C’est enfin les vacances. Du moins, c’est ce que dit le calendrier. Pourtant, l’air sent encore le stress et la sueur de l’année écoulée. Je suis là, assise au bord de mon lit, la valise ouverte devant moi. Vide. Béante. Affamée. Comme si elle attendait que je lui confie un peu plus que des vêtements et une brosse à dents.
Il ne reste que trois jours. Trois jours avant le départ, avant le changement de décor. Trois jours pour tout mettre, tout décider, tout emmener.
Et rien oublier.
Je prends une grande inspiration. Allez, on y va.
Je me lève, tourne un instant en rond dans la chambre. Il y a ce silence particulier des débuts. Le moment juste avant de se lancer. J’ouvre le tiroir de ma table de nuit comme si j’y cherchais une clé secrète. Un vieux chewing-gum durci, une barrette cassée, un ticket de cinéma plié en quatre. Rien d’utile. Tout de précieux. Je le repose. Pas cette fois. Je ne peux pas tout prendre. Pas tous les souvenirs.
Jour 1 – Liste mentale
> D’abord le corps, ensuite le reste.
Slip… chaussettes…
Cahier – oui, pour écrire.
Stylo – plusieurs. Un noir, un bleu, et un à encre violette. Le violet, c’est pour les pensées tristes, surtout si j’en ai. Non je n'en aurai pas
T-shirt préféré : celui avec le motif de chat qui fait du yoga.
Pantalon confortable, pas celui avec le trou à l’entrejambe. Enfin, il est réparé, mais c’est pas top. Le gris ira bien avec le t-shirt.
Ajout d’un pull large. Celui avec les manches qui couvrent les mains. Le pull qui dit « je me cache mais je suis là ». Indispensable.
Ajout aussi de la chemise à carreaux volée à mon frère il y a dix ans. Personne ne le saura, sauf moi, et elle sent encore les dimanches d’automne.
Maillot de bain – trop optimiste. Non, attends. Je le prends. On ne sait jamais.
Parapluie – trop pessimiste. Bon… ok. Lui aussi. On ne sait jamais.
Crème solaire. Parce que je veux encore croire que le soleil me cherche.
Brosse à dents. Rose fluo. Dégueulasse mais fidèle.
Déodorant. Important. Pas question de sentir le regret.
Coupe-ongles. Peut-être. → Oui. Les ongles longs, c’est l’angoisse.
Médicaments. Juste au cas où. Paracétamol, antihistaminique, pastilles pour la gorge. Je ne suis pas une pharmacie ambulante, mais presque.
> Le reste
Ajout : livre. Un seul.
Pas cinquante, pas cette fois. Juste un qui peut tout contenir. Mais lequel ?
Je choisis L’Écume des jours, même si je connais déjà la fin.
Ou peut-être La Horde du Contrevent. Non. Trop lourd.
> Note à moi-même : ça sera ma liseuse, comme ça j’ai tous mes livres à portée. (N’oublie pas le chargeur.)
Je la mets au fond de la valise. Comme une graine. Bien protégée.
Je souris en pensant à la surprise des objets. Ceux qu’on retrouve dans la doublure d’un sac ou dans une trousse. Une perle, un bouton, un mot qu’on croyait perdu. C’est peut-être ça aussi, faire sa valise : semer des souvenirs dans l’inconnu.
Jour 2 – Les objets qui comptent
Je regarde autour de moi. Il faut choisir. Pas seulement des habits. Des morceaux de soi. Je le sais, ce voyage ne sera pas juste une escapade. C’est… autre chose. Une sorte de traversée.
Rien ne peut être retiré. Une fois dedans, c’est dedans.
Je pose la main sur mon bureau. Je cherche ce que je peux emmener de mon monde sans le déformer.
Le carnet noir, celui avec les collages. C’est moche, mais ça raconte.
Une photo. Celle de nous quatre, un été, à l’ombre d’un parasol rayé. Je plie le coin. Ça m’évitera de regarder nos sourires trop longtemps.
Je caresse le bord de l’image. Le sable collait à nos jambes, les rires montaient plus haut que les vagues. Aujourd’hui, certains de ces rires sont devenus des silences, mais ils vibrent encore quand je ferme les yeux.
Ajout : un foulard. Celui qui sent encore son parfum. Pas lavé exprès. Ce n’est pas stupide, c’est sentimental.
J’hésite décide de prendre aussi le galet blanc. Celui que j’ai ramassé sur la plage l’été de mes treize ans. Il est lisse, lourd comme un cœur. Il n’a pas de fonction, mais il pèse dans la main comme une promesse.
Note mentale : mettre le chargeur. Si j’oublie le chargeur, c’est foutu. J’écris en grosses lettres sur ma main : “CHARGEUR”.
Je voulais mettre la robe rouge. Celle qui tourne. Mais elle me serre au ventre maintenant. Je la mets quand même. Parce que je veux croire que je peux encore danser dedans. Même si je dois la porter sans respirer.
Je me dis que peut-être, dans un soir chaud d’été, entre deux chansons, je me lèverai, tournerai sur moi-même, et elle flottera. Et peut-être qu’alors je flotterai un peu aussi.
J’ajoute aussi le vieux lecteur MP3. Oui, il fonctionne encore. Oui, il a encore les mêmes chansons depuis 2012.
Non, je ne vais pas les changer.
> Playlist :
Note à moi-même : rajouter Teddy Swims, j’aime trop ce chanteur
Ellie Goulding
Queen…
Un peu de métal, en cas de tempête intérieure
Laisse tomber le MP3, trop compliqué. Je n’ai plus le chargeur. Il risque de me lâcher a tout moment.
Spotify sur le téléphone, c’est bien.
Ajout de dernière minute : la lettre.
Celle que je n’ai jamais envoyée. Celle qui dit tout. Ou presque. Je la glisse entre deux paires de chaussettes. Peut-être que je la brûlerai. Peut-être pas.
Jour 3 – Dernier jour
Je me réveille avec la sensation que j’ai oublié quelque chose d’essentiel.
J’ouvre la valise. Je la regarde. Elle ressemble à un patchwork. Un bric-à-brac de textile et de souvenirs. Elle me ressemble.
Elle est un peu trop pleine. Mais c’est pas grave. Ce n’est pas une valise, c’est un coffre à souvenirs déguisé. Peut-être qu’à la fin, j’en laisserai un peu derrière. Peut-être que je reviendrai plus légère qu’en partant. Ou pas.
Je pense aux choses que je ne peux pas emmener :
Ma peur
Ma colère
Mon besoin de contrôle
Je les laisse sous l’oreiller. Pour une fois, je voyage léger de l’âme.
Je laisse aussi les “et si”. Les “j’aurais dû”. Les “trop tard”. Ils restent accrochés au miroir de la salle de bain, là où je les regarde souvent sans les voir.
Mais j’emporte ma tendresse. Ma capacité à m’émerveiller pour rien. Mon envie de pleurer devant un coucher de soleil.
Je raye “trousse de maquillage” de la liste. Je ne veux pas de masque. Pas cette fois.
Je raye aussi “ordi portable”. Si j’ai besoin de fuir, j’écrirai. Sur papier.
Je colle un post-it au-dessus de la valise :
“Tu pars pour te retrouver. Ne triche pas.”
Inventaire final (non exhaustif mais définitif) :
6 culottes, 4 paires de chaussettes (dont une dépareillée volontairement)
3 pantalons, 5 t-shirts, 2 pulls
Maillot de bain (même si je doute)
Parapluie (au cas où)
Foulard à l’odeur
Galet souvenir
Photo de nous quatre
Lettre non envoyée
Carnet noir + stylos (x4)
La liseuse
Mon téléphone
Robe rouge qui tourne
Chargeurs (celui du téléphone, et de la liseuse)
Une pincée de courage
Un reste de chagrin
Un espoir neuf
Des rêves chiffonnés, en boule, au fond de la poche intérieure
Un soupçon de fantaisie
Une vieille blague nulle
Un peu de honte cachée sous le pull
Des morceaux de moi, non classés, non étiquetés
Je referme la valise. Elle claque comme un point final.
Mais ce n’est que le début.
Un très beau texte d'un départ qui semble final pour ton personnage.