveil soudain, principalement à cette voix. Je suis un peu perdue, ne comprenant pas trop pourquoi ça et n’ayant pas la force de trop réfléchir dès maintenant, je décide de ne pas y porter une grande importance.
Je me lève de mon lit pour sortir de ma chambre. Dans le couloir, avant de descendre les marches, j’entends plusieurs voix rigoler, dont celle de Jessie et Nakako. Arrivé en bas, plus je m’approche du salon, plus le son des rires est fort. Les filles sont sur le canapé pendant que Mark et Benji sont installés en tailleur sur le sol en pleine partie de Call of Duck. Mon rire rejoint celui des filles en voyant Mark rager à cause de Benji, ce qui le met encore plus en rogne. Il finit par péter un câble et sauter sur Benji. Les échanges de coups sont d'une rare violence des deux côtés. La voix des filles qui encourage la bagarre en boucle se fait clairement entendre. Sans trop m’inquiéter, je rigole en les regardant, mais vu qu’ils n'ont pas l’air prêts à s’arrêter, je décide de m’approcher d’eux pour tout stopper, mais me prend un coup de poing perdu. Bon si en essayant doucement, ça ne marche pas, alors je vais m’occuper d’eux à la manière forte.
Ma main prend prise sur le couteau posé sur la petite table basse. Sans attendre plus longtemps, le couteau vole dans la pièce et frôle leurs visages. Ils sont comme mis en pose en fixant le couteau, dorénavant planté dans le mur. Mark tourne d’un coup son visage vers moi avec de grands yeux. Avant qu’il ne dise quoi que ce soit, il est coupé par mon ton agressif.
—Ils ont fini les deux couillons ?
—Excuse-nous, mais tu aurais pu nous embrocher !
Sérieusement ? Je roule des yeux en trouvant qu’il abuse un peu trop. Sans attendre de réponse de ma part, il continue de se plaindre.
—Y a d’autre moyen que de nous lancer une arme à la gueule?!
— À qui la faute ? C’est drôle deux secondes, mais vous avez vu l’exemple que vous montrez aux filles ?
Le visage de Benji et Mark est boudeurs. Je leur fais signe d’aller soigner leur blessure à la con chez Jenna avec une autorité qui n'a pas changé depuis ces dernières années. Sans broncher, ils marchent les pieds traînant sur le sol. J’appelle Jenna par pensées pour la prévenir de l’arrivée des garçons. Un silence règne dans mon esprit, j’essaye plusieurs fois de lui parler, mais toujours sans réponse. Parle-t-elle dans son esprit au moins ? Cette fois, au lieu de juste dire son nom, je lui explique ce qu’elle doit faire. Sans attendre, une réponse se fait enfin entendre dans mon esprit.
—Bah voilà, bref, Benjamin et Mark arrivent. Mark a pété un câble et a sauté comme un sauvage sur Benji après avoir perdu contre lui
—Quoi ? Encore ? C’est désespérant, je ne compte plus le nombre de fois où ils sont venus se soigner après leur histoire à la con.
Son commentaire arrive à me décrocher un rire, ça n’a pas changé depuis que j’étais partie. On discute encore un petit instant avant que Jenna soit interrompue par l’arrivée des deux zigotos.
Les petites discutent entre elles avant de se concentrer sur moi en me demandant ce qu'on peut faire. Après quelques réflexions, l’idée de regarder un film me traverse l’esprit. En leur proposant, elles acceptent sans hésitation. Pendant que je prépare le film à la télévision, les questions sortent de leurs petites bouches sans s’arrêter : c’est quoi l’histoire, ça fait peur, tu l’as déjà vu, il y a de la bagarre… Pour qu’elles arrêtent tout questionnement, je leur dis que c’est en le regardant qu’elles auront réponse à tout.
Le film se lance et les filles sont directement absorbées par celui-ci et moi avec. Nous passons par toutes les émotions, nous rigolons, les filles lâchent des petites larmes par moment, elles encouragent des personnages comme s'ils pouvaient les entendre au travers de la télé. Et à la fin, Jessie et Nakako sont choquées.
—Quoi!? Ce n'est pas possible !
—C’était elle la Muerte!
Un rire m’échappe face à leurs réactions, les deux me regardent avec de grands yeux. Leurs hurlements sur moi ce fond entendre, ce qui fait augmenter le volume de mes rires. J’essuie les quelques larmes qui perlent sur mes joues, et pendant que je me calme, je ressens une présence derrière moi.
—Au dodo, vous deux.
Les filles se lèvent et râlent, montant clairement leur mécontentement. En tournant ma tête, mon regard croise celui d’Ekos, ses yeux grands ouverts et sa bouche légèrement entre ouverte me prouvent son étonnement. Il reste comme ça pendant quelques secondes sans rien dire avant de secouer la tête et d’enfin sortir un son de ce qui lui sert de bouche.
—Tu es sortie. Olivier ne m’a pas prévenu.
—Oui, c'est normal, je n'ai rien dit.
Dans le salon, on pourrait entendre les mouches voler à l’intérieur du manoir. Perdu dans mes pensées, Ekos me ramène à la réalité en se raclant la gorge. Je le regarde immédiatement, intrigué par ce qu’il veut me dire.
—Tu n’as plus l’air d’être en colère contre moi.
Aucune réponse ne sort de ma bouche, il a raison. Je n’ai pas l’impression d’être en colère contre lui. J’essaye de sortir quelques paroles, mais c’est comme si mon propre corps bugués face à ma propre réaction. Je ne réagis pas comme ça d’habitude.
—Lidi, ça va ?
—Oui, excuse-moi. La fatigue me joue des tours.
—Tu devrais te coucher alors, il ne faudrait pas que tu sois trop épuisée demain, son timbre doux, presque affectueux est troublant.
Cette attention derrière ses paroles me fait remonter des pensées intrusives dans ma tête, des mauvais souvenirs du passé remontent à la surface. Je sens mon cœur s’emballer, accompagné de ma respiration un peu plus saccadée. En le regardant, j’y vois en un claquement de doigt Mefisto à la place d’Ekos, je ferme automatiquement les yeux pour ne plus le voir ça. Les images d’il y a cinq ans passent dans mon esprit, je me vois avec Mefisto, les bons moments avant les problèmes. Je me sens oppressée, ma main pressée sur ma poitrine à cause de l'impression de ne plus réussir à respirer. Avec tout ce chaos intérieur, j'entends la voix d'Ekos qui parle.
—Bloody, toute l’inquiétude se remarque dans sa voix immédiatement.
En ouvrant faiblement les yeux, je le vois s’approcher de moi, mais instinctivement, je recule. Les flashs de souvenirs ne s’arrêtent toujours pas, mais c’est avec l’un de ces flashs que mon cerveau comprend enfin ce qui m’arrive.
Une crise d’angoisse.