Ma douce Yselle,
Je désire oublier notre baiser de la semaine dernière, mais je n’y arrive pas. Je ne peux rien oublier de toi. Te souviens-tu de notre rencontre ? Je m’en souviens comme si c’était hier. Je lisais, assise dans le cloître de Marceau, lorsque l’un des Boches jugea drôle de sortir son pistolet pour m’impressionner. Il s’étonnait que je veuille me cultiver. « Lorsque j’entends le mot culture, je sors mon Luger » me lança-t-il dans son horrible accent. Certes, c’est un autre soldat qui l’a fait fuir, mais c’est toi qui m’es apparue comme une ange salvatrice. « On ne pleure pas devant les Allemands, ça leur fait trop plaisir » m’as-tu dit en séchant mes larmes.
Je désire oublier combien tu m’as impressionnée, ce jour-là. Tu semblais si grande, si forte, si confiante en toi. Tu es tout ce que je ne suis pas. Quand les garçons te taquinent, tu gardes la tête haute. Quand tu me complimentes, je baisse la tête en rougissant… Tu dégages un charisme insolent qui me pousse à t’admirer. Parce que oui, je t’admire. C’est de l’admiration que j’éprouve pour toi. Cela ne peut être autre chose. Tu es une fille et moi aussi.
Je désire remonter le temps, car t’oublier m’est impossible. Oh, ma Yselle, j’ai chaud et j’ai froid. Je meurs et je renais toutes les fois que je pense à toi. Dis-moi, pourquoi ? Pourquoi je pense tout le temps à toi ? Pourquoi ai-je mal au cœur quand tu n’es pas là ? Non, ne me dis pas que je suis amoureuse de toi, je n’en ai pas le droit. Nous n’en avons pas le droit et pourtant…
Je désire que tu me prennes par la main. Ensemble, rien ne nous arrêtera. Nous irons écrire des V sur les tableaux des salles de classe. Nous déchirerons le portrait de Pétain. Nous jetterons des livres sur les Boches, cela les cultivera ! Nous chanterons « Maréchal, rentre chez toi » ! À la fin de la journée, quand je serai fatiguée, je me blottirai dans tes bras. Toi, tu m’embrasseras.
Je désire être forte comme toi, mais je ne le suis pas.
Je désire te dire toute la tendresse que j’éprouve pour toi, mais je n’oserai pas.
Je désire t’envoyer ces lignes maladroites, mais je ne le ferai pas.
Je désire, je désire, je désire…
Je désire t’offrir mon cœur, alors prends-en soin.
Ta timide Tristane
C’est si doux comme lettre et si puissant. Un amour impossible en cette terrible époque... Bravo Chah, c’est très beau 😢❤️🩹