Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
MirandaFlanders
Share the book

Chapitre 9

Le lendemain matin, je me rendis de nouveau à la plage d'Ardnamairne, là où la mer m’avait presque engloutie quelques jours plus tôt. Je m'étais levée tôt, le cœur un peu plus léger, mais toujours marqué par cette sensation persistante de lourdeur. Le ciel était clair et l’air frais. Je m'assis sur le sable et observais les vagues qui se brisaient avec une régularité presque rassurante. Pourtant, à chaque mouvement de l’eau, je ressentais un malaise diffus, une sorte de barrière invisible qui m’empêchait d’être en paix avec ce paysage magnifique.

Les phoques, comme toujours, étaient là. J'apercevais leurs têtes qui surgissaient à la surface de l'eau, leurs yeux noirs et curieux fixés sur moi. Parfois, je me surprenais à me demander si ces créatures, dans leur étrange silence, n'avaient pas un secret qu'elles gardaient jalousement.

Je sursautai alors en entendant des pas dans le sable non loin, et tournai la tête pour voir Eoghan s’approcher, un sac à dos posé sur son épaule, vêtu d’une veste de cuir. Il semblait détendu.

— Que fais-tu ici ? demandai-je en plongeant mon regard dans celui, anthracite, de mon interlocuteur. Il avait vraiment quelque chose d’électrisant, une aura particulièrement charismatique qui ne me laissait pas indifférente.

— Je viens chercher des choses dont on a besoin à Muirbahn, répondit-il d’un ton calme, avant d’ajouter en observant mes gestes distraits, tu n’aimes pas la mer ?

Je baissai les yeux. Je n'avais pas vraiment de réponse prête, mais la question d’Eoghan me fit réfléchir. Un frisson parcourut mon corps, et eje me détournai lentement de lui, une expression mélancolique sur le visage.

— Ce n’est pas ça. C’est difficile à expliquer, répondis-je, cherchant mes mots. Quand je suis proche de la mer…, je ressens une tristesse, une douleur… C’est comme un poids, une pression qui monte en moi, comme si je n’étais pas autorisée à être ici. Je… je la sens comme un rejet, je crois. Peut-être qu’elle me rejette. Ou peut-être que c’est moi qui n’arrive pas à accepter ce qu’elle me fait ressentir.

Eoghan me regarda sans jugement, son regard intensifié par l’éclat du soleil matinal. Un moment de silence s’installa, avant qu’il ne s’accroupisse près de moi. Je sentis alors un parfum subtil se mêler à l’air frais de la mer lorsqu'Eoghan s’installa à mes côtés, sur le sable. C’était un parfum qui évoquait la mer et ses profondeurs, comme une brise salée chargée de l’odeur des embruns. Mais il y avait aussi quelque chose de plus complexe, de plus mystérieux. Un mélange boisé, presque chaleureux, qui rappelait l’écorce du cèdre, la richesse de l’ambre, et un soupçon de musc. Le sel de la mer se mêlait à ces notes terreuses, créant une fragrance à la fois sauvage et sophistiquée, presque intemporelle. C'était une odeur indéniablement masculine, mais pas envahissante.

— Tu sais, Eoghan commença en contemplant l’horizon, moi, je crois que la mer accueille tout le monde, dit-il doucement, presque pensivement, les yeux fixés sur l’horizon. Elle est bienveillante. Peu importe qui tu es, d’où tu viens, elle te prend avec elle. Elle est là pour toi, prête à t’embrasser. La mer ne rejette personne, elle t’accepte telle que tu es.

Je secouai doucement la tête, touchée par la conviction d'Eoghan, mais un doute persistait. De mon expérience, la mer n'était pas si accueillante. 

— Je n’en suis pas sûre. La dernière fois que j’ai voulu aller dans la mer, j’ai manqué de peu de me noyer…

Eoghan m’observa un instant d’un air pensif avant de se redresser, me tendant la main.

— Tu veux bien essayer quelque chose avec moi ? Si tu veux, on peut y aller ensemble. Juste un peu, et voir. Je t’accompagne. Pas de pression. 

Mais au lieu de répondre à sa proposition, mes sourcils se froncèrent et mes pensées s’échappèrent de mes lèvres.

— … Pourquoi es-tu si gentil avec moi ?

— Pourquoi pas ? Tu es nouvelle, ici, seule… J’ai envie de te tenir compagnie ? De faire connaissance ? Peut-être que ça ne fait pas sens pour toi mais tu m’intrigues. Très peu de nouvelles têtes arrivent dans le coin.

Je me levai alors doucement en prenant sa main, la réponse me convenant. Mais un sentiment de réticence naquit en moi à l’idée d’aller dans l’eau. J'avais peur, peur que la mer, cette fois, ne me laisse pas revenir. Mais je me forçai à avancer, à faire ce premier pas. Après tout, je ne pourrais jamais comprendre si je n’essayais pas. Je retirai mes chaussures et mes chaussettes, les laissant de côté, et mes pieds nus s’enfoncèrent dans le sable.

Eoghan hocha la tête, satisfait de ma réponse, et nous avançâmes lentement vers l’eau. La brise marine soufflait autour de nous et le sable collait légèrement sous mes pieds. Les vagues venaient doucement, et je sentais mon corps se tendre à chaque petit bruit de l'eau, à chaque mouvement du vent.

Quand l’eau atteignit mes chevilles, je m'arrêtai un instant, fermant les yeux, tentant de respirer profondément. L’eau était froide, vivifiante. Mais au fond, je me sentais vulnérable. La douleur que j'avais toujours ressentie, cette sensation étrange, persista, mais je ne savais pas vraiment pourquoi. Mon cœur battait plus vite, ma respiration s'accélérait, comme si quelque chose, au fond de moi, résistait à l'acceptation de cet instant.

— Respire, dit Eoghan d’une voix calme, la main toujours fermement dans la mienne. Chaude et réconfortante. Ressens. Laisse l’eau entrer, laisse-la te toucher.

J'hochai la tête et avançai davantage, jusqu’à ce que l’eau atteigne mes genoux, mais chaque inspiration semblait plus difficile. La douleur dans ma poitrine se fit plus forte, et je sentis une pression sourde derrière mes yeux, comme si l’air me manquait. Le sable sous mes pieds sembla se dérober, et je serrai encore plus fort la main d’Eoghan. Mon cœur battait si fort que je ne pouvais plus l'ignorer. L’eau froide m’enveloppait, et je me sentis soudain prise dans un tourbillon intérieur.

— Respire... répéta Eoghan, ses yeux ancrés dans les miens, mais je sentis que c’était trop. Tout se resserra autour de moi. La douleur, la pression dans ma poitrine, l’eau glacée, tout se confondait en un point noir, un vertige que je n’avais pas anticipé.

Je cherchai à prendre une autre inspiration, mais ma tête tourna. Ma vision se flouta et, avant que je n’aie eu le temps de réagir, je m’effondrai, tombant à genoux dans l’eau, mon corps tremblant et faible sous la douleur qui me traversait. 

Eoghan réagit aussitôt, me soutenant fermement, me soulevant presque pour me ramener sur le sable.

— Brune ? Brune, regarde-moi.

J'ouvris les yeux, la respiration haletante, ma tête encore en proie à la confusion. J'étais allongée sur le sable, l’air frais sur mon visage, mais tout semblait flou.

— Je suis désolé… Je ne savais pas que ça allait être aussi difficile pour toi, dit-il, sa voix brisée par l’inquiétude. Je ne pensais pas…, je ne pensais pas que ce serait si grave.

Je secouai la tête lentement, fermant les yeux un instant pour retrouver mes esprits. Mon cœur battait encore fort, mais un peu moins vite déjà. La douleur refluait à mesure que l'air amplissait mes poumons.

— Ce n’est pas de ta faute, murmurai-je, ma voix un peu faible. Je crois que… je dois juste y aller à mon rythme. La mer… elle me fait peur. Mais je vais comprendre. Pas maintenant… mais plus tard.

Eoghan se pencha au-dessus de moi, un regard de sincérité profonde dans les yeux.

— Je suis désolé de t'avoir poussée, ajouta-t-il quand même, sa main effleurant doucement la mienne dans un geste de réconfort. On n’aurait pas dû aller si vite. La mer… elle est là. Quand tu seras prête, tu pourras revenir. Je serai là.

Eoghan me regarda, une expression sincère de regret sur le visage, avant de hocher la tête lentement.

— On va y aller doucement, continua-t-il, un léger sourire aux lèvres. Pas de précipitation.

Il n’ajouta rien et le silence nous enveloppa doucement de longues minutes, avant qu’il ne l’interrompe lentement.

— Je crois qu'il serait bien que tu en parles à Malvina. Elle pourra peut-être mieux t'aider à comprendre tout ça. Et… je peux te donner un coup de main pour y aller. Il marqua une pause. Je vais rentrer à Muirbahn dans pas longtemps. Si tu veux, je peux t'y déposer.

Je réfléchis un instant puis acceptai. C'était une bonne idée que de parler de mon problème à Malvina, peut-être pourrait-elle me guider. Du moins, je l'espérais. 

— Ça me va. Mais je dois d'abord passer à l'hôtel récupérer quelques affaires.

Eoghan acquiesça d'un signe de tête et se redressa. J'en fis de même, époussetant mes vêtements avant de remettre mes chaussures. Je me sentais déjà un peu mieux, même si une certaine tension demeurait. 

—On se rejoint devant ton hôtel, d’accord ?

—Ça me va, à tout de suite !

Je le laissai là, sur la plage, retournant à l’hôtel rapidement. Une fois arrivée, je me dépêchai de monter dans ma chambre, arrivant à bout de souffle en haut. Je pris tout de même un moment pour respirer et me poser. Mes pensées se bousculaient encore après l’expérience sur la plage, mais la perspective d’en savoir plus me donnait une petite lueur d’espoir. Je ramassai mes affaires et retournai vers la sortie. Je saluai brièvement la gérante, puis me dirigeai vers la sortie. À l'extérieur, Eoghan m'attendait près de son pick-up, appuyé contre la voiture, les bras croisés, un air détendu sur le visage.

Je m'approchai, et dès que je montai à bord, le moteur du véhicule ronronna doucement, brisant le silence de la rue. La musique qui s’échappait de la radio apportait une touche de légèreté, comme un petit souffle de vie dans l'air frais de la matinée. Le trajet commença sur un ton calme, les paysages familiers de l’Écosse défilant sous nos yeux, entre montagnes escarpées et mer infinie. J'observai les vagues, mais cette fois-ci, la douleur n’était plus aussi présente. Je me sentais un peu plus sereine, comme si une partie de mon anxiété s’était dissipée.

Eoghan, toujours concentré sur la route, tourna son regard vers moi après quelques minutes de silence.

— Alors ? Comment tu te sens après tout ça ? Il me lança un sourire discret.

Je tournai la tête vers lui, un léger sourire aux lèvres.

— Ca va mieux. Et je ne t’en veux pas. J'haussai les épaules comme pour effacer la tension. Tu ne pouvais pas savoir que je réagirai aussi… fortement. C’est plutôt à moi de m’excuser.

—N’importe quoi.

Nous roulâmes tranquillement, le bruit du moteur et la musique commerciale diffusée à la radio remplissant l'espace. Le silence ne me dérangeait pas. Au contraire, je me sentais étrangement à l'aise, comme si la simple présence d'Eoghan rendait toute parole superflue. Il n'y avait pas de besoin urgent de faire du "small talk". Quelque chose dans son calme naturel et son aura tranquille me rassurait. Je me permis de me détendre, le regard perdu dans les paysages défilant à la fenêtre. Les montagnes, les vallées, et cette mer, toujours omniprésente...

La radio changea de station, passant à une mélodie traditionnelle écossaise. Les accords de violon, les rythmes de guitare, semblaient s’imbriquer parfaitement avec la quiétude du trajet. Nous roulâmes ainsi pendant de longues minutes, jusqu’à ce que les premiers signes du hameau de Muirbahn apparaissent à l'horizon, comme un tableau vivant. Le paysage se faisait plus intime, presque secret.

Lorsqu’Eoghan se gara devant la maison de Malvina, je sortis du silence à  mon tour.Je fouillai dans mon sac, pris délicatement le petit phoque en laine que j'avais crocheté, et le tendis à Eoghan sans même y réfléchir davantage. Le mouvement était naturel, comme une offrande silencieuse.

— Je voulais te remercier, dis-je, les yeux baissés un instant avant de lever le regard pour croiser le sien. Pour avoir été si gentil avec moi, pour m’avoir encouragée, et pour avoir voulu m’aider avec la mer. Ce phoque… J'hésitai un instant, comme si les mots me manquaient. C’est un phoque qui m’a sauvée, il y a quelques jours, quand je me suis retrouvée seule dans l’eau. Je crois que c’est grâce à lui que je suis encore là.

Eoghan me regarda un moment, sans doute surpris par mon geste ou mon cadeau soudain, mais un sourire mystérieux se dessina lentement sur ses lèvres. Il prit le petit phoque, le regardant avec une attention toute particulière, avant de répondre :

— C’est un geste touchant. Vraiment... Merci. Son sourire restait énigmatique, comme s’il y avait quelque chose qu'il ne disait pas, mais qui était bien là, entre nous.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet