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J’ai pris les clés de sa bécane et je me suis tiré. Si on doit tous crever dans 7 jours, c’est pas avec elle que je veux les passer. Les bouteilles de vodka y sont déjà passées, avec le nombre de cadavres que j’ai vus, elle se réveillera pas avant demain. On sera déjà loin et les flics useront pas leurs pneus à chercher deux mômes. Plus maintenant. Que Dieu bénisse les fugueurs de la fin du monde et ACAB nonobstant.
Il était en train de fumer le cul sur le trottoir. Je crois que sa main tremblait un peu. Il avait un nouveau bleu sur la pommette. Je m’étais juré de buter son père quand je serai plus costaud. Je le serai jamais. Il a jeté sa clope et il est venu s’asseoir derrière moi. Ses bras autour de ma taille. Ouais, vraiment, que Dieu nous bénisse. Quand j’ai démarré, j’ai regardé le ciel et il était vide et bleu.
On a roulé droit devant nous. Si je dois crever avec lui, ça sera en regardant la mer. Des gens criaient et pleuraient dans les rues. Y a tellement de gens sur cette route que j’arrive même pas à zigzaguer entre les voitures. Là, on est arrêté sur le côté. J’écris ces mots pendant qu’il chie. Si ce jour était une musique, ce serait Exit Music (For a Film).
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On avait la dalle alors on s’est arrêté à une aire de repos. Dans une des caisses du parking, y avait un mec qui s’était sauté le caisson, il avait repeint son pare-brise. Le magasin avait déjà été pillé alors on a rempli la bouteille aux toilettes et on est retourné à la voiture. Elle était ouverte. Y avait que des conneries à grignoter, un paquet de clopes entamé, et le flingue était toujours dans la main du type. Il l’a récupéré en retirant les doigts un par un, c’était trop dégueu. Il a dit qu’on pourrait jouer à la roulette russe. J’ai dit que c’était un automatique. Il m’a dit qu’on était sûrs de gagner tous les deux comme ça. J’ai ri. Il l’a gardé parce qu’on sait jamais. Que Dieu bénisse les suicidés.
On mange les chips et les bonbecs assis sur le capot. Le métal me brûle le cul. On voit toujours rien dans le ciel, ça l’a pas empêché de lever sa bouteille au Dégommeur de planète, dixit lui. Il m’a demandé pourquoi je continuais à écrire. Je lui ai dit que c’était pour devenir une star postmortem chez les aliens. Il a ri. Si ce jour avait une texture, ce serait celui des Dragibus collants.
5
Quand on s’est réveillé, y avait une étoile super brillante dans le ciel, maintenant on la voit presque plus. J’aime bien l’idée d’être tué par une étoile. J’avais jamais dormi dehors avant. Enfin, si, mais ça compte pas, car dans la ville pourrie où on a grandi, on voyait pas les étoiles, seulement la lumière des lampadaires et les éclats de bouteilles qui brillaient. On a eu un peu froid, alors on a dormi l’un contre l’autre, en regardant le ciel. Que Dieu bénisse les étoiles. Maintenant, on crève de chaud.
Je garde le scooter pendant qu’il cherche une voiture à siphonner. Y avait tellement de bouchons que certains ont juste abandonné leur caisse pour marcher à pied. Si on trouve rien, on devra faire ça aussi. Je me demande ce que fait ma mère. Un coma éthylique, je pense, j’espère, ça doit être horrible de mourir seule. Désolé, Mayrig. Si ce jour avait une odeur, ce serait celui de l’asphalte.
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On continue à pieds, on fait une pause là. Heureusement, la mer est pas loin. Il y était jamais allé, c’est pour ça que je voulais l’emmener. Moi aussi ça faisait longtemps, mes parents étaient encore ensemble la dernière fois. On marche sous le soleil et sa nouvelle copine l’étoile bleue qui brille même en plein jour. On cuisait, mais genre vraiment, on a des cloques et on a quasiment plus d’eau. Mais le pire, c’est quand il s’est mis à pleurer. De gros sanglots, au début silencieux, puis c’était comme si ça débordait, et des larmes et de la morve en veux-tu en voilà. Je savais pas quoi faire. Je lui ai demandé pourquoi il chialait. Il m’a dit qu’il pensait aux cigales. Tu savais qu’elles se terrent dans le sol et qu’elles remontent à la surface qu’une fois tous les 17 ans ? Eh bien, lui oui, alors que gamin il croyait que les vaches marrons faisaient du lait au chocolat. Il était triste car elles allaient mourir sans avoir connu rien d’autre que le noir. Bordel, y a même pas de cigales ici ! J’ai ri et il m’a frappé. Ok, c’était mérité. Mais maintenant, je me sens aussi désolé pour elles. Que Dieu bénisse les cigales.
Merde on va mourir on va mourir on va mourir on va mourir on va mourir on va mourir on va mourir on va mourir on va
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Il a plu dans la journée et c’était bien, on a pu boire et soulager nos brûlures un peu. Que Dieu bénisse la pluie. On croise d’autres gens parfois, on leur parle pas vraiment. Enfin, moi, lui il causerait avec un vélo si il lui répondait. Remarque, ils sont pas très causants non plus, chacun a l’air d’être dans sa tête avec sa météorite intérieure. Pour moi, les autres sont déjà morts, il n’y a que lui de vivant, il doit en être de même pour eux. Lui et mes putains d’ampoules aux pieds, baskets de merde, que la fin du monde se dépêche de m’achever bordel.
Il fait nuit et la Cité des anges est en feu. Ou fait la fête, je sais pas, il y a eu un méga feu d’artifice de tiré. Peut-être les deux. L’étoile, qui est une météorite qui va tous nous buter est énorme maintenant, comme un soleil en pleine nuit. On voit la mer au loin mais elle est noire, j’ai hâte qu’il la découvre en plein jour. On s’est assis sur une colline et on écoute les cris des gens en bas et on regarde le monde brûler. Il a sa tête posée sur mon épaule et sa main dans la mienne et il lit ce que j’écris à la lumière de la lune et du Dégommeur de planète. Il est content que le nom soit adopté. Je me sens comme Néron devant l’incendie de Rome.
C’est qui ?
Un vieux type mort que j’ai étudié en latin. Est-ce que ça va faire mal, d’être écrasé par une météorite ?
Je crois que mourrir n’est pas le pire qui peut arriver et que vivre est + douloureux.
Arrête de piquer mon stylo, t’avais qu’à t’en prendre un au lieu des clopes. Si ce jour avait une couleur ce serait celui de ton regard d’abruti. Et non c’est pas romantique, putain !
Je profite que l’autre connard dort pour te dire que je l’ai embrassé. Ou qu’il m’a embrassé. Enfin, on s’est embrassés quoi. Après-demain, on va mourir, mais on s’est embrassés et là j’ai son souffle contre ma joue et son corps contre moi. Météorite 0 - Nous 1.
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Il ne veut plus sortir de l’eau et je ne me lasse pas de le regarder. Bordel que Dieu bénisse Dieu pour m’avoir fait le rencontrer. Je me sens en paix, même si un goéland a volé notre dernier cookie. Ça a fait hurler de rire une gosse. Que Dieu bénisse aussi les goélands. Nous ne sommes pas les seuls à avoir voulu passer notre dernier jour au bord de la mer. Mais c’est tranquille. Los Angeles fume encore, le météorite est plus gros que le soleil et la lune réunis et il y a des morceaux qui tombent, genre à tout moment on finit écrasé, mais les gens, ils veulent juste être avec ceux qu’ils aiment aussi. Ils rient et ils pleurent et ils font des châteaux de sable et ils s’éclaboussent et si le monde finissait tous les jours, peut-être que je l’aurais plus aimé. On va mourir demain, je crève de trouille putain, mais ce n’est pas grave, car si cette journée était un sentiment, elle serait heureuse. Je te pose ici, cher journal, merci de m’avoir fait tenir jusque-là. Demain, je t’ouvrirai pour la dernière fois, mais en attendant, je veux voir si je peux réussir à faire bouffer des algues à l’autre.
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Si ce jour était un mot, ce serait éternité. Il dort encore et je ne sais pas comment. On voit plus que la météorite dans le ciel et sa lumière est aveuglante et sa chaleur infernale et il fait tellement de bruit qu’on dirait que lui aussi crie. Nous ne pouvons plus que mourir, et ce monde que je déteste, je ne veux pas le voir prendre fin. Alors, lorsqu’il se réveillera, je lui demanderai s’il a toujours envie de jouer à la roulette russe. Que Dieu bénisse les flingues. America fuck yeah.
Voilà voilà, je crois que j’ai fait un petit hors-sujet car c’est pas tant les derniers jours de l’humanité que ces derniers jours à lui, mais c’est ce que le sujet m’a inspiré. J’espère que la lecture vous a plu !