Elle courait sur le sable encore frais du matin, le soleil se levait à peine. Fuyait-elle sa propre personne ou autre chose ? En fait, elle fuyait plutôt sa propre connerie. Elle avait trouvé que c’était une si belle idée, si romantique, de prendre son petit-déjeuner sur la plage, devant un lever de soleil. Elle avait réussi à embrigader son petit ami. La veille, pour grapiller le maximum de minutes de sommeil, ils (et par ils je veux dire elle, comme dans la grande majorité des couples hétéros, il ne cuisinait que s’il y avait un barbecue en jeu) avaient préparé leur petit-déjeuner, qu’ils avaient glissé dans un adorable panier d’osier. Ils avaient même pensé à la couverture !

Le réveil avait été dur, mais elle avait réussi à le motiver à sortir de sous le drap. Le jeu en avait valu la chandelle, ciel orange, mer rose, plage déserte. Ils avaient sorti leur festin : jus d’orange, thermos de café et pancakes avec confitures et sirop d’érable, qu’il avait aussitôt commencé à dévorer. Elle, elle était trop occupée à s’extasier devant les oiseaux qui les survolaient :

“ Regarde chéri, les mouettes !”

Sauf que, comme elle était une grosse connasse de citadine de ses morts, elle avait confondu mouette et goéland. Les deux ne se ressemblaient, pourtant, absolument pas. à part que c’étaient deux espèces de piafs blancs qui volaient au-dessus de la mer. Les mouettes c’étaient petits et assez mignons. Les goélands, ça dévorerait ton cadavre si tu leur en avais laissé l’occasion. Et il ne fallait, jamais, JAMAIS, les nourrir.

Mais elle, cette parisienne, avait allègrement lancé un pancake à la ‘mouette’ grise qui poussait des petits cris trop choupi. Mouette grise qui était un grisard, un jeune goéland qui apprenait à chasser sous l’œil de ses parents. Et les goélands, ces gros racketteurs des plages, allaient toujours par gang.

Ce matin-là, elle apprit une vérité : ce n’était pas nous qui tolérions les goélands sur nos plages et dans nos ports. C’était nous qui étions chez eux. Et ils le savaient, cela se voyait dans leurs petits yeux jaunes et vicieux.

Ces charognars des mers avaient fondu sur eux, la mort venue du ciel. Ils avaient eu le temps de bondir et de s’enfuir, emportant autant de pancakes qu’ils pouvaient dans leurs mains. Elle l’avait rapidement distancé, grâce à un excellent cardio, obtenu grâce à ses trois séances hebdomadaire à chaîne de salle de sport random, afin de garder la ligne pour lui. Lui étant plutôt du genre à se gratter les couilles en caleçon pas lavé depuis deux semaines devant la télé, il se fit avoir le premier. Il y eut un bruit sourd derrière elle, un bruit de chute dans le sable, immédiatement suivi de cris, humains et volatiles, et des battements d’ailes furieux.

Alors, elle courait, elle courait pour sa vie. Et, pour une parisienne, elle ne se défendit pas si mal. Elle eut le reflexe, une fois, deux fois, de se baisser pour protéger sa nourriture, en entendant le bruit des ailes retentir dans son dos. L’oiseau avait dû remonter dans le ciel, bredouille. Mais, face aux goélands, on ne pouvait pas fuir éternellement. Juste retarder l’inévitable. Ou se dépêcher de bouffer ce que l’on avait dans la main. Et manger en courant, c’était très difficile.

L’un d’entre eux calcula mal son coup. Il la rata mais lui donna un coup d’aile en pleine nuque. À moitié assommée, elle trébucha. Les quelques pancakes qu’elle avait réussi à sauver lui échappèrent des mains, sauf un, qu’elle tenait avec l’énergie du désespoir. La dernière chose qu’elle vit avant de fermer les yeux, fut le bec crochu du goéland piquant sur elle.