Worldend — Un Caillou dans le Ciel
Le premier jour.
Nous étions lundi matin, il était à peine huit heures et je savais désormais que c’était la fin du monde. L’Armageddon, le dernier jugement et tout le tralala. Aucune idée où sont passés les quatre cavaliers par contre, ils ont l’air d’être en retard les salopards. On aurait au moins pu penser qu’ils seraient ponctuels pour ce style d’événement et qu’ils l’annonceraient en grande pompe. Je me sens spolié en quelque sorte. Vous croyez qu’on peut porter réclamations pour ce genre de chose. Ah !
Je suis sûr que certains vont essayer en tout cas. Imaginez qu’on nous réponde que non, ils ne sont pas absents, mais au contraire tellement présents qu’ils se fondent dans le quotidien sans que plus personne n’y trouve à redire ni ne les remarque. La banalisation du mal. Ah ! je visualise déjà la tête de certains si un ange devait leur balancer ça pleine face. Le reality punch del Angelo. Voilà que je commence à raconter n’importe quoi, mais ce n’est pas comme si je n’avais pas une solide excuse pour le coup. Ah !
Imaginez-vous, comme un lundi matin dans les bouchons, tranquillement en train de hurler une chanson. La radio à fond, histoire d’être bien réveillé pour entamer une journée de travail dans la bonne humeur et non en insultant la bande de rigolos que malheureusement personne ne peut choisir, j’ai nommé les collègues de boulots. Je pense ne pas être une lumière, mais alors à côté de cette bande de… ouaip, nan, on s’en fout désormais du taf.
Je reprends. Donc vous êtes-là, bien dans votre capsule à sauna personnelle et hors de prix qu’on appelle une voiture sans clim, et soudain, le fun disparu en un éclair. À la place, une voix de robot qu’on imaginerait bien sorti du vocodeur de Stephen Hawkings annonça une alerte nationale, un message prioritaire de machin-truc, je ne sais plus comment c’était tourné.
Puis, on a eu le prez dans les oreilles. Ça devait être lui vu sa manière de débiter sa fichue propagande pendant des heures, avant d’ajouter, comme s’il avait presque oublié pourquoi il était là dans un premier temps, que bon, c’était aussi la fin du monde, inéluctable, puis il se lança dans une explication compréhensible même pour un gamin de maternel. Du genre, un gros caillou céleste, faisant la moitié de la lune, était bien décidé à venir jouer au billard avec la Terre. Sauf que la Terre, on a beau dire que c’est solide, c’est en fait surtout une coquille remplie de liquide, façon œuf de poule. Là, à l’impact, ça va nous faire une omelette maison comme on n’en a pas observé depuis au moins 4 milliards d’années dans ce coin de l’univers.
Un événement cosmique d’une telle ampleur et d’une telle rareté à notre échelle. En plus, on sera aux premières loges, quelle bande de veinards on fait ! Ah !
Va falloir célébrer ça, ça n’arrivera qu’une fois dans notre vie. Certains n’ont d’ailleurs pas attendu la fin de l’annonce blabla du prez pour commencer la nouba à grand renfort de Klaxons puis en déclenchant une partie d’auto tamponneuse. Ils ont juste oublié qu’en dehors d’une fête foraine, il n’y a pas les mêmes sécurités anticollision. En plus, ils eurent l’air de bien se prendre au jeu, vas-y que ça envoie un grand coup devant, un grand coup derrière, puis voilà que ça essaye de faire demi-tour pour foncer sur les trottoirs façon carmageddon. J’en ai aussi vu un qui a manqué de peu un « triple combo artistic style » puis le « géronto super bonus » avec mamie en déambulateur. Mais bon, le dérapage ridiculement non contrôlé du gaillard, même si ça pouvait lui permettre un gain de style, donna en même temps au groupe de quatre l'occasion de se mettre à l’abri.
Sérieusement, quitte à partir en vrille, faites ça bien au moins ! Un p’tit effort quoi ! On croirait presque que c’était fait exprès vu le raté. En plus, le gars n’a pas dû « upgrade » sa carrosserie, parce que quand il a plafonné le feu rouge, sa voiture s’arrêta nette totalement défoncée. C’est ça ou ils ont fait les feux rouges en titane histoire de prévenir ce genre d’incident ? Ouep, nan, pas moyen. Pas avec nos gouvs successifs en tout cas. On a plus de chance de se prendre un caillou céleste sur le crâne que de les voir prévoir quoi que ce soit. Ah !
En l’espace de dix minutes et suite au bel exemple que les premiers citoyens irréprochables donnèrent au reste de la foule de pigeons décérébrés, ce fut le chaos total. Pour ma part, je me suis tranquillement stationné sur le bas-côté, le temps d’ouvrir mon coffre et d’installer mon kit de survie « mad max », tout en chrome, pneu clouté, par buffle orné de pointes et tout le tralala. Me manquaient juste quelques macchabées à glisser entre les piques pour avoir un bonus de style. Mais bon, la flemme d’aller en sortir un ou deux des bagnoles plafonnées ici et là. Il faisait déjà bien trop chaud pour ça, surtout que je n’avais pas la clim.
Ah ! Vous y avez cru ? Raté ! J’ai agi comme tout le monde, mais sans courir partout à l'instar d'un poulet sans tête, parce qu’après tout, perdre les pédales n'aurait fait qu'augmenter les chances de se retrouver avec la voiture en rade pour excès de collision et finir tel un con avec juste ces p’tits pieds pour se déplacer. Et même sans paniquer, c’était déjà pas mal chaotique. Je ne sais pas pour les autres, mais j’avais bien deux heures de bagnoles à 160 devant moi… sauf que je doutais de pouvoir faire du 160 aujourd’hui. Ça serait plutôt un joli parcours d’obstacles.
J’avais bien hésité à poursuivre vers le centre-ville pour aller récupérer Leen avant de filer chez le père. Mais elle devait être sur le trajet du taf, dans la même situation. C’était un coup à y passer la journée, et ce, sans garantie. Alors ouep, j’ai fait demi-tour tout en lui envoyant un message pour qu’elle me retrouve chez le vieux. Elle pouvait amener sa famille au besoin, comme elle voulait. Mais bon, j’avais l’impression qu’elle ne recevrait rien avant 3 4 jours si le réseau mobile était dans un état équivalent au routier. Et l’on était juste 10 minutes après l’annonce. Ça allait salement empirer avec le temps.
Trois kilomètres plus loin, j’esquivai de justesse une folle qui s’était plantée au milieu de la voie, sa bagnole-épave fumante sur le bas-côté. Elle avait sans doute rendu l’âme pour excès de carambolage. Elle espérait quoi à agiter les bras comme ça ? Attraper la queue de la bestiole comme si l’on était encore à la fête foraine dans les autos tamponneuses ? Ou juste faire du stop ? Désolé ma p’tite dame, mais c’est la fin du monde. Chacun pour sa merde. Pas le temps non plus de s’arrêter pour lui dire de ne pas être stupide. Il y a toujours eu un risque à lever le pouce ou à prendre quelqu'un ( surtout pour une femme seule), mais là, avec le caillou céleste, c'est le genre d’insécurité qui crève le plafond façon courbe exponentielle. Pas la manière dont je voulais passer mes derniers jours en tout cas. Et c’était partir du principe que la p’tite dame n’avait pas l’intention de me planter avec un canif pour me piquer la bagnole.
À midi, deux tiers du chemin effectué plus tard, j’étais dans un village face à un de ces commerces obligé de cumuler 50 chapeaux pour ne pas finir dans le rouge à la fin du mois.
En passant devant les supermarchés en quittant la ville, je n’avais même pas osé m’arrêter. Ça devait être pire là-dedans que les lors des promos Nutella ou la chasse au PQ du covid. Genre le black friday US ou ça se termine quasiment au cimetière pour un paquet de personnes. Sauf qu’aujourd’hui, on pouvait raisonnablement enlever le « quasiment ». Il y aura bien moins de monde pour aller jouer avec les entrailles des gens en salle d’op afin de tout replacer au bon endroit comme ça aurait dû le rester dans un premier temps. Il y en avait déjà pour faire des puzzles à l’envers avec les devantures en verre et autres baies vitrées des bâtiments et commerces. Toujours est-il que dans ce patelin perdu, la boutique semblait ouverte, tranquille et vide.
Je savais que le père avait de quoi survivre pour des mois voire des années à la cave, je n’avais pas besoin de m’arrêter sauf que pour le reste, si l’on devait se retrouver soudainement une douzaine à devoir vivre là-bas, on n’aura pas assez de brosses à dents et conneries de ce genre. Pour autant, il nous fallait juste tenir quelques jours.
Avec un soupir et en secouant la tête, je sortis de la voiture. Ce qu’on ne risquerait pas pour des futilités.
À l’intérieur, rien ne semblait anormal. La propriétaire était même derrière sa caisse enregistreuse, elle me fit un signe de tête que je lui rendis et ça en resta là. Sans réfléchir plus avant, j’avançais rapidement dans le magasin, récupérant au passage ce dont nous aurions probablement besoin et que le père n’aurait pas en stock ou en quantité.
Au moment de payer, je lui demandais si elle avait bien entendu et compris l’annonce du gouvernement qui se répétait toute les heures sur tous les médias depuis ce matin. Elle me fit oui de la tête tranquillement. Quand je lui fis remarquer qu’elle prenait un gros risque, elle me répondit que si quelqu’un devait venir pour trouver la boutique fermée, ça serait juste ridicule. Futilement, je passais ma carte dans la machine et composait mon code. Comme si ça avait encore un sens.
De nouveau sur la route, je repensais à la vieille dame. Non pas que je ne comprenne pas. Au contraire, un jour parmi tant d'autres, même en situation d’urgence, j’aurais agi comme elle le faisait parce qu'il existerait toujours un après, donnant du sens à cet acte. Mais, pas aujourd’hui, non, pas aujourd’hui. Ni cette semaine.
Pas moyen que je passe mes derniers moments engoncé dans un gilet par balle à fracasser des crânes à coup de matraque pour que certains puissent ainsi se décharger de leurs responsabilités et se sentir forts d’avoir fait ce qu’il fallait. Là, maintenant, ça n’avait juste, absolument plus aucune espèce de sens.
Une heure plus tard, j’arrivais chez le père. Un vieux monastère qu’il avait acquis et restauré petit à petit avec les années. Les jaloux parlaient du domaine de Pluvière et de son château renaissance. La blague. Certes, le père possédait la moitié de la forêt désormais et il pourrait occuper ses journées rien qu’à tondre la pelouse sans jamais en voir la fin, tel un Sisyphe infatigable. Sauf qu’il était fatigable. Sa petite tondeuse traditionnelle avait cramé le mois suivant l’acquisition de la propriété. Alors il avait investi dans une machine du genre tracteur gargantuesque à l’échelle du terrain à entretenir. Quant au château proprement dit, c’était surtout un rectangle de pierre du début 1900. Un truc religieux abandonné après guerre, racheté plus d'une fois et plus ou moins rénové avec les années jusqu’à ce que le père en prenne possession. Un véritable gouffre financier capable de loger une petite armée et où il vivait seul la plupart du temps. Officiellement, c’était un gite, mais encore fallait-il vraiment le faire savoir au reste du monde pour avoir des clients. Et ça, c’était bien la dernière chose que désirait le père. Le gite, c’était une idée de maman, décédée avant de voir son projet aboutir.
À moins que le père ne me file un coup de pied au cul en me trouvant à sa porte, c’était ici que j’allais passer ma fin du monde.
***
Second jour.
Avec le père, on a suivi les informations avant de couper après un moment, dépité, mais pas surpris. La très grande majorité n’avait qu’une idée en tête, rejoindre amis, famille ou faire la fête, mais le reste… Le reste faisait ce qu’il voulait, aussi loufoque, grotesque ou barbare que ce puisse être. Sauf que cette fois, personne ou si peu ira répondre présent pour nettoyer derrière ou éteindre les incendies. Plus d’un tiers de la capitale avait déjà brulé dans la nuit selon les infos qu’on avait vues. De même qu’a Nantes, Lyon et d’autres villes d'envergure.
Le reste était plus classique, embouteillage monstre, pillages et j’en passe. La caméra avait même pris un type qui manifestement n’avait pas du comprendre ce que voulait dire « fin du monde » puisqu'il avait entassé dans un chariot autant de cartons de consoles de jeu que possible et je ne vous parle pas des banques ou des bijouteries. Visiblement, les organismes de santé étaient les seuls à pouvoir encore fonctionner, mais vu qu’ils étaient déjà saturés lors d’une journée normale, je vous laisse imaginer ce que ce devait être là maintenant. Le peu qui subsistait de pompiers et des services d’ordre auraient annoncé leurs désirs de se joindre à eux un peu partout, n’essayant même plus de faire face à la folie ambiante et faisant fi des consignes ou postures officielles à adopter. j'aurais pu être avec eux en d'autres circonstances.
J’ai pu avoir un appel de Leen. Comme je le pensais, elle fut prise dans la vague de chaos. Elle a bien réussi à rallier l’EHPAD où était sa mère, mais sa voiture déjà bien emboutie finit incendiée par une bande hurlante sur le parking. Elle avait décidé de rester là pour aviser et voir comment les choses allaient évoluer. Ça faisait mal, mais je comprenais.
J’ai reçu un message de Tienne et Cat. Ils ont aussi pu joindre un endroit calme ou se poser un moment. Tienne a lancé le pari le plus stupide de l’année, mais c’était bien de lui. Il gageait sur le fait que d’ici au terme de la semaine, il ne subsisterait que moins d’un milliard d’entre nous. La plupart ne pourront juste pas attendre la fin tranquillement. Il anticipait qu’il y aurait bien quelques cinglés dans un gouvernement ici ou là pour jouer avec les armes interdites que personne n’était censé posséder sur le principe du « je les tuerais tous moi-même avant la fin », avec toutes les conséquences prévisibles qui suivront. Sans même parler de la vague de suicide massive ou des Darwin award de dernière minute. Le pire étant qu’il risquait fort de gagner son pari. Ah !
En même temps, je ne voulais même pas savoir s'il devait gagner en fait. Trop déprimant.
Sinon, on a passé le reste de la journée avec le père à nettoyer toutes les armes en sa possession, surtout des carabines de chasse. Mais il avait aussi un vieux revolver américain de la dernière guerre et un lot d'antiques sabres de cavalerie, qu’il avait découverts un beau jour derrière un mur pourri pendant la rénovation. Il y avait des pistolets avec, le genre archaïque tout droit sorti d’un film de mousquetaire. Mais ceux-là, il les avait revendus sous le coude. Il aurait fait pareil avec les sabres s’ils étaient dans un meilleur état. Je crois que je préférerais me servir d’un manche à balai en guise de bâton plutôt que m’essayer à ces armes-là, ébréchées de partout et piquées de rouille.
Pourquoi ? Déjà parce qu’on prévoyait de chasser un peu, ça serait toujours plus goûteux que les bocaux et conserves de la cave. Ensuite, parce qu’on n’était pas idiots non plus. Quand les bandes hurlantes auront fini de jouer à détruire les centres-ville, il était facile de deviner ou ils iraient répandre leur chaos ultérieurement. Une précaution nécessaire. On dira ça comme ça.
On a eu des nouvelles de la frangine aussi dans l’après-midi. Ils se dirigeaient par ici et visiblement, ils en avaient déjà bien bavé. Le soir venu, ils n'étaient pas encore arrivés. Ça en devenait inquiétant.
***
Troisième jour.
Au matin, moi et le père sommes allés à la recherche de la frangine et sa p’tite famille. Vérifiant en priorité les routes qu’ils auraient pu prendre. On est finalement tombé sur eux 3 heures plus tard, à pied le long de la voie rapide, chargé comme des baudets.
Hier au soir, ils avaient dû faire face à un carambolage bloquant complètement la voie. Plutôt que faire demi-tour, ils avaient tenté un contournement par la droite, côté campagne, le terre-plein central étant trop abrupt pour une voiture. Quelqu’un avait déjà réussi la manœuvre avant eux et avait démonté une partie de la glissière de sécurité pour pouvoir passer. Malheureusement, la frangine s’est retrouvé à déraper dans la boue ou quelque chose comme ça et a finit par emboutir la bagnole dans un arbuste ou elle n’a plus voulu démarrer. Après avoir vainement essayé de la réparer ce matin, ils avaient pris la route à pied.
Nous avons donc embarqué toute la famille, la frangine, le bof et ses trois gamins, entassés les uns sur les autres à l’arrière, puis nous sommes tranquillement rentrés soulagé qu’il n’y ait rien eu de plus grave.
Il n’y avait plus d’électricité ni de téléphone mobile. Quant à savoir le pourquoi, j’avais bien en tête tout un tas de possibilités, mais ce n’était pas comme si j’allais les vérifier. Ce n’était pas non plus la catastrophe que ça aurait pu être il y a encore quelques jours. C’était même probablement mieux ainsi.
Dans l’après-midi, j’embarquais le bof et le monster truck du père pour aller voir s’il n’y avait pas moyen de sauver la voiture de la frangine. Officiellement, on devait juste retrouver les 3 sacs qu’ils avaient laissés derrière pour ne pas se surcharger. Mais bon, si la bagnole était récupérable, c’était toujours avantageux d’en avoir une de plus. Là encore, juste au cas où. Mesure de précaution. La même mesure qui me fit prendre un des fusils du père sous le regard estomaqué du bof. Au final, la voiture était sans doute réparable, mais c’était bien au-delà de mes compétences.
Le reste de l’après-midi, moi et le père avons bricolé un dispositif d’alarme à grand renfort de fils, de boite de conserve et un système d’éclairage automatique sur batterie. La frangine nous surveillait, les lèvres pincées en un pli amer. Le bof lui s’était contenté de secouer la tête avant d’aller s’occuper des gamins.
Je n’étais pas aussi cynique que Tienne avec son pari sur le nombre ridiculement faible d’entre nous qui seront toujours en vie quand viendra la fin. Mais je n’étais pas naïf non plus. J’ai vu de par mon travail assez d’horreur commise, pour des raisons toutes plus stupides ou invraisemblable pour encore croire en la bonté naturelle et universelle des gens.
Et puis, la situation n’avait plus rien de normal. Si l’on réfléchissait avant d’agir, c’était bien en prévision des conséquences possibles. Faites sauter ces conséquences et le passage à l’acte en est simplifié de manière drastique. Je craignais fort que l’attrait de la violence et sa facilité allaient entrainer pas mal de monde vers le côté obscur d’ici la fin de la semaine, surtout adjointe à la volonté de bouger, intervenir, faire quelque chose pour repousser la panique et autres peurs de la catastrophe. Sans même parler du pouvoir, cette sensation enivrante de domination sur autrui, de savoir qu’on a totale contrôle sur lui. C’est addictif, puissant, grisant et le piège mortel qui attend tous ceux possédant une quelconque autorité s’il n’y prend garde. Exacerbons un peu le tout avec le caillou celeste histoire d’en ajouter une couche et le résultat n’est réellement pas top.
Le père et moi voulions juste être prêt, au cas ou. Encore une fois, le principe de précaution. Et si vraiment quelqu’un arrivait jusqu’ici, au milieu de nulle part. Ce ne serait pas un accident qui plus est.
Les gamins et le bof jouaient avec une ancienne radio qu’ils avaient dû dénicher sous un tas de vieilleries dans la remise. J’avais l’impression de l’avoir déjà vu étant petiot, un modèle vétuste à pile. À force de trifouiller toutes les commandes, ils réussirent à la mettre en marche et soudain il y eut des crachotements et grésillements à n’en plus finir. On eut le droit à un bruit de distorsion à faire grincer des dents pendant que les gamins tournaient les boutons en tout sens, sauf celui du volume, celui-là, il était en mode « a fond » ! Brusquement, un son tonitruant sorti du petit engin, à peine compréhensible autant par sa puissance que les parasites. Les gamins se bouchèrent les oreilles. Le bof pour sa part restait-là un peu bouche bée alors que des enceintes, une voix hurlait à la conspiration et autre complot d’état. Qu’il était impensable que personne n’ait remarqué un objet aussi massif à la dernière minute et que la vérité nous fût cachée et ainsi de suite.
Agacé et comme le bof ne semblait pas vouloir réagir, c’est finalement moi qui vins m’emparer de l’engin pour couper le sifflet à l’acharné qui avait du investir une station de radio pour y balancer son crédo. Comme si ça pouvait encore avoir une quelconque espèce d’importance. Il espérait quoi ? Une charge citoyenne sur le gouv à Paris pour guillotiner les responsables qui n’ont certainement pas attendu l’annonce officielle pour aller se planquer dans un coin et avoir la paix.
Pourquoi faire ? Il n'y aura pas de survivants lundi prochain. Même la bande d’illuminés qui se sont mis en tête d’être les premiers à coloniser la lune ou mars dans l’urgence auront l’air malin dans l’espace, seul et sans ressource. Déjà, je leur souhaite bonne chance pour faire décoller quoi que ce soit, là, maintenant, ce n’est pas comme si tous les employés allaient rester à leur poste en gentils esclaves obéissants. Il en faut des milliers pour que trois ou quatre arrivent tout là-haut. Sachant que présentement, la menace d’une arme sera bien moins effective pour forcer les gens à faire ce qu’ils ne veulent pas, ne parlons pas de la valeur de l'argent. Alors bon courage à eux.
Et quand bien même, ils feront quoi une fois là-haut ? Un feu de camp sur la lune et se griller des saucisses. À part jouer à Iron Man comme un certain acteur oublié sur Mars, je ne vois pas. Ridicule.
Tout aussi ridicule que le bof, l’air outré, qui me demandait si je croyais le hurleur de la radio, ne pouvant supporter l’idée qu’on ait pu lui mentir. Évidemment que c’était vrai. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien lui trouver la frangine à ce type. Nos Gouv devaient être informé depuis des mois. Un caillou céleste de cette taille, aucune chance qu’il passe inaperçu. Ce qui aurait plus tendance à m’étonner fut que le secret fut conservé jusqu’à la toute fin. Je ne veux même pas savoir le nombre d’assassinats préventifs qu’il a dû falloir organiser pour obtenir ce silence si peu humain sur un sujet si important.
Oh, je sais, en fait, nos gouv sont sous la coupe de vilains aliens Illuminatis et reptiliens de surcroît, c’est tellement évident ! Ah ! Complotiste ! comme dirait l’autre.
En tout cas, je fis rapidement sauter le couvercle protégeant les piles puis les retiraient une à une avant de les mettre dans ma poche et de rendre la radio au bof l’air toujours un peu ahuri.
Je savais que le père en avait un plein carton de tailles et voltage variés. On ne risquait vraiment pas d’en manquer. Mais celles que je venais de confisquer, j'avais déjà une idée de ce que j’allais en faire. Une utilisation certainement à meilleur escient que le bof pour le moins.
Après un diner rapide, j’installais quelques haut-parleurs sur la terrasse à l’arrière de la maison, puis le vieux tourne-disque du père. Me voyant galérer a essayé de brancher tout ça, la frangine finit par sortir une enceinte Bluetooth de son sac et la relier à l'appareil en un tour de main. Nous passâmes ainsi la soirée, observant la lente descente du soleil à l’horizon tout en écoutant les vinyles des parents. Des titres que pour certains, je n’avais plus entendus depuis tout petiot. Les gamins, comme le bof, tiraient un peu la tronche. Ils partirent donc se faire leur propre musical night plus loin, terminant de vider la batterie du téléphone hors de prix du bof. Pendant ce temps, Led Zeppelin nous parlait d’un escalier et les Pink Floyd nous vantait l’herbe toujours plus verte chez le voisin ainsi que la solidité de certains murs. Puis la frangine s’occupa de la gestion des disques et un oiseau bleu rencontra un aigle noir au-dessus de nos têtes. Une cendrillon rock s’invita à la fête, pendant que Renaud nous indiquait quoi faire dans un bar avant de nous conter ce mistral gagnant.
***
Quatrième jour
Aujourd’hui, on eut la surprise de voir passer une véritable procession sur cette route de campagne perdue au milieu de nulle part. Ils s’arrêtèrent un bon moment en bordure du domaine pour se ravitailler en eau et deux prêtres vinrent discuter avec nous. Ils avaient décidé de partir pour un dernier pèlerinage afin de se recentrer sur l’essentiel. Quelque chose comme ça. Ils essayèrent gentiment de nous emmener à les suivre, mais nous refusâmes tout aussi gentiment.
Ils amenaient avec eux des nouvelles du monde. L’un d’eux avait deux radios réglées sur les grandes ondes et il balayait régulièrement les fréquences. Selon eux, c’était le chaos dans les pays arabes. L’idée avait pris comme une trainée de poudre que rayer Israël de la carte d’ici à dimanche serait un exploit digne d’obtenir un accès garanti au paradis islamique. Le président américain voulait répliquer à coup de bombes nucléaires, ou aurait du le faire, mais ce serait fait assassiner, ou aurait disparu, ce n’était pas clair. Par là-bas, ils semblaient passer une merveilleuse et joyeuse fin du monde donc.
Selon eux, ce n’était pas forcément mieux plus près de chez nous. Beaucoup ne demandaient qu’à être tranquilles avec leurs proches. Beaucoup d’autres avaient lancé des fêtes perpétuelles qui viraient au sordide en même temps que montait le niveau d’alcool dans le sang des participants. Puis, il y avait les autres. Un des prêtres les nommait « les ravageurs » vu l’horreur et la désolation qu’ils laissaient derrière eux. Seuls ou par groupe, ils étaient le criant exemple de la folie incarnée.
Les seuls ilots de civilisation continuant de perdurer étaient désormais concentrés autour du milieu médical où partout dans le pays, les gens de bonne volonté se rassemblaient pour que le mot décence ne disparaisse pas comme avait pu faire le respect il y a quelques dizaines d’années.
Les pèlerins repartirent tranquillement, comme ils étaient venus. Plusieurs centaines d’hommes et de femmes, marchant, priant, chantant des hymnes à la gloire de l’éternel.
Dans l’après-midi, c’est une procession d’un tout autre genre qui s’arrêta au même endroit. Moi et le père on s’est regardés et il était visible qu’il pensait exactement comme moi. C'était à croire que les organisateurs religieux avaient lancé deux mouvements, à l’idéologie très différente, mais avec précisément un plan identique en tête. Je n’avais qu’un mot pour qualifier ce groupe-là, c’était flagellant.
Eux aussi étaient en pèlerinage, mais leur but étaient le repentir final, obtenir l’absolution pour leur péché avant la messe de dimanche matin. Quitte à payer de leur chair et de leur sang pour la recevoir via leur sacrifice.
Ils avaient tous un de ces fouets pour jeux coquins, normalement inoffensifs, tant qu’on y ajoutait pas ici et là des petits clous ou un fil barbelé. Ils devaient être vêtus de manière très classique à leur départ, mais désormais, leurs dos n’étaient qu’étoffes déchirées, noircies de sang séché.
Ils s’arrêtèrent au même endroit, pour la même raison, ils restèrent aussi longtemps et tentèrent de nous embarquer avec eux de manière aussi polie et gentille que leurs prédécesseurs et nous refusâmes dans le même esprit.
Nous étions bien installés pour le moment et hormis une surveillance de principe, pareillement nous nous recentrâmes autour de choses essentielles. Nous parlâmes beaucoup avec le père et la frangine. Du passé, de la famille, de maman aussi, forcément. Les gamins découvrirent leurs grand-mères via nos récits et grâce à quelques photos additionnées de vieilles vidéos.
Le bof avait bien essayé de se joindre à nous, mais il était visible qu’il ne partageait pas ni n’était très réceptif à ce que nous pouvions échanger. Il avait toujours ce regard un rien distant qui disparaissait quelque peu lorsqu’il fixait les gamins. Un peu, mais pas totalement. Quelque chose me disait que s’il n’y avait pas eu les p’tits, il aurait tenté d’entrainer la frangine dans une de ces fêtes interminables dont parlaient les prêtres. Mais peut-être suis-je mauvaise langue. Je ne l’avais jamais vu avant hier, de même pour les petiots et la première impression n’était vraiment pas favorable. Je n’appréciais guère le bonhomme. Mais je n’allais pas non plus lui pourrir la vie de manière intentionnelle comme j’aurais pu le faire le reste de l’année. La frangine méritait mieux à mes yeux. Et puis, il y avait les 3 gamins que nous apprenions tout juste à connaître avec le père.
La frangine et le bof étaient haut placés dans une entreprise d’ameublement traditionnel et étaient en permanence entre deux avions, faisant la navette entre les diverses usines et le centre de développement de la boite. Avec les gamins, ils s’étaient posés et avaient acheté une baraque en Roumanie. Leur visite était planifiée depuis plusieurs mois, et ils étaient déjà en France pour l’annonce de la fin du monde. Quelque part, cette coïncidence me semblait un peu trop énorme et je doutais que c’en soit réellement une. Cette affaire me titillait l’esprit. La frangine devait faire partie de ceux qui savaient avant l’heure. Peut-être grâce à son grand patron, ou via une autre connaissance haut placée. Mais elle était informée. Ou je devenais juste paranoïaque. Pas moyen qu’un tel secret puisse tenir si même certains civils étaient dans la confidence. En tout cas, je n’allais certainement pas ennuyer la frangine avec ça désormais. L'un comme l'autre, je ne voulais pas savoir.
Je ne suis pas curieux à ce point, et ça n’a finalement presque aucune importance. J’ai l’impression de répéter ça un peu trop souvent, mais c’est dur de passer outre son propre conditionnement à fouiner partout et retourner le moindre problème en tout sens. Au moins, l’écrire me permet de fixer mes idées et priorités.
***
Cinquième jour.
Toujours aucune nouvelle de Leen, et je n’espère plus en avoir désormais. Aurais-je dû aller la chercher ? Ai-je encore le droit de me questionner de la sorte ? Après tout, je l’ai décidé, j’ai refusé de prendre le risque de rester bloquer dans ce centre-ville, même si c’était pour rester avec elle. Ça en dit long sur moi, je pense. Ai-je encore une légitimité à regretter qu’elle ne soit pas présente quand je l’ai sciemment abandonné ?
Alors que j’écris ces mots, ils sont tous dans l’arrière-cour en train de courir après un ballon. Je devrais aller les rejoindre plutôt que me tourner la tête en tout sens. Tout ce que j’espère c’est qu’elle ait pu atteindre avec sa mère une de ces zones assez sûres jour et nuit.
Je restais un bon moment ainsi, fixant le vide, les pensées tournoyant en boucle sur des si et des peut-être. Puis finalement, je sortis retrouver les autres pour courir moi aussi derrière un ballon.
Plus tard, me revoilà au même point. Qu’est-on censé faire lorsqu’arrive la fin du monde. J’ai beau y revenir encore et encore je n’arrive pas à trouver une réponse. Je sais ce que je ne veux pas faire, ou je ne veux pas être et malheureusement je n’arrive pas à aller plus loin. Sauf sur un point, je voudrais que maman soit là, pouvoir lui parler, la prendre dans mes bras et parler, juste parler, encore, jusqu’à la fin.
Uh, j’ai en fin de compte l’impression d’être dans le camp des exclus avec le bof pour le coup. Je vois le père, d’habitude si taciturne qui pour une fois est souriante à s’en donner des crampes au visage. Il a même été jusqu’a courir après un ballon lui qui est le premier à avouer combien stupide sont ces sports. Évidemment, tout ça, c’est grâce aux gamins et à la frangine. Depuis le temps qu’il voulait les rencontrer. Depuis deux ans qu’il me rabâchait, les oreilles qu’il allait prendre l’avion pour la Roumanie, mais sans jamais réellement passer à l’acte. La frangine aussi semblait en paix avec elle-même, arborant ce demi-sourire plein de sérénité qu’elle partageait volontiers avec son bof de mari. Du coup, me voilà un peu seul dans mon coin, comme si je n’avais plus ma place ici, présent, mais en dehors du cadre de ce tableau. Lundi matin, c’est avec cette image en tête que j'ai pris la route. Mais je viens juste de comprendre que jamais je ne suis vu dans le décor au côté des autres alors que petit à petit, le bof, lui, a fini par y apparaître. Et pourtant, n’est-ce pas là qu’un énorme mensonge que je sers à moi-même ?
Ou devrais-je être ? Que devrais-je faire ?
Que voudrais-je faire plutôt ! Devrais-je ? Voudrais-je ? Pourrais-je ?
Toujours et encore le même refrain.
La soirée s’égrène doucement et je n’ai pas ma réponse. Je ne me reconnaissais plus vraiment non plus. Il avait fallu que je me pose deux minutes, que Leen revienne en force dans mon esprit et me voilà complètement noyé dans les pensées contradictoires incapables de faire quoique ce soit.
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Sixième jour
Mal dormi. Le père me regardait de travers depuis le p’tit déjeuner. Je ne savais pas ce qu’il avait en tête, mais j’espérais que ça allait vite lui passer. J’avais toujours l’impression d’être hors du champ de la photo alors que le bof y était désormais bien inclus. En un sens tant mieux pour lui, même si je ne l’apprécie pas des masses, je ne lui veux pas du mal pour autant, juste qu’il se montre à la hauteur de la frangine.
J’avais tellement de choses qui me passaient par là tête ! Je pensais à Leen quelque part en ville. Je me voyais déjà sur la route, puis repoussait à toute force cette idée ridicule pour la voir revenir 5 min plus tard avec plus de violence.
Le père me surprit alors que je fixais le vide. Il se contenta de me jeter les clés de son monstre d’engin sans ajouter un mot. Inutile entre nous. Un sac m’attendait déjà devant la porte côté conducteur et deux canons de fusil en dépassaient. Il avait donc tout préparé. Je n’avais plus qu’à faire mes adieux.
Au bof d’abord, facile. Facile aussi avec les gamins que je ne connaissais toujours pas et que désormais, je ne connaîtrais jamais plus. Puis la frangine, plus dure. Au final c’est presque elle qui me poussa derrière le volant du gros 4X4 noir du père, son monster truck comme je l’appelais. Engin qu’il s’était acheté ainsi que le domaine avec ses gains au loto.
Sur un dernier salut de la main, je pris la route.
D’habitude, il faut deux à trois heures selon ma propension du moment à défier les lois de la probabilité et jouer ma chance avec les radars en conservant l’accélérateur à fond ou presque. Mais là, le trajet risquait fort de me prendre la journée, dépendant de la quantité d’épaves abandonnées pouvant bloquer la route. Peut-être aussi quelques barrages et gardes armés, selon ce que les uns ou les autres se seront mis en tête d’accomplir pour la fin du monde. Peut être même une véritable attaque de pirates de grand chemin se croyant dans Mad Max. Un Mad Max français, sans désert à perte de vue ni routes défoncées impraticables.
Cette fois-ci, j’allais éviter les axes principaux, là où le risque était plus important d’avoir des problèmes. Je devrais donc couper au travers de maints petits villages, comme quand j’étais gamin, avant qu’ils ne fassent l’autoroute et son prix digne du grand banditisme, ainsi que les voies rapides entre les différentes cités plus réduites en taille.
À midi, j’avais fait presque la moitié du trajet. Les routes étaient plutôt dégagées si ce n’est une épave par-ci par-là. C’est surtout aux abords des agglomérations qu’il fallait être plus prudent sans pour autant devenir complètement paranoïaque et déclencher un incident par peur.
Je ne vis quasiment personne et le peux qui croisèrent mon chemin firent comme si je n’étais pas là. L’après-midi s’avéra bien plus compliqué, j’étais pratiquement arrivé en ville, traversant cette espèce de banlieue industrio-commerciale flanquant chaque côté de la route, devenue entre temps une 2X2. Pourtant j’avançais comme un escargot au point de me demander si je n’irais pas plus vite à pied désormais.
Par 3 fois, j’ai dû débloquer la voie, complètement saturées par des tas de voitures abandonnées voir encastrées les unes dans les autres. Je pus me dégager un passage au premier arrêt en jouant avec le treuil du 4X4 pour déplacer quelques épaves encombrantes. Mais les deux autres fois, il y en en avait tant qu’il fut plus simple de défoncer la glissière de sécurité, puis de jouer du pare-buffle en renversants grillages et barrière délimitant la propriété de chaque usine ou entrepôt divers flanquant la route.
Comparée à la semaine précédente, la zone avait grandement souffert. Nombre de bâtiments furent visiblement incendiés, d’autres brulaient encore comme le témoignaient d’épaisses volutes de fumées noires planant au-dessus de la ville.
Puis je dépassais le point fatidique, celui où lundi, j’avais fait demi-tour pour quitter les lieux aussi rapidement que possible.
Il y avait quantité d’épaves incendiées le long des bas-côtés, trop pour être naturel. Quelqu’un y avait délibérément mis le feu. Malgré tout, des gens avaient fait l’effort de débloquer un chemin au milieu des carcasses accidentées, carbonisées, abandonnées, quand ce n’était pas les 3 à la fois. Qu’ils en soient mille fois remerciés, le moment viendrait bien assez vite ou je devrais marcher de toute manière. Mais j’escomptais bien profiter de la protection du monster truck autant que possible.
Ma première cible était l’hôpital. S’il devait y avoir encore quelques personnes de bonnes volontés par ici, ce serait là que je les trouverais. Et puis, si Leen n’y était pas, j’aviserais.
J’y arrivais en début de soirée après avoir abandonné et caché le monstre 2 km plus loin. J’observais depuis un bâtiment plus imposant que ces voisins à une dizaine de rues de distance. Je devais voir ou j'allais mettre les pieds pour planifier mon approche. Il y avait des barricades de fortune partout tout autour de l’hôpital, ce à quoi je m’attendais, je constatais même le canon d’un fusil ici et là. Ils avaient de l’électricité aussi.
Ce qui me surprit par contre, ce fut la seconde rangée de barricades qui faisait face à la première en un cercle encore plus large, séparé par endroit que par une toute petite douzaine de mètres d’intervalle.
Autrement dit, l’hôpital était assiégé. J’eus bien des mots violents et idées stéréotypées en tête pour expliquer la situation en 30 sec top, mais la réalité était sans doute bien plus complexe. On était revenu au feu de ce côté-ci du monde vu les panaches de fumées noires grimpant vers le ciel de tous côtés. Pas d’électricité ici.
Je cherchais un moyen d’entrer, d’esquiver les vilains sans que les gentils me prennent pour ce que je n’étais pas et me percent de balles de partout pour tout dire simplement. Mais il y avait là bien trop de monde pour espérer pouvoir passer inaperçu. Et avec la nuit, j'augmenterais bien trop le risque de subir un tir "allié". Ce n'est pas comme si on m'attendait.
Je n’eus pas le loisir de réfléchir plus avant au problème que soudainement quelqu’un me traîna par les jambes, me faisant glisser sur le sol et dans la seconde suivante, un impact envoya ma tête embrasser la poussière et les gravillons du toit ou je me trouvais.
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septième jour
J’ai passé quasiment toute la journée saucissonnée dans le coin d’une pièce de ce qui devait être une boutique de chaussure désormais quasi vide de marchandise. Nos vilains assaillants de l’hôpital se trouvaient être pour les 3/4 des gamins de moins de 16 ans. Pendant une bonne heure de temps, j’eux droit à un duo de même pas 8 ans, canif en main et essayant d’avoir l’air méchant. Ils étaient probablement là pour me surveiller. Ou pas… je ne sais pas. Ça illustre juste le ridicule de la situation. Qu’est-ce que cette bande de gosses pouvait bien avoir en tête d’accomplir ? Je ne comprenais pas et ne comprendrais peut-être jamais. J'allais jusqu'à me demander s'ils appréhendaient eux-mêmes ce qu’il se passait et pourquoi.
En début d’après-midi, une fille m’a désaucissonné avant de repartir comme si je n’existais pas. Je compris très vite pourquoi en jetant un œil dehors. Tous avaient les yeux au ciel comme en transe.
Si j’osais un regard là-haut, je risquais fort de finir dans le même état, aussi je fixais mes pieds, évitant aussi les baies vitrées tout en me faufilant entre les gamins. Plus personne ne surveillait quoi que ce soit, la fin du monde était enfin entrée dans l’esprit de chacun dans ce coin de l'univers.
Je traversais les deux barricades comme si elles n’existaient pas et comme un jour normal, cherchais l’accueil de l’hôpital.
Je répondis à leurs questions, ils écoutèrent la mienne.
J’entends son nom résonner via les haut-parleurs alors que depuis la salle d’attente, je couche là mes derniers mots par écrit, sans réelles raisons, comme je l’ai fait toute cette semaine et des années durant avant ça. C’est certainement l’ultime fois que je fais ce geste si plein de futilités.
Le monde tremble désormais, l’air gronde.
Elle m’appelle depuis la porte.