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Suelnna
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Tu voleras de nouveau

Nouriya 

*

L’attaque a ébranlé l’organisation du palais et nous déambulons dans des couloirs vidés de leurs gardes. Seuls quelques serviteurs errent encore, l’air hagard, restant indécis sur la marche à suivre.

Nous reconnaissent-ils, Soan et moi ? Évidemment. Mais qui se demanderait ce que font la pupille et la favorite du Sultan ensemble à un moment pareil ?

Personne.

Nos pas, silencieux, mais hâtifs, nous emmènent dans le couloir qui donne sur le harem royal. L’ambiance est toute autre. Sur notre passage, aux alentours de l’aile où le prisonnier était maintenu en captivité, les braseros de l’extérieur ont été renversés et ont embrasé les objets ou les gens sur leur chemin. Une odeur de fumée s’est également propagée dans l’air, le rendant difficilement respirable.

Mais ici, dans le couloir du quartier des concubines, les effluves de parfums aux accents fleuris dont ont l’habitude de s’embaumer les femmes du harem flottent autour de nous.

Sont-elles toutes là-dedans ?

Je ne les connais pas bien, car mon isolement semblait plaire à Asmar, et rien n’était fait pour encourager un rapprochement entre nous, mais leur sort ne m’est pas indifférent pour autant. Je suis certaine qu’il y en a qui sont comme moi et rêvent des mêmes choses, mais disposent de moins de chance.

Même si je ne pourrai rien faire pour les aider, je tends l’oreille afin de capter des bribes de voix. Il faut croire que c’est plus fort que moi de vouloir être au courant du genre d’âmes que je laisse en proie aux flammes, le tout au nom d’un idéal.

Soan s’arrête devant un immense disque de bronze et lève sa lampe. La lumière, projetée par les motifs découpés dans le métal de la lucarne. Des ombres fleuries sont diffusées sur l’ouvrage, lui-même décoré d’arabesques qui s’entremêlent pour former une danse sans fin.

Soan n’a jamais accepté de me dire quel passage il avait découvert et qu’Asmar ne connaisse pas encore. Je n’en reviens pas qu’il se trouvait juste sous mon nez, puisque mes appartements se situent pile en face.

Un bruit d’objets qui s’écrasent au sol en s’entrechoquant me fait sursauter, me tirant ainsi de ma contemplation. Soan vient de lâcher son sac. Même si le moment n’est pas le mieux choisi, je ne peux m’empêcher de me questionner sur son contenu. J’opte cependant pour une autre approche :

— Tu crois sincèrement qu’il n’a jamais compris que cette immense chose qui encombre le couloir était l’entrée d’un passage ?

Il est vrai que je le découvre tout juste aussi, mais je n’ai jamais prétendu voler son trône à quelqu’un.

Soan laisse échapper un rictus :

— Eh non. La Dame ne lui en a jamais donné l’occasion. Et puis ce n’est pas qu’une immense chose. C’est la preuve de la magie qui habite ce palais. Un langage que ni toi ni moins ne comprendront jamais.

Soan a toujours eu une imagination débordante et dans un autre contexte, j’avoue que c’est incroyablement divertissant.

Mais pas maintenant.

Il se place d’un côté du disque géant et chuchote à l’individu que nous venons de libérer :

— Hey l’ami, mets-toi de l’autre côté et retiens-le.

Pendant que ce dernier s’exécute, je repense à cette fameuse Dame, que je n’ai jamais vue, mais dont Soan me parle souvent. Selon ses dires, elle lui aurait révélé qui il était, il y a un peu plus d’un an. Depuis, il échafaude le plan de ce soir. Je suis un rouage de cette machination, tout comme Boussole. Ma motivation n’est rien d’autre que la récompense qui m’attend au bout du périple que je m’apprête à vivre : ma liberté.

Je tourne la tête vers la baie vitrée obstruée de lierre, les combats ne sont pas arrivés jusqu’à cette partie du palais. Aussi surprenant que ça puisse paraître, c’est une bonne chose.

Un bruit assourdissant résonne et mon cœur rate un battement. Mes sens, en alerte maximale, repèrent tout de suite l’origine de ce raffut inopportun : le disque est parti s’écraser plus loin. Il gît désormais à plat contre le carrelage aux motifs travaillés dont il a fracassé la perfection. L’esclave d’Asmar tressaille lorsque mes yeux se posent sur lui.

Il l’a lâché, aussi simplement que ça.

Frustré, Soan soupire puis amène son poing contre sa bouche et toussote, un autre rictus moqueur tordant ses lèvres.

—  Ma boussole a les bras cassés, murmure-t-il, amusé.

Sauf que là, le temps presse.

Je passe devant eux et avise la première de l’ouverture laissée par le disque de bronze.

— Il fallait s’en douter, rétorqué-je, il ne devait pas souvent porter des choses.

L’intéressé se racle la gorge. J’espère qu’il sera moins maladroit d’ici quelques jours. Pour l’instant, je conçois qu’il doive reprendre des forces.

—  Dépêchons-nous, le bruit a certainement attiré les derniers soldats restés à l’intérieur.

— Les femmes d’abord, me coule Soan.

La galanterie n’a jamais été la première de ses qualités, mais je suppose qu’il sait ce qu’il fait en me demandant d’ouvrir la marche. Je lui fais confiance. Après tout, il est ma clé pour la liberté, alors je ne tergiverse pas et m’engouffre dans l’étroit couloir.

Contre toute attente, il est jonché de lanternes allumées.

— Soan, comment as-tu préparé ça ?

— Les mystères de mon charme, ma chère !

Je lève les yeux au ciel et continue d’avancer.

Il ne devait y avoir que nous trois. Il y a forcément quelqu’un derrière toute cette disposition, Soan n’aurait pas pu s’en charger seul.

Je m’arrête devant un escalier qui semble mener dans les profondeurs du palais. Boussole ne s’y attend pas et me percute et ses doigts se referment sur ma taille. Un geste certainement non désiré, puisque le début d’étreinte disparaît aussitôt ressenti.

Bien qu’il soit éclairé, j’hésite à emprunter cet escalier. C’est étroit, en pente, et ça tourne. Une sensation d’étouffement m’envahit.

— Nouriya, il faut y aller là ! s’impatiente Soan.

Une fois de plus, je lui fais confiance et me lance, la boule au ventre.

La descente me semble interminable et les lampes au pied des marches se raréfient, comble de l’horreur pour moi qui déteste les espaces confinés.

Mais alors que je pensais que la situation ne pouvait pas être plus inconfortable, les parois d’un autre couloir se dessinent : le plafond est plus bas, et je dois m’abaisser un peu. L’air y est lourd et sûrement insuffisant pour trois personnes, dont deux essoufflées.

J’ai pris l’habitude de ne plus faire le moindre effort physique depuis que je me suis mariée. Que ça me serve de leçon.

Lorsque j’aperçois enfin une sortie qui s’ouvre sur une étendue d’eau et une barque dans laquelle une ombre s’agite devant moi, mon cœur s’emballe.

— Il y a quelqu’un, murmuré-je, affolée et à bout de souffle.

Je sais me battre, mais je n’ai rien d’une guerrière. Je suis davantage une voleuse qu’une valeureuse combattante.

— Il est avec nous, me rassure Soan, tu peux lui faire confiance.

Je fais ce qu’il me dit et lorsque je descends les dernières marches escarpées, une main m’est tendue. Les flammes de sa torche illuminant son visage, je constate que l’individu face à moi est jeune, peut-être même plus que nous tous.

— Ma dame, m’invite-t-il en joignant la parole au geste.

Habituellement, je déteste que l’on m’appelle de cette façon. Derrière cette dénomination j’entends l’hypocrisie des nobles incapables de voir autre chose en moi que la voleuse qu’Asmar a sortie de la rue.

Quant aux serviteurs, je décèle en eux le regret d’avoir à être révérencieux envers une personne de leur niveau, suffisamment douée et belle pour parvenir jusqu’au sommet de la pyramide.

Mais ici, j’entrevois autre chose. Alors que je dépose ma paume dans la sienne pour monter dans la barque, j’examine en vitesse ses traits et je suis déçue. Il est vraiment très jeune. Ce respect ingénu aurait éventuellement fini par disparaître avec le temps et l’influence des autres domestiques plus âgés.

— Atten…, commence-t-il.

Trop tard.

Un choc fait tanguer l’embarcation et, en manquant de tomber, je lâche mon cimeterre sous l’effet de la secousse. Je sais sans me retourner que Boussole est monté. Il aurait pu être plus précautionneux.

— Désolé, Boussole, mais il faut qu’on parte, là, s’amuse Soan.

Asmar a interdit que son nom soit prononcé, m’avait une fois déclaré Soan, tu n’as donc pas besoin de le connaitre. Tout ce que tu dois savoir, c’est qu’il est ma boussole.

Alors je n’ai pas cherché et j’ai laissé cette personne devenir une boussole. Mais maintenant que je la vois, un sentiment de honte m’envahit. Je ne peux pas m’empêcher de considérer cet homme comme un être humain qui a le droit d’être traité comme tel. Ce sentiment d’empathie me pousse à découvrir son nom.

Tout à coup, je m’en veux d’avoir trop facilement oublié que derrière un prénom se cache une âme, un vécu, une potentielle postérité, une symbolique chérie par ceux qui l’octroient à un enfant. Si le mien m’était retiré, c’est une partie de moi qui me serait arrachée, puisque c’est ce qui contribue à déterminer celle que je suis aujourd’hui.

Il me fut donné par mon père, mais une voisine m’a expliqué que c’est ma mère qui l’a choisi avant de mourir en me donnant naissance. Parce qu’après deux fausses couches, j’étais censée être sa petite Lumière[1], destinée à grandir et à m’épanouir, illuminer la vie des autres comme j’allais d’abord le faire pour la sienne.

— Il est dangereux de pousser quelqu’un sur une si petite barque, précise le jeune garçon.

Boussole me devance pendant que je me redresse. Le fait que Soan l’ait précipité hors du passage ne semble pas avoir d’importance, car il a les yeux braqués sur l’autre côté de la rive, la bouche ouverte. Sa poitrine se soulève et s’abaisse à un rythme affolant. Je l’observe respirer à pleins poumons le parfum de la liberté et je ne peux m’empêcher de sourire.

Nous nous asseyons et une troisième secousse agite notre petit moyen de transport.

Merci Soan, à toi et à ton incroyable délicatesse, me retiens-je de pester.

 L’instant d’après, nous avançons. Je jette une œillade à Soan avant de reporter mon attention sur Boussole, captivé par la vision des lumières de la ville en proie aux flammes, dont nous nous éloignons à chaque coup de rame.

Je suis gênée d’avance de gâcher ce moment, mais je veux savoir son prénom. Il n’y a plus de risque maintenant, et je ne vais pas l’appeler Boussole à tout bout de champ. C’est dégradant.

— « Boussole » ce n’est pas très joli, même si ça te définit plutôt bien, d’après Soan. Comment t’appelles-tu ?

Sans me regarder, il baisse la tête en la hochant de droite à gauche.

— Altaïr, susurre Soan à sa place, son joli prénom est Altaïr.

Effectivement, c’est très beau.

Malgré mon passé, je reste persuadée qu’il est important pour une personne qui se voit dotée d’un prénom possédant une forte signification de faire honneur aux valeurs de ce dernier.

Je me penche et lui demande :

— Tu sais ce qu’il signifie ?

Il ferme les yeux et déglutit. Je glisse vers lui et avec ma main, dirige son menton dans ma direction. Je rapproche mon visage du sien.

— Je suis persuadée que tu voleras de nouveau, Altaïr[2].

Ses paupières se soulèvent et dévoilent des prunelles embuées : c’est un oiseau aux ailes brisées que j’ai devant moi, certain qu’il ne pourra jamais plus prendre son envol. Mon envie est de lui prouver le contraire.

Car la liberté se revendique, corps et âme.

— Nous serons certainement les premiers à... Qu’est-ce que tu fais ? Non !

Ce n’est pas la voix de Soan. Je m’écarte d’Altaïr et veux attraper mon cimeterre, mais je me souviens que je l’ai bêtement lâché. Je manque de perdre l’équilibre et c’est Altaïr qui m’empêche de passer par-dessus la barque qui tangue énormément. Je n’entends plus le bruit des rames et mon rythme cardiaque accélère.

Paniquée, je tourne la tête et vois Soan, corps contre corps avec son complice, transpercé par un sabre du protégé d’Asmar. D’un pas en avant, il jette le jeune garçon dans l’eau sans aucune cérémonie.

Comme une main-d’œuvre dont on se débarrasse, car devenue inutile.

Devant nos regards médusés, Soan se contente d’essuyer sa lame :

— Il aurait pu nous trahir. Je te l’ai dit, Nouriya, il n’y aura que nous trois, m’explique-t-il, l’air sibyllin.


[1] Nour en arabe signifie «la lumière»

[2] Signifie « qui vole » en arabe. C’est aussi une étoile de la constellation de l’Aigle.

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