Sans faisait partie de ces rares monstres à avoir connu les ruines, peu de temps après l'enfermement des monstres sous la montagne. Retourner se promener dans celles-ci après tant de temps à Snowdin le secoua. L'endroit ne ressemblait guère à ce qu'il avait connu dans le temps : tout tombait en morceaux et sentait le moisi. Quelques monstres discrets vivaient toujours ici : Froggits, Whimsum... Ceux à faible points de vie, un peu comme lui, venus chercher protection et sécurité auprès de l'ancienne reine. Savaient-ils vraiment qui elle était ? Vu comment ils détalaient lorsque son ombre pointait au bout d'un couloir, sûrement.
Ils s'arrêtèrent devant la grande porte qui séparait officiellement les ruines du reste du monde. Ici et là, de grandes traces de brûlé indiquaient un combat récent. Frisk lui avait expliqué que Toriel avait cherché à l'empêcher de partir, et il imaginait aisément de quelle manière. Habituellement, il se tenait loin des monstres capables de maîtriser le feu. Répandue aux alentours de Hotland, il s'agissait d'une magie puissante et capable de faire des dégâts en continu, même en dehors des attaques. Si certains membres de leur peuple y étaient immunisés, comme Undyne, une simple petite flammèche pourrait dans son cas le faire tomber en cendres.
Silencieuse, Toriel l'accompagna jusqu'à de grands escaliers. Elle se retourna pour vérifier que son ami la suivait toujours, puis monta à l'étage. Sans fut très surpris de se retrouver immédiatement chez elle. Bien que proche de la Cour, il n'avait jamais eu la chance de visiter la première demeure des Dreemur à l'époque où ils vivaient ici. Il fallait aussi dire que, s'occupant seul de son petit frère déjà à l'époque, sans pour autant être entièrement orphelin - pas encore à ce moment-là, en tout cas -, il n'avait jamais fait très attention à ce qui l'entourait.
La décoration de la maison était simple mais accueillante. Des photos de famille recouvraient les murs : des portraits d'Asriel, le jeune prince déchu, mais aussi Chara, sa sœur adoptive humaine, décédée le même jour que lui. Sans était trop jeune pour réaliser la gravité de la situation lorsque le prince était tombé en cendres dans les jardins du palais. Il avait certes perçu le trouble qui animait ses voisins, mais son frère et lui avaient été tenus à l'écart, comme à chaque fois que quelque chose concernait le travail de son père, l'ancien scientifique royal, oublié de tous sauf de lui aujourd'hui.
La reine l'accompagna jusqu'au salon et lui fit signe de s'installer sur une des chaises autour de la table en bois. Un petit sourire étira le visage du squelette. Asgore avait exactement la même. Toriel sortit du réfrigérateur une grande tarte qu'elle ramena avec précaution à son invité. Elle coupa un bout de la taille de la tête de Papyrus et le plaça dans son assiette, avant de l'agrémenter de sauce chantilly tout autour. Sans resta un instant à contempler le gâteau, pesant les pour et les contre de le manger avant les vingt kilos de spaghettis du soir de son frère. Malgré son apparente confiance en lui, Sans restait extrêmement timide. Il n'avait pas dit un mot depuis qu'ils étaient entrés dans les Ruines et gardait les yeux baissés, comme si un simple contact avec Toriel pouvait le faire exploser.
Fort heureusement, celle-ci, plus habituée à prendre la parole, ne tarda pas à mettre fin au malaise naissant.
— Alors comme ça, mon mystérieux ami est un squelette. D'accord, les blagues m'ont mises sur la piste, mais... N'étiez-vous pas tous éteints pendant la guerre ?
— Eh, c'est ce qu'on me dit depuis que je suis petit. On est les deux derniers qui restent, mon frère et moi. Mais cela nous donne un petit charme supplémentaire, ajouta-t-il avec un clin d'œil. Je suis sûr que Papyrus fera tomber les femmes à ses pieds quand il apprendra à draguer correctement. Ou Mettaton.
— Mettaton ? Qui est-ce ?
Sans écarquilla les yeux. Il était vrai qu'il n'avait aperçu aucune télévision ici. Quelle chance ! Lui rêvait d'une nuit où il n'entendait pas Papyrus hurler les réponses des quiz qu'il regardait à la télévision lors de ses crises d'insomnies. Sans savait qu'il en était responsable. Plus jeune, lorsqu'il avait besoin de calme pour travailler, il mettait Papyrus devant la télévision et le petit squelette, captivé par les images, ne pipait plus un mot pendant quelques heures. Malheureusement, en grandissant, cette mauvaise habitude avait tourné à l'obsession lorsque son frère n'avait plus voulu rater la moindre émission de Mettaton, aussi clichée, stupide et nanarde soit-elle.
— C'est... Ce qui se rapproche le plus d'un animateur télé ici-bas. C'est l'enveloppe robotique créé par le docteur Alphys, la nouvelle scientifique royale, pour un des fantômes de Waterfall. Il ne l'a plus quitté depuis.
— Asgore a repris une scientifique royale ? demanda-t-elle d'un ton plus froid.
— Parce qu'il y en a eu un autre avant ? s'intéressa Sans.
Elle fronça les sourcils, avant de relever le regard vers lui. Sans connaissait déjà la réponse, mais il espérait toujours, qu'un jour, quelqu'un d'autre que lui se souvienne de son existence.
— Je dois bien avouer que je ne sais plus. Cela fait si longtemps que je suis enfermée ici... Je ne pensais pas avoir à sortir un jour. Ainsi, Asgore est...
— Oui, malheureusement. Le problème, c'est que tout le monde va penser dans quelques heures que c'est Frisk qui l'a tué. La capitaine de la garde royale, Undyne, a été très affectée par sa mort et elle est plutôt du genre à réagir à chaud. J'ai envoyé mon frère la retenir, mais je doute que ça suffise. Tant que je ne suis pas là, ils ne peuvent normalement pas élire de nouveau roi, mais j'aimerais autant que ce ne soit pas Undyne qui reprenne le trône, si vous voyez ce que je veux dire.
— Pourquoi cela ?
— Elle n'est pas... Elle n'est pas méchante, mais j'ai peur que son erreur de jugement lui donne de mauvaises idées. Je sais qu'elle n'écoutera qu'elle-même, même si on lui présente des preuves sous le nez. Car Frisk n'a pas tué Asgore.
Il attrapa le papier dans sa poche, le déplia soigneusement et le posa sur sa table. Un fin sourire étira le visage de Toriel alors que ses doigts passaient doucement sur les lettres encrées.
— Je te crois, Sans, le rassura-t-elle. J'ai vu cet enfant évoluer dans les Ruines. Il faisait rougir les Froggit et discutait avec un mannequin d'entraînement, jamais il n'a levé la main sur qui que ce soit, même quand... Quand j'ai essayé de l'empêcher de partir.
— Même constat pour moi, sourit Sans. Je l'ai suivi de Snowdin jusqu'aux portes du palais et il a toujours fait preuve de grande gentillesse. Il a même redonné le sourire à Papyrus, ce que je ne pensais plus possible. Je suis certain qu'il va revenir, il est doué. Mais si on veut qu'il soit accueilli comme un ami, peut-être vaudrait-il mieux que vous repreniez le trône. Temporairement. C'est la seule solution qui m'est venue à l'esprit. Tant que je ne suis pas là, Undyne ne peut normalement pas s'approprier le trône.
— Tu es un membre du conseil ? s'étonna Toriel.
— Oui... Je tiens le rôle de juge. Il paraît que je suis doué pour ça, même si... Undyne va très certainement tout me mettre sur le dos. Je suis le dernier à avoir vu Asgore en vie, et ensuite... Ensuite j'ignore ce qui s'est passé entre lui et l'humain. Je me suis réveillé dans le couloir du jugement et quand je suis allé voir, il ne restait plus que...
— Tu ne devrais pas être aussi dur avec toi-même. Tu as tenu ta promesse jusqu'au bout malgré, eh bien, la situation et tu n'as pas failli à ta tâche. Rien que pour ça, tu peux être fier et tu es assuré d'avoir ma gratitude éternelle.
Elle se tut un instant et porta sa tasse à ses lèvres. Son regard balaya le salon avec nostalgie avant qu'elle ne sourît au squelette.
— Nous ferions mieux de nous mettre en route, dans ce cas. La journée risque d'être longue.