Mercredi
Je vais mourir. En fait on va tous mourir. Et pour le coup c’est pas une hyperbole. Aucune exagération.
On meurt tous un jour. Mais là on a tous la même date. La même limite, après plus rien. Pour personne. La nouvelle est tombée au journal télé, je mangeais des pâtes au ketchup. Avec du gruyère. Y aura plus de pâtes, plus de ketchup et plus de gruyère.
Maxine a essayé de m’appeler. Je ne veux pas l’entendre.
J’ai besoin de dormir.
Jeudi
Maxine a appelé. J’ai pas décroché. Plus d’une dizaine de fois. On aurait rien à se dire.
Ma voisine de palier, la petite vieille qui râle tout le temps sur tout et n’importe quoi a tourné sa musique à fond. J’ai pas reconnu ce qui joue. C’est vieux.
Des gens sont passés toute la journée dans la rue. Certains erraient comme des zombies, d’autres faisaient une espèce de cortège festif. J’ai hésité à descendre les rejoindre.
J’ai enfin rangé les placards de la cuisine. Les mugs sont bien mieux dans l’étagère de droite.
Vendredi
Maxine continue d’appeler. Je laisse sonner dans le vide.
Madame Jourdain est partie. Elle a laissé son mari en plan. Tant mieux pour elle, le gars est infâme. Il est venu frappé à ma porte, comme à toutes celles de l’immeuble. Il la cherchait. J’espère pour elle qu’elle ne reviendra pas. Peut-être qu’elle est allée voir la mer. C’est pas mal comme dernier endroit.
Y a toujours de la foule qui passe en bas. Je les regarde. J’en ai dessiné quelques uns, surtout de mémoire. Ils ne s’attardent pas pour des poses. Je me demande quelles vies ils menaient avant.
Ma voisine n’arrête pas de faire tourner ses disques. Parfois j’ai l’impression qu’elle danse. Je ne suis pas sûre.
Samedi
La vieille râleuse est venue frapper à ma porte. Elle voulait de l’aide pour « réparer » son lecteur CD. Les piles étaient mortes. Elle m’a fait m’asseoir pour partager une bouteille de champagne. Elle en gardait des caisses de son ancien travail, pour de grandes occasions. Comme elles ne viendront plus, elle les boit. J’ai pas osé lui dire que j’avais l’impression que son champagne avait tourné.
Elle a parlé beaucoup et longtemps. Elle me parlait de sa vie avant sa retraite, avant d’arriver dans l’immeuble. Elle travaillait dans un cabaret. Je me demande s’il y a encore des cabarets ouverts.
On a vidé la bouteille, puis une autre.
J’ai la tête qui tourne un peu.
J’ai failli décroché. Mais je me suis arrêtée à temps.
Dimanche
Maxine m’écrit en plus de m’appeler. Je ne lis rien. Je laisse le téléphone sonner et les notifications s’accumuler.
Je ne suis pas sortie de l’appartement depuis ce fameux journal télé. J’avais déjà pas beaucoup envie de sortir avant, merci à Maxine pour ça. Maintenant j’en vois encore moins l’intérêt.
J’écoute la musique de la voisine. Je lis ces livres qu’on a acheté avec Maxine chez un bouquiniste pour faire genre. Elle est partie sans. Et j’ai jamais eu le courage de descendre les étages seule avec. Ils sentent la poussière et la vieille encre.
C’est des romans Harlequin. C’est très hétéro. Mais très fun.
Lundi
Je ne me suis pas levée aujourd’hui. Maxine continue d’appeler.
Je me demande si je ne ferai pas mieux de vider la pharmacie. Les somnifères avec de la Despe ça peut pas être pire qu’une météorite.
Mardi
J’ai fait un grand ménage aujourd’hui. L’appartement a jamais été aussi propre. J’ai même changé les draps et pris une douche.
La musique tourne en boucle chez la voisine. Le même disque depuis hier. Je ne l’entend plus danser. J’espère qu’elle est partie dans le champagne et les bons souvenirs.
La nuit tombe. Les rues sont vides. Si Maxine appelle… Peut-être que je vais décrocher.