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WendyAgresti
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Prologue

« Nous vous dérangeons, Miss Carlton ? Peut-être pourriez-vous daigner répondre à ma question ? »

La voix de la professeure claque dans l'air feutré de ma chambre comme un fouet. Mon regard, jusque-là absorbé par les pages d'un livre ouvert à côté de mon ordinateur, s'arrache lentement aux lignes imprimées. Le cours d'histoire de Ko-Hinnor se déroule sans moi, il faut dire qu'il n'a rien à m'apprendre. Pourquoi devrais-je prêter attention à une litanie que je connais déjà par cœur, martelée dès l'enfance par une mère soucieuse de graver notre ascendance en moi comme une vérité absolue ?

Je lève les yeux vers la caméra et esquisse un sourire. Une ombre de défi effleure mes lèvres. Juste ce qu'il faut pour agacer, sans jamais franchir la ligne.

« Avez-vous vraiment besoin que je réponde ? Notre histoire est gravée dans le marbre depuis quelques années maintenant. »

Je perçois le tressaillement dans le regard de ma professeure, ce moment délicat où l'envie de me remettre à ma place l'effleure mais où la retenue l'emporte toujours. Ils n'osent jamais. Après tout, je suis Hestia Carlton, héritière de l'un des neuf couples visionnaires qui ont façonné cette ville.

« Vos camarades n'ont pas eu le privilège de votre éducation, Miss Carlton. Nous vous écoutons. »

« Notre métropole magnifique a été fondée par Ibrahim et Luciana Bishop, Dhananjay et Eteri Lynch, Hashem et Sanaa Wyatt, Fölky Riley et une mystérieuse inconnue, Georg et Kelsie Saxon, Salion et Taimi Dornan, Matyr et Iara Kai, Vasco et Yulianna Walsh... et, bien évidemment, mes parents. »

Je me tais, le temps d'humecter ma lèvre inférieure. Ces noms ont façonné Ko-Hinnor comme on sculpte une statue, patiemment, minutieusement, avec la promesse d'une ville idéale.

« Ils rêvaient d'un idéal. Une ville bâtie sur l'harmonie, affranchie des distinctions religieuses, des inégalités salariales, des discriminations de genre ou d'orientation. Et pendant dix ans, nous avons goûté à cette utopie... jusqu'à ce que les Bishop s'en emparent et réduisent leurs efforts à néant. »

Ma professeure se crispe. Son corps se redresse imperceptiblement, un geste maîtrisé qui trahit pourtant son malaise. D'un clic sec, elle coupe mon micro, reprenant aussitôt la parole d'un ton condescendant.

« La prise de pouvoir des Bishop a permis d'instaurer une structure sociale cohérente, Miss Carlton, bien plus viable qu'une utopie enfantine. »

Les Bishop ont joué sur la peur. Ils ont fabriqué une épidémie, résultat d'une expérience à grande échelle. Ils ont imposé leur vaccin, vecteur d'un grand bouleversement, devenu un élixir de fausse rédemption. Et, sous prétexte de sauver Ko-Hinnor, ils l'ont remodelée à leur image. Le sérum a imprégné le sang des habitants, conférant à chacun une capacité façonnée par sa date de naissance. Ainsi naquit la hiérarchie de l'horoscope. Et avec elle, une scission définitive entre familles inférieures et supérieures.

Je me force à fixer l'écran, feignant une concentration que je n'éprouve pas. Mon visage demeure impassible, un masque figé derrière lequel mon esprit vagabonde. Loin du cours. Loin de cette mascarade. Un étudiant, plus zélé ou plus craintif que les autres, prend la parole. Sa voix est claire, mécanique, exempte d'émotion, comme s'il récitait un texte sacré.

« Les lois ont été établies pour assurer la stabilité. Nous devons une obéissance absolue aux quatre familles supérieures : les Bishop, les Carlton, les Wyatt et les Lynch. Tout soulèvement est interdit. Les fiançailles doivent respecter les unions dictées par notre horoscope et les enfants des familles supérieures sont tenus d'épouser leurs pairs. Toute infraction entraînera l'arrestation, la torture et, en dernier recours, l'exécution publique. »

Ma mâchoire se contracte. Je pourrais ignorer ces lois, comme je le fais d'ordinaire, les reléguer au rang d'une obsession que j'ai entendue mille fois. Mais la dernière phrase s'accroche à moi comme un poison lent, s'insinue dans mes pensées et ravive ce que j'essaie d'oublier. Le dîner où je rencontrerai officiellement mon futur époux : pas un amant choisi, pas un amour espéré. Un nom, une lignée, un pacte scellé à Byron Bishop. Un Poisson, doté de la maîtrise totale de l'eau. L'eau, cette force fluide et insaisissable, celle qui coule entre les doigts mais qui, entre de mauvaises mains, devient un raz-de-marée.

Si seulement il n'appartenait pas à cette famille que je rêve d'anéantir, peut-être aurais-je trouvé une certaine ironie dans notre union. Peut-être même aurais-je apprécié l'idée de régner à ses côtés sur cette ville qui m'a vue naître. Mais il est un Bishop et je ne peux pas oublier ce que cela signifie.

Un mouvement sur mon écran attire mon attention. Une page vide, le cours est terminé depuis un moment déjà, j'ai encore un peu de temps avant de sceller mes fiançailles. Juste assez pour peindre avant que le mauvais sort ne se referme sur moi.

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